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05/10/2022

BARBARA CROSSETTE
Une campagne israélienne en Allemagne bloque l'attribution d'un prix à Navi Pillay, une défenseure renommée des droits humains

Barbara Crossette , PassBlue, 2/10/2022
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Il devait s'agir d'une cérémonie grandiose organisée par l'Association allemande pour les Nations unies (Deutsche Gesellschaft für die Vereinten Nationen e.V.) pour décerner la médaille de la paix Otto Hahn, décernée tous les deux ans, à Navi Pillay, en reconnaissance de ses décennies de travail novateur dans le domaine des droits humains et du droit pénal international, notamment dans le cadre des Nations unies.


La cérémonie du 28 septembre devait avoir pour cadre l'Hôtel de ville rouge (Rotes Rathaus) de Berlin, datant du XIXe siècle, ainsi nommé en raison de sa façade en briques. L'hôtel, endommagé pendant la Seconde Guerre mondiale, a été reconstruit et est devenu un point de repère symbolique dans la capitale allemande.

L'ANU-Allemagne s'attendait à une salle comble pour la remise du prix, les réponses positives aux invitations ayant afflué. La mairesse élue de Berlin, Franziska Giffey, devait présider la cérémonie.

Rien de tout cela n'est arrivé.

Si la chronologie exacte de la mise en place d'une campagne israélienne contestant l'attribution du prix à Pillay en Allemagne laisse certaines questions sans réponse, la cause et l'effet ne sont pas contestés.

« Le maire de Berlin torpille l'événement honorant le chef de l'enquête de l'ONU sur Israël », peut-on lire à la une du Times of Israel, un journal en ligne publié en anglais et dans d'autres langues occidentales et du Moyen- Orient. Il a commencé à fonctionner en 2012.

Publiquement, la campagne de lobbying en faveur d'Israël a débuté par un article paru dans le tabloïd allemand pro-israélien Bild, qui reprenait des allégations israéliennes de longue date selon lesquelles Mme Pillay, ancienne haut-commissaire des Nations unies aux droits de l'homme et juge sud-africaine, était pro-palestinienne - ou, du moins, qu'elle critiquait les politiques et actions israéliennes en Cisjordanie et à Gaza, ainsi qu'à Jérusalem-Est.

Cependant, depuis 1975, Mme Pillay est également présidente du conseil consultatif de l'Académie internationale des principes de Nuremberg, une fondation allemande qui promeut le droit pénal mondial. Son rôle indique que tous les Allemands ne sont pas d'accord sur son bilan présumé, comme le confirmerait le prix décerné par l'ANU-Allemagne.

Le papier du Bild se concentrait principalement sur le poste le plus récent de Mme Pillay à la tête de la Commission internationale indépendante d'enquête sur Israël et le territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, composée de trois membres. Cette commission a été créée par le Conseil des droits de l'homme des Nations unies.

La cible actuelle de l'ire israélienne est dirigée vers les remarques sévères d'un des membres du panel sur Israël. Dans une interview accordée en juillet à Mondoweiss, un journal d'actualités et d'opinions sur la Palestine, Israël et les USA, le membre, Miloon Kothari (Inde), un militant des droits humains spécialisé dans les droits au logement et à la terre, qui a fait rapport au Conseil des droits de l'homme sur l'occupation israélienne du territoire palestinien, a déclaré :

« J'irais même jusqu'à me demander pourquoi [Israël] est membre des Nations unies. ... le gouvernement israélien ne respecte pas ses propres obligations en tant qu'État membre de l'ONU [parce que], en fait, il essaie constamment, soit directement, soit par l'intermédiaire des USA, de saper les mécanismes de l'ONU ». Il a fait référence à un “lobby juif” et à des ONG non précisées comme supervisant les opinions pro-israéliennes.

Pillay, éminente juriste sud-africaine d'origine indienne, est également accusée par les Israéliens, sans preuve, de faire partie du mouvement Boycott-Divestment-Sanctions (BDS), une initiative palestinienne visant à miner l'économie israélienne. Lorsque le mouvement BDS de 2017 a attiré l'attention en Allemagne, où il a été dénoncé comme antisémite, certains gouvernements locaux ont tenté de l'arrêter par des moyens répressifs ou punitifs. Un habitant de Munich, soutenu par les défenseurs de la liberté d'expression, a intenté une action contre le conseil municipal, qui est finalement arrivée devant un tribunal fédéral malgré les premiers revers.

