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30/09/2021

Mohamed Majadleh, journaliste vedette palestinien d’Israël, veut que les Juifs sachent la vérité

Hilo Glazer, Haaretz, 24/9/2021
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala 

À 28 ans, Mohamed Majadleh, le premier Arabe à devenir un commentateur régulier d'un grand journal télévisé israélien, n'a pas l'intention de gaspiller la rare plateforme qui lui a été offerte au cœur du prime time israélien. Mais il sait aussi que la moindre erreur pourrait le faire passer de star à ennemi...

 

Mohamed Majadleh : « Je me suis dit, pourquoi moi ? Pourquoi ai-je besoin de ça ? Puis un collègue juif dira que les Arabes ont aidé les prisonniers, "et je dis : "Tu as un rôle ici, arrête de pleurnicher". » Photo : Emil Salman

 
 

Un calme apaisant règne sur la pelouse devant les studios de Channel 12 News à Neve Ilan, environ une heure et demie avant le début d'"Ulpan Shishi" ("Studio du vendredi"), le magazine d'information hebdomadaire de la chaîne de télévision la plus populaire d'Israël. Ici, à l'extérieur de Jérusalem, on a l'impression que l'automne est arrivé tôt, mais Mohamed Majadleh s'attend à ce que les choses se réchauffent.

« Pour moi, c'est une zone de guerre », déclare le nouveau commentateur résident de la chaîne. « Quand les commentateurs juifs arrivent, c'est leur terrain de jeu. Ils peuvent se permettre de se tromper dans leurs évaluations, leurs informations et leurs faits, et ils s'en sortiront. Mais une erreur de ma part ne sera jamais pardonnée. En un instant, je peux passer du statut de journaliste et de star celui d'ennemi et de traître. Surtout un jour comme aujourd'hui, où l'on sait comment on va s'engager, mais où l'on n'a aucune idée de la façon dont on va s'en sortir ».

Nous sommes quatre jours après que six prisonniers de sécurité palestiniens se sont échappés d'une prison du nord d'Israël, quelques heures avant que quatre d'entre eux ne soient arrêtés. Et en effet, il ne s'écoule pas une minute avant qu'une femme de l'équipe de l'émission n'arrive et ne demande à Majadleh de rentrer et de se préparer à une bataille avec son principal adversaire du panel de commentateurs, Amit Segal, un juif pratiquant dont l'analyse a été préenregistrée. Majadleh met un casque et écoute Segal dénigrer les députés arabes, en particulier les dirigeants de la Liste commune, qui ont publié une déclaration appelant à la fin des mauvais traitements infligés aux Palestiniens incarcérés en Israël. Selon Segal, les membres arabes de la Knesset soutiennent effectivement l'évasion.

Le rédacteur en chef de l'émission, Ron Yaron, lui demande : "Alors, il vous a énervé ?" et prépare Majadleh à une autre question qui lui sera posée pendant l'émission, sur le fait que les évadés sont considérés comme des héros par la communauté arabe d'Israël. Majadleh sourit. Il est peut-être le petit nouveau du panel, mais il a beaucoup d'expérience dans le rôle pour lequel il a été choisi. "Je suis le type qui se présente toujours pour réfuter ce que les autres disent, et généralement pas pour dire ce que je pense", dit-il lorsque nous retournons sur la pelouse. "Ma position de départ est défensive".


Le commentaire de Segal ne semble pas lui poser un défi exceptionnel. "Il y a ceux qui opinent et ceux qui informent", s'amuse Majadleh, dans sa réponse. "La liste commune, dans ses déclarations, faisait référence à la punition collective qui a été imposée aux autres prisonniers de l'établissement. De là à prétendre qu'ils soutiennent les prisonniers qui se sont échappés ? L'une des choses irritantes dans les médias de langue hébraïque est la recherche incessante d'ennemis internes, d'une cinquième colonne. Comment [les autorités] expliquent-elles une défaillance systémique de l'administration pénitentiaire ? "Les Arabes sont des collaborateurs". Quelle excuse la police offre-t-elle pour justifier son incapacité à lutter contre la criminalité ? Les querelles entre clans arabes».

Et il y a toujours quelqu'un qui publiera ces briefings mot pour mot.

« Écoutez, c'est une méthode de travail de certains journalistes qui épousent certaines opinions. Ce qui me gêne, non seulement en tant qu'Arabe mais surtout en tant que journaliste, c'est l'imprécision - qu'elle soit délibérée ou non. Et ce qui me réjouit, c'est qu'alors que jusqu'à il n'y a pas longtemps, avant mon époque, cela passait tout simplement tel quel - aujourd'hui, ce n’est plus le cas ».

 

Vendredi soir au studio. "C'est déprimant de voir que les personnes les plus puissantes de l'industrie essaient de vous faire passer pour un menteur", dit Majadleh . "Quand il y a un Arabe dans le panel, tout le monde se dispute pour savoir qui est le plus grand patriote. Photo : Emil Salman


L'équipe d'"Ulpan Shishi" semble prendre plaisir à observer les étincelles qui volent entre Majadleh et Segal. La première flambée a eu lieu lors de l'opération israélienne dans la bande de Gaza en mai. Segal a déclaré lors du débat qu'"il n'y a pas de symétrie" entre la violence des Juifs et des Arabes dans les villes mixtes, et que les événements qui s'y sont déroulés étaient "des pogroms que les Arabes perpètrent contre les Juifs." Majadleh a réprimé sa colère lorsque Segal a affirmé que des Arabes arrivaient en bus pour renforcer la population arabe de Lod. Mais lorsque Segal a déclaré que "les pogromistes de Lod et de Bat Yam doivent compter leurs morts", il n'a plus pu se contenir.

"J'ai travaillé dans les médias internationaux et dans les médias locaux, et je n'ai jamais entendu un journaliste appeler à tuer quelqu'un", a-t-il déclaré, d'abord sur un ton calme qui est monté au fur et à mesure que la dispute avec Segal s'intensifiait. Il a également réfuté le rapport sur les renforts extérieurs.


