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03/02/2024

ETAN NECHIN
Comme Tal Mitnick, j'ai refusé de servir Israël en tant que soldat. Il est important de comprendre pourquoi

Etan Nechin, The Guardian, 29/12/2024
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Etan Nechin est un écrivain, journaliste et rédacteur, né en Israël, où il a été un refuznik, et vivant à New York, Il est éditeur en ligne de The Bare Life Review: a Journal of Immigrant and Refugee Literature,, fondé en 2017, et contributeur à Haaretz. @Etanetan23

Le service militaire définit l'identité de chacun dans la société israélienne, mais la dissidence a une longue tradition, malgré les nombreux obstacles.

La semaine dernière, Tal Mitnick, 18 ans, a été emprisonné pendant 30 jours pour avoir refusé de s'enrôler dans les Forces de défense israéliennes, devenant ainsi le premier objecteur de conscience emprisonné depuis le début de la guerre d’Israël contre Gaza. « Je refuse de croire que plus de violence apportera la sécurité. Je refuse de prendre part à une guerre de vengeance », a écrit Tal Mitnick dans un communiqué.

Tal Mitnick en novembre dernier, portant un ruban jaune, vieux symbole des Puritains dans la Guerre civile anglaise du XVIIème siècle, qui l’apportèrent aux USA, d’où il s’est répandu sur toute la planète pour signifier les messages les plus divers : soutien aux soldats en guerre, aux prisonniers de guerre, puis, à partir de 1979, aux otages de l’ambassade US à Téhéran. En 2008, il a symbolisé le soutien au caporal Gilad Shalit, prisonnier du Hamas. Après le 7 octobre, il a été relancé par des familles de captifs, qui le distribuent dans la rue. Ils sont accrochés aux parebrises des voitures ou sur la poitrine.

La conscription militaire est une pierre angulaire de l'unité de la société israélienne. Il est difficile de se fier entièrement aux chiffres des FDI en raison d'un manque de transparence, mais les chiffres officiels montrent que 69 % des hommes et 56 % des femmes sont enrôlés à l'âge de 18 ans. Cela fait de l'uniforme militaire un emblème de l'identité nationale collective, peut-être même plus important que le drapeau, incarné par la maxime israélienne : « Une nation qui construit une armée est une nation qui se construit elle-même ».

L'armée est tellement ancrée dans le tissu social que le service est autant un phénomène sociologique qu'un devoir idéologique. La plupart des soldats ne sont pas des combattants. Ils jouent des rôles de cuisiniers, de DJ à la radio ou d'enseignants. L'armée a appris à absorber des groupes qu'elle écartait par le passé, comme les personnes LGBTQ+, et sert même de la nourriture végétalienne. Il est possible de servir dans l'armée tout en vivant à la maison, en considérant cela comme un travail quotidien normal.

Alors qu'aux USA et au Royaume-Uni, le service militaire est considéré comme une « porte de sortie" »- de la pauvreté ou d'une classe sociale inférieure - en Israël, c'est tout le contraire. C'est un moyen d'entrer dans la société, où les offres d'emploi s'adressent aux « post-armée », où l'influence sociale se mesure à l'aune des résultats obtenus dans l'armée, et où les conversations informelles dérivent invariablement vers la question « où est-ce que tu as servi ? » L'armée sert de porte d'entrée à une identité israélienne complète, en jetant un pont entre toutes les strates de la hiérarchie sociale.

Pourtant, malgré l'omniprésence de l'armée, il existe un courant de dissidence. Comme Mitnick, j'ai également refusé de m'enrôler dans les FDI. Les exemples de refus sont rares, mais ils se sont produits tout au long de l'histoire d'Israël. Il y a les 3 000 soldats de réserve qui ont protesté contre la première guerre du Liban en 1983, dont 160 ont été emprisonnés pour leur refus de servir. Il y a aussi des personnalités comme Ofer Cassif, membre de la Knesset, qui s'est opposé à servir en Cisjordanie, ainsi que des pilotes qui ont rejeté des missions qu'ils considéraient comme illégales, et une poignée d'adolescents qui risquent chaque année la prison pour s'être opposés au service dans les territoires occupés, avec des groupes comme Mesarvot qui les soutiennent dans leur démarche.


