Israël n’est
pas en train de créer une “ ville humanitaire” à Gaza. Il crée des camps de
transfert
Éditorial, Haaretz, 9/7/2025
Le peuple
élu, seul pays démocratique du Moyen-Orient doté de l’armée la plus morale au
monde, prévoit désormais de créer une “ville humanitaire” dans la bande de
Gaza. Peu importe le cellophane orwellien dans lequel ils l’enveloppent. Le
Premier ministre Benjamin Netanyahou et le ministre de la Défense Israel Katz
poursuivent ouvertement leurs plans visant à placer les Gazaouis dans des camps
en vue de les transférer hors de l’enclave.
Le fait que
Katz ait dévoilé son projet de “ville humanitaire” à Rafah pour des centaines
de milliers de Palestiniens enfermés et surveillés, sans possibilité de partir,
comme une solution humanitaire, n’est rien d’autre qu’une distorsion effrayante
du langage. Netanyahou promeut ce projet tordu à Washington, où il a expliqué,
tout en insultant l’intelligence du monde entier, que « cela s’appelle le libre
choix. Si les gens veulent rester, ils peuvent rester ; mais s’ils veulent
partir, ils devraient pouvoir partir ». Le Premier ministre a ajouté, sans la
moindre honte, que Gaza « ne devrait pas être une prison. Elle devrait être un
lieu ouvert ».
Bien que
cela ressemble à une parodie de l’idée de reconstruction, ce n’est pas
théorique. Selon des sources diplomatiques, l’objectif de cette mesure est de
concentrer la majeure partie de la population de Gaza dans une ville fermée, de
lui fournir une aide humanitaire et de l’« encourager » à émigrer «
volontairement ». Tout cela est coordonné avec les responsables usaméricains.
Netanyahou s’est même vanté qu’Israël et les USA étaient « sur le point de
trouver plusieurs pays » prêts à accueillir les Gazaouis.
Il ne s’agit
pas d’une solution humanitaire, mais d’un transfert. Seule une réalité déformée
peut permettre de parler de libre arbitre à propos de personnes qui ont passé
les 20 derniers mois sous les bombardements constants, confrontées à la faim et
au manque d’eau, d’électricité et de médicaments. En réalité, il s’agirait d’un
crime de guerre, à savoir le transfert forcé de civils, interdit par le droit
international.
Les
responsables de la défense sont alarmés. Lors d’une discussion très animée avec
le cabinet de sécurité, le chef d’état-major de l’armée israélienne, Eyal
Zamir, a demandé de suspendre le vote afin de clarifier les implications, mais
NetanyahOu a fermement refusé. « Pas question », a-t-il déclaré. « Nous en
avons déjà discuté. » Lorsque le chef d’état-major a demandé si l’armée serait
chargée de contrôler deux millions de civils, Netanyahou a répondu : « Je vais
faire venir 10 [Caterpillar] D9 pour préparer l’espace humanitaire. »
Les réserves
de l’armée ont été rejetées ; la décision a été adoptée à l’unanimité. Dans l’Israël
de Netanyahou, lorsqu’un membre de l’establishment de la défense met en garde
contre un danger ou les implications d’une politique dangereuse, c’est juste
une raison pour se débarrasser de lui. Le chef d’état-major indiscipliné est
désormais moins apprécié du gouvernement après lui avoir fait prendre
conscience de la réalité.
Voilà à quoi
ressemble une détérioration dangereuse : des bombardements incessants à une
tentative de façonner l’avenir de Gaza en ignorant le droit international, en
détruisant l’armée, en négligeant le bien-être des soldats et en corrompant la
société et le gouvernement. Cela ne doit pas être permis. Ce plan dangereux
doit être arrêté immédiatement.
L’État
juif construit un ghetto
Gideon Levy, Haaretz, 7/7/2025
Si Mordechai Anielewicz était encore en vie aujourd’hui, il serait mort. Le chef de l’Organisation
juive de combat pendant le soulèvement du ghetto de Varsovie serait mort de
honte et de déshonneur en apprenant les plans du ministre de la Défense – avec
le soutien total du Premier ministre – visant à ériger une “ville humanitaire”
dans le sud de la bande de Gaza. Anielewicz n’aurait jamais cru que quelqu’un
oserait concevoir un plan aussi diabolique 80 ans après l’Holocauste.