Quatre mois plus tard, Majadleh est toujours en colère : "J'ai regardé la séquence récemment, et je ne comprends toujours pas comment un journaliste peut appeler au meurtre ou à la vengeance. C'est peut-être parce que la plupart des journalistes juifs en Israël ont fait leur service militaire et ont donc adopté un discours militariste. Ce qui m'a inquiété, ce n'est pas l'opinion exprimée en tant que telle, mais l'information selon laquelle il y avait 500 soldats de la police des frontières à Lod ce jour-là. Il suffirait que l'un d'entre eux décide d'écouter non pas ses commandants mais ce qu'il a entendu dans les médias, et qu'il intériorise [l'idée] que les Arabes doivent compter leurs morts. Et que se passerait-il alors ?"

 Il poursuit : "Si l'on met de côté l'appel au meurtre, la dispute avec Amit n'était pas entre un Arabe et un Juif, mais entre deux journalistes sur l'exactitude des faits. Il ne fait aucun doute qu'il y a eu des violences de la part des Arabes, y compris des violences collectives et des dommages matériels. Mais renverser complètement la situation et prétendre que les bus venant des colonies de Yitzhar et d'Ofra pour "protéger" les Juifs de Lod étaient en fait des bus avec des Arabes est tout simplement faux. Aucun bus avec des Arabes ne s'est rendu à Lod ni dans aucune autre ville. Je l'ai vérifié, j'étais là, j'ai parlé aux gens. Il n'y a aucun document à l'appui de cette allégation. Et affirmer aussi facilement, juste parce que vous êtes devant une caméra et que vous avez du pouvoir, que des bus avec des Arabes arrivent à Lod ? En ce qui me concerne, c'est exactement comme la remarque faite en 2015 par [le Premier ministre de l'époque, Benjamin Netanyahou, selon laquelle] 'les Arabes se rendent aux urnes en masse'."

Le commentaire de Segal t'a conduit dans un mur.

"Il est très difficile de me faire perdre mon sang-froid. Ce qui me met le plus au pied du mur, c'est qu'il y a sept Juifs dans le panel et qu'ils ne laissent pas le seul Arabe qu'ils ont invité terminer une phrase. Quand est-ce que trop c'est trop ? Je peux accueillir tous les points de vue, mais laissez-moi présenter la réalité, laissez-moi parler des faits. Mais je ne suis pas fier de ce qui s'est passé là-bas, ce n'est pas mon style."

L'affrontement avec Segal a peut-être été inhabituel par sa férocité, mais depuis que Majadleh a rejoint la chaîne 12 en tant que commentateur au printemps dernier, il a plusieurs fois échangé des piques avec des journalistes chevronnés. Par exemple, il a affirmé que Boaz Bismuth, le rédacteur en chef du journal gratuit Israel Hayom, et un intervenant régulier de l'émission du vendredi, diffusait de fausses informations. "Lorsqu'on me demande où je trouve le courage de répondre à quelqu'un comme Bismuth - un rédacteur en chef, qui a interviewé des présidents usaméricains - je réponds que je suis un journaliste aussi performant que lui", dit-il.

"Il est vrai que je n'ai que 28 ans, poursuit-il, mais je n'ai pas commencé ma carrière dans les médias hier. J'ai 13 ans d'expérience, notamment dans de nombreux médias internationaux. Donc, avec tout le respect que je dois à mes amis des médias israéliens, je n'ai pas moins d'expérience - et de vécu - qu'eux. Le fait que vous, dans l’Israël [juif], commencez seulement à me connaître ne signifie pas que je n'existais pas auparavant. L'échec est de votre côté, pas du mien. Je ne suis pas l'histoire - il y a beaucoup de journalistes arabes talentueux que les médias israéliens ne remarquent pas."

Le journaliste Amit Segal. Photo : Tomer Appelbaum

 « J'ai fui »

Mohamed, fils d'un ancien ministre, Ghaleb Majadleh (travailliste), vit toujours avec ses parents dans la ville de Baka al-Garbiyeh, dans le nord du pays, mais il a déjà pas mal d'expérience. À l'âge de 15 ans, il a été l'un des fondateurs d'un site d'information local ; il a ensuite été rédacteur et présentateur de journaux télévisés à la chaîne i24 News, basée à Jaffa, qui diffuse en français, en anglais, en espagnol et en arabe ; il a fondé le service d'information de la chaîne de télévision palestinienne Musawa ; il a été correspondant pour la télévision turque en langue arabe ; il a été analyste invité sur des réseaux étrangers tels qu'Al Jazeera et CNN Arabic, et a produit des documentaires pour eux. Il y a deux ans, il a cofondé al-Nas, une station de radio en langue arabe, dont il dirige aujourd'hui le département des informations.

 Les médias israéliens de langue hébraïque n'ont jamais été un objectif. "Je les ai fuis, je n'ai même pas accepté de venir dans les studios pour être interviewé", dit-il. "Voici un scoop pour vous : La première fois que j'ai regardé 'Ulpan Shishi', c'est lorsque j'ai participé à l'émission. Pendant toutes ces années, j'ai essayé de ne pas y participer. Je savais que si je regardais les journaux télévisés en hébreu et que je voyais à quel point la voix arabe professionnelle y faisait défaut, je voudrais être là. Et je ne voulais pas de ça. J'étais contre ça."

 Les racines de ce recul se trouvent dans son adolescence : "Mon désaccord avec les médias israéliens [juifs] a commencé en troisième. Je me souviens avoir regardé [le commentateur des affaires arabes] Zvi Yehezkeli expliquer sur la chaîne 10 [le prédécesseur de l'actuelle chaîne 13] que le Mossad avait assassiné un malheureux chef d'une organisation terroriste dont le nom ressemblait à celui du bel oiseau, le hud-hud [en arabe], la huppe. Mais son nom de famille était en fait Wadud, l'un des noms de Dieu. Il y a une ressemblance, mais elle est faible. Je me souviens avoir regardé l'écran et m'être dit : "Attendez, si le commentateur des affaires arabes ne connaît pas la différence entre une huppe et Dieu, pourquoi devrais-je écouter son analyse ? Pourquoi serait-elle crédible ?"

