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25/11/2023

Les femmes soldates qui ont averti de l’imminence d’une attaque du Hamas le 7 octobre, et qui ont été ignorées
Le blues des tatzpitanit de l’armée israélienne rescapées du Samedi noir

NdT
Les deux articles ci-dessous, du correspondant militaire du quotidien israélien Haaretz, jettent une lumière aveuglante sur le merdier qu’est devenue “l’armée la plus morale du monde”, actuellement occupée à commettre un génocide pour exercer “le droit à la défense” de “la seule démocratie du Moyen-Orient”. L’’état de l’’armée israélienne évoque de plus en plus celui de l’armée US au Vietnam à partir de l’Offensive du Têt du FNL au Sud-Vietnam en février 1968 : une armée-patchwork traversée par des clivages et des incompatibilités de toutes sortes : ethniques, idéologiques, culturels, de genre, en un mot anthropologiques. Aujourd’hui, la galère des petites guetteuses, véritables cyber-esclaves .-FG

Yaniv Kubovich, Haaretz, 20/11/2023

Tout au long de l’année écoulée, les guetteuses des Forces de défense israéliennes (FDI) stationnées à la frontière avec Gaza, toutes des femmes, ont averti que quelque chose d’inhabituel était en train de se produire. Celles qui ont survécu au massacre du 7 octobre sont convaincues que si des hommes avaient tiré la sonnette d’alarme, la situation serait différente aujourd’hui

 

Photo : Ariel Shalit / Animation : Aron Ehrlich

Trois jours après le massacre du 7 octobre dans le sud d’Israël, Mai - une guetteuse qui sert dans la division de Gaza des FDI et qui a survécu à l’assaut meurtrier du Hamas contre sa base militaire près de la frontière - a reçu un appel téléphonique à son domicile.

Au bout du fil, une personne de la division des ressources humaines de l’armée. « Si tu ne reviens pas à ton poste, l’a-t-elle prévenue, c’est de l’absentéisme en temps de guerre et ça peut te valoir jusqu’à dix ans de prison ». Des messages identiques ont également été envoyés à des collègues de la base militaire qui, comme elle, s’étaient retrouvées le Samedi noir enfermées dans une salle d’opérations, “armées” uniquement de leurs téléphones cellulaires, alors que les terroristes du Hamas se déchaînaient.

« Nous avons essayé d’expliquer que nous ne pouvions pas revenir au boulot », raconte Mai. « Nous avons perdu nos camarades. Nous avons passé des heures à nous cacher, au milieu des cadavres, dans cette salle d’opérations ».

Selon Mai (un pseudonyme, comme les noms de toutes les personnes interrogées pour cet article), certaines des jeunes femmes qui ont survécu à l’attaque sont actuellement soignées dans des établissements de santé mentale, tandis que d’autres sont encore trop effrayées pour demander un traitement.

« Jusqu’à présent, les commandants ne nous ont pas rendu visite ; personne de l’armée n’est venu nous parler et nous demander comment nous nous sentions. Ils ignorent tout simplement notre existence ». Il convient peut-être d’apporter une précision à cette dernière affirmation : les gradés semblent ignorer que si elles sont membres de l’armée, elles n’en sont pas moins des êtres humains.

(Le travail des guetteuses, appelées "tatzpitanit" en hébreu, consiste à fixer un écran pendant des heures pour étudier les caméras de surveillance à la recherche d’activités nuisibles. De nos jours, seules des femmes soldats effectuent cette tâche).

Des guetteuses de Tsahal travaillant sur la base de Tsahal à Nahal Oz. Photo: Unité du porte-parole de Tsahal

Les guetteuses ont décidé de rester chez eux et rien d’autre ne s’est produit jusqu’à la semaine dernière, lorsqu’elles ont toutes reçu des lettres identiques les informant que si elles ne retournaient pas à leur poste pour ce mercredi, il y aurait de graves répercussions.

« Ils m’ont dit : “Tu dois revenir, ton poste t’attend” », raconte une autre guetteuse, Shir. « Personne ne se préoccupe de mon état de santé ni de savoir si je suis apte à faire ce travail. L’essentiel [pour eux] est que je retourne à mon équipe de neuf heures à regarder des écrans toute la journée ».

Shir a décidé d’aller au rapport à la base, mais pas à cause des menaces et des intimidations.

« Il est important de préciser que nous revenons uniquement pour nos amies qui ont été assassinées ou kidnappées », dit-elle, et « non pour tous ceux qui nous ont abandonnées là-bas ».

Shir et ses collègues ne sont pas surprises par l’attitude qu’elles ont rencontrée, mais peut-être un peu déconcertées par son intensité. Au cours de leurs années de service militaire, elles disent s’être habituées au fait qu’elles « ne comptent pas ». Les avertissements répétés qu’elles ont lancés avant l’infiltration du Hamas le Samedi noir n’ont pas non plus été pris en compte. Des avertissements qui, selon elles, entraient par un oreillette des FDI et sortaient par l’autre.

Il s’agit notamment de rapports sur les préparatifs du Hamas près de la barrière frontalière, sur ses activités de drones au cours des derniers mois, sur ses efforts pour neutraliser les caméras, sur l’utilisation intensive de camionnettes et de motos, et même sur des répétitions de tirs d’obus sur des chars.

Une guetteuse de Tsahal travaillant à la base militaire de Nahal Oz, près de la frontière de Gaza, au début du mois. Photo: Unité du porte-parole des FDI

Les guetteuses estiment que le Hamas était plutôt négligent : il n’essayait pas de cacher quoi que ce soit et ses actions étaient visibles. Mais pendant toute cette période, elles affirment que les officiers supérieurs de la Division de Gaza et du commandement sud de l’armée israélienne ont refusé d’écouter leurs avertissements. Elles estiment que cela est dû en partie à l’arrogance, mais aussi au chauvinisme mâle.

