14/07/2025

SUDHIR SURYAWANSHI
767 agriculteurs se sont suicidés en seulement trois mois dans l’État indien du Maharashtra

Les députés du Congrès ont accusé le gouvernement de l’État de ne pas avoir apporté immédiatement une aide financière aux agriculteurs, privant ainsi bon nombre d’entre eux de l’aide à laquelle ils avaient droit.

Sudhir Suryawanshi, The New Indian Express, 1/7/2025

Traduit par Fausto GiudiceTlaxcala

Sudhir Suryawanshi est un journaliste indien originaire du Maharashtra qui écrit sur la politique de cet État depuis quinze ans. Il a notamment travaillé pour DNA, Mumbai Mirror et Free Press Journal. Il est actuellement rédacteur en chef adjoint du New Indian Express. Il est l’auteur du livre Checkmate: How the BJP Won and Lost Maharashtra (Viking, 2020). @ss_suryawanshi

 MUMBAI - Le gouvernement du Maharashtra a révélé mardi, lors de l’assemblée législative de l’État, qu’entre janvier et mars 2025, 767 suicides d’agriculteurs avaient été signalés dans l’État, la majorité d’entre eux dans la région de Vidarbha.


Les députés du Congrès ont posé une question écrite au parti au pouvoir sur l’augmentation du nombre de suicides d’agriculteurs dans le Maharashtra, en particulier dans la région de Vidarbha, et ont demandé des détails sur la manière dont le gouvernement de l’État apporte son aide aux familles des agriculteurs décédés. Les députés du Congrès ont également demandé une augmentation de l’aide financière, qui s’élève actuellement à 1 lakh de roupies [=1000 €].

Dans une réponse écrite, Makrand Patil, ministre de la Réhabilitation et député du NCP [Parti du Congrès Nationaliste], a présenté la réponse écrite à l’Assemblée et a assuré que le gouvernement du Maharashtra apporterait toute l’aide possible aux agriculteurs.

Le gouvernement du Maharashtra accorde une aide financière de 1 lakh de roupies à la famille de l’agriculteur qui s’est suicidé.

Selon ce rapport, en trois mois, de janvier à mars 2025, 767 agriculteurs se sont suicidés, dont 376 étaient éligibles à une indemnisation du gouvernement, tandis que 200 n’ont pas reçu d’aide car ils ne répondaient pas aux critères fixés par le gouvernement.

Makrand Patil a en outre révélé que dans l’ouest du Vidarbha – Yawatmal, Amarawati, Akola, Buldhana et Wasim –, entre janvier et mars 2025, 257 agriculteurs se sont suicidés, parmi lesquels 76 familles ont reçu une aide financière du gouvernement de l’État, tandis que 74 demandes ont été rejetées.

Dans le district de Hingoli, dans le Marathwada, 24 suicides d’agriculteurs ont été signalés au cours des trois mois compris entre janvier et mars 2025.

Les députés du Congrès ont affirmé que le gouvernement de l’État n’avait pas accordé immédiatement l’aide financière aux agriculteurs et que de nombreux agriculteurs éligibles avaient même été privés de l’aide à laquelle ils avaient droit pour des raisons fallacieuses. En outre, le gouvernement de l’État a précisé qu’il n’y avait aucune proposition d’augmentation de l’aide financière aux familles des agriculteurs décédés.

Toutefois, le gouvernement de l’État a déclaré avoir pris diverses mesures pour mettre fin aux suicides des agriculteurs.

« Le gouvernement de l’État accorde une indemnisation aux agriculteurs dont les récoltes ont été endommagées par des pluies hors saison et des catastrophes naturelles. En outre, dans le cadre du programme PM Kisan Samman Nidhi [Fonds du Premier ministre d’allocation aux agriculteurs], le gouvernement central verse 6 000 roupies [= 71€], tandis que le gouvernement de l’État contribue également à hauteur de 6 000 roupies par an aux agriculteurs pauvres et dans le besoin », indique la note.

Celle-ci précise également que le gouvernement de l’État organise des séances de soutien psychologique pour les agriculteurs déprimés et en détresse, afin de les dissuader de se suicider, et qu’il augmente même le prix minimum de soutien des récoltes des agriculteurs.