 Majadleh méprise également la série de reportages de Yehezkeli dans lesquels il se faisait passer pour un journaliste palestinien afin d'entrer dans des mosquées en Europe. "Si le public israélien a cru à ces absurdités, cela montre l'intelligence inférieure de tout un pays, et excusez-moi si cela semble condescendant. Ce n'est pas que je sois contre le concept d'un juif couvrant le monde arabe. Ohad Hemo [de Channel 12 News], mon bon ami Eran Singer [du radiodiffuseur public Kan] et également Hezi Simantov [de Channel 13 News] font un travail professionnel, sans provocations et sans absurdité. Alors arrêtez, c'est quoi ce théâtre ? N'importe quel jeune Arabe parlant avec Yehezkeli verrait en une seconde qu'il est à côté de ses pompes".

Zvi Yehezkeli "sous couverture" en tant que journaliste palestinien. Photo : capture d'écran de Channel 10

Pendant des années, Majadleh et les médias israéliens ont fonctionné selon des lignes parallèles, mais ces deux dernières années, il a commencé à envisager une convergence. "J'ai réalisé que si je voulais faire quelque chose pour le public arabe, il ne servirait à rien de lui parler uniquement et de l'intérieur", dit-il. "Ce que je veux dire, c'est que vous avez besoin de deux jambes pour exercer une influence à l'extérieur, aussi".

 Le tournant a été la visite de Netanyahou à Nazareth pendant la campagne électorale de mars 2021. "J'ai vu comment elle était couverte dans les médias en hébreu, d'une manière qui était loin de la réalité, et j'ai ressenti un besoin urgent de faire connaître la vérité. J'ai écrit sur Twitter : "Est-ce l'endroit où les Juifs parlent des Arabes ? Alors éliminons l'intermédiaire, je parlerai moi-même des Arabes". J'ai été surpris par l'impact que cela a généré. J'ai découvert que l'hypothèse selon laquelle la plupart des Juifs ne veulent pas entendre parler de la société arabe est erronée, mais qu'ils ne comprennent tout simplement pas ce qui s'y passe. Lorsque quelqu'un arrive avec la véritable histoire, ils veulent vraiment écouter".

 Majadleh est apparu sur le podcast de Dafna Leil, a été invité à l'émission de la nuit des élections sur Channel 12 ("Lorsque tous les sondages à la sortie des bureaux de vote montraient que la Liste arabe unie ne franchissait pas le seuil électoral, j'ai dit que, selon mes indications, elle allait franchir la ligne d'arrivée") et, peu de temps après, il a été ajouté au tableau de service en tant que commentateur permanent ("commentateur des actualités de Channel 12, pas commentateur des affaires arabes", souligne-t-il).

 Son premier reportage important a eu lieu en juin dernier, lorsqu'il a révélé aux téléspectateurs d'"Ulpan Shishi" que des contacts secrets étaient en cours entre Netanyahou et le président de la LAU, Mansour Abbas. Majadleh a rapporté qu'Abbas s'était rendu à plusieurs reprises à la résidence du Premier ministre, rue Balfour à Jérusalem, et avait parlé avec Netanyahou d'affaires politiques, mais le cœur de l'histoire était un reportage juteux sur les coulisses.

Mansour Abbas. Photo : Ofer Vaknin

 Majadleh a raconté que le Premier ministre a fait visiter la résidence à son invité et lui a montré les fameux murs humides et écaillés. Il a également raconté que Sara Netanyahou s'était jointe à la visite et qu'elle était "désolée" de ne pas pouvoir inviter Abbas à dîner dans la résidence officielle en raison du jeûne du Ramadan. Le reportage a fait des vagues et a été largement cité dans les médias, mais Majadleh n'était pas content. "J'ai quitté le studio et j'avais honte", dit-il. "Ce n'était pas le meilleur travail journalistique que j'ai fait. Il est vrai que les rédacteurs en chef m'ont encensé, mais je me souviens d'être rentré chez moi en voiture et de m'être demandé tout au long du trajet : "Attends, c’est quoi l'histoire journalistique ici ?""

De quoi parlez-vous ? L'histoire est que pour la première fois dans l'ère Netanyahou, le leader d'un parti arabe... 

 "Entre rue Balfour. Point barre. Maintenant, imaginez si j'avais fait avec ça. Sans les murs humides, sans Sara. Est-ce que ça aurait marché ? Non. Le public israélien aurait-il été intéressé ? Non. C'était sérieux ? Non plus. Ce n'est pas de la qualité, c'est du commérage. Diffuser des reportages de ce genre dans les médias arabes ne se fait pas. Il n'y a peut-être pas la liberté de tout dire, mais le discours est beaucoup plus professionnel" .

 Majadleh perçoit ce moment comme une preuve de l'"israélisation" qui balaie les médias arabes du pays, reflétant la double identité de la société arabe ici. En tant que commentateur arabe qui rend compte en arabe, cette dualité le confronte quotidiennement à des dilemmes. "Vous êtes constamment confronté à la question de savoir à qui je suis fidèle ici, au public arabe ou à ma profession ? Dois-je être un représentant de la société arabe et faire entendre sa voix, ou être le médiateur de la vérité, même lorsque ce n'est pas confortable, et parler de la violence domestique, du statut des femmes, des personnes LGBT ? Ce sont des questions difficiles".

 Nous nous retrouvons à la station de radio a-Nas, qui est présentée comme émettant depuis Nazareth mais qui est en fait située dans le penthouse d'un hôtel de la ville voisine de Nof Hagalil (anciennement Haut Nazareth). Les équipements sophistiqués, les bureaux spacieux et les nombreux jeunes employés de la station commerciale constituent un spectacle exceptionnel pour le marché des médias, évoquant l'atmosphère d'une startup affamée.

