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23/06/2022

LUIS CASADO
Mon Général... réveillez-vous ! Ils sont devenus fous !

Luis Casado, 21/6/2022
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Les élections ont cette particularité : parfois le peuple gagne. Comme en Colombie. Ce qui a la vertu de mettre en colère l'empire. D'autres fois, il y a match nul, ou une invalidation mutuelle, et tout le monde nage dans l'incertitude. C’est ce qui vient de se passer en France...
Chaunu, Ouest-France

De passage à Moscou, de retour vers « l’Occident », cette merveilleuse région des libertés, de la protection de la diversité LGTBHYZ@#%$, du respect des intérêts des puissants et, surtout, d'une hypocrisie à en chier comme des Russes, Dmitri m'a proposé une interview pour une agence de presse ukrainienne. Ne soyez pas surpris. Des milliers et des milliers d'Ukrainiens vivent en Russie comme s'ils étaient dans leur patrie, et ils font ce qu'ils veulent, à commencer par lutter contre la clique néonazie qui contrôle Kiev et son armée.

La première interview ayant eu un certain écho en Russie, Dmitri m'a appelé dimanche dernier pour m'interroger sur le résultat des élections législatives françaises. La France, comme vous le savez, est mon pays d'adoption depuis près de 50 ans. J'aime la France et j'admire son histoire, sa culture, sa géographie, sa langue, sa gastronomie et beaucoup de choses qui n'arrivent qu'ici.

En parlant de la littérature russe, Olya Valentinovna m'a dit : « L'écrivain que je préfère est Mikhaïl Bulgakov ». Vous me connaissez. Je suis immédiatement parti à la recherche de ses livres. J'ai lu Cœur de chien, une histoire fantastique terrible et satirique qui est une critique dévastatrice du pouvoir soviétique. Le livre, écrit en 1925, a été jugé contre-révolutionnaire et n'a donc été publié en URSS qu'en 1987, lorsqu’Andrei Gromyko, plus connu sous le nom de « Mr Nyet », était au pouvoir.

Quand j'ai ouvert l'œuvre majeure de Boulgakov, Le Maître et Marguerite, j'ai été surpris. L'éditeur français, le célèbre Robert Laffont, présente l'auteur comme suit :

« Mikhaïl Bulgakov est né à Kiev, en Russie, en 1891, dans une famille d'intellectuels... »

Ainsi, en l'an de grâce 2009, un symbole de la culture et de l'intelligentsia gauloises estime que Kiev fait partie de la Russie ou, en d'autres termes, que l'Ukraine fait partie de la Russie. Quoiqu’il en soit, Mikhaïl Bulgakov est un écrivain russe. Aujourd'hui, l'hystérie et la phobie antirusse qui se sont emparées des élites locales les amènent à affirmer que l'Ukraine n'a jamais fait  partie  de  l'Empire  russe  et  que  le  pays  peut  choisir *démocratiquement* ses alliances militaires.

Ce « démocratiquement » est une mauvaise blague : lorsque Nicolas Sarkozy a décidé – putain de bordel - de réintégrer le commandement de l'OTAN, il n'a demandé l'avis de personne. L'Assemblée nationale n'a pas débattu de la question, et même les « gaullistes » historiques n'ont pas protesté. La mémoire de Mon Général a été souillée.

Comme chacun sait, sur le plan militaire, l'Union européenne est un protectorat usaméricain. Dans l'Union européenne, il y a des questions qui ne concernent que chaque pays - la santé, l'éducation, le système social, le système fiscal - et d’ailleurs, personne ne s'occupe de la défense, puisque cette tâche éminente a été confiée à l'empire, qui ne facture pas mais donne des ordres.

Trump avait l'habitude de cracher à la figure de ses homologues européens : « Vous ne payez même pas les munitions », et les engueulait, provoquant chez eux des mines contrites et penaudes.

