Francisco Peregil, El País,
16/12/2022
Traduit
par Fausto Giudice, Tlaxcala
Abderrahim Atmoun, l'ambassadeur de Rabat en Pologne
qui fait l'objet d'une enquête de la justice belge pour corruption présumée au
Parlement européen, a conservé un accès privilégié aux députés européens
pendant des années.
De gauche à droite
: Francesco Giorgi, petit ami de l'ancienne vice-présidente du Parlement
européen Eva Kaili ; Antonio Panzeri, eurodéputé italien, et l'actuel
ambassadeur du Maroc à Varsovie, Abderrahim Atmoun, le 9 mai 2017, sur une
image postée par ce dernier sur sa page
Facebook.
L'ambassadeur du Maroc en Pologne, Abderrahim Atmoun,
apparaît comme un personnage important dans l'enquête lancée par le parquet
belge sur la corruption d'eurodéputés par le Qatar et le pays du Maghreb.
Pendant des années, la presse marocaine a attribué à Atmoun - soupçonné d'avoir
financé l'une des principales parties impliquées dans le scandale, Antonio
Panzeri - plusieurs succès diplomatiques devant un Parlement européen qui a
salué à plusieurs reprises les progrès du Maroc en matière de droits humains et
n'a pas entravé les ambitions de Rabat concernant le Sahara occidental.
Ce qui n'a jamais été révélé, c'est qu'Atmoun est
impliqué dans un réseau de pots-de-vin à des parlementaires sur lequel le
parquet belge enquête, comme l'a révélé cette semaine le quotidien Le Soir.
Selon Le Soir, deux agents du service d'espionnage marocain à
l'étranger, la Direction Générale des Études et de la Documentation (DGED),
sont également impliqués dans le réseau. Le quotidien italien La Repubblica
a ajouté jeudi que les deux noms faisant l'objet d'une enquête de la justice
belge sont le chef des services secrets à l'étranger lui-même, Yassine
Mansouri, et l'agent Belharace Mohammed.
Ni les représentants du ministère marocain des
Affaires étrangères ni le diplomate Abderrahim Atmoun lui-même - tous deux
contactés par téléphone par ce journal - n'ont souhaité commenter les
accusations de corruption qui atteignent le cœur des institutions européennes.
Atmoun, 66 ans, n'est pas un diplomate de carrière
mais un homme politique. Mais il pratique les arts de la diplomatie et du
lobbying depuis plus d'une décennie, en grande partie par le biais de la
commission parlementaire mixte Maroc-UE, créée en 2010 et dont Atmoun a été coprésident
de 2011 à 2019. Dans une période de ce mandat (entre 2016 et 2019), il a convergé
avec une coprésidente espagnole de cette commission, Inés Ayala Sender, 65 ans,
alors députée européenne du groupe socialiste. Au sein de ce genre de
commissions, le Maroc choisit ses fonctionnaires et représentants et l'UE les
siens, aucune des parties ne disposant d'un droit de veto sur l'autre. De ce poste,
Atmoun a eu un accès total aux plus hauts représentants d'une institution de
705 membres où sont décidées les questions essentielles pour le Maroc.
Ayala, qui est conseillère de l'opposition au conseil
municipal de Saragosse depuis 2019, a été contactée par ce journal mercredi.
Après avoir été informée de l'objet de l'appel - la prestation d'Abderrahim
Atmoun auprès des députés européens - Mme Ayala a indiqué qu'elle ne pouvait
pas répondre à ce moment-là, mais qu'elle rappellerait. Elle a ensuite refusé
de répondre au téléphone.
La socialiste a été député européenne pendant 15 ans, de
2004 à 2019. En 2018, elle s'est exposée aux critiques d'associations pro-saharaouies
en évoquant au parlement le Sahara occidental dans les mêmes termes que ceux utilisés
par l'État marocain pour désigner ce territoire contesté : « les provinces
du sud ». Ses propos ont été filmés sur les réseaux sociaux : « Ce
n'est pas à l'Union européenne de prendre des décisions ou de résoudre le
problème du Sahara. D'autre part, il nous appartient de ne pas créer de
problèmes plus importants, tant pour les citoyens des provinces du sud que pour
le gouvernement ou le royaume marocain lui-même ».
Un an plus tôt, Mme Ayala s'était rendue à Rabat en sa
qualité de coprésidente de la commission parlementaire mixte Maroc-UE et avait
déclaré que le pays était « fermement engagé à jeter les bases d'un
système judiciaire indépendant du pouvoir exécutif », selon l'agence de
presse officielle marocaine MAP.
