Muhammad Sahimi, antiwar.com, 9/10/2024
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala
Muhammad Sahimi (Téhéran, 1954), professeur de génie chimique et de science des matériaux et titulaire de la chaire NIOC de génie pétrolier à l’université de Californie du Sud (Los Angeles), est cofondateur et rédacteur en chef du site ouèbe Iran News & Middle East Reports.
Depuis l’invasion de l’Irak en mars 2003, les conservateurs, le lobby israélien aux USA et les groupes qui leur sont alliés ont cherché une version iranienne d’Ahmed Chalabi, le célèbre personnage irakien allié aux néoconservateurs lors de la préparation de l’invasion de l’Irak en 2003, qui a fabriqué pendant des années des mensonges sur les armes de destruction massive inexistantes de Saddam Hussein.
Depuis au moins une décennie, le principal candidat est Reza Pahlavi, le fils du dernier roi d’Iran, Mohammad Reza Pahlavi, dont le régime a été renversé par la révolution de 1979. Pahlavi junior tente depuis plus de 40 ans de rétablir la monarchie en Iran, mais comme je l’ai expliqué ailleurs, ses efforts ont été consacrés à l’obtention du soutien de gouvernements étrangers pour le mettre au pouvoir.
Dans les années 1980, la CIA a financé Reza Pahlavi. Il entretient également des relations de longue date avec le lobby israélien aux USA. Il a rencontré Sheldon Adelson, l’homme qui a suggéré que les USA attaquent l’Iran avec des bombes nucléaires, et a pris la parole à l’Institut Hudson, à l’Institut de Washington pour la politique du Proche-Orient, au Sommet israélo-américain et dans d’autres organismes pro-israéliens. Pahlavi a également appelé Israël - ce même pays qui mène des guerres brutales à Gaza et au Liban depuis un an -à aider la « cause de la démocratie » en Iran.
Les nouveaux efforts pour soutenir Pahlavi ont commencé immédiatement après l’élection de Donald Trump en novembre 2016, avant même qu’il ne prenne officiellement ses fonctions, mais les manifestations à grande échelle qui ont eu lieu en Iran en septembre-décembre 2022 à la suite de la mort de Mahsa Amini, la jeune femme décédée alors qu’elle était détenue par les forces de sécurité, ont fourni une nouvelle occasion de présenter le Chalabi iranien comme le « prochain dirigeant » de l’Iran. Parmi les proches conseillers de Pahlavi figurent Amir Taheri, Amir Etemadi et Saeed Ghasseminejad, tous partisans d’Israël.
Taheri, 82 ans, « journaliste », est président de Gatestone, Europe, institution islamophobe de droite, qui a menti sur l’Iran à de multiples reprises, dans le but de provoquer une réaction brutale contre ce pays. Par exemple, en mai 2006, le National Post, journal canadien de droite, a publié un article de Taheri dans lequel il affirmait que le Majlis [parlement iranien] avait adopté une loi qui « envisage des codes vestimentaires distincts pour les minorités religieuses, les chrétiens, les juifs et les zoroastriens, qui devront adopter des couleurs distinctes pour être identifiables en public ». Ces propos ont été rapidement réfutés par de nombreuses personnes, comme Maurice Motamed, qui était à l’époque le membre juif du Majlis. Le National Post a retiré l’article et s’est excusé de l’avoir publié, mais Taheri ne l’a pas fait.
Taheri a également accusé l’ancien ministre iranien des Affaires étrangères, Mohammad Javad Zarif, de faire partie des étudiants qui ont pris d’assaut l’ambassade des USA à Téhéran en novembre 1979, alors qu’à l’époque, Zarif était étudiant à l’université d’État de San Francisco. Juste après la signature de l’accord nucléaire avec l’Iran, officiellement connu sous le nom de Plan global d’action conjoint (JCPOA), en juillet 2015, Taheri a affirmé : « Akbar Zargarzadeh, 14 ans, a été pendu à un arbre dans un camp de garçons islamiques après que le mollah du camp l’a accusé d’être gay et de mériter la mort ». Cette affirmation s’est également révélée être un canular.
