Sergio Ferrari, 1/10/2022
Traduit par Tlaxcala
Les tirs au but ne sont pas toujours plus éloquents
que des mots
Les footballeurs défendent leurs droits syndicaux
Le coup d'envoi d'une nouvelle Coupe du monde approche. Avec le Qatar en ligne de mire, la pression sur la “planète football”, tant sur le terrain qu'en dehors, ne cesse de croître. La passion des foules est désormais honorée par un accord syndical mondial. Pendant ce temps, la société civile internationale exige que l'on se souvienne du non-respect des droits humains pendant la période précédant la Coupe du monde et qu'on le répare.
Travail insalubre : les droits de l'homme et du
travail sont violés au Qatar. Photo Amnesty International
La dernière semaine de septembre, le Forum mondial des ligues (WLF), qui représente 44 institutions nationales de football professionnel regroupant quelque 1 100 clubs, et la Fédération internationale des associations de footballeurs professionnels (FIFPRO), qui regroupe 66 syndicats avec 60 000 joueurs, ont signé à Genève, en Suisse, le premier Accord Mondial du Travail (AMT). Celui-ci reconnaît l’importance du dialogue social pour améliorer les droits des footballeur·ses professionnel·les.
Comme le rapporte le site ouèbe de la FIFPRO, cet accord “révolutionnaire” permettra aux ligues et syndicats d’Afrique, d’Amérique latine, d’Asie, d’Europe et d’Océanie d’aborder des questions internationales critiques qui affectent directement les relations de travail entre les clubs et leurs joueur·ses.
La FIFPRO et le WLF collaboreront également pour développer et promouvoir la négociation collective en prenant une plus grande responsabilité dans le processus de professionnalisation du sport au niveau national.
Comme prochaines étapes, les deux partenaires désigneront leurs représentants pour intégrer le Conseil exécutif qui gérera l’application de l’accord. Le Conseil se réunira avant la fin de 2022 pour discuter, entre autres, des priorités en matière d’emploi, du calendrier des matches et des compétitions et de la charge de travail des joueurs.
Les futures négociations porteront sur des questions telles que les normes du travail, la gestion des commotions cérébrales et les mesures de lutte contre la discrimination et le racisme sur et en dehors du terrain, ainsi que leurs expressions sur les réseaux sociaux.
Des maillots de football portant les noms de quelques-uns des milliers de travailleurs migrants tués sur les chantiers de la Coupe du
monde au Qatar.
Guy Ryder, directeur de l’Organisation internationale du travail (OIT), a célébré ce nouvel accord international, qui représente “un pas en avant dans les relations de travail des footballeurs”. Et il a souligné que le football peut inspirer et unir des personnes de toutes nationalités et de tous horizons, quels que soient leur genre et leur origine ethnique.
L’Accord mondial du travail est conforme aux principes et droits fondamentaux au travail établis par l’OIT dans la Déclaration des principes et droits fondamentaux de 1998. Il reprend les points de consensus du Forum de dialogue mondial sur le travail décent dans le monde du sport (2020) et inclut une référence spécifique à la convention sur la liberté syndicale et la protection du droit d’organisation de 1948 et de négociation collective de 1949 .
L’accord offrira une plateforme pour discuter des normes de protection de la santé et de la sécurité des athlètes, ainsi que de l’engagement nécessaire pour améliorer la représentation et la participation des ligues nationales, des clubs qui les composent et des syndicats du secteur. En outre, il s’engage à promouvoir une plus grande représentation et reconnaissance du football féminin.
Photo de groupe des signataires de
l'Accord mondial du travail qui régira les relations sociales dans le monde du
football
Les droits humains en question
Alors que l’Accord mondial du travail ouvre une fenêtre d’espoir pour les sportifs, la société civile internationale intensifie les critiques à l’encontre du Qatar.
En septembre, des porte-parole reconnus d’organisations non gouvernementales (ONG) ont continué d’exiger une indemnisation de la part de la Fédération internationale de football (FIFA) pour les travailleurs migrants dont les droits humains ont été violés lors des préparatifs de la Coupe du monde 2022.
Déjà en mai 2021, le journal britannique The Guardian évaluait à 6 500 le nombre de travailleurs décédés lors de la construction des stades, dont la grande majorité étaient des immigrants d’Inde, du Bangladesh, du Népal, du Sri Lanka et du Pakistan. Ces informations étaient principalement basées sur les données fournies par ces pays.
Affiche officielle de la Coupe du monde Qatar 2022
Dans son rapport 2021/2022, Amnesty International inclut un chapitre sur le Qatar, avec des références à des températures allant jusqu’à 50 ° C, des journées de travail interminables, peu de mesures de sécurité au travail, des jours de repos pratiquement inexistants et des menaces d’expulsion du pays pour ceux qui n’acceptaient les conditions de travail qui prévalaient, de fait léonines. À cela s’ajoutait l’impossibilité réelle pour les travailleurs de changer d’entreprise , le non-respect des prestations convenues et des conditions de logement insalubres.