Les guetteuses sont exclusivement « des jeunes femmes et des jeunes commandantes », explique l’une d’entre elles. « Il ne fait aucun doute que si des hommes avaient été assis devant ces écrans, les choses auraient été différentes ».

Dites à tout le monde que nous les aimons

D’une certaine manière, les heures qui ont précédé le matin du 7 octobre ont été tout à fait ordinaires. Noga, une guetteuse stationnée à l’unité de renseignement de l’IDF à Kissufim, près de la frontière de Gaza, a repéré un homme inconnu, à l’allure suspecte, qui se tenait devant l’une des barrières érigées le long de la frontière de la bande de Gaza.

Son rapport est parvenu au lieutenant-colonel Meir Ohayon, commandant du 51e bataillon de la brigade Golani, qui, à 3 heures du matin, s’est rendu sur place et, après avoir aperçu l’homme, a tiré des gaz lacrymogènes sur lui. Le suspect a fait demi-tour et s’est rendu à un poste d’observation du Hamas situé à environ 300 mètres de la clôture, distance à laquelle les Palestiniens sont autorisés à rester. La guetteuse a vu plusieurs autres personnes au même endroit, et il lui a semblé qu’une réunion d’information s’y tenait.

Un poste d’observation israélien armé touché par le Hamas le matin du 7 octobre. Photo: Hatem Ali/AP

Tout cela lui paraissant inhabituel et inquiétant, elle fait part de ses sentiments aux autres guetteuses ainsi qu’au commandant de garde. Cependant, à l’issue d’une discussion qui a duré environ une minute dans la salle des opérations et en concertation avec la division, il a été décidé de revenir à la normale.

« Je suis désolée d’avoir dû vous réveiller à cette heure-ci », s’excuse la guetteuse auprès d’Ohayon, « mais je pense toujours qu’il y a quelque chose d’étrange ici ».

Ohayon, imperturbable, lui répond qu’il vaut mieux être vigilant pour éviter les surprises. Quelques heures plus tard, il est apparu que cette “vigilance” n’avait pas empêché la surprise.

Mais ce n’était que la dernière pièce du puzzle. Rétrospectivement, après avoir pleinement compris l’ampleur de la catastrophe, et après avoir perdu des dizaines d’amies tuées ou enlevées par le Hamas, l’ampleur de la déconnexion est devenue évidente pour la guetteuse.

Pendant qu’elle essayait de comprendre qui était le personnage suspect et ce qu’il faisait, les services de sécurité de Tsahal et du Shin Bet avaient déjà eu des discussions à la suite d’une alerte concernant une infiltration terroriste. L’affaire était suffisamment sérieuse pour que les hauts responsables décident (le vendredi soir) de renforcer la présence des forces spéciales dans le sud, en envoyant une équipe spécialisée dans la lutte contre les escadrons terroristes.

Une autre équipe de l’unité opérationnelle du Shin Bet et une force de l’unité commando ont également été mises en alerte. Une équipe d’élite des FDI de Sayeret Matkal [unité des Forces spéciales, NdT] a également été envoyée dans la région. Cependant, personne au sein du commandement sud ou de sa division de Gaza n’a pris la peine d’en informer les dizaines de jeunes femmes servant de guetteuses dans les bases militaires de Kissufim et de Nahal Oz. La situation n’a même pas changé à 4 heures du matin, lorsqu’il a été décidé de mettre les communautés frontalières de Gaza en état d’alerte par crainte d’une éventuelle infiltration.

Ori Megidish (au centre) avec sa famille après avoir été retrouvée par les troupes terrestres des FDI à Gaza. Megidish, une guetteuse de l’armée, a été prise en otage le 7 octobre. Photo : Bureau du porte-parole du Shin Bet

« Si nous avions eu connaissance de cet avertissement, la catastrophe aurait été différente », déclare Yaara à Haaretz. « Personne ne nous a dit qu’il y avait un tel niveau d’alerte ».

Selon Yaara, trois heures, voire deux heures, auraient permis aux jeunes guetteuses de se préparer. « Mais personne n’a pensé à nous le dire. Les FDI nous ont laissées comme des canards plantés sur un champ de tir. Les combattants, eux, avaient des armes et sont morts en héros. Les guetteuses, abandonnées par l’armée, ont tout simplement été massacrées, sans aucune possibilité de se défendre ».

Vers 6h30, Noga trouve encore le temps de faire un PV de constat d’“infiltration” des communautés et des bases militaires, tout en entendant les tirs et les cris des terroristes à l’extérieur du centre de commandement où elle est postée.

Dans le groupe WhatsApp des guetteuses, les amies de Nahal Oz signalaient déjà que les terroristes étaient partout, que des personnes avaient été tuées et enlevées, et qu’il n’y avait nulle part où fuir. À 7 h 17, le dernier message reçu dans le groupe, signé par les guetteuses de Nahal Oz, était le suivant : « Dites à tout le monde que nous les aimons et merci pour tout ».

Attitude méprisante

Les mots durs des guetteuses à l’égard de leurs supérieurs ne sont pas nouveaux. En fait, Haaretz avait publié l’année dernière un compte-rendu d’enquête [voir ci-dessous] sur l’attitude de dédain de leurs commandants à leur égard. À l’époque, le soussigné s’était entretenu avec des guetteuses dans des bases situées dans tout Israël, y compris dans la division de Gaza.

L’une des questions qu’elles ont soulevées était que leur voix n’était tout simplement pas entendue et que leur avis professionnel n’était pas pris en compte comme il se devait. Il semble que toute commission d’enquête chargée d’étudier les événements du 7 octobre devra commencer par les témoignages des guetteuses survivantes.

