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Sergio Rodríguez Gelfenstein
¿Qué hará Marcos Rubio? 

27/10/2022

“Ras-le-bol des machines à laver ! Vivement qu’on en revienne à la polygamie !” : Meir Mazzouz, le rabbin tunisien de Bnei Brak, n’en rate pas une

 


Haaretz, 26/10/2022
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

NdT : Meir Mazzouz, illustre rejeton de Matsliah Mazzouz, le rabbin et posseq [docteur ès halakha-loi juive] de Djerba, assassiné en 1971 en Tunisie (son meurtrier était, selon les sources, un “nationaliste arabe” ou un “fanatique musulman” ou même un Palestinien), est le doyen de la yeshiva Kissé Rahamim à Bnei Brak, capitale du sionisme religieux, et pourrait fort bien se retrouver ministre en cas de victoire de Netanyahou aux prochaines élections, étant donné que l’ensemble des partis et groupes  dits orthodoxes se sont coalisés derrière Bibi et son Likoud. Ce partisan de la lapidation des gays et lesbiennes a trouvé l’explication au fait que selon lui, les pays arabes avaient été épargnés par le COVID-19 : ils ont interdit les gay prides ! En revanche, il a expliqué la propagation du virus en Iran par le fait que les Iraniens sont des “tordus” qui “haïssent Israël”. Cet allumé du bocal vient d’en remettre une couche.

“Aujourd'hui, nous avons quatre femmes à la maison. Nous avons une machine à laver, c’en est une. Nous avons une cuisinière à gaz, c’en est une autre. Nous avons un séchoir...” : le chef de la communauté juive tunisienne en Israël, le rabbin Meir Mazzouz, lors de son cours hebdomadaire de Torah diffusé en direct.

Un éminent dirigeant ultra-orthodoxe proche de nombreux députés du camp pro-Netanyahou a été filmé en train de comparer les femmes à des machines à laver et des cuisinières et de pleurer la fin de la polygamie sanctionnée par le rabbinat.

Dans une vidéo de l'une de ses conférences qui a été partagée en ligne, le rabbin Meir Mazzouz, chef de la communauté juive tunisienne en Israël et figure influente dans le monde de la politique nationaliste et ultra-orthodoxe, se plaint qu’« autrefois, la femme faisait tout, même la lessive. Pourquoi était-il permis, à l'époque [talmudique], à un homme de prendre jusqu'à quatre épouses ? Il était fou de chaque femme une semaine par mois ».

« Aujourd'hui, nous avons quatre épouses à la maison. Nous avons une machine à laver le linge, c'en est une. Nous avons une cuisinière à gaz, c’en est une autre. Nous avons un sèche-linge... Autrefois, une femme était un lave-linge, une cuisinière, une meunière, une couturière ».

Mazuz a fait les gros titres cet été lorsqu'il a qualifié les ministres Yair Lapid et Avigdor Liberman de “pires que des nazis”, exprimant l'espoir de leur mort en raison de leur soutien à des changements au statu quo religieux de longue date du pays.

« Il y a beaucoup de mauvaises personnes et nous attendons qu'elles disparaissent un jour du monde », a déclaré Mazzouz lors de sa conférence biblique hebdomadaire diffusée en direct.

« Les nazis aimaient leur peuple. [Lieberman et Lapid] détestent leur peuple. Ils veulent détruire les enfants et les personnes âgées » et fermer les écoles orthodoxes, a-t-il accusé.

Mazzouz est connu pour ses opinions controversées et ses critiques acerbes à l'égard des hommes politiques avec lesquels il est en désaccord. Il avait déjà traité l'ancien Premier ministre Naftali Bennett de "traître" et déclaré que voter pour le ministre des affaires étrangères Yair Lapid revenait à "faire de l'idolâtrie".

En novembre dernier, Mazzouz s'est emporté contre plusieurs groupes au sein du judaïsme, affirmant que les Juifs de l'ancienne Union soviétique et les Juifs réformés sont des non-croyants qui détruisent le judaïsme en Israël.

« Vous devez savoir que ce qui nous arrive n'est pas moins grave que ce qui s'est passé en Russie. Lieberman vient de Russie et en Russie il n'y a pas de religion, il n'y a pas de Dieu, rien, [ce sont] des hérétiques complets », a déclaré Mazzouz à l'époque, ajoutant que « les juifs réformés ont détruit le peuple d'Israël. »

En mars 2020, Mazzouz a affirmé qu'Israël souffrait de la pandémie de coronavirus parce qu'il avait autorisé les parades de gay pride, tandis qu'en 2016, il a prétendu que l'effondrement d'un parking en construction à Tel-Aviv, qui a fait six morts, était dû au manque de respect du shabbat. À l'époque, il était le chef spirituel du parti Yachad, fondé par l'ancien chef du parti ultra-orthodoxe Shas, Eli Yishai.

