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03/01/2024

Chili : ¡Compañero Ponce Lerou, presente !
Gabrielito file la combinaison du coffre-fort au Beaufissime

NdT

Le président chilien Gabriel Boric a annoncé à la fin de l’année 2023 que l’exploitation des gisements de lithium serait confiée à une entreprise mixte associant l’État chilien et la société SQM jusqu’en 2030, après quoi SQM contrôlerait entièrement l’exploitation jusqu’en 2060. La SQM (Société chimique et minière du Chili) a été créée en 1968 comme entreprise mixte privé-public d’exploitation du salpêtre. Ente 1983 et 1988, elle a été privatisée par Pinochet, qui l’a pratiquement offerte à son beau-fils Julio César Ponce Lerou, qui est aujourd’hui l’homme le plus riche du Chili. Objet d’innombrables enquêtes judiciaires pour ses pratiques mafieuses de détournements de fonds et de corruption, Julio César, alias “el yernísimo” (le Gendre Suprême, ou le Beaufissime), serait en prison dans un pays administré par un État de droit, ce qui n’est de toute évidence pas le cas dans le Chili du pitoyable Gabrielito. Ci-dessous 4 articles d’auteurs chiliens apportant leur éclairage sur cette affaire à faire pâlir d’envie tous les auteur du réalisme magique.- Fausto Giudice, Tlaxcala

 

 Urgences

Luis Casado, Politika,  2/1/2024

L’année 2024 commence par une escroquerie digne du Guinness des records, sans que personne ne s’en émeuve. Seules quelques voix se sont élevées pour alerter le populo sur l’énorme fraude en cours. Et nous invitons tous les nuls à s’opposer à cette ignoble tentative de nous passer à la moulinette...

Il y a quelques jours, -on était encore en 2023-, après le rejet du projet de Constitution concocté par des marmitons fascistes, la presse (sic) chilienne a rapporté ceci :

« le Président a fait un discours mesuré dans lequel il a souligné que les urgences sont ailleurs et il a clôturé le processus constitutionnel ».

À ce moment-là, -plus qu’énervé par la sollicitude soumise qu’il manifeste à l’égard des aumônes-, j’ai osé affirmer que la racaille politichienne s’accommodera de n’importe quoi tant que les « urgence » seront définies par les hommes d’affaires, bref, par les gros bonnets.

Il n’était pas nécessaire de s’armer de patience pour savoir quelles étaient ces « urgences » : livrer le lithium (et ce qui restait, s’il en restait quelque chose, de pudeur, de vertu et de décence) au beaufissime, celui qui, pendant la dictature, s’est payé SQM, à la grande satisfaction de la racaille politichienne que l’escroc a financée et continue de financer, comme on le fait avec les greluches tarifées.

Pour faire taire toute expression de gêne, faciliter la pénétration et accroître la jouissance, ce Soleil du XXIème siècle qui nous sert de président nous a donné quelques chiffres, tous liés à la masse d’argent dont disposera le trésor national, question d’activer le fonctionnement de nos glandes salivaires dans un réflexe pavlovien : Il nous avait récemment souhaité « d’être heureux » (sic), ce qui à proprement parler, comme on dit en France, « ne mange pas de pain », donc ne coûte pas un sou, bref  un synonyme simpliste du «  Dieu vous bénisse ».

Du pactole dont Ponce Lerou s’empare, du gigantesque pied de biche - outil indispensable aux voleurs désireux d’enfoncer des portes réfractaires - qui lui est offert pour ouvrir des marchés, négocier et recevoir des participations millionnaires d’investisseurs étrangers désireux de « placer » leurs capitaux oisifs... rien, pas un mot. En réalité, Ponce Lerou s’élève au rang de videur de bordel, celui qui arrête les clients indésirables à la porte ou qui l’ouvre en grand aux riches michés réguliers, généreux avec le petit personnel.

On a aussi impudemment exhibé comme argument une prétendue prouesse scientifique, de prétendues avancées technologiques réalisées par SQM que ni les Chinois, ni les Russes, ni même les Yankees ne sont près de découvrir, Benjamin Franklin, Charles de Coulomb, Louis Pasteur, Thomas Edison et Alessandro Volta sont des godiches comparés à côté de Ponce Lerou, on voit que la Vierge du Carmen est avec le Beaufissime, elle le protège et lui file des rencarts, que c’est une merveille.

Les âmes pieuses, de gauche à droite et de droite à gauche (mais... n’est-ce pas la même chose, Monseigneur ?) ont loué notre Soleil du XXIème siècle, vantant son « pragmatisme », une qualité qui placera le Chili très haut dans la liste des pays qui attirent les boucaniers, les filibusters, les corsaires et autres aventuriers, - que dis-je ! toute la Confrérie des Pirates des Caraïbes, qu’Emilio Salgari et Sandokan nous éclairent -, qui débarquent dans le but louable d’exploiter - c’est le cas de le dire - notre richesse autrefois nationale et nos travailleurs (Milei les appelle « capital humain »), pour ainsi engraisser  ceux qui débordent déjà de graisse, grâce surtout au fait qu’ils « graissent » de temps en temps leurs condottieri serviles, de droite à gauche et de gauche à droite, on ne peut pas dire qu’au moment de toucher leurs pourboires, ils soient à la ramasse.

Légèrement pressé par d’autres « urgences » -bien plus simples et domestiques que celles qui agitent notre Soleil du XXIème siècle-, j’ai osé évoquer ce sujet à l’aube d’une année qui commence comme un enfer, malgré les vœux sincères généreusement distribués à la fin de 2023, vœux qui, comme ceux de notre Soleil du XXIème siècle (être heureux), « ne mangent pas de pain », bref ne coûtent rien.

Le bradage du lithium à SQM à partir de 2030 est illégal

Julián Alcayaga Olivares, El Ciudadano, 2/1/2024

Le gouvernement, par l’intermédiaire de la CODELCO (Corporación Nacional del Cobre, Compagnie nationale du cuivre), a l’intention de céder le lithium à l’entreprise privée chilienne, chinoise et usaméricaine SQM, alors que depuis 1979, en vertu du décret constitutionnel DL 2.886, le lithium est réservé à l’État.

En outre, d’autres dispositions légales permettent de contester juridiquement, voire administrativement, cet accord entre CODELCO et SQM.

Voyons quelles sont ces dispositions légales.

1.- L’article 640 du Code civil stipule :

« L’État devient propriétaire de tous les biens pris à la guerre de nation à nation, non seulement sur les ennemis, mais aussi sur les neutres, et même sur les alliés et les nationaux selon le cas, et il en dispose conformément aux Ordonnances de la Marine et de la Course ».

Le code civil chilien étant entré en vigueur le 1er  janvier 1857, tous les biens pris lors de la guerre du Pacifique passèrent aux mains de l’État, et plus encore le Dépôt salin d’Atacama, qui n’avait pas de propriétaire, sauf peut-être les revendications des Peuples Atacameños.

2-Le 30 mai 1884, le président Domingo Santa María publia un décret, également signé par son ministre Ramón Barros Luco, qui stipulait ce qui suit :

« L’octroi de concessions pour des gisements de salpêtre, de borates et d’autres substances énumérées dans le décret susmentionné du 28 juillet 1877 est suspendu sur tout le territoire de la République, y compris les départements situés au nord du 23e  parallèle, et est abrogé ».

Le décret du 28 juillet 1877 permettait aux particuliers d’explorer et d’exploiter les gisements de salpêtre, de borates et « toutes autres substances salines qu’ils pourraient trouver dans les limites de leur propriété », ce qui fut abrogé par le décret de 1884.

3 - Par la suite, en 1888, le deuxième code minier chilien a été promulgué (le premier datant de 1874), dont l’article 2, paragraphe 5, établit ce qui suit :

« Nonobstant les dispositions des paragraphes précédents, l’État se réserve le droit d’exploiter les dépôts de guano sur les terres de toute propriété et d’exploiter les gisements de nitrates et de sels ammoniacaux similaires qui se trouvent sur les terres de l’État ou des communes, sur lesquelles aucune propriété minière privée n’a été établie par des lois antérieures ».