 

Des guetteuses de Tsahal travaillent à Nahal Oz. Photo : Unité du porte-parole des FDI

Elles peuvent mettre le doigt sur des incidents apparemment décisifs qui remontent à plusieurs mois. Par exemple, Talia, qui a servi comme guetteuse dans la division de Gaza pendant environ 18 mois et qui est donc considérée comme une sorte de vétérane, raconte : « Un mois avant la guerre, j’étais assise dans le centre de commandement à Kissufim et vers 7 heures du matin, des dizaines de voitures et de camionnettes sont arrivées dans la zone dont je suis responsable, près de l’une des tours d’observation du Hamas. Au bout de quelques minutes, une voiture de luxe s’est arrêtée à côté d’eux - le type de voiture que très peu de gens possèdent à Gaza, donc certainement le Hamas.

« Je ne les ai pas tous reconnus, mais il était clair pour moi que ces hommes faisaient partie de la Nukhba [les forces spéciales du Hamas], car certains d’entre eux portaient des cagoules pour ne pas être identifiés. Ils sont partis pour un briefing qui a duré longtemps, 30 à 40 minutes, avec des jumelles, en pointant du doigt le côté israélien. »

Talia explique qu’elle voulait essayer d’identifier les hommes et voir ce qu’il y avait dans leurs véhicules. Elle a donc braqué les caméras sur l’une des personnes les plus âgées présentes et a fait un zoom.

Il a fait un doigt d’honneur vers moi – “na, na, na” -, raconte-t-elle, avouant sa stupeur car la caméra était située sur un haut poteau à une grande distance de l’endroit où se tenait le groupe, mais il savait exactement où elle se trouvait.

À ce stade, elle a fait appel à sa commandante. « Je lui ai dit qu’ils pouvaient me voir, qu’il me parlait à travers la caméra », se souvient-elle. « Elle l’a également vu et n’a pas su comment réagir ».

Après le départ des Gazaouis, Talia raconte qu’elle a reçu un rapport d’un poste de surveillance situé plus au nord, selon lequel le même groupe était revenu et s’arrêtait à différents endroits le long de la bande de Gaza.

Pour Talia et les autres guetteuses en service ce jour-là, cela ressemblait à un briefing préalable à une opération contre Israël - et ils ont agi en conséquence.

L’entrée du kibboutz Nahal Oz. Photo : Eliyahu Hershkovitz

« Nous avons signalé l’événement, nous avons indiqué qu’il était inhabituel et qu’ils pouvaient nous voir », se souvient-elle. « Nous avons signalé qu’il s’agissait d’une réunion d’information organisée par de hauts responsables du Hamas que nous ne pouvions pas reconnaître. Mais jusqu’à aujourd’hui, on ne sait pas exactement ce que [les FDI] ont fait de cette information ».

Elle affirme que ses commandantes ont également essayé de transmettre ces informations à la chaîne de commandement. Cependant, en tant qu’officiers relativement peu gradés, ces femmes « sont tout aussi impuissantes que nous devant les commandants supérieurs - et certainement devant le commandement de la division et de la région », explique Talia. « Personne ne fait vraiment attention à nous. Pour eux, c’est “restez devant votre écran” et c’est tout. Ils nous disent : “Vous êtes nos yeux, pas la tête qui doit prendre des décisions sur les informations” ».

Lorsque l’attaque du Hamas a commencé le 7 octobre, et après que des messages eurent été envoyés depuis la base de Nahal Oz, Talia a envoyé un message à cette même commandante, lui demandant si elle se souvenait de l’événement précédent. « Elle lui a répondu qu’elle n’avait aucun doute sur le fait qu’il s’agissait du briefing de l’attaque », raconte-t-elle. « Au même moment, nous voyons des vidéos de nos amies emmenés à Gaza, impuissantes ».

Chaque pierre, chaque véhicule

Deux à trois mois. C’est le temps qu’il faut à une nouvelle guetteuse pour connaître son secteur « mieux que quiconque dans l’armée israélienne », explique Talia. « Dans mon secteur, je connais chaque pierre, chaque véhicule, chaque berger, chaque camp d’entraînement du Hamas, chaque ouvrier, chaque ornithologue, chaque sentier et chaque avant-poste ». Selon elle, une guetteuse chevronnée n’a pas besoin de « [l’unité de cyberguerre] 8200 pour savoir immédiatement si son secteur fonctionne de manière inhabituelle », une référence à la légendaire unité de renseignement.

C’est un travail difficile, souvent sisyphéen. Le quart de travail d’une guetteuse dure neuf heures, pendant lesquelles elle est assise devant un écran et tente de surveiller tout ce qui semble inhabituel, même le moindre écart par rapport à la norme. Tout événement de ce type doit être immédiatement consigné dans un rapport opérationnel, qui est envoyé aux commandants des bases, puis aux bureaux de renseignement des divisions et des centres de commandement concernés.

 Des Palestiniens fêtent la destruction d’un char israélien à la barrière de la bande de Gaza, à l’est de Khan Younès, le 7 octobre. Photo : Hassan Eslaiah/AP

Que se passe-t-il en pratique avec les informations qu’elles viennent de transmettre ? Les guetteuses ont du mal à répondre à cette question.

Ce fut également le cas lorsque les drones du Hamas ont commencé à voler régulièrement dans leur secteur.

« Au cours des deux derniers mois, ils ont commencé à lancer des drones tous les jours, parfois deux fois par jour, qui s’approchaient très près de la frontière », explique Ilana, une autre guetteuse. « Jusqu’à 300 mètres de la clôture, parfois moins. Un mois et demi avant la guerre, nous avons vu que dans l’un des camps d’entraînement du Hamas, ils avaient construit une réplique exacte d’un poste d’observation armé, comme ceux que nous avons. Ils ont commencé à s’entraîner avec des drones pour frapper le poste d’observation ».