Si Taheri est trop âgé pour être un Ahmed Chalabi iranien, Ghasseminejad et Etemadi sont relativement jeunes et ambitionnent d’être le prochain Chalabi. Etemadi, 43 ans, a cofondé le petit groupe monarchiste Farashgard [qui signifie renaissance en persan ancien] en 2018. Ghasseminejad et lui appartenaient tous deux au soi-disant « Groupe des étudiants libéraux iraniens », un petit groupe d’ultra-droite composé d’étudiants activistes en Iran, dont la plupart ont déménagé au Canada et aux USA. Avant l’élection de Trump en 2016, Etemadi a reposté un gazouillis de Mitt Romney dans lequel il qualifiait Trump de « bidon et de fraude », mais dès que Trump a été élu, Etemadi et ses acolytes monarchistes sont tombés amoureux de sa politique iranienne et ont soutenu la « politique de pression maximale » de l’administration Trump contre l’Iran, que l’administration Biden a, plus ou moins, poursuivie. Une source bien informée à Washington a dit à l’auteur qu’Etemadi est payé par la Foundation for the Defense of Democracies (FDD), bien que je n’aie pas pu confirmer cette affirmation de manière indépendante. La FDD est un lobby israélien, un ardent opposant au JCPOA et un défenseur des sanctions économiques et même de la guerre contre l’Iran
Ghasseminejad est aujourd’hui chercheur principal à la FDD. Il s’est fait le champion du « nettoyage des rues des bêtes islamistes » et s’inquiète d’une « apocalypse chiite » imminente alimentée par l’Iran. Mais ce qui est plus important que ce titre, c’est le travail de Ghasseminejad au nom de la « fausse opposition » iranienne, un assortiment flou d’activistes réactionnaires qui soutiennent les sanctions économiques et la pression militaire contre l’Iran, mais dont la politique contraste fortement avec les groupes de la « vraie opposition » en Iran et leurs partisans dans la diaspora, qui se compose d’une large coalition de syndicats de travailleurs et d’enseignants, de groupes de défense des droits humains, de droits des femmes et d’activistes sociaux, de réformistes radicaux, de nationalistes, de gauchistes laïques et de nationalistes religieux.
Ghasseminejad était étudiant en génie civil à l’université de Téhéran, qui - à l’exception de la période du gouvernement éphémère du Premier ministre Mohammad Mosaddegh en 1951-1953 - a toujours été un foyer d’activités antigouvernementales. En 2002, Ghasseminejad et Etemadi ont publié un bulletin d’information étudiant intitulé Farda [« demain »] dans lequel ils prônaient le « libéralisme », c’est-à-dire des aventures militaires du type de celles envisagées par les néoconservateurs partisans d’une « intervention libérale » afin de répandre la « démocratie » par la force. Ghasseminejad a soutenu l’invasion usaméricaine de l’Irak en 2003 et, dans un article intitulé « Pourquoi les USA attaqueront l’Iran », il a implicitement préconisé des attaques militaires contre son pays natal.
En juin 2003, après des manifestations sporadiques contre le gouvernement à Téhéran, Ghasseminejad a été brièvement détenu. Lors d’une conférence de presse tenue après sa libération, il s’est excusé auprès du leader suprême de l’Iran, l’ayatollah Ali Khamenei, a promis d’être « un bon citoyen » et a mis fin à ses activités politiques. Deux ans plus tard, au printemps 2005, Ghasseminejad et un petit groupe d’autres étudiants ont commencé à publier une autre lettre d’information appelée Talangar [en gros, « appel au réveil »], qui se concentrait sur la critique des étudiants de gauche et des lettres d’information qu’ils publiaient.
Bien qu’il ait exprimé son « amour » pour la démocratie et les droits humains, qu’il se soit présenté comme un « libéral classique » et qu’il ait travaillé pour une fondation qui « défend » les démocraties, Ghasseminejad s’est à plusieurs reprises rallié à l’autoritarisme. Dans un article intitulé « Qu’apprenons-nous de Lénine », publié dans Talangar, il a exprimé son admiration pour Vladimir Lénine et son concept de « centralisme démocratique ». Il a qualifié Augusto Pinochet, le dictateur chilien, de « cher [dirigeant] disparu qui a sauvé le Chili... et qui était bien meilleur que Salvador Allende », le président socialiste chilien qui, comme Mohammad Mosaddegh en 1953, a été renversé par un coup d’État soutenu par la CIA en 1973.
Ghasseminejad s’est également prononcé en faveur du massacre des Égyptiens lors des manifestations qui ont suivi le coup d’État d’Abdel Fattah el-Sissi en 2013, en écrivant sur sa page Facebook: « J’ai pensé que je devais venir sur Facebook et exprimer mon appréciation pour l’armée égyptienne qui a nettoyé les rues des fondamentalistes islamiques criminels. » Il a ajouté : « En fait, la bonne question n’est pas de savoir pourquoi l’armée égyptienne nettoie l’Égypte des bêtes islamistes, mais plutôt pourquoi l’armée iranienne a permis aux islamistes de prendre le contrôle de notre pays » pendant la révolution iranienne, alors qu’au moins 3 000 personnes ont été assassinées par l’armée du Shah pendant la révolution de 1979.
J’ai beaucoup écrit sur Ghasseminejad. Dans sa jeunesse, il était opposé à la monarchie en Iran, qualifiant Mohammad Reza Shah de « dictateur insensé », mais, comme tous les opportunistes monarchistes, lui, Etemadi, Taheri et Farashgard soutiennent tous Reza Pahlavi et le retour de la dictature monarchique en Iran, ainsi qu’Israël. Taheri est un monarchiste si ardent qu’à un moment donné, il a exprimé le souhait de lécher les bottes de Mohammad Reza Shah.