La conseillère
socialiste de Saragosse, Inés Ayala Sender, alors membre du Parlement européen,
à côté de l'actuel ambassadeur du Maroc en Pologne, Abderrahim Atmoun, dans une
image de mars 2017 publiée par Atmoun sur sa page Facebook.
Au-delà de sa participation à la commission mixte avec
l'UE, l'homme politique marocain, qui a passé près de 26 ans de sa vie en
France, a évoqué son travail de lobbyiste en septembre 2017 dans l'hebdomadaire
marocain Tel Quel. Il faisait référence aux accords agricoles et de
pêche que Rabat négociait à l'époque avec Bruxelles : « Le Maroc est le
partenaire privilégié de l'Union européenne, mais nous avons un rôle de
lobbying pour défendre les intérêts du royaume ».
Atmoun était en excellents termes avec le député
socialiste italien de l'époque, Antonio Panzeri, qui est désigné dans l'enquête
comme le cerveau du réseau de corruption Qatar-Maroc. Panzeri a occupé, entre
autres fonctions au Parlement, celle de président de la sous-commission des
droits de l'homme (2014-2017), a été membre de cet organe jusqu'en 2019 et
président de la délégation pour les relations avec le Maghreb entre 2014 et
2017.
La justice belge a inculpé Panzeri lundi dans le cadre
de ce que l'on appelle désormais le Qatargate, après que la police a saisi 600
000 euros en espèces à son domicile. Lundi, aucune information n'avait encore
émergé concernant le Maroc. Mais depuis ce jour, Abderrahim Atmoun, qui est
toujours ambassadeur en Pologne, a cessé de poster des commentaires sur sa page
Facebook, où il est habituellement assez prolifique.
Le député marocain de l'époque avait été interviewé en
2013 par le quotidien makhzénien Le Matin, où il citait trois « victoires
diplomatiques » » remportées au Parlement européen. L'un d'entre elles,
selon Atmoun, était le rapport d'Antonio Panzeri sur la politique européenne de
voisinage (PEV), qui régit les relations de l'UE avec 16 de ses plus proches
partenaires du sud et de l'est. En 2017, alors que Panzeri était président de
la sous-commission des droits de l'homme, Atmoun a également salué sur en Le
Site le rapport sur les droits de
l'homme et les réformes auxquelles Panzeri avait contribué dans ce rapport.
En novembre 2016, une série de manifestations sociales
dans la région du Rif au Maroc, connues sous le nom de hirak (mouvement) du Rif
a éclaté, entraînant l'arrestation de centaines de jeunes. Une demi-centaine de
personnes ont été condamnées en 2018 à des peines allant d'un an à deux
décennies de prison pour quatre des manifestants les plus en vue. Parmi les
condamnés figure le journaliste Hamid el Mahdaoui, condamné à trois ans de
prison pour avoir reçu un appel, intercepté par les services secrets, dans
lequel un Rifain exilé en Europe lui disait qu'il était prêt à entrer dans le
Rif avec des chars. Mahdaoui a purgé ses trois ans de prison ; le leader des
mobilisations, Naser Zafzafi, est toujours en prison avec une peine de 20 ans,
sans que le Parlement européen n'ait jamais condamné la répression dans le Rif
ou les peines qui ont suivi.
Cependant, en octobre 2020, le Parlement européen a
montré toute sa dureté à l'égard de l'Algérie dans une résolution sur la « détérioration
de la situation des droits de l'homme », suite aux manifestations qui ont
débuté en mars 2019 dans ce qui est devenu le hirak algérien, réclamant
une véritable démocratie. À cette occasion, le Parlement a adopté la résolution
contre le régime algérien par 669 voix pour, 3 contre et 22 abstentions. La
résolution demandait la libération urgente de tous les « prisonniers
d'opinion », dont plusieurs journalistes.
Atmoun a étudié à l'Institut de statistique de Paris,
comme le rappelait l'hebdomadaire marocain Maroc Hebdo en mars dernier,
a travaillé en France comme homme d'affaires prospère dans le secteur hôtelier,
selon Maroc Diplomatique, et est entré en politique en 1984 avec le
parti de l'Union constitutionnelle (un parti se proclamant centriste libéral).
En 2008, il rejoint le Parti authenticité et modernité (PAM), également connu
sous le nom de « parti du roi », un parti fondé par un conseiller du
monarque. Maroc Hebdo, qui le décrit comme un « expert en relations
et en lobbying », affirme qu'il a accès à des députés européens de tous
les partis politiques, avec « des centaines d'amis dans la droite
européenne ». Atmoun a été décoré de la Légion d'honneur française en 2011
par le président de l'époque, le conservateur Nicolas Sarkozy. Il a été le
premier homme politique marocain à la recevoir.