« C'est le terreau de quelque chose qui peut sembler incroyable : des milliers de travailleurs migrants ont perdu la vie sur les différents chantiers du Qatar depuis qu'il a été désigné par la FIFA en 2010 pour accueillir la Coupe du monde 2022 » (Los muertos del Mundial de Qatar 2022, par Alberto Senante, 18/5/2022)
Le Qatar et la FIFA doivent indemniser les victimes
La nouvelle offensive des ONG internationales contre la FIFA s’appuie sur une enquête sur l’indemnisation des victimes du travail qu’Amnesty International a réalisée dans différents pays par l’intermédiaire du sondeur international YouGov, basé en Grande-Bretagne. 17 477 personnes ont été interrogées en Allemagne, en Argentine, en Belgique, au Danemark, en Espagne, aux États-Unis, en Finlande, en France, au Kenya, au Maroc, au Mexique, en Norvège, aux Pays-Bas et au Royaume-Uni, et trois personnes sondées sur quatre ont soutenu de telles réparations.
Affiche de la campagne visant à demander une indemnisation pour les travailleurs victimes de violations des droits humains au Qatar
Selon ce rapport publié le 15 septembre, une nette majorité des personnes consultées (67%) soutiennent la demande que les fédérations nationales de football s’expriment publiquement sur les atteintes aux droits humains liées à la Coupe du monde au Qatar et espèrent que l’indemnisation due aux victimes ou à leurs proches se concrétisera.
En Suisse plus précisément, 70% des personnes interrogées étaient favorables à une prise de position claire de l’Association suisse de football (ASF). Le président de celle-ci a exprimé son accord avec la création d’un fonds de compensation, mais jusqu’à présent, son organisation n’a présenté aucune demande officielle à la FIFA pour lancer cette initiative.
« Les résultats de cette enquête sont un message clair pour les dirigeants du football. Des gens du monde entier partagent le désir que la FIFA agisse et répare la souffrance des travailleurs migrants au Qatar. Ils souhaitent également que leurs associations nationales de football adoptent une position beaucoup plus ferme », a déclaré Lisa Salza, responsable du sport et des droits humains à Amnesty Suisse.
Salza souligne que, avec seulement 50 jours avant le début du tournoi, le temps presse. La FIFA a encore le temps de faire le nécessaire. Les supporters ne veulent pas d’une Coupe du monde marquée de manière indélébile par des violations des droits de l’homme. On ne peut pas changer le passé, mais un paquet de compensation serait un moyen clair et simple pour la FIFA et le Qatar de reconnaître au moins les centaines de milliers de travailleurs (ou leurs familles) qui ont rendu ce tournoi possible.
Les résultats de l’enquête d’Amnesty International renforcent la campagne #PayUpFIFA , lancée en mai de cette année par une coalition d’organisations de défense des droits humains, de groupes de supporters et de syndicats. Cette campagne demande à la Fédération internationale de football d’allouer un minimum de 440 millions de dollars – l’équivalent des prix décernés lors de la Coupe du monde – à un fonds de compensation. Selon des calculs non officiels, la FIFA pourrait tirer des revenus du tournoi du Qatar estimés à environ six milliards de dollars.
La campagne #PayUpFIFA souligne également le fait que les associations nationales de football ont la responsabilité, en vertu du droit international des droits humains, de soutenir une telle indemnisation. Cependant, alors que les associations de football belge, danoise, anglaise, allemande et norvégienne ont exprimé leur soutien à ces réparations, jusqu’à présent, aucune d’entre elles ne s’est prononcée publiquement pour exiger que la FIFA les mette en œuvre.
Les sponsors doivent se prononcer
En juillet dernier, Human Rights Watch, Amnesty International et FairSquare ont écrit aux entreprises associées et aux sponsors de la Coupe du monde 2022 pour leur demander de faire pression sur la FIFA et le gouvernement qatari. Et qu’elles prennent position en faveur de l’indemnisation des travailleurs migrants et de leurs familles pour les décès, les blessures, les salaires impayés ou les dettes causées par des embauches illégales lors de la préparation du tournoi.
Fin septembre, quatre de ces entreprises – AB InBev/Budweiser, Adidas, Coca-Cola et McDonald’s – avaient déjà donné leur accord. Dix autres sponsors – Visa, Hyundai-Kia, Wanda Group, Qatar Energy, Qatar Airways, Vivo, Hisense, Mengniu, Crypto et Byju’s – n’ont pas commenté ni même répondu à la lettre qu’ils ont reçue des promoteurs de la campagne.
Les trois ONG de défense des droits humains suggèrent également aux associations nationales de football d’user de leur influence et d’exiger que la FIFA et les autorités qataries s’engagent publiquement à mettre en place le fonds d’indemnisation. Ce fonds, insistent les trois ONG, devrait également soutenir et contribuer financièrement à des initiatives d’assistance, telles que le Centre pour les travailleurs immigrés promu par l'Internationale des travailleurs du bâtiment et du bois.
À un mois et demi du premier coup de sifflet du 20 novembre au stade Al Bayt, dans la ville d’Al Khor, près de Doha, la capitale du Qatar, le football convoque, le ballon mobilise et la Coupe du monde devient le centre d’un intense débat de société.
Aux efforts visant à rendre digne le sport le plus populaire au monde s’ajoutent les demandes urgentes en matière de droits humains et de justice réparatrice.
En toile de fond, d’un côté, un pays qui a alloué près de 700 millions d’euros à la construction du stade pour le match d’ouverture. De l’autre, la demande, pour l’instant sans réponse, d’un fonds de réparation pour les victimes qui dépasserait à peine la moitié du coût de ce stade, l’un des huit mastodontes de la Coupe du monde.
Le stade Al Bayt, avec 60 000 places,
est situé dans la ville d'Al Khor, à 35 kilomètres au nord de la capitale Doha. Il a coûté la modique somme de 700 millions de pétro-dollars
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