Ilana raconte qu’elles ont transmis ces informations conformément au protocole, mais qu’elles sont même allées plus loin : « Nous avons crié à nos commandants qu’ils devaient nous prendre plus au sérieux, qu’il se passait quelque chose de grave ici. Nous avons compris que le comportement sur le terrain était très étrange, qu’ils s’entraînaient essentiellement en vue d’une attaque contre nous. Jusqu’à présent, personne n’est venu nous dire ce qui a été fait de ces informations ».

Le Samedi noir, lorsqu’elles ont vu les drones faire exploser leurs postes d’observation les uns après les autres, les guetteuses ont su ce qui les attendait. « Dès le début de l’attaque, nous savions que c’était exactement ce qui se préparait durant le dernier mois et demi d’entraînement », explique Ilana.

D’autres signes avant-coureurs ont également été relevés, selon les guetteuses. D’autres rapports qu’elles ont rédigés et envoyés, mais dont on ne sait pas où ils se trouvent.

« Ils ne m’ont jamais dit ce qu’il advenait des informations que nous transmettions », raconte une autre guetteuse, Adi. « On nous disait constamment qu’il pourrait y avoir une infiltration terroriste, que cela pourrait arriver. Bien sûr, l’armée israélienne doit être prête à faire face à un tel incident, mais il n’y avait apparemment pas de menace concrète, quel que soit le nombre d’événements concrets rapportés par les guetteuses.

« L’année dernière, ils ont commencé à retirer des morceaux de fer de la clôture », explique Adi, citant un exemple de ce qui a été écrit dans un autre rapport qui pourrait être enterré dans un tiroir quelque part. Et ce n’est pas tout.

« Dans mon secteur, ils ont construit un modèle exact de char Merkava IV et se sont entraînés dessus en permanence », raconte une autre guetteuse de la division de Gaza. « Ils se sont entraînés à frapper un char avec un RPG, à l’endroit exact où le frapper et ensuite, sous nos yeux, ils se sont entraînés à capturer l’équipage du char ».

Selon elle, les guetteuses ont tenté de prévenir que ces exercices d’entraînement gagnaient en intensité, « qu’il y avait plus de participants et qu’ils étaient effectués avec des unités supplémentaires du Hamas venant d’autres zones ».

Elles ont également remarqué que des camionnettes et des motos étaient fréquemment utilisées pour les entraînements. Et lorsque des manifestations ont commencé à avoir lieu à la frontière [dans les mois précédant l’attaque], elles ont observé que « des agents du Hamas examinent constamment les endroits où nous sommes moins efficaces avec les caméras. Ils ont vraiment tout planifié dans les moindres détails. Quiconque dit aujourd’hui que c’était inévitable ou qu’il était impossible de savoir – ment ».

Selon elle, « ils ont abandonné nos amies à la mort parce que personne ne voulait nous écouter. Il est indigne d’écouter une sergente qui, depuis deux ans, regarde le même écran et connaît chaque pierre, chaque grain de sable, leur dire quelque chose de contraire à ce que leur disent les officiers supérieurs du renseignement. Qui suis-je, une petite femme, devant un homme qui a le grade de major ou de lieutenant-colonel et pour qui tout le monde se met au garde-à-vous lorsqu’il entre dans la pièce ? »

Ils nous ont étudiés en profondeur

Quarante combattant·es du 13e  bataillon de la brigade Golani, quelques pisteurs bédouins [équivalent des pisteurs Sioux de l’armée US, ils sont 1 655 et assurent la protection des frontières nord, est et sud, voir vidéo de propagande, NdT] et trois femmes soldates de combat du corps d’artillerie en état d’alerte : c’est l’ensemble des forces présentes à Nahal Oz le samedi 7 octobre au matin, face à des centaines de terroristes - une part importante des quelque 3 000 qui se sont infiltrés avec des camionnettes, des voitures et des motos par mer, par terre et par air. Les soldats israéliens n’avaient aucune chance.

« Ils en savaient beaucoup plus sur nous que nous ne le pensions », explique Liat, une autre guetteuse. « Aujourd’hui, je sais, et mes amies en sont également sûres, qu’ils nous ont étudiés en profondeur. Pas seulement d’où nous étions assises et d’où nous observions. Ils ont fait un travail titanesque.»

 

Des Palestiniens de la bande de Gaza entrent dans le kibboutz Kfar Azza le 7 octobre. Photo : Hassan Eslaiah/AP

Une guetteuse qui était de service à l’un des postes de surveillance ce jour-là déclare : « Il y avait tellement de signaux d’alarme tout au long du trajet. Le Hamas n’a pas agi en catimini. C’est juste que personne n’a pensé à accepter l’opinion de certaines guetteuses alors que le personnel des services de renseignement pensait tout à fait différemment ».

En avril dernier, Smadar, assise au poste de surveillance de Kissufim, avait remarqué quelque chose de nouveau dans l’un des camps d’entraînement du Hamas. « Ils avaient construit un modèle précis de la zone frontalière », explique-t-elle. « Ils s’y entraînaient à franchir la clôture. Contrairement à ce que pensait Tsahal, ils s’entraînaient à s’infiltrer sur le terrain, et non à partir de tunnels. Au fil du temps, leur entraînement est devenu plus intensif ».

Environ un mois et demi avant l’attaque, cet entraînement est apparemment passé à la vitesse supérieure.

