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30/07/2024

JEREMY SCAHILL
Israël croit-il vraiment qu’il peut gagner une guerre contre le Hezbollah ?
Entretien avec Amal Saad Ghorayeb

Amal Saad Ghorayeb, spécialiste du mouvement de résistance libanais, estime qu’une guerre totale pourrait entraîner la chute d’Israël

Jeremy Scahill, Drop Site News, 30/7/2024
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala 


Un discours de Hassan Nasrallah du Hezbollah est diffusé à Téhéran, le 3 novembre 2023. Photo : Morteza Nikoubazl/NurPhoto via Getty.

Lundi, les vols à l’aéroport de Beyrouth ont été annulés, le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu ayant promis de mener une attaque militaire “sévère” contre le Liban, à la suite de l’attaque meurtrière de samedi contre une communauté druze syrienne dans la ville de Majdal Shams, située dans le Golan occupé par Israël. L’horrible incident a tué 12 enfants sur un terrain de football.

Israël et les USA ont immédiatement accusé le Hezbollah d’avoir frappé la ville avec une roquette Falaq-1 lancée depuis le Sud-Liban. Le Hezbollah a nié être à l’origine de l’attaque et le gouvernement libanais et lui-même ont demandé aux Nations unies de mener une enquête indépendante.

La manière dont les responsabilités de cet incident se sont publiquement manifestées se prête à des théories divergentes. Plus tôt dans la journée de samedi, le Hezbollah avait annoncé qu’il avait lancé une série d’attaques contre des installations militaires israéliennes situées à proximité, en représailles à la mort de quatre combattants du Hezbollah lors d’une frappe aérienne israélienne contre le Sud-Liban. Lorsque la nouvelle des morts survenues sur le terrain de football a commencé à être connue, le Hezbollah a rapidement publié un communiqué indiquant qu’il n’avait « aucun lien avec l’incident [de Majdal Shams] et qu’il démentait catégoriquement toutes les fausses allégations ». Le Hezbollah a affirmé qu’un missile d’interception du Dôme de fer israélien avait manqué sa cible et touché la ville. Israël a affirmé avoir identifié le commandant du Hezbollah à l’origine de la frappe.

« Malgré les dénégations [du Hezbollah], il s’agit de leur roquette, elle a été lancée depuis une zone qu’ils contrôlent », a déclaré lundi John Kirby, porte-parole de la Maison Blanche chargé de la sécurité nationale.

Depuis samedi, Netanyahou et d’autres hauts responsables israéliens ont utilisé les morts survenues sur le plateau du Golan pour justifier, à titre préventif, une attaque de plus grande envergure contre le Liban. « Nous sommes tous druzes », proclamait samedi un message sur le compte Twitter/X officiel de l’État d’Israël. « Ces enfants sont nos enfants », a déclaré Netanyahou lors de sa visite à Majdal Shams lundi, bien que la grande majorité des quelque 20 à 25 000 résidents druzes du Golan occupé aient rejeté la citoyenneté israélienne et aient régulièrement protesté contre les guerres et les politiques d’Israël. Aucune des 12 victimes n’avait la nationalité israélienne. « Israël ne laissera pas et ne pourra pas laisser passer cela », a déclaré Netanyahou. « Notre réponse viendra, et elle sera sévère ».

Une foule d’habitants s’est rassemblée pour affronter Netanyahou, scandant parfois en hébreu qu’il devait s’en aller. D’autres ont scandé « Tueur ! Tueur ! » et ont accusé Netanyahou de venir « danser sur le sang de nos enfants ». Certains habitants ont déclaré aux journalistes qu’ils ne voulaient pas être utilisés par l’un ou l’autre camp pour alimenter une guerre entre Israël et le Hezbollah et se demandaient pourquoi l’un ou l’autre attaquerait leur ville.

Les familles des victimes de Majdal Shams ont refusé de rencontrer. Netanyahou, selon Ha’aretz. La visite a été soumise à la censure des médias jusqu’à ce que Netanyahou quitte la ville. Ronen Bar, le directeur de l’agence de renseignement Shin Bet, accompagnait Netanyahou lors de ce voyage et le ministre de la défense Yoav Gallant s’était rendu sur le site un jour plus tôt.