En 2014, Ynet a rapporté qu'il avait déclaré que les juifs séfarades n'avaient pas péri pendant l'Holocauste parce qu'ils étudiaient la Torah et que l'évasion fiscale des étudiants à plein temps de yeshiva pouvait être autorisée.

Tsahal ne se laisse pas “fragiliser” par les terroristes (parole d'expert)

“L'épisode Abou Aqleh aurait pu fragiliser Tsahal”, mais il n'en a rien été : c'est une des perles de cet “expert” militaire israélien, habitué du studio de la chaîne de propagande israélienne en français i24, interviewé récemment à propos de l'opération destinée à “éliminer le zoo”, comme il appelle les combattants du groupe de Naplouse Arin Al Ousoud (La Tanière des Lions). Notre expert considère en outre que Naplouse se trouve en Israël. Bref, il officialise l'annexion de fait de la Cisjordanie. Deux exemples scolaires du volet médiatique de la guerre contre-insurrectionnelle menée par l'armée la plus morale du monde, en concurrence sérieuse pour ce titre avec l'armée ukrainienne.

 


26/10/2022

YOSSI MELMAN
L'opération en Malaisie montre le recours croissant à l'externalisation par le Mossad

Yossi Melman, Haaretz, 25/10/2022
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Jusqu'à présent, le Mossad ne s'est écarté de ses méthodes d'opérations spéciales qu'à l'égard de l'Iran. Exploiter une cellule malaisienne pour enlever un expert en informatique palestinien serait un changement pour la « brigade internationale » de l'agence

L'arrestation de ressortissants malaisiens qui, selon des informations locales, ont enlevé un homme de Gaza à Kuala Lumpur au nom du Mossad en septembre et l'ont interrogé sur ses liens avec la branche armée du Hamas, est une erreur embarrassante qui pourrait affecter les plans et les futures opérations d'espionnage israéliennes en Asie du Sud-Est.

Cette affaire a attiré beaucoup d'attention en Malaisie. Plusieurs conclusions peuvent être tirées de cette info. La première, et la plus importante, est que l'opération est apparemment une expansion du recours à l'externalisation [outsourcing] par le Mossad.

Si, dans un passé récent, l'agence a utilisé des agents étrangers principalement pour recueillir des informations et seulement rarement pour des opérations spéciales – la plupart des actions « difficiles » et violentes étant aussi « bleues et blanches » que le drapeau israélien – dans ce cas, des Malaisiens ont apparemment été embauchés pour une opération locale d'enlèvement et d'interrogatoire.

Il s'agit d'un détail important, car jusqu'à présent, il a été signalé que le Mossad ne s'écartait de ses méthodes de fonctionnement et de recrutement que dans le cas de l'Iran.

Le chef du Mossad de l'époque, Yossi Cohen, a laissé entendre en juin 2021, dans une interview d'adieu à l'émission de télévision d'investigation israélienne « Uvda », que des agents étrangers opéraient en Iran pour le Mossad dans son opération de vol des archives nucléaires de Téhéran. Cependant, des informations étrangères ont également attribué des actes de sabotage et des assassinats dans la République islamique au Mossad.

On peut supposer que cette « brigade internationale » subit une formation approfondie, et que les experts du Mossad leur enseignent les secrets de la profession – mais à un niveau inférieur à celui des agents israéliens.

La rigueur du « travail israélien » n'est pas seulement une question de fierté nationale. Le Mossad traitait toujours avec respect les agents étrangers qu'il recrutait ou exploitait, et ne les voyait jamais comme des « traîtres » ou des « mouchards ». De grands efforts ont été déployés pour les convaincre d'être motivés à travailler pour Israël en raison de valeurs, d'intérêts et d'idéologies communs, ainsi que pour établir des liens de fraternité et de solidarité, et non pour exploiter leurs faiblesses. La communauté du renseignement n'a jamais aimé le terme « shtinker » [“puant”, collaborateur, informateur, importé en hébreu israélien de l’allemand stinken, puer, NdT] )pour décrire ses agents étrangers.