Ce code minier a encore renforcé la disposition établissant que, sur les terres de l’État, les nitrates et les sels similaires étaient réservés à l’État, y compris ceux qui se trouvent dans le Dépôt salin d’Atacama.

4.- Plus tard, les codes miniers de 1930 et 1932 ont établi la même disposition à l’article 4 des deux codes :

« Nonobstant les dispositions de l’article précédent, l’État se réserve les dépôts de guano et de pétrole à l’état liquide ou gazeux, situés sur des terrains de toute propriété, et ceux de nitrates et de sels similaires, d’iode et de composés de ces produits, qui sont situés sur des terrains d’État ou nationaux d’usage public ou des communes, à condition que sur les gisements susmentionnés n’ait pas été constituée, conformément aux lois antérieures, une propriété minière de particuliers, encore en vigueur » (c’est nous qui soulignons).

Par conséquent, depuis le décret suprême de 1884, jusqu’à l’entrée en vigueur de l’article 4 du code minier de 1932, modifié en 1979 par le Décret-Loi 2.886, il n’était pas possible de constituer une propriété minière sur les nitrates et les sels similaires du Dépôt salin d’Atacama, car ce gisement appartenait indéniablement à l’État, en vertu de l’article 640 du code civil.

6.- D’autre part, afin de garantir que la production agricole nationale puisse répondre aux besoins alimentaires, en 1940, sous le gouvernement du président Pedro Aguirre Cerda, la loi 6.482 a été adoptée, qui visait à garantir que le pays puisse produire les fertilisants dont il avait besoin. Dans ce but, cette loi a créé, à l’article 1er , le Conseil des fertilisants, auquel une série d’attributions ont été confiées, et pour donner plus de pouvoirs à ce Conseil, l’article 6 de cette loi stipulait :

« Les gisements de carbonate de calcium, de phosphates et de sels de potassium se trouvant sur les terrains publics ou nationaux à usage public, ou appartenant aux communes, sont réservés à l’Etat, à condition qu’aucune propriété minière privée en vigueur n’ait été constituée sur lesdits gisements conformément aux lois antérieures. En conséquence, à compter de la date de promulgation de la présente loi, aucune propriété minière ne peut être constituée sur les gisements contenant les substances indiquées dans le présent article ».

L’aspect pertinent de cette loi est que ce ne sont pas les substances minérales mais les gisements contenant des fertilisants qui étaient réservés à l’État, et que les particuliers n’étaient pas autorisés à établir des droits miniers sur un minéral ou une substance minérale, puisque c’était le gisement qui était légalement réservé à l’État.

Par conséquent, il existe une continuité absolue entre le décret du 30 mai 1884 du président Domingo Santa María et tous les codes miniers jusqu’en 1932, dans lesquels la propriété des nitrates et des sels similaires était interdite, et la loi 6.482, qui réservait à l’État « les gisements » contenant du carbonate de calcium et d’autres engrais.

Ce sont précisément ceux que l’on trouve dans le Dépôt salin d’Atacama, qui était déjà propriété de l’État en vertu de l’article 640 du code civil. La loi 6.482 a été en vigueur jusqu’en 1981, date à laquelle elle a été abrogée par le DL 3.557.

7.- Mais bien que la loi 6.482 ait réservé à l’État les gisements de carbonate de calcium, de phosphates et de sels de potassium, de nouvelles institutions ont été créées par la suite pour s’occuper des fertilisants, qui ont remplacé le Conseil des fertilisants dans ses droits et ses biens.

Ainsi, le 7 août 1942, le DFL 2-2281 du ministère des Finances prévoyait, entre autres, que les compétences et les ressources accordées au Conseil des fertilisants par la loi 6.482 seraient désormais exercées par un organisme dénommé « Institut d’économie agricole ».

Par la suite, le 12 mai 1953, le Décret ayant force de loi n° 87 du ministère des Finances a fusionné l’Institut d’économie agricole et l’Institut du commerce extérieur en une société commerciale autonome dénommée « Institut national du commerce ».

Le dernier paragraphe de l’article 1er du DFL 87 stipule:

« Toutes les autres attributions, droits et obligations de l’Instituto de Economía Agrícola échoiront à partir de cette date à l’Instituto Nacional de Comercio ».

9.- Enfin, le DFL 274 du Trésor, publié le 6/4/1960, a créé l’ »Entreprise de Commerce Agricole » (ECA), dont l’article 1er  des dispositions transitoires prévoyait :

« L’Empresa de Comercio Agrícola succède dans tout son patrimoine, ses biens, ses obligations et ses ressources à l’Instituto Nacional de Comercio, qui est supprimé à compter de la date de publication du présent décret avec force de loi » (DFL).

10 - L’Empresa de Comercio Agrícola, qui a eu une grande importance et activité sous les gouvernements du président Frei Montalva et de Salvador Allende, a succédé à l’Instituto Nacional de Comercio dans son patrimoine, ses biens et ses ressources, et est devenue en même temps propriétaire du gisement du Dépôt salin d’Atacama.

L’ECA a été en vigueur jusqu’en 1989, date à laquelle la loi 18.899 l’a remplacée par l’ « Empresa de Abastecimiento de Zonas Aisladas » (EMAZA, Société d’approvisionnement des zones isolées).

En résumé, jusqu’en 1989, en vertu de la loi 6.482, l’Empresa de Comercio Agrícola était propriétaire du Dépôt salin d’Atacama, car il contenait des fertilisants, notamment du carbonate de calcium et des phosphates, ce qui a été vérifié par une étude géologique du Dépôt salin d’Atacama, en province d’Antofagasta, réalisée par l’ « Instituto de Investigaciones Geológicas », en décembre 1969.

11 - Pour toutes les raisons énumérées ci-dessus, lorsqu’Anaconda, par l’intermédiaire de sa filiale Compañía Sudamericana Exploradora de Minas S.A., en 1969, a voulu constituer 75 000 propriétés dans le Dépôt salin d’Atacama et 4 500 dans le Dépôt salin de Tara, pour un total de 397 500 hectares de superficie,  elle n’a pas pu les constituer, car ces gisements étaient réservés à l’État, même si Anaconda a déclaré que les demandes concernaient le cuivre, le fer, le manganèse et “d’autres substances”.

Toute cette histoire législative que nous avons relatée est pratiquement inconnue, et même certaines de ces dispositions légales sont très difficiles à trouver.

12.- Par conséquent, en 1977, lorsque la CORFO (Compagnie de Développement de la Production) a établi les droits sur le Dépôt salin d’Atacama, presque sur les mêmes propriétés qu’Anaconda voulait constituer en 1967-69, ce gisement appartenait déjà à l’Empresa de Comercio Agrícola, qui était une société d’État, dotée de la personnalité juridique et de ses propres actifs, sur laquelle la CORFO n’avait aucune propriété ni aucun contrôle.

Or, la CORFO étant une institution de service public de l’État, ces propriétés minières constituées par elle dans le Dépôt salin d’ Atacama pourraient être considérées comme valides, précisément en vertu des dispositions légales résumées ci-dessus.

En revanche, la CORFO ne peut pas céder l’exploitation du lithium dans le Dépôt salin d’Atacama à des entreprises privées, en vertu de la disposition constitutionnelle suivante.

13 - En octobre 1979, la Junte militaire, « dans l’exercice de son pouvoir constituant" » a promulgué le décret-loi (DL) 2.886, qui stipule ce qui suit :

« Article 5 - En fonction de l’intérêt national, à compter de la date d’entrée en vigueur du présent décret-loi, le lithium est réservé à l’État .