Israël a occupé pour la première fois de larges portions de la région du Golan, dans le sud-ouest de la Syrie, en 1967 et a officiellement annexé le plateau du Golan en 1981. En vertu du droit international, il reste un territoire syrien. En 2019, le président Donald Trump a inversé des décennies de politique usaméricaine et a officiellement reconnu le plateau du Golan comme territoire israélien. Aucun autre pays n’a fait de même.

Bien que les dirigeants de la communauté de Majdal Shams aient demandé par écrit qu’aucun fonctionnaire israélien n’assiste aux funérailles, le ministre des finances d’extrême droite, Bezalel Smotrich, et une poignée d’autres fonctionnaires israéliens se sont présentés dimanche aux funérailles de 10 des victimes. Les personnes en deuil les ont chassés et ont exigé qu’ils partent. Certains ont dénoncé Smotrich comme étant un “meurtrier”.

La montée en puissance de l’Axe de la Résistance introduit une série d’autres forces qui pourraient rejoindre le Hezbollah dans une guerre contre Israël.

L’administration Biden-Harris, tout en affirmant publiquement qu’Israël serait justifié d’attaquer le Liban en réponse à l’incident de Majdal Shams, a affirmé qu’elle ne voulait pas d’un conflit régional plus large ou d’une guerre à grande échelle entre Israël et le Liban. Lors d’une conférence de presse, Kirby a déclaré qu’il était “exagéré” de parler d’une guerre plus large, ajoutant : « Je suis convaincu que nous serons en mesure d’éviter une telle issue ». Le Hezbollah et Israël ont tous deux mené des frappes militaires depuis les attaques du 7 octobre 2023 menées par le Hamas, mais jusqu’à présent, il n’y a pas eu d’escalade qui ait déclenché le type de batailles terrestres et aériennes qui avaient eu lieu en 2006, lorsqu’Israël et le Hezbollah s’étaient livrés une guerre de 34 jours.

Depuis samedi, Israël a lancé une série d’attaques contre le Sud-Liban, lesquelles ont cependant été d’une ampleur similaire à celle des frappes précédentes au cours des dix derniers mois. Dimanche, Gallant a déclaré : « Le Hezbollah paiera cher pour ça ».

Alors que le régime de Netanyahou n’a cessé de menacer de guerre le Liban au cours des dix derniers mois, et plus particulièrement le Hezbollah, de nombreux analystes régionaux de premier plan estiment qu’une telle action entraînerait une catastrophe pour Israël, tant sur le plan militaire que sur le plan politique. Le Hamas et le Jihad islamique palestinien, des groupes beaucoup moins sophistiqués et armés, ont réussi à mener une insurrection de près de dix mois contre les forces terrestres israéliennes à Gaza, tout en subissant des bombardements soutenus avec des armes fournies par les USA.

L’Iran a également manifesté sa volonté d’attaquer Israël. La montée en puissance de l’axe de la résistance, qui, outre l’Iran, comprend Ansar Allah (les Houthis) au Yémen, le Hamas et le Jihad islamique palestinien, ainsi que le gouvernement syrien et la Résistance islamique en Irak, introduit un éventail d’autres forces qui pourraient se ranger du côté du Hezbollah dans une guerre contre Israël.

J’ai discuté de tout cela aujourd’hui avec Amal Saad Ghorayeb, l’une des principales expertes du Hezbollah et de l’axe de la résistance. Elle enseigne les relations internationales et la politique à l’université de Cardiff, au Royaume-Uni, et est l’auteure de Hizbu’llah : Politics and Religion et The Iran Connection : Understanding the Alliance with Syria, Hizbu’llah and Hamas. Elle se trouve actuellement au Liban.

Mon entretien avec Amal Saad Ghorayeb ci-après.

Jeremy Scahill : Vous avez laissé entendre que vous ne pensiez pas que le Hezbollah était derrière cet attentat dans le Golan syrien occupé.

