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18/12/2022

MANON AUBRY
Corruption du Qatar au Parlement européen : « Notre démocratie n'est pas à vendre »

 

Manon Aubry, 12/12/2022

Députée européenne - La France Insoumise
Le pire scandale de corruption de l'histoire ébranle le Parlement européen impliquant le Qatar et des élus socialistes. En négociant une résolution sur le Qatar, j'ai vu directement l'ingérence de l'émirat. Voici les coulisses d'une histoire qui n'a pas encore été racontée. 

600 000 euros retrouvés en liquide au domicile d'un ancien député, la vice-présidente du parlement européen arrêtée, plusieurs bureaux et logements de députés perquisitionnés... L'ampleur de ce scandale est inégalé ! Mais il n'est pas surprenant au vu de ces derniers mois...

L'exploitation à mort des travailleurs migrants de facto permise par le Qatar est connue depuis longtemps. Mais en 2021, le Guardian en révèle l'ampleur liée à la Coupe du monde : plus de 6 500 ouvriers seraient morts sur les chantiers depuis 2011.

Dès lors, je demande à CHAQUE plénière mensuelle du Parlement l'adoption d'une résolution à ce sujet. Elle me sera systématiquement refusée, notamment par le groupe socialiste & la droite (PPE) Malgré l'ampleur du scandale, les preuves innombrables & l'émotion générale.

A l'ouverture de la Coupe du monde, je renouvelle ma demande en conférence des présidents, mais le groupe socialiste s'y oppose. Je demande alors un vote public sur l'ajout de cette résolution à l'ordre du jour pour que chacun prenne ses responsabilités.

A quelques exceptions, notamment des socialistes, le groupe S&D s'y oppose, avec la droite et l'extrême droite ! Nous arrachons la victoire au vote, à 16 petites voix près et grâce à l'absence de nombreux députés de droite. Enfin, une résolution !

Tout va très vite. Les socialistes obtiennent la coordination des négociations sur le texte (alors qu'elle aurait dû nous revenir). Et l'ambassade du Qatar me contacte pour un rdv que je décline. D'autres n'ont apparemment pas eu les mêmes scrupules...

Chaque groupe drafte d'abord sa motion avant la motion commune. Stupeur à la lecture de celle du groupe socialiste. Aucune condamnation du Qatar pour l'organisation d'un système d'exploitation à mort des travailleurs. Les éléments de langages du régime sont bien répétés.

La proposition de résolution ne tarit pas d'éloges sur les « efforts considérables » du Qatar en matière de droits humains et son exemple pour les pays du Golfe. Pourtant, les associations documentent l'absence de mise en œuvre des prétendues réformes sur le terrain. Sidérant.

Alors que la résolution doit traiter de « la situation des droits de l'homme dans le contexte de la Coupe du Monde au Qatar » la proposition socialiste digresse complètement pour faire l'éloge du Qatar par tous moyens. Que vient faire là l'Afghanistan ?

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17/12/2022

FRANCISCO PEREGIL
La justice belge enquête sur Abderrahim Atmoun, le lobbyiste marocain qui a gagné presque toutes les batailles à Bruxelles

Francisco Peregil, El País, 16/12/2022
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala 

Abderrahim Atmoun, l'ambassadeur de Rabat en Pologne qui fait l'objet d'une enquête de la justice belge pour corruption présumée au Parlement européen, a conservé un accès privilégié aux députés européens pendant des années.

De gauche à droite : Francesco Giorgi, petit ami de l'ancienne vice-présidente du Parlement européen Eva Kaili ; Antonio Panzeri, eurodéputé italien, et l'actuel ambassadeur du Maroc à Varsovie, Abderrahim Atmoun, le 9 mai 2017, sur une image postée par ce dernier sur sa page Facebook.