Lancé il y a tout juste deux ans, le projet radiophonique a immédiatement pris de l'ampleur. Son personnel aspire à fomenter un changement fondamental dans la couverture médiatique arabe en Israël. "Jusqu'à la radio a-Nas, la société arabe s'occupait surtout d'elle-même", dit Majadleh . "J'ai dit que je n'avais pas l'intention de m'occuper de cette merde - le gouvernement local, les centres communautaires. Il faut aller à la racine des choses. C'est pourquoi nous avons transformé le discours et l'avons rendu politique."

 Comment cela se reflète-t-il dans les émissions ?

"Nous surveillons les députés arabes [à la Knesset], nous suivons leurs mouvements. Lorsque nous sommes arrivés à l'antenne, ils ne comprenaient pas ce qui se passait ici. Tout à coup, on leur demandait de passer à l'antenne tout le temps, pour fournir des réponses."

Majadleh a également un effet multiplicateur de force grâce à son accès aux médias en hébreu. Lorsqu'une interview à la radio génère un gros titre, il le traduit immédiatement et l'envoie à N12 (le site d'information de la chaîne 12), ou le tweete. Ses interlocuteurs ne sont pas toujours ravis. "L'une des choses que j'ai changées, c'est que l'époque où un homme politique arabe pouvait parler à deux voix est révolue. Il n'y a pas [plus] de possibilité de dire une chose en arabe et une autre en hébreu. Je suis le médiateur. Et ils l'ont intériorisé. Je le fais aussi même s'il y a une chance que ce que le député a dit mette fin à sa carrière."

 Par exemple ?

"Le lendemain du vote de la loi sur la citoyenneté [la loi sur le regroupement familial qui empêche les Palestiniens qui épousent des Israéliens d'acquérir la citoyenneté israélienne], le ministre de la Coopération régionale Issawi Frej  [du Meretz] est passé sur les ondes pour justifier son vote favorable. Comment ? En recourant à des inexactitudes. Il a dit qu'il avait reçu la promesse qu'entre 3 000 et 5 000 familles seraient unifiées. J'entends ce qu'il dit et je sais que c'est loin de la réalité. Je le confronte [en arabe] aux faits, je lui donne l'occasion de se rétracter, mais il insiste. Il veut réparer les dommages causés à son image auprès du public arabe, mais il est impossible que je ne puisse pas informer le grand public de [ce que Frej  a dit]. J'ai donc diffusé l'essentiel de ces propos [en hébreu] et cela a déclenché une sacrée polémique. La droite a attaqué le gouvernement sur un accord prétendument secret, la ministre de l'intérieur [Ayelet] Shaked a immédiatement déclaré que [ce que Frej  a dit] n'était pas vrai. Au final, Issawi a dû publier une clarification."

 

Mohamed Majadleh au desk de "Ulpan Shishi". Photo : Emil Salman

Il semble que vous attaquiez fréquemment Frej.

"Je connais Issawi depuis de nombreuses années, c'est un bon ami de la famille et il est considéré comme proche de mon père. C'est l'une des raisons pour lesquelles je ne le laisse pas s'en tirer à bon compte. Sur le fond, je pense que dans un certain nombre de cas, il ne fait pas son travail. Il est inconcevable que dans ce soi-disant gouvernement de changement, le ministre du travail et des affaires sociales [Meir Cohen de Yesh Atid] se rende au Maroc et que le ministre de la coopération régionale [Frej] ne le fasse pas. Il n'était pas non plus à bord pour la visite aux Émirats [arabes unis]. Il n'est pas autorisé à faire quoi que ce soit".

Que pensez-vous du type de représentation fournie par la travailliste Ibtisam Mara'ana ?

"Elle représente peut-être deux personnes à Tel Aviv. Vérifiez combien d'Arabes ont voté pour les travaillistes ; le Likoud a obtenu plus de voix. Son extrémisme dans telle ou telle direction n'est pas clair non plus. Une fois, elle appelle à effacer les villes juives de la carte, une autre fois, elle prie pour le bien-être du soldat qui a été abattu à Gaza. En général, les députés arabes des partis sionistes n'épousent aucune position ; ils n'ont pas de colonne vertébrale idéologique."

Knafeh, bien sûr

Nous roulons dans Nazareth, faisant plusieurs fois le tour du centre-ville animé à la recherche d'une place de parking. Finalement, Majadleh suggère d'entrer dans un parking près d'un restaurant célèbre pour son knafeh, une pâtisserie arabe traditionnelle. "Une interview avec un Arabe doit inclure le knafeh", plaisante-t-il. Mais lorsque nous prenons place sur la terrasse, face à la rue, le changement d'humeur est palpable. Il a l'air tendu.

"Je me sens plus en sécurité à Tel Aviv qu'à Nazareth", dit-il. "Il n'y a pas longtemps, j'ai parlé des organisations criminelles, et en quittant le studio, j'ai vu que j'avais reçu quelques appels d'un numéro bloqué. Quelques minutes plus tard, quelqu'un m'a appelé et m'a dit : Tu devrais faire gaffe à toi".

Majadleh dit qu'il a l'habitude de recevoir des menaces, mais que dans la plupart des cas, il est impossible de remonter à leur source. "Lorsque vous publiez un reportage d'investigation sur quelqu'un, vous savez qui vous blessez. Mais je parle de tellement de choses que je ne sais même pas qui sont mes ennemis", dit-il.

En effet, ajoute-t-il, "je ne doute pas qu'après la publication de cet article, je recevrai moi aussi des menaces. Les gens des organisations criminelles sont des consommateurs de médias. Lorsque je parle de leur appareil et de leur poids économique, ils craignent que quelqu'un ne porte atteinte à leur modèle économique. C'est noir ou blanc. Soit vous travaillez avec les organisations criminelles, soit vous travaillez contre elles ; et toute personne qui s'oppose à elles est une cible potentielle, et [de leur point de vue] légitime."