Seuls les éléments suivants sont exemptés des dispositions du paragraphe précédent :

« a) Le lithium existant dans les biens constitués, sur le lithium ou sur l’une quelconque des substances du premier alinéa de l’article 3 du Code minier qui, à la date de publication du présent décret-loi au Journal officiel, avaient leur acte de mesure enregistré, étaient en vigueur, et dont la manifestation, à son tour, avait été enregistrée avant le 1er janvier 1979 » (c’est nous qui soulignons).

Cela signifie que le lithium a un statut différent de toutes les autres substances minérales concédables et non concédables, car le lithium est réservé à l’État, en vertu d’une disposition constitutionnelle, le DL 2.886 de 1979, qui est en vigueur.

Pour les raisons susmentionnées, le protocole d’accord, l’accord ou le décret suprême, quel que soit le nom qu’on lui donne, par lequel la CODELCO cède à SQM le lithium du Dépôt salin d’Atacama de 2030 à 2060, sans que la CODELCO ait les pouvoirs légaux ou constitutionnels de le faire, peut être contesté devant les tribunaux par le biais d’un recours constitutionnel en nullité.

J’espère que certains avocats prendront la décision de le faire, car l’intérêt national l’exige.

C’est toujours Ponce qui gagne

Daniel Matamala, La Tercera , 30/12/2023

S’il y a une dictature, c’est Ponce le Beaufissime qui gagne.

Si la démocratie revient, c’est Ponce le Bienfaiteur qui gagne.

Si c’est la droite qui  gouverne, c’est Ponce le Roi du Lithium qui gagne.

Si c’est la gauche qui gouverne, c’est Ponce le Roi perpétuel du Lithium qui gagne à nouveau.

Au cours de l’été 1969, Julio César Ponce Lerou a eu son coup de chance. En vacances à Maitencillo, il rencontre la jeune fille d’un militaire, Verónica Pinochet. Plus tard, devenu le gendre du seigneur et maître du Chili, il cumule quinze postes dans des entités étatiques et des entreprises telles que Conaf, Iansa, Enami, ENAP, CTC, Endesa, et les deux plus importantes pour son avenir : Corfo et SQM.

Il est baptisé le “yernísimo”.

En 1983, un scandale de corruption l’oblige à quitter ses fonctions, mais quatre ans plus tard, il revient à la SQM en tant que président du conseil d’administration, grâce aux votes des directeurs militaires nommés par la dictature de son beau-père. Il privatise l’entreprise et en prend le contrôle par une structure pyramidale dite “en cascade”.

La transition démocratique menace son pouvoir. La Chambre des députés estime que le Trésor a perdu 2,223 milliards de dollars d’actifs suite aux privatisations frauduleuses, dont SQM est le principal symbole. Le Conseil de défense de l’État (CDE) ouvre un dossier pour fraude et escroquerie fiscale pour les opérations entre Ponce et Corfo. Le Service des impôts (SII) ouvre une enquête à son encontre.

Le sénateur démocrate-chrétien Eduardo Frei a dénoncé le fait que les travailleurs de la SQM à l’usine de salpêtre de Pedro de Valdivia « vivent dans un environnement concentrationnaire, dans des cloaques immondes, comme des animaux ». La plainte est appuyée par son collègue Jorge Pizarro, et le gouvernement Aylwin annonce une commission d’enquête.

Puis, le “yernísimo” se réinvente. Il se sépare de Verónica Pinochet et devient le grand bienfaiteur de la politique chilienne. Des années plus tard, la famille de Pizarro, la campagne de Frei et les ministres de l’intérieur et de l’économie d’Aylwin figureront sur la liste des conseillers et des récipiendaires de paiements illégaux de SQM.

Un audit usaméricain a montré que SQM avait versé, au cours des cinq années faisant l’objet de l’enquête, 21 millions de dollars à des hommes politiques, dont les deux tiers de manière illégale. Magnanime, elle a payé à droite, au centre et à gauche. Lors de la campagne présidentielle de 2009, les trois candidats financés par SQM (Piñera, Frei et Marco Antonio Enríquez-Ominami) ont rassemblé 94 % des voix.

« Julio voulait soutenir des gens de toutes les convictions. Il voulait maintenir la démocratie dans le pays », expliqua son avocat et ami Darío Calderón. Cette générosité a ses avantages. Le CDE, le SII et la Chambre des députés abandonnent leurs enquêtes et l’Etat, qui s’apprête à poursuivre Ponce, devient son partenaire. Corfo lui confie l’exploitation du lithium dans les salines d’Atacama en échange d’un maigre 6,8% de royalties.

Ce contrat permet à Ponce de devenir le “roi du lithium”, avec une fortune estimée par Forbes à 3,3 milliards de dollars.

Ponce facture, il légifère aussi. La direction de SQM a rédigé un article l’exemptant de toute augmentation d’impôts pendant six ans. Le PDG Patricio Contesse envoie le texte au sénateur UDI Pablo Longueira, qui le transmet au gouvernement Piñera, le Congrès l’approuve et la note de SQM devient Loi de la République. Les enquêtes judiciaires ont prouvé que, dans le même temps, l’entreprise a versé 730 millions de pesos à l’entourage proche de Longueira.

En 2020, la Cour suprême a ratifié que Ponce était l’“idéologue” d’un “système frauduleux” visant à nuire aux actionnaires minoritaires de SQM par le biais des “cascadas”. Grâce à lui, il a obtenu un “bénéfice frauduleux” de 128 millions de dollars.

« Aux USA, Julio Ponce serait en prison3, a déclaré le ministre des Finances, Ignacio Briones. Mais pas au Chili. Sa “sanction” est une amende de 3 millions de dollars, soit 2,3 % du montant fraudé.

Dans le cas de l’argent politique illégal, ce n’est même pas cela. Patricio Contesse a pris tout le blâme, Ponce n’a jamais été touché par l’enquête et ne figure pas parmi les accusés.

Lorsqu’Eduardo Bitran, le timonier de la CORFO, a poursuivi SQM pour rupture de contrat avec le Trésor, il a dénoncé le fait que « des politiciens connus au plus haut niveau ont exigé que je conclue un accord avec Ponce ». Le litige s’est terminé en 2018, avec un nouveau pacte entre SQM et l’État. Cette fois, tout le monde y a gagné : SQM a prolongé son contrat et le Trésor a conservé une grande partie des redevances. L’année dernière, le lithium a rapporté plus de 5 milliards de dollars aux caisses de l’État. Ponce a également dû se retirer du conseil d’administration de l’entreprise, tout en conservant sa part d’actions.

Après des décennies de pillage, les bénéfices de SQM sont désormais partagés avec les propriétaires du lithium : tous les Chiliens.

Cette semaine, le gouvernement a célébré en grande pompe un nouvel accord avec SQM pour l’exploitation du lithium du Dépôt salin d’Atacama. Un partenariat sera formé jusqu’en 2060, dans lequel la CODELCO sera un actionnaire majoritaire, même si, au cours des cinq premières années, elle il n’aura ni le contrôle ni la majorité des bénéfices.

Les analyses sont partagées : certains se félicitent que l’État s’assure des revenus importants grâce au savoir-faire commercial de SQM. D’autres estiment qu’en tant que propriétaire du lithium, il aurait dû exiger une part plus importante ou lancer un appel d’offres transparent, au lieu de négocier avec une seule entreprise.

Le Chili a-t-il quelque chose à gagner dans cette affaire ? C’est discutable. Ce qui ne fait aucun doute, c’est que, comme toujours, c’est Ponce qui gagne. Les actions de SQM ont augmenté après l’annonce, et la société a clôturé l’année 2023 en tant qu’entreprise la plus précieuse du Chili, avec une capitalisation boursière de 16,717 milliards de dollars.

En 2014, le député Boric avait déclaré : « Julio Ponce est un criminel en col blanc et cravate ». En 2023, le président Boric célèbre le partenariat de Ponce avec l’État jusqu’en 2060. Ponce devient le roi perpétuel du lithium, jusqu’à ses 115 ans, blanchi par le seul secteur politique qui manquait à l’appel : le Frente Amplio qui l’avait dénoncé comme une icône de la corruption entre la politique et les affaires.