D'un autre côté, il est tout à fait logique de compter sur des étrangers dans des États ennemis ou hostiles. La principale considération ici, bien sûr, est de minimiser le risque de capture pour les Israéliens opérant sous des identités étrangères, avec la peine de mort ou d'emprisonnement prolongée que cela impliquerait. De là, il n’y a qu’un pas au recrutement de mercenaires. Le hic est que quelqu'un qui s'enrôle pour une poignée de dollars est susceptible de devenir agent double et d'aller travailler pour l'adversaire si celui-ci paie plus.

En outre, l'utilisation d'étrangers dans des opérations complexes réduit les capacités du Mossad et entrave la pleine exploitation de son potentiel technologique et humain – en raison de la nécessité de ne pas révéler des moyens et des méthodes de fonctionnement avancés à ceux dont la loyauté peut être mise en cause.

Fonctionnement similaire

Selon les médias malaisiens, le Palestinien qui a été enlevé et interrogé est un expert en informatique qui peut pirater des smartphones et est soupçonné de travailler pour le département de cyber-guerre du Hamas.

Toujours sur la base de ces infos, il y a environ quatre ans, le Mossad a recruté une femme locale dans la trentaine, qui a été formée en tant qu'enquêteur privé et en renseignements commerciaaux. On peut supposer que les recruteurs se sont présentés à elle comme les propriétaires d'une entreprise et lui ont offert un emploi – dans ce qui est connu comme « recrutement sous un drapeau étranger ». Selon les infos, elle a ensuite été envoyée en Europe pour y suivre une formation complémentaire.

Pour l'enlèvement, qui aurait eu lieu à 22 h le 28 septembre près des tours Petronas dans la capitale Kuala Lumpur, la femme a recruté 11 personnes localement. La tentative d'enlèvement a été faite lorsque le Palestinien est monté dans la voiture avec un autre programmeur informatique palestinien, mais n'a été que partiellement réussie : la cellule a réussi à attraper un seul d'entre eux dans la voiture, selon les infos locales. Le second s'est rendu à un poste de police dans un délai de 40 minutes et a déposé une plainte.

Selon les rapports, la personne enlevée a été emmenée dans une cabane éloignée, battue et interrogée sur vidéo par deux Israéliens au sujet de ses activités pour le Hamas. Dans de tels cas, les agents du Mossad sont responsables de l'opération tandis que le service de sécurité de Shin Bet est responsable de l'interrogatoire.

La police et les services de sécurité malaisiens ont agi efficacement. Selon les rapports, ils ont localisé la cabane dans les 24 heures, l'ont perquisitionnée, ont libéré la personne enlevée et ont arrêté les personnes impliquées.

Al Jazeera a cité une « source malaisienne bien informée » disant qu'une enquête avait « découvert une cellule du Mossad » dans le pays qui était impliquée dans l'espionnage de sites importants, y compris les aéroports, et qui cherchait à « pénétrer les entreprises électroniques gouvernementales ». La source a également déclaré que deux membres du Hamas avaient quitté la Malaisie immédiatement après l'incident.

Il est clair que si les ravisseurs l'avaient désiré, ils auraient tué la personne enlevée. Cependant, il semble que leur objectif était de l'interroger sur ses compétences et ses connexions, et sur les plans du Hamas.

Il y a quelques mois, il y a eu une opération similaire attribuée au Mossad dans laquelle des inconnus ont enlevé un agent des Gardiens de la Révolution en Iran, l'ont amené en Israël pour l'interroger et l'ont ensuite relâché. Certaines parties de l'interrogatoire ont été divulguées à la chaîne d'opposition londonienne Iran International, considérée comme un porte-voix du Mossad.

La Malaisie est un pays à majorité musulmane qui n'entretient pas de relations diplomatiques avec Israël. Ses dirigeants ont souvent fait des déclarations antisémites [sic], mais on a signalé de légers changements d'attitude ces dernières années. Des touristes de Malaisie se sont rendus en Israël ; des diplomates et des hommes d'affaires israéliens ont rencontré leurs homologues malaisiens ; et certains liens commerciaux se développent également entre les pays. Par le passé, il a également été rapporté que le Mossad avait essayé d'établir des liens avec les services de sécurité malaisiens, mais qu'il avait reçu une fin de non-recevoir.

En même temps, un nombre relativement important de Palestiniens étudient en Malaisie, principalement dans les domaines de la science, de l'informatique et de l'ingénierie – offrant ainsi une réserve potentielle pour le Hamas afin d'améliorer ses capacités dans des domaines tels que les roquettes, les missiles, les drones et la cyber-guerre. Dans le passé, le Shin Bet révélait que des militants du Hamas pratiquait du parapente en Malaisie.

