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05/09/2021

GIDEON LEVY
Pleurer la mort au combat de soldats israéliens n'est plus un rituel sacré : c'est une bonne chose

Gideon Levy, Haaretz, 5/9/2021
Traduit
par Fausto Giudice, Tlaxcala

Si le sniper qui a été tué à travers une brèche dans la clôture frontalière de Gaza avait été druze, le débat public et médiatique aurait pris fin le lendemain de ses funérailles. S'il s’était agi d'un colon d'Efrat, Israël aurait riposté à Gaza. S'il s’était agi d'un membre de la police des frontières de la vallée de Jezreel, du nord de Tel-Aviv ou de Kokhav Yair – hypothèse peu probable - Israël aurait fait un deuil différent, pas comme il a fait pour Barel Hadaria Shmueli.

Mais Shmueli était un policier des frontières de la ville de Be'er Ya'akov, dans le centre d'Israël, et en Israël, le deuil est aussi une question de géographie ; ses dimensions sont déterminées par la classe, l'ethnie et l'affiliation politique. Shmueli n'était pas le fils de nous tous, même si tous les Israéliens étaient désolés de sa mort, et il n'était pas un héros israélien, comme l'a déploré sa mère dans une interview inutile et obscène au journal télévisé de vendredi dernier sur la chaîne 12. Les manifestants palestiniens de son âge qui lui faisaient face sont les vrais héros, et tous les Israéliens n'ont pas la même soif de vengeance et de rage que la mère endeuillée.

 

Des personnes allument des bougies lors d'une manifestation anti-gouvernementale suite à la mort de Barel Hadaria Shmueli, à Tel Aviv, la semaine dernière. Photo : Avishag Shaar-Yashuv

Les neuf jours d'inquiétude quant à son état, la nuit des funérailles et les jours de deuil qui ont suivi sont devenus un étalage politique pur et simple, parfois répugnant. Maintenant, nous pouvons le dire : leur comportement a libéré les chaînes de la bienséance en matière de deuil. Désormais, nous pouvons leur répondre. Désormais, nous pouvons dire que tout soldat tué n'est pas un fils de nous tous. Nous pouvons aussi dire qu'il n'aurait pas dû être là où il était, et certainement pas faire ce qu'il faisait, tout comme ils peuvent dire que tous les manifestants de Gaza doivent être tués pour éviter la mort d'un tireur d'élite israélien. 

Nous devons remercier les parents de Barel d'avoir fixé de nouvelles limites au deuil public. Ces nouvelles limites pourraient annoncer un changement d'attitude de la société à l'égard de ses soldats morts au combat, un changement qui se traduirait par une perspective plus saine et plus normale. La famille de Barel a mêlé son deuil privé à  des messages politiques durs, et des milliers de personnes l’a soutenue dans ces moments difficiles.

Si le deuil est politique, la discussion est ouverte à tous. Les parents de Barel nous ont libérés des déclarations de deuil fausses et affectées ad nauseam. C'est leur droit d'exprimer leur colère et leur vision du monde autant qu'ils le veulent, mais ce faisant, ils ont écarté d'autres groupes. On peut être d'accord avec eux et les soutenir, mais on peut aussi s’opposer à eux et les critiquer, avec moins de considération pour le deuil. La sacralisation est terminée, et c'est une bonne chose.


Le policier des frontières Barel Shmueli a été envoyé à la clôture de Gaza pour tirer sur les manifestants à balles réelles. C'était sa tâche, et c'est une tâche méprisable. Si une commission d'enquête doit être convoquée, elle ne devrait porter que sur une seule question : comment se fait-il qu'à cet endroit, à la clôture du ghetto de Gaza, des tireurs d'élite aient tué plus de 200 manifestants, presque tous non armés et ne mettant pas en danger la vie des soldats ? C'est ce qui doit vraiment faire l'objet d'une enquête, avant toute autre chose.

Barel est tombé dans l'exercice de ses fonctions, et la discussion devrait se concentrer sur ces fonctions. La plupart des personnes qui l'entourent pensent que les soldats devraient faire preuve d'une violence plus débridée contre les protestations à la barrière, que les soldats ont les mains liées et qu'ils ne peuvent donc pas tuer beaucoup plus de Palestiniens qui luttent pour leur liberté et leur dignité.

La mère endeuillée croit même que tout cela est dû au fait que le député Mansour Abbas fasse partie de la coalition [gouvernementale]. Ces affirmations méprisables ne peuvent être justifiées simplement parce qu'elles ont été formulées en période de deuil.

L'armée israélienne et la police des frontières sont les sous-traitants de l'emprisonnement criminel et horrifiant de deux millions et demi de personnes depuis 15 ans. Nous devons et devrions nous opposer à cette politique et à ses sous-traitants, même lorsqu'ils sont en uniforme.

Face à elles se trouvent les hooligans [sic] de Gaza, qui n'ont ni présent ni avenir. Ce n'est pas faire preuve d'un grand héroïsme que de s'en prendre à eux, et il n'est pas légitime de continuer à les emprisonner. Il faut toujours le dire, et encore plus lorsqu'il y a une autre victime israélienne inutile.

Le tireur d'élite de la police des frontières, comme le jeune Gazaoui de 13 ans abattu sous ses yeux, sont des victimes de la politique israélienne. Sa mère, Nitza, a déclaré que son fils était une cible de tir en carton. Face à lui, il y a des milliers de cibles en carton sur lesquelles les camarades snipers de son fils tirent sans fin et sans pitié.

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