Au Chili, tout est incertain, tout change et tout tourne à l’identique : Ponce gagne toujours, toujours, toujours.

À l’ère de la gauche pragmatique

Juan Pablo Cárdenas S., Política y Utopía, 2/1/2024

Le président Gabriel Boric s’est lui-même chargé d’informer son pays de l’accord conclu entre la CODELCO, la plus importante compagnie minière publique du Chili, et Soquimich (SQM), l’entreprise privée qui opère depuis quelques années dans les riches salines d’Atacama. La nouvelle est que les deux entités ont convenu d’exploiter conjointement les immenses réserves de lithium dans le désert du nord.

Dans le cadre de ce nouveau partenariat, les deux entités détiendraient chacune 50 % des parts jusqu’en 2060, la société minière publique gérant l’entreprise pendant la première période, jusqu’en 2030, après quoi SQM en prendrait la direction.

Il s’agit de l’accord le plus important de l’histoire des entreprises chiliennes qui, si les prévisions se réalisent et si les bonnes relations entre les deux partenaires se développent, fournira au trésor national d’énormes ressources pour le développement de l’économie nationale.

Personne ne doute des avantages que cet accord pourrait apporter au pays, ni du fait que la nouvelle entreprise serait pratiquement la première au monde dans cette activité et assurerait au Chili une plus grande confiance de la part des investisseurs potentiels, privés et étrangers, à la recherche d’un terrain fertile pour leurs affaires.

Boric a été félicité pour son pragmatisme dans la consolidation de cet accord. En effet, personne n’aurait imaginé que l’entreprise remise en question de Julio Ponce Lerou, le gendre du dictateur, finirait par s’associer à l’État après des décennies de politique et, en particulier de la part du centre-gauche, où ce qui était privilégié était la récupération d’une entreprise mal acquise pendant la dictature, comme beaucoup d’autres sources fiscales productives que Pinochet a vendues à vil prix à ses amis et à ses proches.

Sous les gouvernements de la Concertation et de la Nouvelle Majorité, la vérité est que rien n’a été fait pour récupérer les entreprises pillées. Patricio Aylwin lui-même a promis « la justice dans la mesure du possible », de sorte qu’en matière d’affaires aussi, tout est resté comme la dictature l’avait laissé.

Pour ajouter à l’embarras que cette nouvelle cause à beaucoup de personnes, il y a quelques années encore, Soquimich était l’une des entités commerciales qui collaboraient au financement illégal de la politique, en fournissant de grandes quantités de fonds pour favoriser les candidats et les législateurs en place. Cette situation a donné lieu à des dénonciations journalistiques sévères et documentées et à des enquêtes judiciaires qui ont abouti à la condamnation des contrevenants à des peines très discrètes et scandaleuses, ainsi qu’à l’impunité totale de Ponce Lerou et d’autres hommes d’affaires qui ont exercé une corruption millionnaire. Un crime « en col blanc et cravate », comme on l’appelait.

On peut donc parfaitement soupçonner que ces ressources destinées à corrompre des politiciens et des juges recueillent aujourd’hui un dividende aussi succulent que celui qui permettra à Soquimich de devenir le principal partenaire de l’État chilien et d’éviter ainsi que le Trésor ne récupère un jour ce qui a été accordé illicitement à la soi-disant initiative privée.

Les ressources de cette entreprise sont tellement gigantesques que ses pots-de-vin ont peut-être aussi favorisé les dirigeants de la CODELCO qui sont si enthousiastes à l’égard de cet accord. De même que les médias et les journalistes qui se réjouissent de la nouvelle annoncée par le chef de l’État lui-même. Une chose inhabituelle si l’on se souvient de ce que Boric a déclaré dans le passé contre Ponce Lerou, ainsi que de la position adoptée par les groupes de gauche avant d’entrer au gouvernement.

La vérité est que tout cela a entraîné un bain glacé de réalisme de la part de la politique chilienne remise en question. Nous pourrions dire que ni la droite ni le monde des affaires n’auraient pu imaginer une telle audace. Cela confirme, une fois de plus, que ce sont les gouvernements de gauche qui se conforment souvent aux idées les plus sincères de la droite, comme cet accord commercial, et le fait récent que les plus grands détracteurs de la Constitution de 1980 ont promu et gagné un plébiscite pour donner une continuité à la Charte fondamentale de Pinochet.

Pour soulager leur mauvaise conscience et faire preuve de modestie, les négociateurs de ce grand accord commercial ont accepté que le propriétaire majoritaire de Soquimich, Julio Ponce Lerou, ou l’un de ses parents « jusqu’au deuxième degré de consanguinité », s’abstienne de participer aux conseils d’administration de la nouvelle entité minière. Une obligation cynique qui serait imposée jusqu’en 2030.

C’est ainsi qu’un sénateur de gauche expérimenté, récemment décédé, a osé déclarer que le gouvernement “socialiste” de Ricardo Lagos avait été la meilleure administration de droite de toute la post-dictature. Tout comme d’autres n’arrivaient pas à croire qu’un président de droite comme Sebastián Piñera ait prodigué autant de primes à la classe moyenne et aux plus pauvres, tout en réussissant à lutter contre la pandémie de coronavirus grâce à de généreuses ressources fiscales. « Nul ne sait pour qui il travaille », comme dirait lautre.

19/09/2023

JUAN PABLO CÁRDENAS S.
Chili : Kissinger, la droite indécrottable et la gauche boboriche

Juan Pablo Cárdenas S., Política y Utopía, 18/9/2023
Traduit par Fausto Giudice
, Tlaxcala

Cinquante ans après le coup d’État de septembre 1973, au-delà des justes hommages rendus au Chili et dans le monde à Salvador Allende, nous avons tous eu l’occasion d’observer la tension que cet anniversaire national et mondial produit toujours au sein de la droite.

Ricardo, El Mundo, 13/9/2023

Bien que les années passées nous apportent de plus en plus de preuves que le renversement a été conçu et organisé par Henry Kissinger et le gouvernement usaméricain sous Nixon, curieusement, ce fait a été ignoré par les actes officiels, bien que cette fois-ci il y ait eu des reconnaissances fortes de la part de Washington.

En particulier lorsque la Maison Blanche a dévoilé de nouveaux documents secrets concluants qui révélaient un certain nombre d’actions et de contributions en millions de la CIA visant à déstabiliser le gouvernement de l’Unité populaire afin d’installer Pinochet à la tête de notre pays à l’issue d’une opération criminelle et terroriste.

Bien entendu, les dirigeants chiliens actuels ne sont pas disposés à mettre l’accent sur  la responsabilité de l’impérialisme usaméricain dans des dizaines de coups d’État sur notre continent et dans le monde. Et encore moins d’exiger que les cerveaux usaméricains soient envoyés dans notre pays pour y être jugés en tant que séditieux et assassins.

Ce serait certainement trop demander que l’impunité ne prévale pas à cet égard, de sorte que les dirigeants usaméricains actuels et futurs bénéficient de l’immunité pour continuer à mener des opérations criminelles visant à renverser les gouvernements de toute tendance politique qui mettent en péril les intérêts usaméricains.

Avec le coup d’État de 1973, la puissance impériale a clairement indiqué que ses efforts ne se limitaient pas à la lutte contre les gouvernements de gauche, mais aussi contre tout régime qui propose des changements substantiels en faveur de la justice sociale susceptibles d’affecter ses investissements à l’étranger.

Il y a cinquante ans, un gouvernement démocratiquement élu a été renversé pour imposer un régime néolibéral qui a annulé les acquis démocratiques et sociaux, par exemple la nationalisation du cuivre et la réforme agraire.

Nous trouvons inacceptable que cette année, il n’y ait pas eu non plus de condamnation large et sévère des actions des USA. Cela s’explique par la complicité de la droite et des entités politiques qui ont promu le coup d’État.