 Sans parler du fait que sur les 82 Arabes qui ont été assassinés cette année en Israël. Certains se sont simplement trouvés au mauvais endroit au mauvais moment.

 "Il n'y a pas une seule personne dans la société arabe qui ne souffre pas de cela. Tous ceux à qui vous parlez ont un frère ou un oncle qui en a été victime. Les gens ont peur d'écrire un post sur Facebook, peur d'ouvrir un commerce, peur de sortir de chez eux."

Le plus choquant des meurtres de cette année a été celui de l'ami de Majadleh, Saher Ismail, conseiller du ministre de l'Éducation, qui a été abattu dans la ville de Rameh, en Galilée, début août. "Vous ne comprenez pas ce que cela m'a fait", dit Majadleh, les yeux humides. "La veille au soir, il m'a appelé et m'a fait part de ses projets d'avenir. Il a parlé avec énergie, avec enthousiasme, avec confiance. Il ne savait pas que cela allait se produire. Après son assassinat, je me suis demandé : Peut-être que je suis le prochain ? Tous ceux qui sont assis ici sont des meurtriers potentiels ou des victimes potentielles".

 Vous avez dit que les organisations criminelles travaillent en coopération avec la police. 

"C'est vrai, j'ai dit que les criminels sont liés à la police et à "d'autres organes". Je ne voulais pas dire Shin Bet [service de sécurité], afin de ne pas avoir l'air de m'illusionner. Et puis, quelques jours plus tard, [Moshe] Nussbaum, journaliste de la police de Channel 12, a rapporté une citation d'un haut responsable de la police disant que la plupart des chefs des organisations criminelles sont des collaborateurs du Shin Bet."

Donc les forces de l'ordre cultivent les organisations criminelles ?

"Je ne dirais pas cultiver, car le problème aujourd'hui est tellement aigu et existentiel, mais je pense que pendant deux décennies, les autorités ont fait partie du problème et l'ont même intensifié. Lorsque la police essaie de localiser des personnes disparues et qu'elle est aidée par des organisations criminelles, parce qu'elles peuvent accéder à des endroits qui sont bloqués à la police, elles légitiment ces organisations."

 Que peut-on faire immédiatement pour limiter la criminalité ?

 "C'est très simple. Décider qu'un policier en poste à Rishon Letzion ou à Netanya doit agir de la même manière lorsqu'il se trouve à Baka [al-Garbiyeh]. En d'autres termes, s'il repère une voiture suspecte dans laquelle il pourrait y avoir des armes, il l'arrêtera même si cela peut lui coûter la vie. Ce n'est pas le cas aujourd'hui. La police ne sera pas accusée de racisme si elle décide d'agir. Le public arabe veut qu'ils utilisent la force".

Vous avez récemment rapporté que certains maires arabes exigent même que le Shin Bet soit impliqué dans le processus. La communauté arabe est-elle capable de s'accommoder de cela ?

 "C'est comme demander à un diabétique s'il préfère être amputé de sa jambe ou mourir. Le choix est clair. Mon opinion personnelle est différente. A mon avis, le Shin Bet ne devrait pas s'impliquer dans la vie civile".

1 000 poèmes

Majadleh aime la poésie et dit qu'il connaît au moins un millier de poèmes arabes par cœur. Alors qu'il retourne en voiture à Nof Hagalil, il récite l'un d'entre eux.

"Mahmoud Darwish a écrit que l'identité est innée, mais c'est aussi une œuvre qui se compose de votre talent et de votre capacité à la remodeler, à ne pas vous contenter de ce que vous avez reçu en héritage. En ce sens, mon identité arabe se compose de plusieurs cercles - la citoyenneté israélienne, l'existence palestinienne et l'affiliation religieuse - qui se croisent constamment".

Pour Majadleh, la crise d'identité à laquelle tout jeune Arabe est confronté s'est transformée en un nœud gordien existentiel en raison de l'ascension politique de son père au sein d'un parti sioniste (le parti travailliste) et de l'énorme controverse qui s'est ensuivie en mars 2007 lors de sa nomination au poste de ministre des Sciences, de la culture et des sports dans le gouvernement d'Ehud Olmert.

"Je ne savais pas si je devais être heureux ou triste", dit-il en évoquant le jour où son père a prêté serment. "Ce qui a principalement fait de moi un homme de médias, c'est la nécessité de faire face aux critiques qui émanaient de la société arabe et de clarifier en profondeur ce que je pense de mon père. Je me suis donc retrouvée très tôt assis à lire pendant que mes amis sortaient s'amuser. Ce qu'est un membre de la Knesset, ce qu'est un ministre, ce que signifie être un Arabe en Israël. En fait, qui est mon père ? Je voulais me prouver à moi-même, et par la suite à tout le monde, que mon père a fait une bonne chose".

L'ancien ministre Ghaleb Majadleh. Photo : Tomer Appelbaum

 Et avez-vous réussi ?

 "J'ai commencé à comprendre la situation mais pas toujours à l'accepter. Mon père était un révolutionnaire. Le premier ministre [musulman]. Le premier chef de section [musulman] de la Histadrout [fédération syndicale]. Mais j'aurais préféré qu'il soit d'un parti arabe, pas d'un parti sioniste. D'un autre côté, je comprenais aussi pourquoi il était là. Il voulait exercer une influence et, à l'époque, aucun parti arabe n'était prêt à faire ce pas. Il a toujours expliqué que dans dix ans, ce qu'il faisait alors serait accepté. Il avait raison."