« Nous avons commencé à les voir s’éloigner de 300 mètres de la clôture, et leurs entraîneurs se tenaient debout avec des chronomètres et mesuraient le temps qu’il leur fallait pour courir jusqu’à la clôture, l’atteindre et revenir à leur position. Nous savions qu’il se passait quelque chose », explique Liat. Selon elle, bien que des troubles aient également eu lieu près de la clôture, « les forces que nous avons envoyées n’ont pratiquement rien fait - même les tirs d’avertissement ont cessé. Les soldats de combat arrivaient, lançaient des gaz lacrymogènes et repartaient ».

Ces rapports, semble-t-il, se sont empilés dans les poubelles de la tragédie.

Un mois avant la guerre, un changement d’approche s’est opéré chez certaines guetteuses : un officier supérieur de la division de Gaza est venu dans la salle des opérations de l’une des bases situées le long de la frontière de Gaza pour parler du secteur, et l’une des guetteuses a décidé de lui dire exactement ce qu’elle pensait.

« Je lui ai dit qu’il y aurait une guerre et que nous n’étions tout simplement pas prêts », se souvient-elle de cette conversation. « Je lui ai dit que ce qui se passait avec le Hamas le long de la barrière frontalière n’était pas normal. Qu’ils se moquent de Tsahal, que nous avons les mains liées et que nous ne faisons même pas de tirs d’avertissement ».

La réponse de l’officier supérieur a été de lui demander son nom, de la regarder avec des yeux pleins de reproches et de la “remettre à sa place” pour avoir eu la témérité de s’adresser directement à lui au lieu de passer par les voies appropriées.

« Il m’a dit : “Je suis dans le secteur depuis 2010. J’ai été commandant ici, officier de renseignement, je connais Gaza sur le bout des doigts, et je vous dis que tout va bien. Vous n’êtes là que depuis six mois et moi depuis 12 ans. Je connais le secteur comme ma poche” ».

Une personne qui connaît le secteur depuis moins longtemps - mais tout de même en profondeur – c’est Einat, une guetteuse de Nahal Oz. Ce samedi-là, elle était chez elle (“dans la pièce sécurisée avec la famille”), mais elle a immédiatement compris ce qui était sur le point de se produire.

« Dès que j’ai compris qu’il y avait une telle infiltration, j’ai dit [à ma famille] : “Il y a un raid du Hamas, ils vont kidnapper des soldats et foncer dans les quartiers résidentiels”. Je leur ai même dit qu’il était impossible qu’ils ne viennent pas avec des parapentes. Ils m’ont regardeé comme si j’étais folle. J’ai commencé à crier que nous savions qu’il y aurait quelque chose et que personne ne nous écouterait ».

Puis les messages des amies de la base ont commencé à arriver, ainsi que les photos et les vidéos des Palestiniens sur Telegram. « Nous voyions comment ils assassinaient nos amies et comment elles étaient emmenées à Gaza », se souvient-elle. « Je ne peux pas décrire la frustration, le sentiment d’abandon par ls hauts gradés. Nous avons lancé des avertissements, nous l’avons dit à nos commandants, mais nous sommes considérés comme le dernier maillon de la chaîne alimentaire de la division ».

En réponse à cet article, l’unité du porte-parole des FDI a déclaré : « Les FDI et ses commandants suivent de près tous les soldats, hommes et femmes qui étaient présents lors des événements du 7 octobre. Les soldats, hommes et femmes, sont accompagnés par des professionnels de la santé mentale. À cela s’ajoute le contact permanent avec leurs commandants, qui constituent un système de soutien et une oreille attentive. Le retour à leur poste se fera de manière progressive et sensible, encadrée et en fonction de l’état de chacune. Il n’y a aucune intention de prendre des mesures disciplinaires à l’encontre de qui que ce soit. S’il y a eu des conversations qui pourraient suggérer le contraire, elles sont contraires aux lignes directrices et seront traitées en conséquence ».

Les rôles exclusivement féminins dans l’armée israélienne conduisent trop de femmes au suicide

Yaniv Kubovich, Haaretz, 7/12/2022

Privation chronique de sommeil, punitions arbitraires et manque de respect : Les femmes guetteuses à distance, qui suivent attentivement la surveillance en direct, décrivent leur service et leur rôle cauchemardesques.

 

Une guetteuse dans une salle de contrôle. Photo de Yaron Kaminsky photoshopée par Masha Zur Glozman

Le mois dernier, une soldate servant de “tatzpitanit” - un rôle désormais réservé aux femmes et qui implique de passer des heures à surveiller de près les caméras de surveillance - a été hospitalisée après avoir tenté de se suicider.

L’armée a déclaré que sa tentative de suicide n’avait rien à voir avec son travail et qu’elle n’était pas connue de ses services de santé mentale. Elle a ajouté que la tentative avait eu lieu alors que la soldate se trouvait chez elle pour un congé de fin de semaine. 

Mais il ne s’agit pas d’un cas exceptionnel. Les soldates et les commandantes qui travaillent dans l’appareil de surveillance de l’armée décrivent les conditions exténuantes dans lesquelles les soldates jouent ce rôle, ce qui entraîne un nombre considérable de tentatives de suicide. Selon elles, ces conditions résultent en partie du manque de sommeil, de la pénurie de nourriture et de services sur leur base, d’un traitement irrespectueux et de punitions arbitraires et sévères.

« Peu de gens sont au courant des tentatives de suicide parmi ces guetteuses », déclare une femme soldat qui a servi dans ce rôle avant d’être démobilisée récemment. « L’armée étouffe l’affaire, arguant qu’il s’agit de tentatives de se faire transférer, mais là où j’étais, il y a eu un grand nombre de tentatives sur une période très courte ».

La détresse est apparente dans les messages publiés sur les médias sociaux par ces guetteuses. « J’avais une très grande motivation, mais je la perds de jour en jour », écrit l’une d’elles. « Je souffre tous les jours, je pleure tout le temps, je ne dors pas et je ne mange pas. J’en suis arrivée à un point où l’on m’a donné un congé pour raisons de santé mentale ».