Le point le plus important concernant ces aspirants Chalabi est qu’eux et leurs partisans ne disposent pas d’une base sociale de soutien significative en Iran. Reza Pahlavi n’a jamais osé appeler le peuple iranien à lui manifester son soutien en Iran par le biais d’une manifestation ouverte, et lorsqu’en décembre 2018 et janvier 2019, le monarchiste Farashgard a appelé à de telles manifestations, personne ne s’est présenté. Même dans la diaspora, une grande majorité d’Iraniens, tout en s’opposant aux religieux en Iran, méprisent les sanctions économiques, les menaces militaires et le soutien des monarchistes à la guerre du Premier ministre Benjamin Netanyahou contre l’Iran. En Iran, l’hostilité entre Netanyahou et les monarchistes iraniens a transformé les Iraniens généralement favorables à l’Occident en de fervents opposants à Israël.
Les monarchistes savent que l’absence d’une base sociale significative en Iran implique qu’ils ne reviendront jamais au pouvoir par le biais d’un mouvement social ou d’une révolution dans le pays. Leur seul espoir réside donc dans une intervention étrangère en Iran, raison pour laquelle ils prônent toujours la guerre et les sanctions économiques et soutiennent Israël. C’est pourquoi, après les grandes manifestations qui ont eu lieu en Iran en 2022, Etemadi et Ghasseminejad ont convaincu Reza Pahlavi qu’il devait faire connaître son alliance avec Israël et l’ont incité à s’y rendre. Accompagné de deux hommes, Pahlavi se rend en Israël en juin 2023 et rencontre Netanyahou et le président israélien Isaac Herzog. Pendant son séjour, Pahlavi a rencontré toutes sortes de groupes sociaux et religieux, à l’exception des Palestiniens et des musulmans.
Après l’attaque de l’Iran contre Israël la semaine dernière, les spéculations sur la réponse possible d’Israël à cette attaque vont bon train. Ici aussi, les Chalabi monarchistes ne sont pas seulement des alliés d’Israël, mais certains d’entre eux participent activement à la planification du bombardement de l’Iran par Israël. Interrogé sur la manière dont Israël décide où bombarder en Iran lors d’une interview avec Erin Burnett de CNN, le lieutenant-colonel (Re.) Jonathan Conricus, ancien porte-parole de Tsahal et actuellement chercheur principal à la FDD, a répondu que les sites potentiels sont étudiés et analysés par les experts de la FDD, dont Ghasseminejad, Behnam Ben Taleblu - un autre « chercheur principal » iranien - et Andrea Stricker, chercheuse anti-iranienne à la FDD, experte en prolifération nucléaire. En d’autres termes, les Chalabi iraniens empruntent la même voie que celle empruntée par les Irakiens.
Mais, contrairement à l’Irak où le nationalisme sous le régime de Saddam Hussein était faible, puisque ce dernier avait toujours prôné le panarabisme, les Iraniens sont farouchement nationalistes et ne pardonneront jamais aux renégats tels que ces aspirants Chalabi. Ceux-ci doivent également se rappeler le sort des Chalabi irakiens : une fois que les USA ont atteint leur objectif d’envahir et d’occuper l’Irak avec l’aide des mensonges et des exagérations de Chalabi, celui-ci a été jeté sans cérémonie comme une vieille serpillère : il n’a jamais accédé au pouvoir et est mort dans l’infamie.
BONUS TLAXCALA
Trombinoscope chalabiesque
Leurs Altesses Impériales Reza Pahlavi (qui aura 64 ans le 31 octobre) et sa maman, la Chahbanou Farah (qui aura 86 ans le 14 octobre) se sont vu décerner le Prix Architecte de Paix de la Fondation Richard Nixon. Reza sera l’hôte d’un dîner de gala le 22 octobre à la Bibliothèque/Musée présidentielle Richard Nixon, à Yorba Linda, Californie, tandis que la Chahbanou le recevra plus tard, lors d’une cérémonie privée. Vous pouvez acheter vos tickets pour le dîner, dont le prix va de 1 000 à 50 000 $, ou faire une donation, si vous ne pouvez pas assister au dîner, ici. Malheureusement, le menu du dîner n'a pas été communiqué par les organisateurs. On espère qu'il y aura du caviar de la Caspienne et du vin de Shiraz californien.
Le jeune Reza avec Tricky Dickie Nixon, papa et maman, en 1979, au country club de Cuernavaca. Nixon et Pahlavi senior furent les meilleurs amis du monde, s’étant connus à Téhéran après le coup d’État organisé par la CIA en 1953, puis rencontrés une douzaine de fois, jusqu’à l’enterrement du despote déchu au Caire en 1980, auquel Nixon fut le seul (ex)président à assister. Lors de la première visite de Nixon, alors vice-président, le 7 décembre 1953, 3 étudiants iraniens en grève qui protestaient contre sa présence furent tués par la police : Ahmad Ghandchi appartenait au Jebhe-e Melli (Front national de Mossadegh), Shariat-Razavi et Bozorg-Nia au Hezb-e Tudeh (parti communiste). Leur mémoire est honorée en Iran chaque 16 de mois d'Azar.
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