En apprenant
que ce projet avait été imaginé par le gouvernement de l’État juif, fondé sur
les sacrifices de son ghetto, il aurait été dévasté. Lorsqu’il aurait compris
qu’Israel Katz, l’homme à l’origine de cette idée, était le fils de Meir Katz
et Malcha (Nira) née Deutsch, survivants de l’Holocauste originaires de la
région de Maramures en Roumanie, qui avaient perdu la plupart des membres de
leur famille dans les camps d’extermination, il n’aurait jamais pu y croire. Qu’auraient-ils
pu dire à leur fils ?
Quand
Anielewicz aurait pris conscience de l’apathie et de l’inaction que ce projet
suscitait en Israël et, dans une certaine mesure, dans le monde entier, y
compris en Europe, voire en Allemagne, il serait mort une seconde fois, cette
fois d’un cœur brisé.
L’État juif
est en train de construire un ghetto. Quelle phrase horrible. Il est déjà assez
grave que le projet ait été présenté comme s’il pouvait être légitime – qui est
pour un camp de concentration et qui est contre ? – mais de là, le chemin peut
être raccourci vers une idée encore plus horrible : quelqu’un pourrait suggérer
ensuite un camp d’extermination pour ceux qui ne passent pas le processus de
sélection à l’entrée du ghetto. Israël tue de toute façon les habitants de Gaza
en masse, alors pourquoi ne pas rationaliser le processus et épargner la vie de
nos précieux soldats ? Quelqu’un pourrait également suggérer un crématorium
compact sur les ruines de Khan Younès, dont l’accès, comme dans le ghetto
voisin de Rafah, serait purement volontaire. Bien sûr, volontaire, comme dans
la “ville humanitaire”. Seulement, quitter les deux camps ne serait plus
volontaire. C’est ce que le ministre a proposé.
La nature du
génocide est telle qu’il ne naît pas du jour au lendemain. On ne se réveille
pas un matin pour passer de la démocratie à Auschwitz, de l’administration
civile à la Gestapo. Le processus est graduel. Après la phase de
déshumanisation – que les Juifs d’Allemagne et les Palestiniens de Gaza et de
Cisjordanie ont tous deux subie à leur époque – vient la phase de
diabolisation, que les deux nations ont également connue. Vient ensuite la
phase de la peur : il n’y a pas d’innocents dans la bande de Gaza, le 7 octobre
est considéré comme une menace existentielle pour Israël qui pourrait se
reproduire à tout moment. Après quoi viennent les appels à évacuer la
population avant que quelqu’un ne soulève l’idée de l’extermination.
Nous sommes
maintenant dans cette dernière phase, la dernière phase avant le génocide. L’Allemagne
a transféré ses Juifs vers l’est ; le génocide arménien a également commencé
par une déportation, qui était alors appelée “évacuation”. Aujourd’hui, on
parle d’une évacuation vers le sud de Gaza.
Free Gaza & Palestine tagués sur les murs du ghetto de Varsovie
Pendant des
années, j’ai évité de faire des comparaisons avec l’Holocauste. Toute
comparaison de ce type risquait de passer à côté de la vérité et de nuire à la
cause de la justice. Israël n’a jamais été un État nazi, et une fois ce fait
établi, il s’ensuit que s’il n’était pas un État nazi, il devait être un État
moral. Il n’est pas nécessaire de se référer à l’Holocauste pour être choqué.
On peut être choqué par bien moins, par exemple par le comportement d’Israël
dans la bande de Gaza.
Mais rien ne
nous avait préparés à l’idée d’une “ville humanitaire”. Israël n’a plus aucun
droit moral d’utiliser le mot “humanitaire”. Quiconque a transformé la bande de
Gaza en ce qu’elle est aujourd’hui – un cimetière géant et un champ de ruines –
et la traite avec indifférence a perdu tout lien avec l’humanité. Quiconque ne
voit que la souffrance des otages israéliens dans la bande de Gaza et ne voit
pas que toutes les six heures, les Forces de défense israéliennes tuent autant
de Palestiniens qu’il y a d’otages vivants a perdu toute son humanité.
Si 21
mois passés à voir mourir des bébés, des femmes, des enfants, des journalistes,
des médecins et d’autres innocents ne suffisaient pas, le projet de ghetto
devrait déclencher toutes les alarmes. Israël se comporte comme s’il planifiait
un génocide et une expulsion. Et s’il n’envisage pas de le faire pour l’instant,
il court le risque sérieux de sombrer rapidement et sans s’en rendre compte
dans l’un ou l’autre de ces crimes. Demandez à Anielewicz.
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