En outre, selon des informations étrangères, c'est là que des membres du Mossad ont assassiné Fadi al-Batsh, un ingénieur électrique palestinien de Gaza qui appartenait au Hamas. Deux inconnus à moto l'ont abattu alors qu'il se rendait à une mosquée locale en avril 2018 – la même année où, selon les rapports, le Mossad a recruté la femme qui était à la tête de la cellule qui a effectué la dernière opération à Kuala Lumpur. Le Hamas a affirmé en janvier dernier avoir arrêté un suspect dans l'assassinat d'al-Batsh.

Aussi embarrassantes soient-elles, les erreurs du type de celles qui se seraient produites en Malaisie portent atteinte à la réputation du Mossad mais constituent un danger professionnel. Lorsqu'un tel événement se produit, des protocoles d'urgence visant à minimiser les dommages et à couvrir les pistes sont activés immédiatement – y compris l'annulation d'opérations similaires en Malaisie ou dans les pays voisins. En d'autres termes, plusieurs années de travail et d'investissements considérables passent à la trappe. [les pauvres, on est bien tristes pour eux, NdT]

Le Cabinet du Premier Ministre, dont relève le Mossad, a refusé de commenter cette affaire.

Deux sons de cloche



25/10/2022

JIM BOVARD
Le mirage de la barbouzerie washingtonienne
Sur les aveux tardifs du sénateur Pat Leahy

 Jim Bovard, libertarianinstitute.org , 24/10/2022
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

James Bovard (1956) est un auteur et conférencier libertarien usaméricain dont les commentaires politiques visent des exemples de gaspillage, d'échecs, de corruption, de copinage et d'abus de pouvoir au gouvernement fédéral. Il est chroniqueur sur USA Today et est un contributeur fréquent de The Hill. Il est l'auteur de Public Policy Hooligan (2012), Attention Deficit Democracy (2006), Lost Rights : The Destruction of American Liberty (1994) et de 7 autres livres.  Il a écrit pour le New York Times, Wall Street Journal, Washington Post, New Republic, Reader' s Digest, The American Conservative et bien d'autres publications. Ses livres ont été traduits en espagnol, arabe, japonais et coréen. Ses articles ont été dénoncés publiquement par le chef du FBI, le maître général des postes, le secrétaire du HUD (Department of Housing and Urban Development), et les chefs de la DEA  (Drug Enforcement Administration), de la FEMA (Federal Emergency Management Agency), de l'EEOC (Equal Employment Opportunity Commission ) et de nombreux organismes fédéraux. (Comme l'a dit Mao Zedong, « être attaqué par l'ennemi n'est pas une mauvaise chose mais une bonne chose. »)

« Vous pouvez envoyer un homme au Congrès, mais vous ne pouvez pas le faire réfléchir », a dit l'humoriste Milton Berle dans les années 1950. Pour actualiser Berle : vous pouvez dépenser 60 milliards de dollars par an pour les agences de renseignement, mais vous ne pouvez pas obliger les politiciens à lire leurs rapports. Au lieu de cela, la plupart des politiciens restent incorrigiblement ignorants et désespérément poltrons lorsque les présidents entraînent l'USAmérique dans de nouveaux fiascos ultramarins.

Reporting for Duty, par Clifford K. Berryman, 2 avril 1917 : les représentants des 2 chambres au garde-à-vous devant le président Wilson, qui s’apprête à demander leur soutien pour la déclaration de guerre à l’Allemagne

La docilité du Congrès ouvre la voie à la guerre depuis au moins l'ère du Vietnam. En 1964, le président Lyndon Johnson a invoqué une attaque présumée du Nord-Vietnam contre un destroyer usaméricain dans le golfe de Tonkin pour faire adopter par le Congrès une résolution donnant à LBJ le pouvoir illimité d'attaquer le Nord-Vietnam. LBJ avait décidé plus tôt cette année-là d'attaquer le Nord-Vietnam pour relancer sa campagne de réélection. Le Pentagone et la Maison Blanche ont rapidement reconnu que les allégations fondamentales derrière la résolution du Golfe de Tonkin étaient fausses mais les ont exploitées pour sanctifier la guerre.