Et maintenant, ce qui est encore pire, c’est le silence éhonté de la gauche néolibérale, c’est-à-dire de ces socialistes, démocrates-chrétiens et autres pour lesquels c’est un honneur de serrer la main du secrétaire d’État usaméricain lui-même, qui a atteint 100 ans d’existence sans reproche de la part de ceux qui ont observé et même subi dans leur propre chair les violations des droits humains également encouragées par Washington.

13/09/2023

JUAN PABLO CÁRDENAS S.
Allende, cinquante ans après

Juan Pablo Cárdenas S., Política y Utopia, 11/9/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

 Cinquante ans ont passé et les idées du président Allende sont toujours pleinement valables au Chili comme en Amérique latine et dans une bonne partie de ce que l'on appelle le tiers-monde. Il y a des années, à Guadalajara, nous avons eu la chance de voir un magnifique enregistrement de ce discours devant les professeurs et les étudiants de sa prestigieuse université où le président chilien récemment élu a exposé sa pensée, qui était certainement révolutionnaire dans ses objectifs, ainsi que sans précédent dans sa promesse d'apporter des changements en matière de démocratie et de liberté.


Discours prononcé par Salvador Allende à l'université de Guadalajara, Mexique, le 2 décembre 1972
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Extrait en français

Un discours magistral où, en plus de défendre ses convictions, il a appelé les jeunes étudiants à s'atteler à une tâche qui, bien sûr, dépasse l'action d'un seul gouvernement ou d'une seule génération. Un discours prononcé dans la chaleur de ses valeurs inébranlables, sans recours à un texte ou à un aide-mémoire, démontrant comme souvent son grand talent et son verbe brillant. Un ensemble de propositions visant à ce que nos pays se réapproprient la propriété et la gestion de leurs richesses fondamentales, consolidant ainsi la souveraineté qui nous a été léguée par nos libérateurs, puis bafouée par l'impérialisme usaméricain. Dans notre cas, il s'agissait de la volonté de nationaliser, en plus, nos grandes mines de cuivre et de donner une valeur ajoutée à ces tonnes de métal qui partaient et continuent aujourd'hui à partir à l'étranger et dans lesquelles il est également possible de découvrir de l'or, de l'argent, du molybdène et d'autres matières premières importantes.

Il voulait aussi récupérer la souveraineté populaire dans nos campagnes ravagées par les grandes propriétés et l'exploitation de millions de paysans qui pouvaient à peine survivre avec leur salaire de misère. Diversifier notre production agricole, moderniser l'agriculture, mais surtout faire en sorte que ceux qui cultivent la terre en soient propriétaires et méritent de vivre dans des logements décents, afin que leurs enfants aient accès à une alimentation suffisante et à une éducation libératrice.

Promouvoir, bien sûr, la réforme de l'éducation à tous les niveaux, afin de rendre l'enseignement obligatoire pour les enfants et de permettre non seulement aux enfants des riches mais aussi aux Chiliens des classes moyennes et populaires d'accéder à l'université, alors que moins d'un pour cent d'entre eux avaient cette possibilité à l'époque.  En même temps, ils étaient déterminés à prendre des mesures importantes pour la formation continue des adultes et des travailleurs, où les niveaux d'analphabétisme étaient effrayants. À tel point qu'aujourd'hui encore, on reconnaît que plus de 50 % de notre population ne comprend pas ce qu'elle lit, ainsi que plus de 15 % des étudiants de l'enseignement supérieur.

La proposition d'Allende incluait également la possibilité d'entreprendre une réforme constitutionnelle qui modérerait le présidentialisme excessif et chercherait sérieusement à mettre fin au matabiche et autres pratiques qui empêchaient l'accès du peuple au Parlement et aux municipalités. Convoquer, dans les plus brefs délais, une Assemblée constituante pour rétablir notre cadre institutionnel, qui était en soi un simulacre, dans lequel le pouvoir de l'argent et des médias définissait l'agenda politique, économique, social et culturel du pays.

Un renversement annoncé

Personne ne peut désormais ignorer qu'avant que Salvador Allende ne prenne ses fonctions de chef d'État, des préparatifs étaient en cours à Washington pour déstabiliser son gouvernement et le remplacer par un autre qui serait docile aux intérêts impérialistes. Peu à peu, les énormes ressources allouées à l'encouragement de l'action séditieuse des grands corps nationaux, à l'encouragement du coup d'État de la droite politique et d'autres partis d'opposition, qui ont été décisives pour encourager les traîtres militaires et justifier les premières violations des droits humains, ont fait leur œuvre. Ce rôle est honteusement revenu aux démocrates-chrétiens, un parti qui promouvait jusqu'alors des changements en faveur de la justice sociale, mais dont les principaux dirigeants ont succombé à la corruption par Kissinger, de la Maison Blanche et du Pentagone. On est également au fait des millions de dollars alloués au journal El Mercurio, propriété d'Agustín Edwards, qui, en plus d'être un putschiste, était également vice-président de Pepsi Cola. Un individu abominable qui a conservé son pouvoir intact, voire l'a accru, tout au long de la période post-dictature, charmant les gouvernements successifs de la soi-disant Concertación Democrática, de la Nueva Mayoría et, bien sûr, de la droite elle-même, qui est revenue à La Moneda à deux reprises entretemps.

Les promesses d'Allende se sont même concrétisées pendant son bref gouvernement, comme la nationalisation des grandes mines de cuivre, la remise de milliers d'hectares de terres aux paysans et l'introduction de changements significatifs dans le système éducatif, ce qui a également été fortement combattu par les opposants qui ont été appelés à participer aux élections législatives qui ont suivi le triomphe de l'Unidad Popular et au cours desquelles, malgré tout, la gauche est redevenue la première majorité, en dépit des campagnes de terreur promues et financées également par les USA et le pouvoir économique national.

Bien que nous ne l'ayons pas du tout prévu à l'époque, le 11 septembre 1973 a été le jour du bombardement criminel de La Moneda, dans lequel les forces armées, poussées par la droite et l'impérialisme, ont joué le rôle principal, et dans lequel, dès la première heure, des centaines ou des milliers d'opposants ont été criblés de balles, les premiers camps de détention et de torture ont été créés, tandis que des milliers d'autres Chiliens ont été arrêtés et torturés lorsqu'ils ne parvenaient pas à s'enfuir en exil. Il s'agit sans aucun doute d'un processus sans précédent de trahison et d'insoumission à l'ordre établi, respecté par Allende jusqu'à sa dernière heure, au cours duquel la démocratie et les changements entrepris en faveur de la rédemption des opprimés ont volé en éclats en quelques heures.

Nous savons déjà que le corps du président a quitté La Moneda sans que l'on sache avec certitude s'il s'est réellement suicidé ou s'il a été assassiné par les premiers officiers qui sont entrés dans le palais présidentiel. Cela ne change pas vraiment le caractère criminel de l'attentat, même si les militaires, la droite et d'autres secteurs se sont efforcés, avec la complicité de certains juges, d'établir le suicide comme la vérité officielle. Une “vérité officielle” qui permettrait à Pinochet de recevoir la reconnaissance diplomatique de nombreuses nations qui, dit-on, n'auraient pas été en mesure de le faire si le président déchu avait été assassiné.

Entre parenthèses, certains ont été convaincus qu’il avait été assassiné après qu'un capitaine de l'armée a témoigné devant un groupe de détenus qu'il avait lui-même tiré sur la tempe du président et qu'il s'était vanté d'avoir exhibé la montre de ce dernier comme un trophée. Il existe plusieurs écrits et témoignages sur le sujet, ainsi qu'un documentaire du cinéaste Miguel Littín.

La chose la plus importante à enregistrer maintenant dans cette commémoration historique est le respect que l'exemple d'Allende, sa conséquence politique, sa trajectoire démocratique et sa résolution héroïque de payer de sa vie la loyauté de son peuple, comme il l'a promis dans son discours final, méritent dans tous les secteurs, ainsi que dans le monde entier.