« En outre, le gouvernement de l’État s’efforce de mettre en irrigation autant d’hectares de terres que possible et de mettre en place des programmes d’aide sociale pour les agriculteurs. »



Champs de désespoir : pourquoi les agriculteurs du Maharashtra paient le prix suprême

Sudhir Suryawanshi, The New Indian Express, 12/7/2025
Traduit par Fausto GiudiceTlaxcala

Entre le 1er janvier et le 31 mars de cette année, toutes les trois heures, un agriculteur du Maharashtra a mis fin à ses jours, avec 767 suicides enregistrés en seulement 90 jours, selon les données présentées à l’assemblée législative de l’État le 1er juillet. Ce taux alarmant, qui représente en moyenne huit décès par jour, n’est pas un cas isolé. L’année dernière, le gouvernement a admis devant l’assemblée que le taux de suicide chez les agriculteurs était similaire depuis 56 mois. Cela reflète une crise agraire qui s’aggrave et qui défie toute solution dans le Maharashtra, en particulier dans les régions de Vidarbha et Marathwada, depuis plus de deux décennies. Malgré les promesses politiques ambitieuses, notamment celle du BJP [le parti suprémaciste hindou au pouvoir fédéral, NdT] en 2014 d’éradiquer les suicides d’agriculteurs, la tendance persiste, alimentée par un mélange toxique de difficultés économiques, de défis environnementaux et d’échecs politiques.

Le cas de Kailash Arjun Nagare, lauréat du prix Young Farmer Award 2020, qui s’est donné la mort en mars 2025, invoquant l’inaction du gouvernement face aux demandes en matière d’irrigation, est un indicateur du désespoir croissant qui règne dans la communauté agricole. Pourquoi rien ne change-t-il alors que les suicides d’agriculteurs ne montrent aucun signe de ralentissement dans le Vidarbha et le Marathwada ?

Ampleur de la crise

Au cours des 24 dernières années, la division fiscale d’Amravati, dans le seul district de Vidarbha, a enregistré 21 219 suicides d’agriculteurs, dont 5 395 dans le district d’Amravati, 6 211 dans celui de Yavatmal, 4 442 dans celui de Buldhana, 3 123 dans celui d’Akola et 2 048 dans celui de Washim. En janvier de cette année, 80 suicides ont été signalés dans ces districts, Yavatmal enregistrant le nombre le plus élevé avec 34. Dans le district de Hingoli, dans le Marathwada, 24 suicides ont eu lieu au cours de la même période de trois mois.

Vidarbha est représentée par des poids lourds du BJP à l’Assemblée législative de l’État et au Parlement : le ministre en chef Devendra Fadnavis et le ministre de l’Union Nitin Gadkari. Ils ont obtenu des résultats remarquables dans divers domaines, mais n’ont malheureusement pas réussi à faire avancer le dossier de la crise agraire.

Les données historiques du Bureau national des statistiques criminelles (NCRB) et d’autres rapports font état de 37 142 suicides d’agriculteurs dans le Maharashtra entre 2015 et 2024 : 4 291 en 2015, 3 058 en 2016, 3 701 en 2017, 3 594 en 2018, 3 927 en 2019, 4 006 en 2020, 4 064 en 2021, 4 268 en 2022, 2 851 en 2023 et 2 635 en 2024.

Les données du NCRB pour 2022 montrent que 11 290 personnes dans le secteur agricole (5 207 agriculteurs/cultivateurs et 6 083 ouvriers agricoles) à travers le pays se sont suicidées, ce qui représente 6,6 % du total des suicides (170 924) en Inde. Les hommes ont été plus nombreux que les femmes à choisir cette solution extrême. Sur les 5 207 suicides d’agriculteurs/cultivateurs, 4 999 étaient des hommes et 208 des femmes. Et sur les 6 083 ouvriers agricoles qui se sont donné la mort, 5 472 étaient des hommes et 611 des femmes. Les États et les territoires de l’Union qui n’ont signalé aucun suicide dans le secteur agricole sont le Bengale occidental, le Bihar, l’Odisha, l’Uttarakhand, Goa, le Mizoram, le Tripura, Chandigarh, Delhi, Lakshadweep et Pondichéry.

Quant au Maharashtra, 2 708 agriculteurs/cultivateurs – 2 448 propriétaires fonciers et 260 cultivateurs de terres louées – se sont suicidés en 2022. Cela représente plus de 50 % du chiffre national de 5 207 dans la même catégorie. Et plus d’un quart du nombre total de suicides d’ouvriers agricoles (1 560) provenait du Maharashtra. Ces chiffres sont stupéfiants, quelle que soit la comparaison.

Comme l’a déclaré le leader du Congrès Rahul Gandhi en commentant l’article de ce journal : « Réfléchissez-y... en seulement trois mois, 767 agriculteurs se sont suicidés dans le Maharashtra. S’agit-il seulement d’une statistique ? Non. Ce sont 767 foyers détruits. 767 familles qui ne pourront jamais s’en remettre. »

Il a ensuite marqué des points politiques en affirmant que le gouvernement annulait facilement les prêts des riches mais pas ceux des pauvres, ce qui lui a valu une réplique cinglante du BJP, qui lui a rappelé les « péchés commis par le gouvernement NCP-Congrès pendant son mandat dans le Maharashtra ».

