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03/10/2021

GIDEON LEVY
Quand le général israélien rencontre le paysan palestinien

Gideon Levy, Haaretz, 3/10/2021
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala 

Voici de bonnes nouvelles : Le chef du commandement central de l'armée israélienne, Yehuda Fuchs, a visité le village où le pogrom a eu lieu, Khirbet al-Mufkara.

 

Les commandants militaires israéliens Yehuda Fuchs et Avihay Zafrani lors d'une visite à Khirbet al-Mufkara, samedi

Il est vrai que la visite a été très courte, environ un quart d'heure. Certes, chaque fois que les résidents ont prononcé le mot "colons" en arabe, le chef de l'administration civile israélienne pour la région d'Hébron, Salim Saadi, a pris soin de le traduire pour le major général par "résidents". Et il est vrai que le général a répété comme un perroquet la phrase creuse selon laquelle "le travail de l'armée est de protéger la sécurité de tous les résidents", même si l'armée ne fait rien de tel. Néanmoins, il est rare qu'un général rende visite aux résidents palestiniens et parle avec eux - pas seulement dans ce village isolé et meurtri des collines d'Hébron Sud, mais dans tous les territoires occupés depuis 1967. Le général de division Fuchs mérite des éloges pour cette visite hâtive. Il nous a rappelé, même si ce n'est qu'implicitement, le minimum que l'occupation est obligée de faire mais qu'elle n'a jamais fait - voir les gens qu'elle soumet comme des êtres humains. Fuchs a rencontré des Palestiniens pour un rare moment et a vu des êtres humains, peut-être pour la première fois de sa vie. La plupart de ses collègues de l'état-major général n'ont même jamais fait cela. 

Il fut un temps où les deux peuples se côtoyaient encore, même s'ils ne le faisaient jamais d'égal à égal. Même les forces de défense israéliennes connaissaient leurs sujets. Des politiciens et des officiers israéliens rencontraient des politiciens et des combattants palestiniens. Moshe Dayan, ancien chef d'état-major et ministre de la Défense, a même rencontré de sa propre initiative la poétesse de la dévoration des foies des soldats israéliens, Fadwa Tuqan ; la poétesse israélienne Dahlia Ravikovitch l'a également rencontrée.  

Il y avait des gens qui écoutaient les Palestiniens, des gens qui s'intéressaient à leur sort. Des gens qui n'étaient pas des agents des services de sécurité du Shin Bet les connaissaient personnellement. Il y avait des gens qui les considéraient comme des êtres humains.

Le fait que la visite d'un général dans un village palestinien ait donné lieu à un éditorial (d’Haaretz) témoigne de l'incroyable importance d'un tel événement aujourd'hui. Cela n'arrive presque jamais.

Au même moment, un garçon nommé Mohammed Hamamda était allongé au centre médical Soroka de Be'er Sheva après avoir été frappé à la tête par une pierre lancée par la racaille des colonies de Havat Maon et Avigayil. Mais en réalité, ce sont les FDI qui ont jeté ces pierres. Les soldats de Fuchs sont restés les bras croisés, comme d'habitude, et n'ont rien fait pour arrêter le pogrom.

Mohammed gisait là tout seul. Jusqu'à ce que Mossi Raz, le député qui lutte contre l'occupation, intervienne, les FDI ne laissaient même pas ses parents être avec lui. 

Le ministre de la Défense Benny Gantz, qui rend visite à chaque soldat qui reçoit une égratignure, n'a pas rendu visite à ce garçon. Le chef du Commandement central n'a pas rendu visite aux autres membres de la famille Hamamda - un couple âgé et la sœur handicapée de l'épouse - à qui les FDI ont refusé l'accès à l'eau et à l'électricité. Peut-être que si Fuchs les avait également rencontrés, la conduite criminelle qui a lieu sous ses ordres aurait pris fin. Ou peut-être pas.

Toutes ces choses sont des futilités qui ne changeraient pas la réalité de l'occupation. 

Mais sans elles, il ne reste même pas une trace d'humanité dans ce domaine du mal. 

De telles mesures auraient indiqué aux soldats qu'ils ont affaire à des êtres humains, à  un moment où les FDI les entraînent à penser qu'en réalité, les Palestiniens ne sont pas des êtres humains.

Tout commence par le haut. Les dirigeants d'Israël ne reconnaissent pas les Palestiniens. Pas du tout. Le Premier ministre Naftali Bennett ne les connaît que de son unité militaire. Gantz ne les connaît que par sa lunette de visée. Le ministre des Affaires étrangères, Yair Lapid, ne les connaît que comme serveurs du restaurant de houmous ou ouvriers qui ont rénové sa maison. Pratiquement les premiers Arabes que Lapid a rencontrés étaient dans les palais corrompus du Golfe Persique.

Lui et ses collègues n'ont jamais rencontré de Palestiniens et ne les ont jamais écoutés. Aucun d'entre eux n'a jamais visité un camp de réfugiés ou une communauté d'éleveurs. Ils n'ont aucune idée de la façon dont vivent réellement les personnes dont ils décident du sort, ni de leur apparence.

Lorsque les oppresseurs ne prennent pas la peine de rencontrer les dirigeants opprimés ou leur peuple, le processus de déshumanisation est terminé. La cruauté devient plus confortable, et il ne reste rien de l'humanité.

Grâce à cette déconnexion, des personnes à moitié décentes comme Gantz peuvent vanter le nombre de morts palestiniens, priver les parents endeuillés d'une tombe où se recueillir, empêcher les parents d'un enfant blessé d'être à ses côtés, ordonner aux tireurs d'élite de briser le crâne des manifestants et faire en sorte que les personnes âgées aient soif dans la chaleur de l'été.

En Israël, des gens bien font des choses horribles tous les jours. S'ils pouvaient voir les personnes qu'ils maltraitent, ils agiraient peut-être un peu différemment.

Peut-être que lorsque le général de division Fuchs a rencontré l'agriculteur lui aussi nommé Mohammed Hamamda au domicile de ce dernier, il s'est souvenu un instant de son propre père*. Il est difficile d'attendre de lui plus que ça.

*David Fuchs, le père du général, était un rabbin né à Chicago, qui n'a sans doute jamais touché une pioche [NdT]

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