Son gouvernement, l'Unité Populaire et la conduite de ses partis sont encore aujourd'hui une source de controverses et d'attaques de bas étage par ceux qui ont été ses opposants et qui continuent aujourd'hui à être des militants de droite. Cependant, personne ou presque n'ose le discréditer moralement et sa figure reste, 50 ans plus tard, celle du président et du leader politique le plus apprécié par le peuple chilien. À tel point qu'une étude intéressante réalisée en 2008 par Televisión Nacional (avec des centaines de témoignages recueillis auprès d'historiens, de journalistes et de divers intellectuels) a conclu que pour la grande majorité nationale, Allende est la figure la plus pertinente de notre histoire républicaine, égale ou supérieure à l'hommage rendu à nos pères de la nation, et supérieure au prestige de Pablo Neruda, Gabriela Mistral, Violeta Parra, Alberto Hurtado et d'autres Chiliens éminents.

Validité permanente

En ce sens, et malgré tout ce qui s'est passé, 50 ans, ce n’est vraiment rien. Les idées d'Allende sont toujours aussi présentes dans les manifestations qui réclament du pain, de la justice et de la liberté. Surtout lorsqu'elles insistent sur la récupération des gisements de cuivre et maintenant sur l'exploitation du lithium et d'autres ressources. Lorsque les enseignants défilent et paralysent leurs activités pour exiger plus de ressources pour l'éducation publique, ainsi que le paiement de la dette historique que l'État leur doit depuis tant d'années. Tandis que des centaines d'enseignants languissent sans récupérer ce droit qui leur a été arraché et leur dignité.

Les revendications actuelles en faveur d'un système de santé qui garantisse des soins adéquats à tous les Chiliens vont dans le même sens. La dictature et les gouvernements qui lui ont succédé ont consolidé l'opprobre du système privé des ISAPREs [sociétés d’assurances santé privées, au nombre de 13, NdT], qui refuse des soins adéquats aux pauvres et à la classe moyenne, en présentant de longues listes d'attente pour les soins médicaux, où il est avéré que, seulement au cours du dernier semestre, plus de 19 000 Chiliens qui avaient besoin d'opérations chirurgicales urgentes sont morts. Allende, en tant que médecin, soutiendrait sans aucun doute ces demandes aujourd'hui, ainsi que la fin des infâmes AFP [sociétés privées d’administration des fonds de pension ayant substitué en 1981 le système par répartition par un système par capitalisation, NdT] qui gèrent les cotisations de millions de travailleurs qui, à la fin de leur vie, reçoivent des pensions misérables et se voient obligés de continuer à travailler. Un système également privatisé par la dictature et qui a même fait l'objet de compliments à l'époque de la soi-disant transition vers la démocratie, où, en réalité, ceux qui ont intégré ces gouvernements ont fini par être enchantés par le néolibéralisme, le capitalisme sauvage et les inégalités provoquées par le marché. Sauf, bien sûr, quelques exceptions minimes, malgré les origines socialistes, social-chrétiennes ou social-démocrates de leurs protagonistes.

Il est parfaitement logique d'assurer qu'Allende soutiendrait aujourd'hui la lutte héroïque du peuple mapuche pour la reconnaissance de ses droits à l'autodétermination, la récupération de ses territoires occupés et la pleine reconnaissance de son patrimoine culturel. Tout cela ne sera possible qu'en neutralisant l'action écocide, par exemple, des entreprises forestières qui se sont emparées de la région. Le défunt président n'aurait certainement pas pu consentir à la militarisation de l'Araucanie imposée par des gouvernements se prétendant héritiers d'Allende, à la judiciarisation des causes de notre peuple fondateur et aux assassinats habituels et répétés de membres de la communauté, ainsi qu'à la répression qui s'abat aujourd'hui sur ceux qui, jusqu'à très récemment, étaient reconnus comme des leaders et même des héros par les partis et mouvements autoproclamés de gauche. Il est bien connu que ce qui se passe dans le sud du pays est très similaire aux événements tragiques de la soi-disant Pacification de l'Araucanie, il y a plus d'un siècle, dont les principaux auteurs sont encore reconnaissables dans les noms de rues et d'espaces publics. Même si la statue du général Cornelio Saavedra a été arrachée de son socle par des manifestants en 2020 et jetée dans la rivière Lumaco. Tout aussi récemment, le monument au général Baquedano, qui s'est également distingué dans ce sombre épisode d'usurpation des terres mapuches, a contraint les autorités à le retirer de la Plaza Italia, en plein centre de notre capitale.

Le peuple chilien a l'intuition qu'Allende serait aujourd'hui le leader qu'il a été des revendications socio-économiques de son époque.  Son nom est également reconnu comme celui e l'un des principaux combattants de notre époque. Lorsque l'inégalité sociale prévaut et que la marginalisation et le manque d'opportunités expliquent le développement de phénomènes tels que la criminalité et le trafic de drogue, des fléaux que même les politiciens qui se disent progressistes pensent qu'il faut combattre avec plus de pouvoirs pour la police, plus d'armes dissuasives et des peines punitives même pour les mineurs qui commettent des délits. Aujourd'hui, ils sont donc à nouveau tentés d'envoyer de plus en plus de militaires dans les rues et les villes du nord et du sud. Une fois de plus, ils sont au bord d'une nouvelle et juste explosion sociale, sans aucune autre pandémie en vue pour la contenir, comme cela s'est produit, empêchant ce qui était un effondrement institutionnel imminent.

“La gauche unie ne sera jamais vaincue” est l'un des slogans les plus connus et celui qui a été le plus longtemps brandi sur les banderoles des avant-gardes dans leurs mobilisations. Il ne fait aucun doute que c'était aussi l'aspiration et la réussite d'Allende lorsqu'il est arrivé au gouvernement et qu'il a pu devenir le porte-drapeau de la gauche, après la mesquinerie qui s'est manifestée entre partis pour obtenir une plus grande hégémonie dans l'influence sur les décisions présidentielles. Cependant, il est plus qu'évident que ce sont les controverses entre socialistes, communistes et autres qui ont affaibli le gouvernement de l'Unité Populaire et, dans une large mesure, encouragé le coup d'État. Comment ne pas se rappeler que, depuis le cœur même de la gauche, Allende a été qualifié de “social-démocrate” et accusé de défendre la démocratie “bourgeoise” par des dirigeants qui, pendant qu’Allende mourait à La Moneda, se cachaient déjà dans des ambassades et renonçaient à toute tentative de résistance au déchaînement militaire !

En disant cela, nous n'avons pas l'intention de justifier l'action des séditieux, qui ont commencé à comploter son renversement avant que ces contradictions ne se manifestent. Pour eux, Allende ne devait être renversé qu'en raison de sa proposition programmatique et de la possibilité que son expérience soit reproduite dans d'autres pays appartenant à la zone d'influence des USA, en pleine guerre froide. Il faut donc reconnaître que sa tentative de gagner le soutien de l'Union soviétique et du monde socialiste de l'Europe de l'Est a été vaine.

Ce qui est grave, c'est que cinquante ans après sa mort, la situation de la gauche chilienne n'a fait qu'empirer par rapport au slogan cité plus haut, et aujourd'hui le panorama est franchement désastreux quand les référents avant-gardistes se multiplient dans toutes sortes de collectifs et d'associations dont les idéologies et les intentions sont pratiquement incompréhensibles pour le pays. Des entités qui ne comptent généralement pas plus d'une centaine de militants actifs et qui manquent de pratiques démocratiques internes pour définir leurs dirigeants et leurs propositions. Une flopée de sigles, qui ne sont rien d'autre que des noms bizarres, composent le soi-disant Frente Amplio [Front Large], ainsi que l'autoproclamé socialisme démocratique. Tous exhibent leurs querelles à travers les médias, alors qu'ensemble ils n'ont pas été capables de remplir un théâtre ou un stade avec leurs adhérents et sympathisants depuis longtemps.