 Contrairement à la majorité des objecteurs de conscience qui ne représentent qu'une infime partie de la population israélienne et sont souvent issus des classes supérieures, je venais d'un petit village situé à la périphérie d'Israël et j'allais à l'école dans un kibboutz où l'éthique du service et du sacrifice était fortement ressentie. Exprimant des réticences à l'égard de la culture militariste et déjà considéré comme problématique par mon école, j'ai été étiqueté lors de mon passage à l'armée pour être envoyé devant un comité d'évaluation.

Il n'est pas facile de se retirer du service. Le refus est rare, en partie parce que l'armée laisse peu de place à la dissidence. La Haute Cour de justice israélienne a statué que si le pacifisme absolu est une raison valable d'exemption, le refus sélectif”, c'est-à-dire le fait de rejeter des tâches spécifiques, est illégal. Cette position, en particulier le refus de servir dans les territoires occupés, est considérée comme une menace pour l'unité nationale. Les quelques personnes exemptées pour cause de pacifisme ne peuvent pas non plus discuter de l'occupation ou de la politique israélienne en général.

Le traitement des refus par les FDI n'est pas non plus cohérent. Certains font l'objet de procès et de multiples emprisonnements avant d'être libérés par une commission psychiatrique militaire. D'autres, comme moi, sont envoyés directement devant ce conseil. Là, j'ai dû exposer mes convictions à un tribunal d'officiers, convictions qui, à 17 ans, étaient plus intuitives que clairement définies. La principale méthode utilisée par l'armée pour libérer les réfractaires consiste à les déclarer mentalement inaptes au service, ce qui implique qu'en Israël, la dissidence est assimilée à la folie.

L'expérience de la sortie est désorientante, comme si l'on entrait dans une autre réalité. Dans mon cas, je me suis retrouvé dans la construction, un secteur partagé par les Palestiniens, les travailleurs migrants et les groupes marginalisés, alors que je n'avais pas de qualification et que j'avais quitté l'école. Les choix sont minces pour ceux qui ont fait le choix éthique de refuser l'enrôlement, avec de nombreuses ramifications personnelles et sociales.

Notre refus de servir n'était pas un geste pour obtenir une validation extérieure, ni même pour rechercher la reconnaissance des Palestiniens qui étaient séparés de nous par la langue et les clôtures ; il s'agissait plutôt de prendre position contre la décadence morale intérieure - en montrant aux autres et à nous-mêmes qu'il existe une autre voie.

Mais les réfractaires ne sont pas des héros. Aucune personne ayant refusé ne pense l'être. Je sais que ce n'était pas mon cas. Je n'ai pas trouvé de la bravoure dans ma décision, mais de l'aliénation. Le choix de rejeter quelque chose de central dans ma société signifiait que je ne pourrais jamais en faire partie à part entière. Il y a même des moments de doute et de culpabilité : ai-je négligé mon devoir ? Ces sentiments sont particulièrement vifs lorsque des amis sont confrontés à un conflit ou à une perte, même si nous sommes éloignés de la cause qu'ils défendent.

Le refus n'est pas héroïque, mais il exprime un autre type de résolution - la résolution de rester seul, de naviguer dans les complexités de la dissidence et de rester fidèle à ses croyances face à la dissonance sociétale ; de réaliser que la rébellion est nécessaire face à un statu quo violent et insoutenable.


 Joseph Abileah (1915-1994), un violoniste né en Autriche, fondateur de la section israélienne de l'Internationale des résistants à la guerre et membre de la Société des Amis (Quakers), partisan d'une confédération judéo-palestino-jordanienne, fut le premier Israélien condamné (à une amende) pour refus de servir, le 30 août 1948.

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