La nature du travail et ses conditions ont conduit à une situation dans laquelle de nombreux appelé·es n’ont aucun intérêt. Les chiffres militaires obtenus par Haaretz montrent que l’année dernière, 1 400 candidates ont été jugées aptes au travail, mais plus de 900 n’y étaient déjà pas intéressées avant leur conscription, l’ignorant lorsqu’elle leur a été présentée comme une option basée sur leurs compétences.

Une guetteuse près de la frontière libanaise. Photo : Yaron Kaminsky

Cette année encore, 180 femmes soldats ont refusé de servir d’observatrices de surveillance et la moitié d’entre elles ont été placées en détention. Lors de la dernière vague d’enrôlement, 45 femmes soldates ont refusé de se rendre à la base concernée et de commencer leur formation. La plupart d’entre elles ont été envoyées dans un centre de détention.

« C’est la seule fonction pour laquelle nous avons des difficultés à remplir les rangs », reconnaît une source militaire au fait du processus. « Les compétences requises pour ce rôle sont élevées et de nombreux appelées préfèrent d’autres emplois, tels qu’ instructrices d’infanterie, le renseignement militaire ou instructrices pour les simulations de vol de l’armée de l’air.

« Je pense que l’armée n’a pas réussi à jouer ce rôle correctement, en ne transmettant pas l’idée que les informations recueillies sont importantes et intéressantes », explique la source. « Il y a quelques succès marginaux, et des changements peuvent être observés, mais ce n’est pas suffisant. Nous sommes conscients du problème et nous essayons de le résoudre. »

Toutes les guetteuses ne souffrent pas de leur service militaire. Plusieurs d’entre elles témoignent de l’importance du travail, tandis que d’autres disent qu’après avoir quitté l’armée, elles ont réalisé à quel point ils avaient aimé faire ce qu’ils faisaient. Une commandante de l’appareil de surveillance affirme que « c’est un travail important, mais qui s’accompagne d’un épuisement rapide, vu la manière dont il est fait aujourd’hui. Même les soldates qui aiment ce travail s’épuisent »..

Une femme soldate qui a quitté le service de surveillance il y a quelques mois déclare : « rétrospectivement, je peux dire que c’était aussi intéressant. Il y avait beaucoup d’action ». Cependant, dit-elle, « le problème n’était pas le travail, mais les conditions de travail et l’attitude à l’égard de celles qui l’effectuaient ; nous étions comme les petits enfants de l’armée ».

Ce sont les commandantes sur le terrain qui doivent faire face à cette situation. « Un tiers des soldates du centre d’incorporation refusent de monter dans le bus qui les emmène à la base d’entraînement ; très peu d’appelées acceptent le fait qu’elles ont été sélectionnées pour ce travail", explique l’une des commandantes. « Beaucoup de soldates essaient rapidement de partir pour les cours de commandement afin de quitter les salles de contrôle. Vers la fin de leur service, elles sont à bout ».

Des normes élevées

Le rôle de ces guetteuses est de surveiller la barrière de séparation le long de la frontière et d’activer les systèmes technologiques destinés à empêcher les tentatives d’entrée en Israël et d’attaque contre les civils et les soldats. Même si cela n’est pas dit explicitement, l’armée a décidé de confier ces postes à des femmes soldates, aucun homme n’ayant été affecté à ces postes au cours des dernières années. Cela est possible grâce à la mise en place de normes relativement élevées pour être accepté. Les hommes ayant des compétences similaires sont placés dans des unités de combat.

Les normes élevées fixées par l’armée signifient que les candidates à ce rôle sont également éligibles à des rôles plus désirables et prestigieux tels que pilotes, officiers de marine et divers rôles dans le renseignement militaire. Selon les femmes sur le point d’être incorporées qui ont parlé à Haaretz, on leur annonce généralement qu’elles ont échoué aux tests pour ces rôles et qu’elles sont placées en tant que guetteuses. Selon elles, il est pratiquement impossible de faire appel de cette décision.

Une guetteuse travaille dans une salle de contrôle. Photo : FDI

« J’ai passé un test pour un cours de pilotage et plus tard pour une unité de renseignement classifié qui s’occupe de la conception et du développement de systèmes de renseignement », explique une aspirante. Elle devrait rejoindre l’armée le mois prochain. « Je ne voulais pas vraiment suivre le cours de pilotage et je n’ai pas réussi le test pour l’unité de renseignement, comme la plupart des gens qui ont passé ces tests », poursuit-elle. « J’ai ensuite reçu un message sur mon téléphone m’informant que l’on me confiait un rôle de guetteuse. J’ai du mal à comprendre comment je me suis retrouvée là alors que j’avais passé les tests pour les autres rôles ».

Comme pour d’autres appelés imminents, il a été difficile de trouver une adresse pour déposer un recours. « Il n’y a personne à qui parler », dit-elle. « J’ai essayé d’envoyer des lettres, expliquant que j’ai un certificat de fin d’études secondaires avec de bonnes notes en mathématiques et en informatique, que j’ai été monitrice dans un mouvement de jeunesse et que je fais du sport ; je leur ai demandé de prendre en compte mes capacités en matière d’instruction, d’éducation, de services, mais cela ne les intéresse pas. Je n’ai pas l’intention d’y aller, même si cela signifie aller en prison ».