Il ne fait aucun doute que le principal objectif de ces camarillas est de placer leurs partisans inconditionnels au sein de l'appareil d'État et d'accéder aux ministères et aux sous-secrétariats, où les quotas sont le dénominateur commun. Et quand ils n'y parviennent pas, ils créent des fondations et d'autres entités pour recevoir des millions du Trésor public qui, bien sûr, servent à financer leurs ambitions électorales et, accessoirement, leur enrichissement illicite. Nous savons déjà que parmi tous les épisodes de corruption politique, la justice enquête actuellement sur la destination de quelque 30 milliards de pesos [= 30 millions d’€]. Ce qui est reconnu comme la fraude la plus grave contre le trésor national de toute la période post-dictature.


Le problème de la gauche :
-Sur le fond on est d'accord
-Mais d'innombrables nuances nous séparent

L'avantage de la droite:
-D'innombrables nuances nous séparent
-Mais sur le fond on est d'accord

Pour la consolation de cette gauche qui se dégrade et s'effrite, la droite souffre d'une atomisation similaire, tout comme les multiples scissions de la Démocratie chrétienne, du PPD et d'autres organisations qui, selon les sondages, obtiennent moins de trois ou quatre pour cent du soutien populaire. Le parti le plus voté est le Parti républicain d'extrême droite, mais avec moins de 5 % du soutien électoral.

Sans parler de la responsabilité politique qui doit être attribuée aux partis en ce qui concerne la disparition des anciennes références syndicales. De la faible importance aujourd'hui de la Central Unitaria de Trabajadores, ainsi que des associations professionnelles qui ont été à l'avant-garde de la lutte contre la dictature. Toutes ces organisations se morfondent dans la lutte de leur caudillisme interne et sont confrontées à des scandales de corruption qui se déclenchent précisément lorsqu'elles doivent “négocier” avec les gouvernements en place le montant du salaire minimum et l'application de certaines lois sur le travail.

Allende grandit définitivement dans la mémoire du peuple chilien, bien qu'il soit systématiquement ignoré par les dirigeants politiques et sociaux qui se réclament de lui. Tout cela s'explique par le manque d'idées et de programmes d'action et, surtout, par l'absence de médias qui favorisent le débat idéologique et la prise de conscience des Chiliens, en particulier des plus jeunes.

Il est bien connu que la lutte contre l'oppression de Pinochet a impliqué des organisations sociales et politiques spontanées, mais aussi les médias, dont la mission était de dénoncer les abus de la dictature et de promouvoir le retour à la démocratie. Au début, les timides efforts journalistiques ont gagné en influence et ont eu le mérite d'enregistrer toutes les horreurs commises contre la dignité humaine et les droits du peuple au sein de la dictature. Cependant, même aujourd'hui, on suppose que toutes ces références ont été exterminées par les premiers gouvernements de la Concertation, lorsque d'obscurs personnages comme Edgardo Boeninguer, Enrique Correa et d'autres ministres et opérateurs de La Moneda ont décidé qu'il serait trop risqué d'avoir des journaux, des magazines et des stations de radio qui pourraient exiger la réalisation des promesses faites par les nouvelles autorités et, ce faisant, déstabiliser les militaires, ainsi qu'embarrasser les grands hommes d'affaires pinochétistes qui ont pris leur place dans la nouvelle démocratie. D'ailleurs, dans l'impunité la plus totale en ce qui concerne les entreprises et les ressources de l'État accaparées sous la protection du tyran et du voleur qui gouvernait de facto.

Le temps nous a donné raison lorsque nous avons constaté que des missions diplomatiques envoyées en Europe ont averti les gouvernements qu'ils devaient s'abstenir de toute aide aux médias chiliens et au monde prolifique des organisations sociales et de défense des droits humains. Une demande sans doute écoutée par les pays qui soutenaient ces médias et envisageaient même de leur accorder une aide définitive et substantielle qui servirait à les consolider pendant la prétendue démocratie à venir. Malheureusement, la realpolitik s'est imposée à ces pays qui voulaient désormais faire des affaires dans notre pays et accéder à nos richesses naturelles. Tout cela se passait, rappelons-le, pendant que le gouvernement de Patricio Aylwin effaçait les dettes d'El Mercurio, de La Tercera et d'autres médias, tout en renouvelant les contrats publicitaires de plusieurs millions de dollars avec l'État qui les soutenait alors que leur déclin était imminent. Ces mêmes contrats publicitaires ont également été refusés à la presse indépendante qui, sans aucun doute, aurait continué à s'opposer à l'impunité et à plaider en faveur d'une démocratie solide et de ces réformes économiques et sociales, dont beaucoup sont encore en suspens aujourd'hui. Tout comme ils auraient dénoncé les premiers actes de corruption qui sont aujourd'hui si répandus dans notre vie politique.

S'il est vrai que ces médias indépendants et dignes ont réussi à briser le blocus de l'information imposé par la dictature, nous devrions aujourd'hui être reconnaissants et applaudir le fait qu'il existe un nombre infini de sites web libres sur l'internet, ce qui rend très difficile pour la classe politique de continuer à commettre ses inepties, et maintenant même la presse de droite elle-même est incapable de les éviter.

Des centaines de milliers, voire des millions de Chiliens vivent aujourd'hui dans le désenchantement, à cause de ce qui aurait pu être et n'a pas été. Nous sommes déçus par la trahison idéologique et la corruption morale de ceux qui ont accédé au gouvernement de notre nation. Nous craignons que le pays ne soit à nouveau au bord de l'effondrement et que les heures amères de notre coexistence ne reviennent. Mais ce sur quoi nous sommes d'accord et qui nous anime est  le fait que, malgré tout, les idées et les objectifs de Salvador Allende sont toujours valables et que son nom est un cri et un ferment d'espoir.

31/07/2023

JUAN PABLO CÁRDENAS S.
Une proposition obscène de Gabriel Boric

Juan Pablo Cárdenas S., Política y Utopía, 24 de julio 2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Si la droite chilienne était moins obtuse et insensible, les partis qui la représentent devraient en fait accueillir avec enthousiasme l’invitation du président Boric à signer une déclaration commune à l’occasion du 50e anniversaire du coup d’État de 1973. Par cette signature, le chef de l’État veut reconnaître leur vocation démocratique, y compris le mérite d’être des défenseurs des droits humains.


Mais le plus incroyable dans tout cela, c’est que les autorités du pays cherchent une réconciliation historique entre les victimes et ceux qui ont été au moins les auteurs intellectuels de l’horreur qui s’est poursuivie au Chili pendant 17 ans avec cette dictature civilo-militaire sanglante dirigée par celui que le monde entier reconnaît comme l’un des pires bouchers de l’histoire mondiale.

Pire encore, l’impunité règne toujours pour les horreurs commises avec l’assentiment de la droite politique et économique, qui cherche encore aujourd’hui à justifier l’attentat sanglant de La Moneda, la déliquescence de nos institutions et les terribles séquelles des assassinats, de la torture, de l’exil et d’une foule d’autres aberrations connues de tous.

Pinochet, comme nombre de ses collaborateurs, n’a pu être poursuivi et condamné par la justice chilienne, de même que de nombreux épisodes terribles contre la dignité humaine n’ont toujours pas été élucidés. Il n’y a pas non plus de certitude totale sur les crimes commis par la caste militaire et politique en raison de son manque de probité, qui a pris le contrôle d’entreprises publiques et dénationalisé les principales ressources naturelles du pays.

Tout cela reste impuni grâce aux gouvernements civils de l’après-dictature, qui ont toujours craint un nouveau soulèvement militaire. Limités, en outre, par la Constitution de 1980 (qui nous régit toujours) et par cet ensemble de lois dictées par l’homme qui a fini par porter le titre de président de la République, un statut qui n’est effacé qu’aujourd’hui des archives officielles.