Lorsque l'histoire officielle des attentats du Golfe de Tonkin a commencé à se dévoiler lors des audiences secrètes du Sénat en 1968, le secrétaire à la Défense Robert McNamara a proclamé qu'il était « inconcevable que quiconque connaissait même à distance notre société et notre système de gouvernement puisse soupçonner l'existence d'une conspiration » pour amener l'USAmérique à la guerre sous de faux prétextes. Mais l'indignation ne saurait se substituer à des faits concrets. Le Sénateur Frank Church (Démocrate-Idaho) a déclaré : « Dans une démocratie, vous ne pouvez pas vous attendre à ce que les gens, dont les fils sont tués et qui seront tués, exercent leur jugement si la vérité leur est cachée. » Le président de la commssion, le sénateur J. William Fulbright (Dém-Arizona), a déclaré que si les sénateurs ne s'opposaient pas à la guerre à ce moment-là,  « nous ne sommes qu'une annexe inutile à la structure gouvernementale ». Mais d'autres sénateurs ont bloqué la publication d'un rapport d'état-major sur les mensonges derrière l'incident du golfe de Tonkin qui propulsait une guerre tuant 400 soldats usaméricains par semaine. Le sénateur Mike Mansfield (Dém-Montana) a prévenu : « Vous donnerez aux gens qui ne sont pas intéressés par les faits une chance de les exploiter et de les magnifier hors de toute proportion. » La même présomption a protégé chaque débâcle militaire subséquente des USA.

Des membres du Congrès paresseux et lâches ont perpétuellement ouvert la voie au carnage outre-mer. En octobre 2002, avant le vote sur la résolution du Congrès visant à permettre au Président George W. Bush de faire ce qu'il voulait de l'Irak, la CIA a remis une évaluation classifiée de 92 pages des armes de destruction massive irakiennes à Capitol Hill (le Congrès). Le rapport classifié de la CIA suscitait beaucoup plus de doutes sur l'existence des armes de destruction massive iraquiennes que le résumé de 5 pages que tous les membres du Congrès ont reçu. Le rapport était conservé dans deux salles sécurisées, l'une pour la Chambre des représentants et l'autre pour le Sénat. Seuls six sénateurs ont pris la peine de visiter la salle pour examiner le rapport, et seule une « poignée » de congressistes ont fait de même, selon le Washington Post. Le Sénateur John Rockefeller (Dém-Virginie occ.) a expliqué que les membres du Congrès étaient trop occupés pour lire le rapport : « ‘Tout un chacun dans le monde veut venir vous voir’ dans votre bureau, et aller dans la salle sécurisée n'est ‘pas facile à faire’. »

Des centaines de milliers d'USAméricains ont été envoyés à 9600 km de là parce que les membres du Congrès ne pouvaient pas se donner la peine de traverser la rue à pied. Les membres du Congrès ont agi comme si aller dans une pièce sécurisée pour parcourir un document de 92 pages équivalait à lire l'ensemble des 38 volumes de l'Encyclopedia Britannica à la lumière d’une bougie dans un placard moisi. La plupart des membres du Congrès avaient amplement le temps de prononcer des discours soutenant le sabre de Bush, mais pas le temps de passer au crible les prétendues preuves de la guerre. Les seules preuves pertinentes pour de nombreux membres du Congrès étaient les sondages montrant un fort soutien pour le président.

Illustration de POLITICO pour l'extrait des mémoires de Leahy qu'il a publié (cité ci-dessous)

De plus amples détails sur le chemin de la guerre en Irak ont été exposés dans les nouvelles mémoires du sénateur Patrick Leahy, The Road Taken. Leahy était l'un des rares sénateurs à se rendre dans la salle réservée pour lire certains documents confidentiels sur la guerre.  Alors que lui et sa femme se promenaient le dimanche dans leur quartier de McLean, en Virginie, en septembre 2002 :

« Deux joggueurs en forme se sont mis à nous suivre. Ils se sont arrêtés et ont demandé ce que je pensais des briefings de renseignement que j'avais obtenus… Je me suis soumis à la clause de non-responsabilité requise selon laquelle, si j'assistais à des briefings et que ceux-ci étaient classifiés, je ne pouvais pas reconnaître qu'ils avaient eu lieu et je ne pouvais pas dire qu’ils avaient eu lieu. Ils m'ont dit qu'ils comprenaient cela, mais ont demandé si les briefeurs m'avaient montré le Dossier Huit.

Il était évident, en voyant la mine que je faisais, que je n'avais pas vu un tel dossier. Ils ont suggéré que je devrais et que je pourrais trouver cela intéressant. Peu de temps après, je me suis arrangé pour voir le Dossier Huit, et cela contredisait une grande partie de ce que j'avais entendu de l'administration Bush.»