Si vous voulez savoir pourquoi les États de l'UE obéissent aveuglément aux ordres de Washington et rivalisent entre eux pour être les plus dociles, voici pourquoi : ils n'ont pas d'armée digne de ce nom (sauf la France, et encore...), et ils économisent cette charge. En échange, ils cirent les chaussures de Biden avec leur langue, et bien sûr, ils sont reconnaissants. Lorsqu'un chef d'État européen a soulevé la question de l'indépendance militaire, les USA lui font rapidement comprendre qu'il ferait mieux de la fermer, et l'histoire s'arrête là.

Les résultats des élections législatives françaises ont donc ajouté un nouvel élément d'incertitude à une situation dans laquelle l'Union européenne joue le rôle de PQ. Tout d'abord, les électeurs se sont massivement abstenus : 54% n'ont pas voté. La médiocrité de l'environnement, le bégaiement de presque tous les dirigeants politiques, la négligence de ce qui compte vraiment pour la population (santé, éducation, salaires, retraites, services publics, logement...) font que seule une minorité considère que la politique sert à quelque chose.

Le parti du président a perdu sa majorité absolue et a vu ses principaux porte-parole battus par des jeunes de la « société civile ». Macron a vu ses rangs parlementaires fondre de près de 50 %, malgré le mode de scrutin « majoritaire » qui favorise le parti au pouvoir.

Pour la première fois, des marins, des facteurs, des ouvriers agricoles, des chauffeurs, des viticulteurs, des femmes de chambre entrent au parlement... La seule ouvrière de l'Assemblée sortante avait été qualifiée avec mépris de « Bac -2 » par les macronards : ce sont ces imbéciles qui exigent ensuite du « respect » ....

Les électeurs ont dopé la gauche, pour une fois unie grâce à Jean-Luc Mélenchon, et lui ont donné 149 députés (les Insoumis de Mélenchon ont obtenu 84 députés, là où ils n'en avaient que 17...). La social-démocratie disparaît pratiquement, qui pourrait s'en plaindre ?

L'extrême droite, favorisée par le parti de Macron qui a refusé d'arbitrer entre la gauche et les néonazis, a obtenu 89 députés, le nombre le plus élevé de l’histoire de la Ve République.

La droite traditionnelle a perdu de nombreux députés, mais a réussi à en faire élire 74, ce qui, compte tenu de son influence limitée, lui semble être une victoire.

Ainsi, personne ne dispose d'une majorité parlementaire, ce qui rend pratiquement impossible la formation d'un gouvernement. En France, le président « préside », mais c'est la majorité parlementaire qui gouverne. Macron essaie de faire des ronds dans l’eau, mais dans ces conditions, il ne peut même pas essayer de faire voter le budget de l'État.

Au niveau européen (Macron est encore le président tournant de l'UE), c'est un désastre : comment définir une politique envers le reste du monde s'il n'y a pas de soutien parlementaire même pour changer les ampoules du palais ?

Quelque chose me dit que Vladimir Vladimirovitch Poutine doit sourire, alors que Joe Biden s’arrache les quelques cheveux qui restent sur sa tête de vieux tartufe.

Pas de quoi se réjouir, bien sûr, car au milieu du désastre généré par la docilité européenne à l'empire - inflation, pénuries alimentaires, coût très élevé de l'énergie, récession économique, dégradation de la santé et de l'éducation, mouvements sociaux et ce qui va suivre... - il n'y a aucune force capable de diriger ni la France ni l'Europe dans une quelconque direction.

La lutte pour le pouvoir est ouverte.

Face à l’impossibilité d'exercer son mandat, Macron ne peut que dissoudre l'Assemblée nationale et convoquer de nouvelles élections législatives. La dernière fois que cela s'est produit (1997), Jacques Chirac a perdu sa majorité parlementaire et le gouvernement.

Mon général... réveillez-vous ! Ils sont devenus fous !

 

 

 Monument à Mikhaïl Boulgakov, écrivain russe (1891-1940) né à Kiev, à Boutcha, où il passait ses vacances dans la datcha familiale

 

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