L'ambassadeur du Maroc en Pologne, Abderrahim Atmoun, apparaît comme un personnage important dans l'enquête lancée par le parquet belge sur la corruption d'eurodéputés par le Qatar et le pays du Maghreb. Pendant des années, la presse marocaine a attribué à Atmoun - soupçonné d'avoir financé l'une des principales parties impliquées dans le scandale, Antonio Panzeri - plusieurs succès diplomatiques devant un Parlement européen qui a salué à plusieurs reprises les progrès du Maroc en matière de droits humains et n'a pas entravé les ambitions de Rabat concernant le Sahara occidental.

Ce qui n'a jamais été révélé, c'est qu'Atmoun est impliqué dans un réseau de pots-de-vin à des parlementaires sur lequel le parquet belge enquête, comme l'a révélé cette semaine le quotidien Le Soir. Selon Le Soir, deux agents du service d'espionnage marocain à l'étranger, la Direction Générale des Études et de la Documentation (DGED), sont également impliqués dans le réseau. Le quotidien italien La Repubblica a ajouté jeudi que les deux noms faisant l'objet d'une enquête de la justice belge sont le chef des services secrets à l'étranger lui-même, Yassine Mansouri, et l'agent Belharace Mohammed.

Ni les représentants du ministère marocain des Affaires étrangères ni le diplomate Abderrahim Atmoun lui-même - tous deux contactés par téléphone par ce journal - n'ont souhaité commenter les accusations de corruption qui atteignent le cœur des institutions européennes.

Atmoun, 66 ans, n'est pas un diplomate de carrière mais un homme politique. Mais il pratique les arts de la diplomatie et du lobbying depuis plus d'une décennie, en grande partie par le biais de la commission parlementaire mixte Maroc-UE, créée en 2010 et dont Atmoun a été coprésident de 2011 à 2019. Dans une période de ce mandat (entre 2016 et 2019), il a convergé avec une coprésidente espagnole de cette commission, Inés Ayala Sender, 65 ans, alors députée européenne du groupe socialiste. Au sein de ce genre de commissions, le Maroc choisit ses fonctionnaires et représentants et l'UE les siens, aucune des parties ne disposant d'un droit de veto sur l'autre. De ce poste, Atmoun a eu un accès total aux plus hauts représentants d'une institution de 705 membres où sont décidées les questions essentielles pour le Maroc.

Ayala, qui est conseillère de l'opposition au conseil municipal de Saragosse depuis 2019, a été contactée par ce journal mercredi. Après avoir été informée de l'objet de l'appel - la prestation d'Abderrahim Atmoun auprès des députés européens - Mme Ayala a indiqué qu'elle ne pouvait pas répondre à ce moment-là, mais qu'elle rappellerait. Elle a ensuite refusé de répondre au téléphone.

La socialiste a été député européenne pendant 15 ans, de 2004 à 2019. En 2018, elle s'est exposée aux critiques d'associations pro-saharaouies en évoquant au parlement le Sahara occidental dans les mêmes termes que ceux utilisés par l'État marocain pour désigner ce territoire contesté : « les provinces du sud ». Ses propos ont été filmés sur les réseaux sociaux : « Ce n'est pas à l'Union européenne de prendre des décisions ou de résoudre le problème du Sahara. D'autre part, il nous appartient de ne pas créer de problèmes plus importants, tant pour les citoyens des provinces du sud que pour le gouvernement ou le royaume marocain lui-même ».

Un an plus tôt, Mme Ayala s'était rendue à Rabat en sa qualité de coprésidente de la commission parlementaire mixte Maroc-UE et avait déclaré que le pays était « fermement engagé à jeter les bases d'un système judiciaire indépendant du pouvoir exécutif », selon l'agence de presse officielle marocaine MAP.

La conseillère socialiste de Saragosse, Inés Ayala Sender, alors membre du Parlement européen, à côté de l'actuel ambassadeur du Maroc en Pologne, Abderrahim Atmoun, dans une image de mars 2017 publiée par Atmoun sur sa page Facebook.

Au-delà de sa participation à la commission mixte avec l'UE, l'homme politique marocain, qui a passé près de 26 ans de sa vie en France, a évoqué son travail de lobbyiste en septembre 2017 dans l'hebdomadaire marocain Tel Quel. Il faisait référence aux accords agricoles et de pêche que Rabat négociait à l'époque avec Bruxelles : « Le Maroc est le partenaire privilégié de l'Union européenne, mais nous avons un rôle de lobbying pour défendre les intérêts du royaume ».