Y aurait-il eu un happy end ?   Non pas tout à fait ! Quelques jours plus tard, Leahy et sa femme marchaient et les mêmes joggueurs sont réapparus et ont demandé ce qu'il pensait de ce dossier secret. Leahy a commenté : « C'était la conversation la plus effrayante que j’ai vécue à Washington. Je me sentais comme une version sénatoriale de Bob Woodward rencontrant Gorge Profonde uniquement en plein jour. » Les joggueurs demandèrent alors si Leahy « s’était également fait montrer le Dossier Douze, en utilisant un mot de code…Le lendemain, j'étais de retour dans la salle sécurisée du Capitole pour lire le Dossier Douze, et cela contredisait encore les déclarations de l'administration, et en particulier du vice-président Cheney. »

Le dimanche suivant, Leahy et sa femme passaient devant l'ancienne propriété de Robert Kennedy lorsque des voitures noires avec de multiples antennes et des fenêtres obscurcies se sont garées. Leahy écrit :

« Un membre du cercle présidentiel rapproché s'est penché par la fenêtre arrière, saluant à la fois moi-même et [ma femme] Marcelle, et m'a demandé s'il pouvait me parler…Je suis monté dans la voiture avec lui pendant que les agents de sécurité sortaient de la voiture. Nous nous sommes assis là et nous avons discuté, et il a dit : « Je comprends que vous avez vu les dossiers huit et douze. » J'ai dit que oui, et je savais bien sûr qu'il les avait vus. Il a dit : “Je comprends aussi que vous allez voter contre la guerre.” J'ai dit : « Je vais le faire, parce que nous savons tous qu'il n'y a pas d'armes de destruction massive et que les raisons d'aller en guerre ne sont tout simplement pas là. » Il m'a demandé s'il pouvait m'en dissuader, et j'ai dit non, et nous avons mis fin à la conversation. J'ai commencé à sortir de la voiture, et il a dit qu'ils me raccompagneraient. « Merci, laissez-moi vous dire où j'habite. »

Le haut fonctionnaire anonyme de l'administration Bush a répondu : « Nous savons où vous habitez. » Leahy n'a pas demandé au mec s'il connaissait aussi tous les mots de passe de son ordinateur.

Leahy a voté contre la résolution Bush d'utiliser la force militaire contre l'Irak. Mais Leahy a attendu 20 ans pour révéler les magouilles internes qu'il avait vues sur la route de la guerre. Et Leahy refuse toujours de révéler le nom du « membre du cercle présidentiel » qui le harcelait ce matin-là à McLean. Jimmy Dore, animateur de podcast, s'est moqué que l'histoire de Leahy était « comme un thriller politique, mais à la fin rien ne se passe et rien n'est résolu ». Dore a commenté : « Il y a une guerre de toute façon et il ne dit rien pendant 20 putains d'années. Fin. Ont-ils au moins pris la peine de tester cette fin auprès du public ? » Edward Snowden a gazouillé sur l'histoire de Leahy : « Comment Leahy pouvait-il s'asseoir sur des informations classifiées qu'il savait pouvoir arrêter une guerre ? »

Mais les dissimulations sont souvent inutiles à Washington parce que peu de membres du Congrès y prêtent attention. Après la mort de quatre soldats usaméricains au Niger en 2017, les sénateurs Lindsey Graham (Républicain-Caroline du Sud) et Charles Schumer (Dém-New-York) ont admis qu'ils ne savaient pas qu'un millier de soldats usaméricains avaient été déployés dans ce pays africain [savaient-ils même pù se trouve ce pays ?, NdT]. Graham, membre de la Commission des services armés du Sénat, a admis : « Nous ne savons pas exactement où nous en sommes dans le monde militairement et ce que nous faisons. » Les troupes usaméricaines étaient engagées dans des combats dans 14 pays étrangers à l'époque, prétendument contre des terroristes. Mais la plupart des membres du Congrès ne peuvent probablement pas citer plus de 2 ou 3 pays où les troupes américaines se battent.

Alors que le gouvernement usaméricain est devenu beaucoup plus secret au cours des dernières décennies, les commissions du renseignement du Congrès auraient fourni un contrepoids aux agences qui se cachent derrière des rideaux de fer. Mais « commission  du renseignement » est peut-être le plus grand oxymore de Washington.