Amal Saad Ghorayeb : Oui. J’ai donc dit qu’il était très peu probable que le Hezbollah soit derrière cet attentat, et pas seulement parce qu’il a fait une déclaration. Oui, c’était inhabituel, et c’était la première fois qu’il faisait une telle déclaration - je ne sais pas si c’était pour toujours - mais il n’avait pas fait une telle déclaration depuis le 8 octobre [lorsque le Hezbollah avait annoncé qu’il s’engagerait dans des frappes de “solidarité” contre Israël en soutien aux attaques du 7 octobre menées par le Hamas]. Cela indique donc, de toute évidence, la gravité de la situation et le fait que le Hezbollah nie toute responsabilité dans l’attaque.

Mais au-delà de cela, sur la base de la logique et des précédents, etc. Tout d’abord, cette ville, Majdal Shams, n’est pas un territoire israélien. C’est un territoire syrien occupé et ses habitants sont des Druzes syriens. La majorité d’entre eux ont refusé de prendre la nationalité israélienne et de servir dans l’armée. Ils sont de fervents partisans de l’axe de la résistance. Ils ont soutenu le gouvernement de Bachar al Assad en Syrie. Ils ont soutenu le Hezbollah et le Hamas. Il serait donc extrêmement absurde que le Hezbollah attaque ses propres alliés.

Au-delà de cela, je ne pense pas que le Hezbollah attaquerait des civils israéliens de manière délibérée. Il ne les attaquerait pas parce que cela conduirait à une guerre totale. C’est très, très provocateur. Et je sais que [le secrétaire général du Hezbollah, Hassan] Nasrallah a récemment menacé Israël de telles représailles, en disant que si vous continuez à cibler nos civils, nous devrons faire la même chose. Mais même dans ce cas, je ne pense pas que le Hezbollah chercherait des civils et les massacrerait de la sorte. Il ciblerait probablement des objets civils, ce qui est très différent de cibler des civils, et nous n’avons pas encore vu cela, pour être honnête. Nous n’avons pas vu de véritables victimes civiles en Israël [à la suite d’attaques du Hezbollah] - il y en a eu très peu. Sur la base de ces facteurs, je pense donc qu’il est très peu probable qu’il s’agisse d’une frappe délibérée.


Mohamed Afefa, Palestine [Majdal Shams signifierait "La Tour du Soleil" en araméen, shams sognifiant soleil en arabe]

JS : Il semble que les théories dominantes soient les suivantes : soit il s’agit d’un tir erroné ou d’une erreur de la part du Hezbollah, soit il s’agit d’une défaillance du système Dôme de fer israélien et l’une des munitions israéliennes a touché le terrain de football. J’ai aussi vu des gens suggérer qu’il s’agissait d’une fausse bannière, qu’Israël avait intentionnellement frappé la ville et qu’ils voulaient rejeter la faute sur le Hezbollah.

ASG : Il y a plusieurs théories, mais je pense que celle qui est moins une théorie et plus empirique est qu’il s’agit d’un missile d’interception israélien qui a raté son tir, qui essayait d’intercepter une roquette qui arrivait. Et je dis qu’il y a des preuves empiriques parce que sur les chaînes de télévision arabes, et bien sûr, nous n’avons pas vu cela dans les médias occidentaux, mais nous avons vu plusieurs reportages de témoins oculaires qui ont dit qu’ils avaient effectivement vu ce missile d’interception du Dôme de fer frapper la cible. Une correspondante a déclaré qu’un secouriste israélien le lui avait dit, mais qu’il n’avait pas pu le dire à l’antenne sous peine d’être arrêté. Il y a donc eu plusieurs rapports de ce type, et cela semble être l’explication la plus probable.

Mais il est également possible que d’autres groupes [de résistance anti-Israël] soient à l’origine de cet acte. Le Hezbollah n’est pas le seul à combattre Israël. Depuis qu’il a créé ce soi-disant front de solidarité, il y a eu plusieurs autres groupes, certains laïques, d’autres islamistes. L’un d’entre eux est, par exemple, Jamaa Al-Islamiya, le groupe islamique [sunnite libanais], qui a été impliqué récemment dans ces frappes transfrontalières. Et ses membres ont souvent été pris pour cible par Israël. Il est donc possible qu’ils aient touché cette cible par erreur. S’il s’agit d’un autre groupe, c’est évidemment une erreur. Il ne s’agissait pas d’une cible délibérée pour qui que ce soit.