L’ombre éternelle

Juste après la conscription, les soldates destinés à ce travail suivent un cours de trois mois dans une base du Néguev, à l’issue duquel elles sont placés dans les différentes bases et avant-postes où elles serviront. Dans ces bases, elles doivent suivre et s’entraîner avec des observateurs chevronnés, un processus qui est devenu un terrain fertile pour l’exploitation des jeunes femmes soldates. De nombreuses guetteuses ont déclaré à Haaretz qu’une coutume s’est développée selon laquelle les soldates les plus expérimentées ne donnent pas aux nouvelles toutes les informations dont elles ont besoin pour que l’observation soit prolongée.

« Chaque guetteuse doit passer un mois à suivre une guetteuse expérimentée, explique une guetteuse de longue date. « C’est terrible, car les plus anciennes n’enseignent aux plus jeunes que ce qu’elles veulent, et elles ne veulent pas le faire, parce que c’est ennuyeux. Les nouvelles finissent par rester des jours et des heures dans la salle de contrôle, à passer le temps. Des amies à moi ont perdu plus d’un mois sans suivre la formation. Celles qui ont de l’expérience ne sont pas mauvaises, c’est juste la norme qui s’est développée, et elles ne font que ce qu’on leur a fait fairee.

Les conditions de travail des jeunes guetteuses s’améliorent à la fin de cette période, au cours de laquelle elles bénéficient de trois jours de congé au bout de 11 jours de présence sur la base. Par la suite, elles bénéficient de cinq jours après chaque période de neuf jours de service.

Mais celles qui déterminent si les jeunes apprécient ces conditions sont les plus anciennes, qui ne sont pas pressées de terminer la période de formation. Dans plusieurs cas, des guetteuses ont déclaré avoir été mises à l’épreuve et maintenues sur la base pendant des périodes prolongées parce qu’elles n’avaient pas terminé la période de chevauchement, alors que les guetteuses vétéranes en étaient responsables.

L’armée est consciente du problème, mais rien n’est fait pour aider les nouvelles appelées. « Le problème est connu, mais il est différent d’un poste à l’autre », explique une commandante du département. « Il existe une culture en la matière, je ne dirai pas le contraire. Parfois, la solution consiste à envoyer la nouvelle guetteuse étudier des documents de référence. En fin de compte, nous sommes un petit groupe qui doit vivre ensemble sur le même avant-poste ou la même base, dans la même salle de contrôle. On peut faire quelque chose, mais cela doit venir d’en haut. Tout le monde est conscient du problème ».

Le cerveau se transforme en bouillie

À la fin de la phase de formation, les guetteuses rejoignent le programme de travail en équipe, qui prévoit des quarts de travail de quatre heures pendant lesquels il leur est interdit de quitter des yeux l’écran qui se trouve devant elles. Elles n’ont pas le droit de parler, de manger ou de faire quoi que ce soit qui puisse les distraire de l’observation de la zone à laquelle elles ont été affectées.

À la fin des quatre heures, elles doivent se tenir prêtes pendant huit heures, au cours desquelles elles n’ont pas le droit de se doucher ni de dormir. Elles repartent pour une nouvelle période de quatre heures, après laquelle elles disposent de huit heures pour dormir. Ce processus ne change pas au cours du service.

« Nous avons huit heures de sommeil, mais comme nous travaillons par équipes, cela peut aller de midi à 20 heures », explique une guetteuse. « On ne peut pas vraiment dormir pendant ces heures, à la fois parce qu’on n’en a pas l’habitude et parce qu’il y a beaucoup de bruit sur la base. »

Certaines soldates affirment que le manque constant de sommeil conduit les guetteuses à s’endormir pendant leur quart de travail, ce qui est synonyme de punition. « Dans un cas, j’ai dit à ma commandante que je n’avais pas dormi depuis deux jours, seulement quelques heures par-ci par-là », se souvient l’une d’elles. « Dans un cas, un véhicule s’est approché de la clôture [frontalière] et je ne l’ai pas vu parce que je m’étais endormie. En fin de compte, il ne s’agissait pas d’une violation de la sécurité, mais j’aurais dû la voir et la signaler. Le fait que j’aie dit à ma commandante que je n’avais pas dormi n’a pas aidé, et j’ai été retenue sur la base sans permission pendant 21 jours. »

Une autre guetteuse raconte qu’à une occasion, elle n’avait pas signalé avoir vu des personnes marcher dans la zone qu’elle surveillait. « Ce qui est fou, c’est que je les ai vues, tout en sachant que je devais le signaler, mais il arrive que le cerveau se transforme en bouillie après tant de temps passé à regarder un écran », dit-elle.

« Je ne sais même pas pourquoi je ne l’ai pas signalé, peut-être à cause du manque de sommeil. Dans ces situations, les gardes sont beaucoup plus difficiles. En termes de discipline, la moindre infraction est passible d’une cour martiale. Les commandant·es ont le doigt léger sur la gâchette lorsqu’il s’agit de punir ; ils·elles ne font pratiquement pas usage de leur jugeote ».

Les conversations avec les soldates et les commandantes montrent qu’elles sont affectées par leur position dans la hiérarchie de la base, où elles sont toujours au bas de l’échelle. La plupart des guetteuses servent près des frontières du pays, où une nouvelle unité de combat arrive tous les quatre mois et où ses commandants fixent leurs propres règles.

Les guetteuses affirment que, bien qu’elles soient placés dans le même avant-poste ou la même base pendant toute la durée de leur service, les différentes unités modifient les règles sans tenir compte de leur avis. « Les soldat »s sont toujours remplacé »s et les guetteuses n’ont pas leur mot à dire sur la façon dont les choses se passent, même si c’est notre maison », déclare l’une d’entre elles.

 

Un centre d’insertion de nouvelles recrues à Tel Hashomer, 2019. Photo : Avishag Shaar-Yashuv

«Lorsque de nouvelles unités arrivent, elles établissent les procédures qui leur conviennent» , ajoute-t-elle. « Nous recevons constamment de nouvelles règles, comme “Ne pas aller au réfectoire à certaines heures”. Parfois, ils nous crient qu’il n’y a pas assez de nourriture pour tout le monde et que nous devrions attendre que les autres soldats reviennent de leur entraînement.