Les commissions du renseignement du Congrès font assaut de courbettes à la CIA et à d'autres agences. La Commission sénatoriale du renseignement a effectivement absous tous les mensonges de l'administration Bush sur la voie de la guerre contre l'Irak. Lorsque son rapport a été publié au milieu de 2004 (juste à temps pour stimuler la campagne de réélection de Bush), le président de la commission, le sénateur Pat Roberts (Rép-Kansas), a annoncé : « La commission a constaté que la communauté du renseignement souffrait de ce que nous appelons une pensée de groupe collective. » Et comme tout le monde avait tort, personne n'était en faute, surtout le vice-président Dick Cheney. (Antiwar.com avait raison bien avant le début de la guerre). La CIA n'a pas non plus payé le prix quand elle a été prise en train d'espionner illégalement l'enquête de la commission du renseignement du Sénat sur la torture de la CIA sous l'administration Obama.

Et puis il y a les récompenses officielles pour léchage de bottes. La CIA décerne publiquement sa médaille au sceau de l'Agence aux membres du Congrès qui augmentent son budget, dissimulent ses crimes et s'abstiennent de poser des questions embarrassantes. Pat Roberts en a obtenu une - avec la congressiste Jane Harman (Dém-Californie), le Sénateur John Warner (Rép-Virginie) et le congresssiste Pete Hoekstra (Rép-Michigan)- tous des larbins fiables de l'agence. Les Pères Fondateurs se retourneraient dans leurs tombes à l'idée que les agences fédérales décernent des prix aux membres du Congrès qui étaient censés les tenir en laisse. C’est comme si un juge se vante d'avoir reçu un prix de la fonction publique d'un mafieux qu'il a déclaré non coupable, en connivence avec lui.

Il y a des membres du Congrès intelligents, dévoués et respectés qui surmontent la léthargie et les obstacles bureaucratiques pour en apprendre assez pour reconnaître les folies des interventions proposées. Mais ces âmes vaillantes seront probablement toujours dépassées en nombre par le troupeau de sénateurs et de représentants bien plus enclins à parcourir les derniers sondages qu'à lire un rapport officiel plus long que les 140 signes d’un gazouillis


« ça doit être le signal au Sénateur Leahy qu'il est temps qu'il rentre à la maison » : le commentaire du dessinateur RJ Matson à l'annonce par Patrick Leahy, 82 ans, qu'il ne se représentera plus aux élections du 8 novembre 2022. 8 mandats de suite sur 48 ans, ça devrait suffire. Membre du Sénat le plus âgé et donc son président pro tempore, Pat était l'un des Watergate babies, ces Démocrates ayant été élus au Congrès et au Sénat en 1975, après la démission de Tricky Dicky Nixon. Il a, entre autres nombreux faits d'armes, joué des petits rôles dans six films de Batman. D'où le dessin de Matson. Le décor bucolique est celui du Vermont, dont Leahy est l'un des 2 représentants (l'autre étant Bernie Sanders).

REINALDO SPITALETTA
Molière et le rire absolutiste
400 ans et pas une ride  

Reinaldo Spitaletta, Chapeau de magicien, El Espectador 24/10/2022

Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Contre le roi, contre le pouvoir, contre les hypocrites et les flagorneurs qui prient tout en posant leur hache sur le cou de quelqu'un qui deviendra bientôt un décollé, il ne reste plus que la folie de l'art. Il ne nous reste plus, à nous qui subissons les oppressions du seigneur féodal, du prince, du président, d’un quelconque dictateuricule, que le rire comme réconfort et comme sarbacane pour lancer des fléchettes qui, nous le savons, bien qu'empoisonnées, ne mettront pas à bas l’establishment, mais lui causeront des démangeaisons et d'autres désagréments.

Représentation du « Malade imaginaire » à Versailles, devant Louis XIV et sa cour, avec Molière en scène, à l'été 1674 (Gravure de Jean Lepautre, 1618-1682) ; Photo Josse / Bridgeman Images

Cette année a été celle de Molière, celle de ses œuvres, de ses passions, de ses personnages, de ses relations avec le pouvoir, en l'occurrence le pouvoir absolu et divin du Roi Soleil, et de tout ce qu'il a laissé derrière lui avec ses comédies, avec son rire. Les anniversaires, qu'ils soient de naissance ou de mort, dans le cas d'artistes, de scientifiques, de philosophes (pas tant ceux de politiciens) et d'autres penseurs, qu'on a aussi appelés tire-au-cul, galvaudeux,  pique-assiettes et tout autre nom d’oiseau désignant quiconque, du point de vue utilitariste, ne donne pas de plus-values, sont une occasion de passage en revue, d'apprentissage, de mémoire et d'avoir de nouvelles références.