Mais à l'adolescence, ces prédictions n'ont pas toujours convaincu Majadleh que son père faisait ce qu'il fallait. La tension entre le ministre et son fils a atteint son paroxysme pendant l'opération israélienne "Plomb durci" dans la bande de Gaza, à l'hiver 2008-2009. "J'ai exigé qu'il démissionne", révèle Majadleh. "Je lui ai dit : 'Tu ne peux pas rester dans un gouvernement qui fait des choses comme ça'. J'ai mené une rébellion contre lui à la maison. Il m'a regardé, a souri et m'a dit : 'Je suis fier de toi'".

Lorsque Majadleh a terminé ses études secondaires, son père l'a convoqué pour une conversation. "C'était un moment dramatique, pas quelque chose de banal. Il m'a demandé ce que je voulais étudier, et quand j'ai répondu, très hésitant, la communication et les sciences politiques, il m'a jeté un regard à moitié furieux et m'a dit : 'Je ne veux pas que tu sois aussi dans cet endroit'. J'ai expliqué que je voulais être dans les médias, faire ce que les autres n'avaient pas réussi à faire. Il m'a dit : "Je ne suis pas sûr que tu saches de quoi tu parles" et m'a suggéré d'aller en Allemagne pour étudier l'économie et la gestion d'entreprise. Je lui ai demandé de me faire confiance. Il m'a dit : "Bien, mais la première fois que tu échoues, j'interviendrai". Depuis lors, je me lève le matin en sachant que je n'ai pas le droit d'échouer. Heureusement, j'ai ma mère, qui me soutient et ne me laisse pas échouer. C'est toute l'histoire depuis lors, une course constante dans laquelle, d'un côté, je dois prouver à mon père que je n'échoue pas, et de l'autre, je me repose sur la chaleur et l'amour de ma mère".

Sa mère, Huda, est une "aristocrate érudite", dit-il. Elle a fréquenté une prestigieuse école chrétienne orthodoxe à Nazareth, a obtenu un diplôme en sociologie et en communication et a rejoint la direction de la clinique de l'organisation de maintien de la santé à Baka al-Garbiyeh, mais elle a consacré l'essentiel de son temps à gérer le foyer et à élever les quatre enfants du couple. "Sans mon père et sa carrière, elle serait certainement dans un endroit différent", dit Majadleh . "C'est grâce à elle que je vis encore chez moi, alors que je pourrais déménager. Rentrer tous les soirs, la regarder dans les yeux et sentir qu'elle est fière de moi - cela me comble."

Coups de feu quotidiens

Retour à Neve Ilan, où il reste une demi-heure avant l'heure de diffusion. Certaines personnes ici se souviennent de Majadleh comme d'un garçon curieux qui accompagnait son père à la station - parmi eux le consultant stratégique Ronen Tzur et le journaliste chevronné Amnon Abramovitz, qui est en quelque sorte son mentor à "Ulpan Shishi".

Abramovitz souligne que Majadleh fait partie du panel non pas parce qu'il est arabe mais en raison de ses qualités. Mais l'impression que l'on retire des autres est qu'il occupe un créneau réservé à la représentation des minorités du pays. "Nous avons des Arabes, nous avons des Éthiopiens, tu n'as plus rien de spécial", lui dit le commentateur militaire Nir Devori sur un ton taquin, ajoutant : "Fais attention, tu vas bientôt devoir faire tes preuves pour de vrai". Majadleh s'esclaffe. 
 
"Être un juif dans les médias est facile", m'a dit Majadleh plus tôt. "Les gens sont prêts à accepter [le député d'extrême droite Itamar] Ben-Gvir, mais ne sont pas capables de s'accommoder d'un citoyen israélien qui dit être un Palestinien. C'est totalement insensé".

Néanmoins, Majadleh considère cette infériorité fondamentale comme un avantage. "Les commentateurs juifs ne vivent pas à Baka [al-Gharbiyeh], ils n'entendent pas tous les jours des coups de feu tirés en l'air, dont certains atteignent parfois leur cible", explique-t-il. "Ils ne savent pas ce que c'est que de vivre dans des circonstances où les organisations criminelles ont pris le contrôle de votre vie. Les organisations approchent aussi régulièrement ma famille, afin de l'employer ou de la menacer. Les commentateurs juifs ne comprennent pas ce que c'est que d'être assis avec des amis dans un café, un endroit normal, et qu'un type masqué arrive, tire dans tous les sens et touche par erreur l'un d'entre eux.

"Ils ne peuvent pas comprendre une situation où vous appelez une ambulance et qu'elle mette 50 minutes à arriver, alors que votre ami à côté de vous est vautré inconscient. Il en va de même dans l'arène palestinienne. Le commentateur juif s'est peut-être assis avec Abou Mazen [le président palestinien Mahmoud Abbas], mais j'ai vécu à Ramallah pendant deux ans. On y a volé ma voiture, j'y suis tombé malade, j'ai fait l'expérience du système de santé de l'Autorité palestinienne. Ma tante a épousé un homme de Cisjordanie, en vertu de la loi sur l'unification des familles. J'ai de la famille à Gaza. J'ai travaillé dans les médias internationaux dans le monde arabe. J'ai une perspective qu'un commentateur juif ne peut pas avoir" .

Le téléphone de Majadleh sonne. On lui demande de confirmer qu'il assistera au mariage de la fille de l'ancien député de la Liste commune, Jamal Zahalka. "Seul", dit Majadleh. "Avec qui dois-je y aller ?" Ces derniers temps, on attend de lui, dans son entourage proche, qu'il se range. "Quand ma sœur appelle, je sais déjà ce qu'elle veut dire. Ce sera toujours : 'Il y a une femme que je veux que tu rencontres, je peux te donner son numéro ?' ". Non. La fois la plus folle, c'est quand le directeur d'un service dans un hôpital a appelé et voulait me présenter à l'un des médecins de son service."

Majadleh avec le journaliste vétéran Amnon Abramovitz. Photo : Emil Salman

Eh bien, pourquoi pas ?

"Parce que je suis une personne sérieuse dans tout ce que je fais, et les relations sont une chose sérieuse. Je mène une vie très occupée et je veux être là pour la personne qui est avec moi" .