Au milieu de toutes ces querelles politiques, la question clé reste sans réponse : pourquoi la série de mesures sociales prises par les gouvernements central et régional, y compris l’octroi d’aides financières, n’ont-elles pas réussi à redonner aux agriculteurs la confiance nécessaire pour faire face aux aléas de la vie ?

Les causes profondes : un enchevêtrement complexe

La crise des suicides d’agriculteurs résulte d’une combinaison de difficultés économiques, de défis environnementaux et de pressions sociales, aggravées par des lacunes politiques.

Difficultés économiques et endettement : le poids écrasant de la dette est le principal facteur, alimenté par la hausse des coûts des intrants et l’insuffisance des prix des récoltes. Vijay Jawandhia, leader paysan et expert, a déclaré à ce journal que le coût des intrants (semences, engrais, pesticides et diesel) a fortement augmenté, tandis que les récoltes sont vendues à un prix inférieur au prix minimum de soutien (MSP). Par exemple, en 2024, le soja s’est vendu entre 3 800 et 4 000 roupies le quintal, contre un MSP de 4 892 roupies, le coton entre 5 000 et 6 000 roupies, contre 7 550 roupies, et le tur dal [pois d’Angole] entre 6 000 et 6 500 roupies, contre 7 500 roupies. Un rapport estime que les producteurs de soja du Maharashtra ont perdu 85 milliards de roupies [=850 millions €] en 2024 en raison de ventes inférieures au MSP. La taxe sur les produits agricoles (GST) de 18 % érode encore davantage les marges. Rahul Gandhi a souligné dans une critique que, bien que les deux gouvernements accordent au total 12 000 roupies par an (6 000 roupies provenant du gouvernement central et 6 000 roupies provenant du gouvernement de l’État dans le cadre du PM Kisan Samman Nidhi) aux agriculteurs, les taxes sur les intrants agricoles absorbent plus que ces aides.

Défis environnementaux : Vidarbha et Marathwada, où le coton, le soja et les légumineuses dominent, ne disposent que d’un taux d’irrigation de 10 à 12 %, contre 60 % dans la ceinture sucrière de l’ouest du Maharashtra. Les agriculteurs dépendent de moussons irrégulières, aggravées par des phénomènes climatiques extrêmes tels que sécheresses, pluies hors saison et tempêtes de grêle. L’épuisement des nappes phréatiques oblige les agriculteurs à forer des puits jusqu’à 300 mètres de profondeur, ce qui fait grimper les coûts. En 2015, des réservoirs comme celui de Manjara n’avaient plus aucune réserve d’eau. Des pénuries similaires persistent ailleurs. Le suicide de Kailash Arjun Nagare en mars 2025, après une grève de la faim de 10 jours pour obtenir de l’eau d’irrigation provenant du réservoir de Khadakpurna, met en évidence le désespoir causé par la pénurie d’eau.

Baisse des rendements et volatilité des marchés : les rendements agricoles ont chuté, en particulier pour le coton. Sanjay Patil, un agriculteur de Dhule, a déclaré à ce journal que les rendements du coton sont passés de 10-12 quintaux par acre à 2-3 quintaux, les prix chutant de 10 000-12 000 roupies à 5 000-6 000 roupies par quintal.

Pressions sociales et psychologiques : L’augmentation des coûts de l’éducation, des soins de santé et des besoins quotidiens dépasse les revenus stagnants des agriculteurs, créant un écart flagrant entre les revenus et les dépenses. Jawandhia note que contrairement aux fonctionnaires, qui bénéficient d’indemnités de cherté liées à l’inflation et d’augmentations de salaire, les agriculteurs ne bénéficient d’aucune protection de ce type. Les difficultés financières, associées à un accès limité aux services de santé mentale, alimentent la dépression. Le suicide de Sachin et Jyoti Jadhav, un couple d’agriculteurs de Parbhani, en avril 2025, qui a laissé deux filles orphelines, montre qu’il est urgent de s’attaquer aux problèmes de santé mentale de toute urgence.

Réponse du gouvernement

Dans l’ordre constitutionnel, l’agriculture relève de la compétence des États, mais de nombreuses décisions importantes dans ce secteur sont prises par le gouvernement central, a déclaré Jawandhia. « J’ai soulevé cette question devant M. Swaminathan lorsqu’il était président de la Commission nationale des agriculteurs. Il a ri et a accepté de recommander au gouvernement central d’inscrire l’agriculture sur la liste des compétences concurrentes. Cependant, cette proposition n’a pas encore été acceptée au niveau politique », a-t-il ajouté.