« Ils fixent trois heures d’ouverture de la cantine par jour, mais ils ne tiennent pas compte des guetteuses qui terminent leur service à des heures indues. Nous restons donc sans nourriture ou nous nous préparons quelque chose dans une kitchenette équipée d’un grille-pain et d’un micro-ondes, mais parfois il n’y a même pas de quoi se faire un sandwich grillé. »

L’armée a récemment décidé que les guetteuses devraient passer un test d’aptitude physique, et les soldates qui ne satisfont pas à la norme requise s’exposent à des mesures disciplinaires ou à rester bloquées sur la base sans permission.

« Quelqu’un a décidé que si elles ne remplissaient pas les conditions requises, elles perdaient leur avantage de cinq jours à la maison, le ramenant à trois »e, explique une commandante de ces soldates, mécontente de la décision. « Je comprends la nécessité d’une bonne condition physique dans l’armée, mais certaines de ces soldates ne réussiront jamais le test. Elles n’ont pas besoin d’être soumis à ces exigences. C’est inutile. Vous pouvez les échanger contre des cours de gymnastique ou du jogging ».

Manque de nourriture

Outre le mépris des soldats plus expérimentés, la fatigue constante et les punitions arbitraires, les guetteuses affirment qu’elles doivent également faire face au manque de nourriture. Cette situation se reflète sur les médias sociaux, où nombre d’entre elles demandent de l’aide. « Nous sommes guetteuses à la frontière libanaise, nous nous relayons et nous occupons de la salle de contrôle 24 heures sur 24 pendant quatre jours d’affilée », peut-on lire dans un message.

 Une soldate des FDI nettoie son arme [mignon, le papillon]. Photo : Michal Fattal

« Cela signifie que nous ne sommes pas toujours libres lorsque les repas sont servis à la cantine. Nous avons des cuisinières à gaz pour cuisiner nous-mêmes, au lieu de ne pas manger pendant deux semaines jusqu’à ce que nous rentrions chez nous. Il y a deux semaines, les cuisinières sont tombées en panne et nous n’avons plus aucun moyen de cuisiner. L’unité est au courant, mais comme pour tout le reste, cela prend beaucoup de temps et de bureaucratie, et pendant ce temps, les femmes soldates ne mangent pas. Si quelqu’un a une cuisinière électrique à nous donner, nous en serions très heureux et cela nous aiderait beaucoup. Nous pouvons venir la chercher à Kiryat Shmona. »

De nombreuses guetteuses interrogés par Haaretz disent qu’elles ont eu besoin de l’aide de leur famille ou de la charité publique pour obtenir de la nourriture. « Nous sommes censées recevoir de la nourriture deux fois par semaine à notre poste, les mardis et les jeudis », explique l’une d’elles.

« Parfois, elle n’arrive pas, ou il n’y a pas assez de certains produits comme le lait et les fromages, ou des produits avec lesquels on peut faire quelque chose de décent à manger. Dans ce cas, nous allons acheter des produits au supermarché, mais nous ne pouvons pas toujours prendre un véhicule militaire et les soldats de l’avant-poste ne veulent pas toujours conduire pour des missions non combattantes. Parfois, nous attendons simplement la prochaine livraison. »

Les parents des guetteuses ont également commenté le manque de nourriture. « Ma fille est guetteuse et la nourriture qu’elle reçoit est maigre et choquante, car les gardes ne leur donnent pas toujours la possibilité d’aller à la cantine de la base », écrit un parent. « Elles s’en plaignent, mais rien n’a été fait. Elles apportent des choses de chez elles pour avoir quelque chose à manger, mais pourquoi faut-il que ce soit comme ça ? »

Un autre parent raconte que sa fille a été obligée de se préparer à manger pendant deux semaines parce que l’unité ne fournit pas de nourriture aux femmes soldates qui font des gardes de nuit. « Elle et ses amies sont obligées de chercher de la nourriture ou de cuisiner des aliments qu’elles ont elles-mêmes ramenés de chez elles », explique-t-il.


Vue du Liban du côté israélien. Photo : Gil Eliyahu

Un autre parent dit qu’il a essayé de protester contre la façon dont les guetteuses sont traitées en général. « Je n’ai jamais été confronté à un tel traitement des femmes soldates, qui vient des hauts gradés de l’armée et ruisselle comme des gouttes de poison », déclare-t-il.

« Pourquoi tant d’entre elles abandonnent-elles ? Le travail est dur, monotone, épuisant, [et] la façon dont elles sont traitées pourrait difficilement être pire. « ...  Son département a appris que leur seule sortie, prévue pour aujourd’hui, était annulée parce que le transport était annulé. C’est tellement insultant, un tel manque de respect. Et je ne parle même pas des pots de nourriture que nous apportons à notre fille et à ses amies. Je ferai tout ce que je peux pour l’aider à sortir de cette honte3.

L’armée a déclaré, à la suite d’une demande de commentaires, qu’elle « investit beaucoup d’efforts dans les conditions de service des guetteuses, la méthode de recrutement pour ce rôle a été modifiée, de même que la formation ». L’année dernière, des rénovations ont été entreprises dans les logements des guetteuses, et la qualité de la nourriture et l’accès aux services médicaux ont été améliorés.

L’armée a également indiqué que ces dernières années, le nombre de personnes refusant d’occuper le poste a diminué et qu’elle a « mené de nombreuses activités pour encourager l’enrôlement afin d’expliquer et de transmettre aux recrues l’importance et l’avantage du poste ».

 

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