JS : S’il s’agit d’une erreur de tir du Hezbollah, existe-t-il un précédent dans lequel le Hezbollah aurait pris la responsabilité de tuer des civils par inadvertance ?

ASG : Oui, c’est une bonne question parce qu’en 2006, il y a eu un incident de ce genre pendant la guerre de juillet, lorsqu’une roquette du Hezbollah a atterri par erreur dans une ville palestinienne. Non seulement le Hezbollah a publié une déclaration dans laquelle il assumait sa responsabilité et présentait ses excuses, mais Nasrallah lui-même s’est excusé personnellement à la télévision et a présenté ses condoléances à la famille de la victime. [Lors de cet incident, des roquettes du Hezbollah ont tué deux enfants arabes à Nazareth. « En mon nom et au nom de mes frères, je présente mes excuses à cette famille », avait déclaré Nasrallah lors d’une interview diffusée sur Al Jazeera. « Bien sûr, le mot “excuses” n’est pas suffisant. J’en porte l’entière responsabilité. Ce n’était pas du tout l’intention »]. Le Hezbollah a donc l’habitude de revendiquer sa responsabilité, d’admettre de telles erreurs. Et je pense que cela donne plus de crédibilité à son argument, ou plutôt à son affirmation, qu’il n’était pas derrière tout cela.

Je pense qu’un autre point que nous devons examiner est le moment choisi pour le faire. La semaine dernière, le Hezbollah a diffusé la troisième d’une série de vidéos filmées par des drones. Il surveillait une base militaire spécifique au-dessus d’Israël et menaçait Israël de prendre cette base militaire pour cible. Dans les vidéos précédentes, le Hezbollah menaçait d’autres cibles, non seulement militaires, mais aussi civiles. Pourquoi le Hezbollah aurait-il fait tout cela pour dissuader Israël de le frapper, si c’est pour le provoquer quelques jours plus tard avec cette vidéo ? Cela n’a absolument aucun sens, car le Hezbollah sait qu’Israël, s’il a décidé de lancer une guerre totale, si cette décision a été prise, et nous supposons tous que ce n’est pas un scénario probable, mais il y a toujours une possibilité qu’une telle décision ait été prise. Si c’est le cas, pourquoi le Hezbollah voudrait-il donner à Israël des munitions pour poursuivre l’escalade ? Même si ce n’est pas pour lancer une guerre totale, mais pour poursuivre l’escalade contre lui-même, cela n’a absolument aucun sens. L’objectif de cette vidéo était de dissuader une telle attaque. Il est donc absurde qu’elle soit délibérément prise pour cible.

Pourquoi le Hezbollah aurait-il fait tout cela pour dissuader Israël de le frapper, si c’est pour le provoquer quelques jours plus tard avec cette vidéo ?

Maintenant, revenons à la question de savoir s’il s’agissait d’une erreur. Vous savez, certains ont dit que le Hezbollah, quelques secondes plus tôt, avait publié un communiqué dans lequel il se déclarait responsable d’avoir frappé quelque chose dans le Golan, à 3 km de Majdal Shams. J’ai essayé d’aller au fond des choses. C’est très difficile à dire, mais il est peu probable qu’ils se soient trompés de si loin. J’ai parlé à des experts militaires qui - et je pense que c’est beaucoup plus convaincant - ont dit que s’il s’agissait du [missile] Falaq-1, parce que le Hezbollah a utilisé le Falaq-1 pour frapper la cible qu’ils ont annoncée dans la déclaration, une brigade israélienne. S’ils avaient utilisé le Falaq-1, nous aurions vu un cratère beaucoup plus grand, et le cratère était beaucoup plus petit que ce que l’on pourrait attendre d’une ogive aussi lourde, qui pèse 53 kilos. Le cratère aurait été beaucoup plus grand et les destructions auraient été beaucoup plus importantes.