Ce Molière, moins connu sous son nom de Jean-Baptiste Poquelin, est de nouveau sur le devant de la scène (qu’il n’a d'ailleurs jamais quittée), à l'occasion des quatre cents ans de sa naissance. Le fils du tapissier du roi revient sur les planches (dont il ne s'est jamais éloigné non plus), aux causeries et conférences, à sortir dans les journaux et à circuler de bouche à oreille, bien que ce ne soit qu'une façon de parler. On aimerait que notre vie quotidienne soit plus ouverte aux conversations sur un artiste du XVIIe siècle (rien à cirer, diront certains), dont les archétypes et les personnages continuent à donner du grain à moudre.

Ces commémorations ne manqueront pas de rappeler que Molière, avec toutes ses rigolades, était un mélancolique, en plus d’être (comme l'a signalé Harold Bloom dans sa mosaïque de cent esprits créatifs et exemplaires) un cocu éminent, qui dépendait « entièrement de la protection de Louis XIV, le Roi Soleil, dont le critère littéraire était heureusement excellent ». Et sa peur d'être toujours en train de montrer les cornes, il l'a donnée à voir dans plusieurs de ses comédies et farces, dont L'école des femmes, l'une de ses œuvres les plus célèbres.

Ces éphémérides, surtout  de quelqu'un qui connaissait les pouvoirs du rire, nous rapprochent de l'homme et de l'artiste. Ce monsieur baroque, qui a étudié avec les jésuites, est devenu avocat et a été accusé en son temps d'inceste, a dû avoir du génie pour créer près de trois cent cinquante personnages. Tant de gens, tant d'experts et de chercheurs se sont occupés de sa vie, de sa passion et de son œuvre, comme, par exemple, Julio Gómez de la Serna, traducteur et auteur d'une merveilleuse étude introductive aux Œuvres complètes de Molière, en espagnol éditées par Aguilar.

Molière, qui provoqua tant d’« aboiements dans la meute des envieux » de son époque (rappelons cette peste des envieux a été abondante à toutes les époques), est un créateur d'archétypes terribles, universels, qui sont valables là-bas comme ici. Nous sommes pleins de tartuffes, d'hypocrites et de faux dévôts, à la « double» morale(tte). Interdit après sa première, bien que sa représentation eût été jusqu'à faire mdr l'absolutiste Roi Soleil, Tartuffe a donné des boutons aux curés et autres maîtres ès-pruderie. Ah, et il va sans dire que, malgré toutes les oppositions moraloïdes, le roi a accordé de nouvelles distinctions et réajustements de pension à l'artiste qui, rappelons-le, était non seulement auteur, mais acteur et metteur en scène. Les pensions en question ne semblaient pas si faciles à payer et le scandale de Tartuffe a atteint la santé du grand comédien.

Des gens comme Voltaire, Boileau, J.J. Rousseau se sont occupés de la vie et l’œuvre de Molière, et certains autres avec des intentions malveillantes, comme ce fut le cas au début du XXe siècle avec le poète Pierre Louÿs (il déclara avec une volonté perverse de discréditer son compatriote, que Molière n'était pas l'auteur de ses œuvres, mais que c’était le grand tragédien Corneille, etc.). Molière a bu le lait de la poésie populaire médiévale, a appris l'histoire du rire dans les carnavals et autres fêtes, et dans une partie de sa vie il a été un bululú [acteur ambulant espagnol de « one man show », jouant tous les rôles, NdT] ou un ménestrel.

Avec le musicien d'origine italienne Jean-Baptiste Lully (créateur de l'opéra français et courtisan de Louis XIV), et le chorégraphe Pierre Beauchamp, Molière est l'auteur de ballets comiques, tels que Le Bourgeois gentilhomme et L'Amour médecin, entre autres. Il participe à une révolution dans la danse et le théâtre. Tout comme il a fait la satire d'autres milieux sociaux, les médecins ont eu droit à une bonne volée de bois vert. Tuberculeux, en plus d'hypocondriaque, Molière a représenté dans le dernier spectacle de sa vie le Malade imaginaire (comédie en trois actes, 1673). « Presque tous les hommes meurent de leurs remèdes et non pas de leurs maladies », dit Argan, le protagoniste de cette comédie. La légende dit que Molière est mort sur scène.