Quoi qu’il en soit, les gouvernements ont une réponse toute faite aux questions troublantes sur les suicides d’agriculteurs. En voici un exemple tiré du Rajya Sabha [Conseil des États, chambre haute du parlement fédéral], en réponse à une question simple posée le 4 mai dernier : « L’agriculture étant une compétence des États, ce sont les gouvernements des États qui fournissent l’aide. Cependant, le gouvernement indien soutient les efforts des États par des mesures politiques appropriées, des allocations budgétaires et divers programmes. Les différents programmes du gouvernement indien visent à améliorer le bien-être des agriculteurs en augmentant la production, les revenus et le soutien au revenu des agriculteurs. Le gouvernement a considérablement augmenté les crédits budgétaires alloués au ministère de l’Agriculture et du Bien-être des agriculteurs (DA&FW), qui sont passés de 219,335 milliards de roupies en 2013-2014 à 1 225,287 milliards de roupies en 2024-2025. » Le ministre énumère ensuite 28 grands programmes visant à améliorer le revenu global des agriculteurs. De leur côté, les États publient des données sur l’aide accordée aux proches des victimes éligibles. Mais il est difficile de trouver des preuves empiriques que ces mesures ont inversé la tendance au suicide.

Mesures sociales et problèmes

Indemnisation : 1 lakh de roupies pour les familles des agriculteurs décédés, mais seuls 376 des 767 cas de suicide entre janvier et mars 2025 ont été approuvés, avec 295 lakhs de roupies demandés par huit districts et seulement 18 lakhs versés.

MSP : les achats limités effectués par 562 centres ne permettent pas d’empêcher les ventes en dessous du MSP.

Aide financière : une aide annuelle de 12 000 roupies (6 000 roupies provenant du gouvernement central et 6 000 roupies provenant du gouvernement de l’État dans le cadre du programme PM Kisan Samman Nidhi) compensée par la GST et la hausse des coûts des intrants

Accompagnement psychologique : les séances de soutien psychologique visent à dissuader les suicides, mais leur ampleur est insuffisante

Priorité à la canne à sucre : le vice-ministre en chef Ajit Pawar a proposé une loi pour protéger les producteurs de canne à sucre. Les producteurs de coton, majoritaires dans le Vidarbha, se sentent négligés en raison de l’influence politique des coopératives de canne à sucre. Jawandhia critique l’accent mis sur la canne à sucre, soulignant que les producteurs de coton sont traités comme des « orphelins » dans le Vidarbha.

Voix sur le terrain

Les agriculteurs et les militants soulignent la négligence systémique qui a conduit à la crise. Sanjay Patil est passé du coton aux vergers de citronniers en raison de pertes insurmontables. Ajit Nawale, de Kisan Sabha, a comparé les politiques indiennes aux subventions usaméricaines et européennes, accusant le gouvernement de favoriser les négociants. Il a déclaré que le gouvernement fédéral accordait 6 000 roupies aux agriculteurs pauvres et dans le besoin dans le cadre du programme Kisan Samman, mais que sous le couvert d’une taxe sur les produits chimiques, les engrais et les pesticides de 18 %, il soutirait aux agriculteurs plus d’argent que les subventions qu’il leur accordait. « J’appelle les agriculteurs à s’unir et à lutter contre le gouvernement et ses politiques », a-t-il suggéré.

Quant à Jawandhia, il a déclaré : « Les cousins Thackeray se sont unis sur la question de la langue marathi et se sont opposés à l’imposition de l’hindi dans le Maharashtra, mais pourquoi aucun politicien ne se mobilise pour la cause des agriculteurs de l’État ? »

Aller de l’avant

Pour faire face à la crise des suicides dans le secteur agricole, des réformes structurelles sont nécessaires :

Régime du prix minimum de soutien (MSP) : selon Jawandia, l’application du MSP en tant que droit légal pourrait garantir des prix équitables. En outre, aucune récolte ne devrait être vendue en dessous du MSP.

Infrastructures d’irrigation : il est essentiel de développer l’irrigation dans le Vidarbha et le Marathwada, éventuellement grâce à des projets tels que le barrage de Khadakpurna. Le manque d’installations d’irrigation a coûté la vie à de nombreux agriculteurs, dont Nagare.

Soutien en santé mentale : le renforcement des services de conseil pourrait aider à soulager la détresse psychologique.

La lettre de suicide de Nagare exigeait des mesures ; les décès des Jadhav ont laissé leurs filles orphelines. Tant que les problèmes de dette, de pénurie d’eau et de volatilité des marchés ne seront pas résolus, les fermes du Maharashtra resteront un cimetière pour leurs agriculteurs.

Illustrations : Sourav Roy

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