Atmoun était en excellents termes avec le député socialiste italien de l'époque, Antonio Panzeri, qui est désigné dans l'enquête comme le cerveau du réseau de corruption Qatar-Maroc. Panzeri a occupé, entre autres fonctions au Parlement, celle de président de la sous-commission des droits de l'homme (2014-2017), a été membre de cet organe jusqu'en 2019 et président de la délégation pour les relations avec le Maghreb entre 2014 et 2017.

La justice belge a inculpé Panzeri lundi dans le cadre de ce que l'on appelle désormais le Qatargate, après que la police a saisi 600 000 euros en espèces à son domicile. Lundi, aucune information n'avait encore émergé concernant le Maroc. Mais depuis ce jour, Abderrahim Atmoun, qui est toujours ambassadeur en Pologne, a cessé de poster des commentaires sur sa page Facebook, où il est habituellement assez prolifique.

Le député marocain de l'époque avait été interviewé en 2013 par le quotidien makhzénien Le Matin, où il citait trois « victoires diplomatiques » » remportées au Parlement européen. L'un d'entre elles, selon Atmoun, était le rapport d'Antonio Panzeri sur la politique européenne de voisinage (PEV), qui régit les relations de l'UE avec 16 de ses plus proches partenaires du sud et de l'est. En 2017, alors que Panzeri était président de la sous-commission des droits de l'homme, Atmoun a également salué sur en Le Site le rapport sur les droits de l'homme et les réformes auxquelles Panzeri avait contribué dans ce rapport.

En novembre 2016, une série de manifestations sociales dans la région du Rif au Maroc, connues sous le nom de hirak (mouvement) du Rif a éclaté, entraînant l'arrestation de centaines de jeunes. Une demi-centaine de personnes ont été condamnées en 2018 à des peines allant d'un an à deux décennies de prison pour quatre des manifestants les plus en vue. Parmi les condamnés figure le journaliste Hamid el Mahdaoui, condamné à trois ans de prison pour avoir reçu un appel, intercepté par les services secrets, dans lequel un Rifain exilé en Europe lui disait qu'il était prêt à entrer dans le Rif avec des chars. Mahdaoui a purgé ses trois ans de prison ; le leader des mobilisations, Naser Zafzafi, est toujours en prison avec une peine de 20 ans, sans que le Parlement européen n'ait jamais condamné la répression dans le Rif ou les peines qui ont suivi.

Cependant, en octobre 2020, le Parlement européen a montré toute sa dureté à l'égard de l'Algérie dans une résolution sur la « détérioration de la situation des droits de l'homme », suite aux manifestations qui ont débuté en mars 2019 dans ce qui est devenu le hirak algérien, réclamant une véritable démocratie. À cette occasion, le Parlement a adopté la résolution contre le régime algérien par 669 voix pour, 3 contre et 22 abstentions. La résolution demandait la libération urgente de tous les « prisonniers d'opinion », dont plusieurs journalistes.

Atmoun a étudié à l'Institut de statistique de Paris, comme le rappelait l'hebdomadaire marocain Maroc Hebdo en mars dernier, a travaillé en France comme homme d'affaires prospère dans le secteur hôtelier, selon Maroc Diplomatique, et est entré en politique en 1984 avec le parti de l'Union constitutionnelle (un parti se proclamant centriste libéral). En 2008, il rejoint le Parti authenticité et modernité (PAM), également connu sous le nom de « parti du roi », un parti fondé par un conseiller du monarque. Maroc Hebdo, qui le décrit comme un « expert en relations et en lobbying », affirme qu'il a accès à des députés européens de tous les partis politiques, avec « des centaines d'amis dans la droite européenne ». Atmoun a été décoré de la Légion d'honneur française en 2011 par le président de l'époque, le conservateur Nicolas Sarkozy. Il a été le premier homme politique marocain à la recevoir.