Au début de l'année, le 20 janvier, le tribunal administratif fédéral de Leipzig a statué que la loi allemande « garantit à chacun le droit d'exprimer et de diffuser librement son opinion ». Le tribunal a ajouté que le conseil municipal de Munich ne pouvait pas violer ce droit en refusant l'autorisation d'un événement parce qu'il n'était pas d'accord avec les opinions exprimées dans le cadre de la campagne BDS.

Le Conseil des droits de l'homme, basé à Genève, n'est pas - malgré ce que le grand public peut penser - une partie intégrante de l'organisation des Nations unies ou sous le contrôle du secrétaire général. Il a été créé en tant qu'organe indépendant en 2005-2006 pour remplacer la Commission des droits de l'homme, discréditée. Les 47 nations membres du Conseil sont nommées par les gouvernements au niveau régional. Sa présidence tourne autour des blocs géographiques désignés par l'ONU.

Le Conseil nomme des dizaines d'observateurs et de groupes d'experts sur toute une série de sujets liés aux droits. La commission d'enquête sur Israël et la Palestine occupée s'inscrit grosso modo dans ce système. Il s'agit de l'action controversée la plus récente concernant Israël, qui a suscité des divisions souvent amères entre les nations et les régions.

Peu après la publication du papier de Bild en septembre, une semaine à peine avant la cérémonie de remise des prix prévue, l'ambassadeur d'Israël en Allemagne, Ron Prosor, a demandé à Giffey, la mairesse de Berlin - membre du parti social-démocrate - d'annuler la cérémonie, ce qu'elle a fait. Elle a également interdit à l'association UNA-Allemagne d'utiliser l'Hôtel de ville rouge pour sa cérémonie.


Franziska Giffey à son retour d’un voyage en Israël en 2018, lors qu’elle était ministre des Affaires familiales, des personnes âgées, des femmes et des jeunes. Ella a démissionné de ce poste en juin 2021, après avoir vu son doctorat de 2010 annulé par l’Université libre de Berlin pour plagiat. Mais notre blonde a rebondi : six mois plus tard, elle était élue mairesse de la capitale.

Face à ce revers, qui a provoqué un choc au sein de l'association, selon certains membres, l'UNA-Allemagne n'a eu d'autre choix que d'annuler précipitamment l'événement et de retirer les invitations. Ce qu'elle fera ensuite est encore en discussion.

Jeffrey Laurenti, un commentateur usaméricain de l'ONU et des affaires internationales et un membre influent de l'UNA-USA, dans le New Jersey, a analysé la situation difficile de l'UNA-Allemagne pour PassBlue.

« Il faut reconnaître à l'UNA allemande une certaine audace pour avoir proposé Pillay pour ce prix, étant donné son rôle actuel de présidente d'une commission d'enquête que les autorités israéliennes sont très désireuses de discréditer », a-t-il écrit dans un courriel. « Pour des raisons évidentes liées à l'histoire du 20e  siècle, l'Allemagne est l'un des pays les plus philo-israéliens d'Europe. »

« D'après l’article du Times of Israel », ajoute Laurenti, « on sent que Ron Prosor, l'ambassadeur d'Israël à Berlin (qui a été représentant permanent à l'ONU il y a dix ans), considère l'annulation du prix par la mairesse de Berlin comme une preuve de la réussite de la diplomatie israélienne, et peut-être plus particulièrement de la sienne.

« L'objectif plus large, bien sûr, est de discréditer de manière préventive tout ce que la commission d'enquête pourrait trouver. Le fait que l'un des membres de la commission Pillay, Miloon Kothari, ait publiquement émis des doutes quant à la légitimité de l'adhésion d'Israël aux Nations unies a déjà fait monter le prix politique à payer pour certaines capitales occidentales si elles tenaient compte des éventuelles conclusions de la commission ».

 

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