Ces jours-ci, aux USA, Pedro Barrientos, l’assassin du chanteur-compositeur Víctor Jara est déchu de sa nationalité usaméricaine, un assassin qui, comme d’autres agents, a bénéficié d’une protection dans le pays qui a encouragé et financé le renversement d’un président élu par le peuple. Une responsabilité dont la Maison Blanche et la CIA tentent aujourd’hui de se défaire, parallèlement à leurs efforts de cooptation des décisions de nos nouvelles autorités. Ils sont déterminés à ce que le lithium, l’hydrogène vert et d’autres ressources soient désormais appropriés par leurs transnationales.

Nous craignons que la curieuse invitation de Gabriel Boric à tous les partis représentés au Parlement ne soit que le fruit de ses réflexions les plus intimes, alors qu’il se rendait en Europe à ce sommet présidentiel où les pays les plus puissants de la planète rencontrent ceux du tiers-monde pour consolider de bonnes affaires. Celles qui sont toujours plus avantageuses pour ceux qui ont toujours officié en tant que conquérants, non pas pendant cinquante ans, mais pendant plus de cinq siècles.

On imagine que notre nouveau président n’a pas eu recours aux conseils et aux critiques de plusieurs de ses alliés qui ont déjà exprimé leur réticence à l’invitation présidentielle. Dans l’espoir, certainement, de faire toute la lumière sur les crimes contre la démocratie et les droits humains, avant de se soumettre à une conciliation forcée avec ceux qui sont encore déterminés à défendre la Charte fondamentale léguée par le tyran, ainsi que le système économique et social qui a brutalement divisé le pays entre les très riches et les dramatiquement pauvres. Des secteurs politiques et économiques qui cherchent à perpétuer l’inégalité flagrante qui, si elle continue ainsi, nous assure d’une nouvelle et grave explosion sociale.

Plutôt que d’apaiser la droite, le gouvernement qui se proclame de gauche devrait s’engager à laisser de côté l’opposition tenace exercée par ces secteurs, en optant plutôt pour un pacte sérieux et solide avec le monde social qui a parié sur son élection, dans l’espoir de la justice et certainement d’une démocratie fondée sur la distribution équitable des revenus, sur des normes éducatives plus élevées et sur une éthique rigoureuse dans l’utilisation des ressources publiques.

Il s’agit d’objectifs pour lesquels aucun progrès raisonnable ne peut être constaté. Au contraire, de nouveaux actes de corruption ont été commis en à peine un an de gouvernement Boric.  

 

06/07/2023

JUAN PABLO CÁRDENAS S.
La guerre de l’Araucanie

Juan Pablo Cárdenas S., Política y Utopía , 3/7/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

(À la mémoire de Duncan Livingston)

Un célèbre journaliste mexicain avait observé que le Chili était le pays des euphémismes, car nous sommes habitués à appeler les choses par un autre nom et nous n’utilisons pas les vrais adjectifs pour décrire par exemple les actes de corruption pure et simple. Ainsi, aujourd’hui encore, certains préfèrent appeler la dictature pinochétiste Gouvernement militaire, tout comme le coup d’État de 1973 a été connu pendant des années sous le nom de “pronunciamiento militaire”.

Les livres d’histoire continuent d’appeler la guerre et le génocide d’État contre le peuple mapuche (1851-1883) “pacification de l’Araucanie” : son coût en vies humaines est estimé à 60-70 000 indigènes, auxquels des milliers d’hectares ont été arrachés pour être distribués à des colonisateurs nationaux et étrangers. Une vaste dépossession qui a duré plusieurs décennies et dont les territoires sont toujours dominés par des entreprises forestières et agricoles privées.

Les gouvernements post-dictature ont fait quelques efforts pour restituer une partie des territoires usurpés aux Mapuches, mais il ne fait aucun doute que ce processus a été trop lent et qu’il a épuisé la patience des peuples natifs de la région. Personne ou presque n’ignore, en tout cas, que la lutte des Mapuches pour récupérer leurs terres ancestrales est juste, même si les derniers gouvernements ont censuré la radicalité de leurs actions pour récupérer ce qui leur a toujours appartenu.

Le gouvernement de Gabriel Boric a décidé de prolonger les états d’exception dans la macro-zone sud du pays, tout en mobilisant des milliers de militaires pour, par euphémisme, imposer “l’État de droit” dans ces régions secouées par la violence, les sabotages contre les entreprises usurpatrices et la récupération de leurs propriétés ancestrales.

Depuis la militarisation de la zone et la reconnaissance de l’incapacité des carabiniers à imposer seuls l’“ordre public”, nous vivons une nouvelle guerre interne. La confrontation de l’État avec les différents référents politiques de ce qui est considéré comme une nation qui aspire à récupérer ce qui lui a été enlevé, ainsi qu’à se donner des formes d’autonomie politique et administrative.


Héctor Llaitul en prison avec la version espagnole de L’An V de la Révolution algérienne de Frantz Fanon

Parmi ces organisations figure la Coordination Arauco Malleco (CAM), dont le principal dirigeant est emprisonné et fait l’objet de poursuites en vertu de la législation antiterroriste. On ne peut ignorer le fait que de nombreux dirigeants actuels reconnaissaient la pleine légitimité de la CAM et de son principal dirigeant, Héctor Llaitul. Cette appréciation a changé depuis l’arrivée à La Moneda des leaders étudiants qui ont marché avec les Mapuches dans les mobilisations sociales.

Pour les nouvelles autorités, aujourd’hui, Llaitul et ses partisans sont qualifiés de terroristes par le ministère de l’Intérieur et les militaires comme les policiers ont obtenu le droit de tuer s’ils le jugent nécessaire pour défendre les entreprises et les propriétaires privés menacés par l’action des rebelles ou des insurgés mapuches. Le CAM est même accusé d’actes tels que le vol de bois et certains incendies criminels, dont on craint à juste titre qu’ils soient souvent le fait des hommes d’affaires de la région eux-mêmes.

En ce sens, il y a déjà une longue histoire de victimes de montages policiers qui ont affecté les membres de la communauté du Wallmapu et les prisons se remplissent de détenus qui aujourd’hui, par le biais de grèves de la faim, demandent un traitement pénitentiaire digne et la reconnaissance de la jurisprudence internationale en ce qui concerne les minorités indigènes.

La répression brutale n’est pas reconnue comme un acte de guerre contre un groupe ethnique qui, bien sûr, a dû s’armer et recourir à des actes de violence pour faire reconnaître ses droits et persuader les entreprises de quitter la région afin que leurs territoires soient restitués à leurs propriétaires légitimes et ancestraux. Il faut également reconnaître que la cause mapuche est soutenue par de nombreux Chiliens et groupes du nord au sud du pays qui sont prêts à collaborer à leur résistance et à apporter des ressources pour faire face à l’occupation militaire.

Cela explique pourquoi, au cours des derniers mois, l’état d’urgence et les mouvements de troupes n’ont pas eu l’effet escompté par les dirigeants actuels et ont, au contraire, contraint les Mapuches à la lutte armée, au sabotage et à d’autres actions qui constituent un véritable scénario de guerre qui ne veut pas être reconnu comme tel et qui devrait l’être à l’avenir. Surtout si l’on tient compte du fait que, depuis cinq siècles, la lutte des Mapuches n’a jamais cessé et que leurs convictions n’ont jamais pu fléchir. Surtout maintenant que des millions de personnes dans ce pays reconnaissent leur identité mapuche, avec sa langue, ses valeurs et ses drapeaux. Et maintenant, des deux côtés de la Cordillère des Andes, tout un peuple qui se reconnaît comme frères et sœurs, attend de se rassembler et de revendiquer sa reconnaissance et ses droits.

Malheureusement, la nouvelle génération d’hommes politiques, sur ce sujet comme sur d’autres, ne fait rien d’autre que de prolonger les politiques et les mauvaises pratiques de leurs prédécesseurs au gouvernement. Et nous pouvons y observer un discours plus radical, même, que celui des dirigeants de la droite et du centre.

Si l’on parle tant actuellement du risque d’une nouvelle Explosion sociale, il serait bon de noter que cette fois-ci, c’est dans le sud que la mèche du mécontentement général pourrait s’allumer.