Comme votre père ne l'était pas ?

"Il a fait de son mieux, mais oui, je ne veux pas être à cette place" . Le mariage, apparemment, devra attendre.

Majadleh dit qu'il ne dort que trois heures par nuit en raison de son emploi du temps chargé : Il se réveille à 5h30, se rend à la station de radio, présente le journal du matin. Ensuite, réunion avec ses collègues rédacteurs, aide à la préparation de l'émission de midi, puis préparation du journal du soir a-Nas. En fin d'après-midi, il donne une conférence ou se rend à Neve Ilan, et entre-temps, il rédige une chronique hebdomadaire pour le journal économique en hébreu Globes. Il consacre la première veille de la nuit à la préparation de l'émission du matin, et enfin, si sa mère est encore éveillée, il passe un peu de temps avec elle. Il se couche vers 2 heures du matin, jusqu'à ce qu'une nouvelle journée commence environ trois heures plus tard.

"Tous les matins, lorsque je prends un double expresso avec de l'eau gazeuse dans un café de Baka, je rencontre un groupe de 10 ouvriers et camionneurs qui me diront : "j'ai aimé" ou "je n'ai pas aimé", "tu étais exact" ou "tu n'étais pas exact". Ils sont le véritable échantillon qui veille à ce que je ne sois pas ébloui. Ils me rappellent où je vis". En tant qu'observateur-participant, Majadleh discerne des processus cachés, en profondeur, qui se déroulent dans la société arabe. Par exemple, il est convaincu que le déchaînement de violence dans les villes mixtes à la fin du printemps n'était pas une éruption ponctuelle. "Le vilain mai reviendra nous frapper à nouveau", prédit-il.

Qu'est-ce qui vous fait dire ça ?

"Les médias israéliens n'ont pas compris ce soulèvement. Nous devons faire la distinction entre ses deux éléments. Le premier type était constitué de ceux qui ont tenté de perpétrer des violences collectives et de causer des dommages matériels. Ils appartiennent à des organisations criminelles de la société arabe. Lorsqu'ils n'ont pas pu collecter l'argent de la protection et créer une atmosphère de menace existentielle autour d'eux, ils ont dirigé leurs armes vers les Juifs. Mais parmi les détenus, il y avait aussi des étudiants, des jeunes gens ordinaires. Je les ai vus dans les tribunaux". C'est l'autre facette de la protestation.

"J'ai rencontré l'un d'entre eux après sa libération", se souvient Majadleh. "Un étudiant en génie logiciel de 19 ans au Technion [Institut israélien de technologie], issu d'une famille bien établie. Je lui ai demandé ce qu'il faisait là-bas et il m'a répondu : "Au Technion, je suis assis à côté d'un juif. Mes notes sont meilleures, je suis plus populaire que lui, je suis plus beau, alors pourquoi, dans l'ensemble, est-il meilleur que moi ? Juste parce qu'il est juif ? Si c'est le cas, alors allez vous faire foutre avec votre loi d'état-nation, votre police et votre gouvernement. Soit je suis un citoyen à part entière, soit je descends dans la rue et le monde explose'.

"Et puis j'ai compris qu'une nouvelle génération a grandi ici, qui ne s'excuse pas et ne fait pas semblant, une génération très effrontée. Ils ne sont pas prêts à faire des compromis, car ils n'ont pas les complexes du passé que mon père et mon grand-père avaient. Ils n'ont pas peur d'une Nakba, ils n'ont pas peur d'être envoyés en exil, ils n'ont même pas connu l'Intifada. Ils se considèrent comme 100 % israéliens dans leur identité civile, et 100 % palestiniens dans leur identité nationale, sans contradiction entre les deux. Et ils ne se contenteront pas de moins que cela".

Le membre de la Knesset Bezalel Smotrich (Sionisme religieux) a déclaré que le véritable danger de légitimer la LAU est que le public arabe développe un appétit et que son taux de participation électorale passe à 70 %. 

"Puis-je dire un mot positif sur Smotrich ? Il comprend très bien la société arabe. J'ai été surpris d'entendre cette analyse de sa part, parce qu'au sein de La LAU, ils disaient la même chose dans les coulisses : 'Nous entrerons au gouvernement même au prix d'un pacte avec le diable - c'est-à-dire Netanyahou - nous gagnerons en influence et aux prochaines élections, nous obtiendrons 10 à 12 sièges'. [Mansour] Abbas a réussi à duper même [l'influent leader sioniste religieux] le rabbin [Haim] Druckman. Après leur rencontre, Druckman était convaincu que Mansour était son frère. Et puis Smotrich a sorti son analyse et l'a persuadé que cette validation unique coûterait cher au bloc de droite."

Ne voyez-vous pas un scénario inverse, dans lequel Abbas ne parvient à rien, l'opinion publique arabe est déçue et le taux de participation électorale s'effondre ?

 

Des Arabes israéliens manifestent à Jaffa contre la guerre à Gaza, en mai 2021. Photo : Tomer Appelbaum

"C'est également une possibilité, et Abbas en est conscient. Il a dit : 'Tout dépend de ce que je vais apporter [pour le bénéfice du public].' Et je dis que le public arabe ne ressentira pas le budget de 35 milliards de shekels [qui lui a été promis dans l'accord de coalition]. La situation est si mauvaise et les écarts si profonds que même si vous investissez des centaines de milliards, l'argent disparaîtra. Les citoyens arabes ne le ressentiront pas. Mais ils sont sensibles - et c'est là l'erreur la plus grave du Likoud - au statut qu'Abbas a acquis. Lorsque le Likoud surnomme "Premier ministre" Mansour Abbas afin de rabaisser [le Premier ministre Naftali] Bennett, vous ne comprenez pas l'effet que cela produit sur les citoyens arabes. Ils voient Netanyahou, qui était il n'y a pas si longtemps encore le grand et puissant Premier ministre, traiter Abbas de la sorte, et ils se disent : "Wow, quel pouvoir a cet homme, quelle réussite extraordinaire !". En fait, le Likoud ruine les choses pour lui-même et fait le jeu d'Abbas."

Dans quelle mesure l'entrée d'Abbas dans la coalition est-elle révolutionnaire ?

"Abbas n'a rien apporté de nouveau. La base l'a contraint à adopter cette politique. En 2015, lorsque la Liste commune a été fondée, ils ont mené des enquêtes approfondies qui ont montré qu'environ 80 % de la société arabe souhaitait qu'ils entrent au gouvernement. C'est ce qui a incité [le leader de la Liste commune] Ayman Odeh à dire qu'il était prêt à rejoindre la coalition. Mansour a réalisé le rêve d'Ayman et a ainsi fait de lui le héros tragique de la politique arabe. La différence entre eux n'est pas idéologique, mais découle d'une seule chose : Ayman n'a pas réussi à faire entrer son parti, et Mansour l'a fait. Mansour a appris des Juifs. Il a été capable de signifier un ennemi extérieur et d'effrayer les gens à ce sujet. Ce que vous [les Juifs] faites avec les Iraniens ou les Arabes, Mansour l'a fait avec le communisme [c'est-à-dire la faction Hadash de la Liste commune] et les LGBT afin d'unir la base autour de lui."

La LAU a en effet mené une campagne fortement anti-LGBT. Ses conséquences se font-elles sentir ?

"L’engagement de la LAU sur cette question avait un but purement politique, pour se différencier de la Liste commune [qui soutient ouvertement les droits des LGBT]. Je connais l'opinion d'Abbas sur les personnes LGBT. Sa position est modérée, voire positive. Je vais vous donner un autre scoop : le mois prochain, l'ouverture du premier refuge pour LGBT arabes sera annoncée. Tout cela est dû au fait qu'Abbas a mis la question des LGBT dans le discours public. Les militants LGBT devraient lui envoyer un certificat d'appréciation".

Pas d'"hôtel cinq étoiles"

Cette semaine-là, les commentateurs d'"Ulpan Shishi" parlent presque exclusivement des prisonniers évadés. Majadleh, qui prend la parole en dernier, abat les arguments de ses collègues, un par un. Sur ce point, le fait que Majadleh ait rejoint le panel ne semble pas révolutionnaire mais nécessaire. Dans le court laps de temps qui lui est imparti, Majadleh démonte de manière assez convaincante le mythe de "l'hôtel cinq étoiles" associé aux installations des prisonniers de sécurité et tente de réfuter les évaluations de deux autres panélistes selon lesquelles les évadés ont été aidés par des Arabes israéliens. En quelques heures, il apparaîtra clairement que des citoyens arabes ont en fait contribué à la capture des prisonniers. "Parlons de faits, pas d'évaluations", dit Majadleh en temps réel, en réponse aux briefings erronés des responsables gouvernementaux.

Une pause publicitaire. Le sentiment dans la salle de contrôle est que Majadleh a été excellent, mais il a l'air exténué. "C'est déprimant", dit-il après avoir pris le temps de choisir ses mots, "que les personnes les plus puissantes du secteur essaient de vous faire passer pour un menteur. Quand il y a un Arabe dans le panel, tout le monde se dispute pour savoir qui est le plus grand patriote. 

 

"Dans une période aussi chargée que celle-ci, je me lève le matin et je me dis : pourquoi moi ? Pourquoi ai-je besoin de ça ? Je pourrais être dans un bien meilleur endroit, au lieu de répondre à toutes les absurdités qui me sont lancées. Et puis vient l'impulsion de "les Arabes aident les prisonniers". Je suis outré, et je me dis : 'Yallah, tu as un rôle à jouer ici, arrête de te plaindre'".

Allégations surprenantes, étranges, incorrectes

Ibtisam Mara'ana a déclaré en réponse : "Il est vrai que je ne représente pas la société arabe conservatrice. Je n'ai pas été élue avec le soutien de fonctionnaires politiques et je n'occupe pas une place garantie qui m'a été réservée. J'ai été élue lors d'une élection démocratique en tant que femme féministe libérale et opiniâtre, qui représente une nouvelle génération dans la société arabe, à laquelle je pense que Majadleh appartient également. 

Je mènerai mes batailles, même si en retour je n'obtiendrai [que] les deux voix des LGBT arabes qui ont trouvé une ville de refuge à Tel Aviv-Jaffa". J'ai été très surpris qu'un jeune journaliste prometteur reprenne les paroles de son père, et je me demande si la raison n'est pas un règlement de comptes politique. Je reste convaincue que s'il examine mes opinions en profondeur, il trouvera la ligne claire de ma colonne vertébrale idéologique."

Issawi Frej  a répondu, en ce qui concerne la loi sur le regroupement familial : "Je n'ai aucune réserve sur le compromis auquel nous sommes arrivés, avec l'engagement d'accorder le statut de résident temporaire à au moins 1 600 personnes. Mon évaluation, comme je l'ai mentionné dans l'interview, était qu'au cours de l'examen de ceux qui ont des permis, nous pourrions arriver à [un chiffre de] 3.000 qui sont éligibles pour ce statut, peut-être même plus. Il est très étrange de se voir reprocher par un journaliste chevronné de ne pas aller assez à l'étranger. Je suis en contact avec les représentants des pays de la région, je rencontre les ambassadeurs et les ministres qui se rendent en Israël, et je fais avancer une série de projets communs".

Zvi Yehezkeli n'a pas répondu à une demande de commentaire.

La Channel 12 News Company a déclaré au nom d'Amit Segal : "Nous rejetons l'allégation selon laquelle des informations sans fondement factuel sur les émeutes ont été diffusées en studio pour des raisons politiques, et nous nous en tenons à ce reportage. En outre, l'allégation selon laquelle la méthode de travail des journalistes de notre chaîne est imprécise pour des raisons politiques est incorrecte".

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