JS : Pourquoi alors Israël est-il si prompt à s’emparer de cette affaire et à accuser le Hezbollah ? Croyez-vous vraiment qu’Israël souhaite une guerre totale avec le Hezbollah ?

ASG : Il y a deux raisons à cela. Je pense que la plus probable n’est pas qu’il veuille une guerre totale. Tout d’abord, il veut détourner l’attention de ses propres crimes génocidaires et des meurtres d’enfants qu’il commet quotidiennement. Or, un ou deux jours auparavant, il avait frappé une école d’enfants et des dizaines d’enfants avaient été massacrés. C’est donc très pratique pour Israël, et cela lui a permis de dire : « Regardez, le Hezbollah est un tueur d’enfants ». Il s’agit donc bien d’une question de propagande. Cet élément existe bel et bien. En ce qui concerne la valeur militaire ou stratégique qu’il peut en tirer, je pense qu’il peut l’utiliser pour faire pression sur le Hezbollah par l’intermédiaire de ses alliés, des médiateurs occidentaux, etc. Et c’est ce qu’ils ont fait. Ils font maintenant pression sur le Hezbollah non seulement pour qu’il ne réponde pas à Israël, pour qu’il absorbe une frappe israélienne, mais aussi pour qu’il cesse tous les affrontements de part et d’autre de la frontière. Ce type de pression sur le Hezbollah est donc utilisé parce qu’il suppose qu’il y aura également beaucoup de pression interne, de la part de l’État et de la population. Et, en ce qui concerne l’État, je ne dirais pas qu’il l’a fait. Il y a donc un élément de pression, une valeur de propagande.

Et troisièmement, cela permettrait à Israël de disposer d’une banque de cibles, de cibles militaires qu’il n’a pas osé frapper auparavant parce que c’est un peu risqué, peut-être, parce qu’il y aurait des frappes assez importantes dans des zones situées en dehors de la zone d’opérations habituelle. En effet, c’est la première fois que cela se produit dans ce conflit, que le Hezbollah nie sa responsabilité et qu’Israël dit, néanmoins, que nous avons le droit de contre-attaquer. Je pense donc qu’ils essaient de tirer le maximum de profit de cette situation.

Il est toujours possible qu’Israël prenne une décision irrationnelle et qu’il tente d’entraîner les USA dans une guerre plus vaste, car s’il veut frapper le Hezbollah et risquer une guerre totale, il aura besoin du soutien militaire des USA, en fait. Cette possibilité existe donc toujours.

JS : Quand vous dites qu’il y a des cibles qu’Israël pourrait vouloir frapper en dehors de la zone normale de ses attaques militaires contre le Hezbollah, à quels types de cibles faites-vous référence ?

ASG : Eh bien, je veux dire que je ne sais pas personnellement, mais elles pourraient être, non pas en termes de valeur stratégique, mais en raison de leur emplacement. Par exemple, la Bekaa est plus difficile d’accès que les zones frontalières du sud. Ils pourraient donc frapper la Bekaa, par exemple. Ils ont déjà effectué de telles frappes, mais pas autant que dans le sud. La Bekaa est donc plus interdite. Le Hezbollah a adopté une nouvelle équation. Chaque fois qu’Israël frappe la Bekaa, il frappe le Golan en réponse. Il se peut donc que certaines parties de la Bekaa n’aient pas été frappées. Il se peut qu’il s’agisse d’une autre région. Je ne sais pas vraiment. Mais je ne pense pas que Beyrouth serait - si nous supposons qu’[Israël] ne veut pas risquer une guerre, je ne pense pas qu’ils s’approcheraient de Beyrouth. Mais encore une fois, il est très difficile de prévoir dans quelle mesure Israël est rationnel, car il pourrait non seulement ne pas l’être, mais aussi être extrêmement stupide et penser que s’il frappe Beyrouth, le Hezbollah l’absorbera s’il s’agit d’une cible militaire. Nous n’en savons rien. J’en doute. J’en doute. Et je sais que les USA, selon divers rapports, ont averti Israël de ne pas frapper Beyrouth ou des zones fortement peuplées. Il est donc fort probable qu’ils souscrivent à ce genre de limites.

JS : Il y a même eu des rumeurs selon lesquelles Israël envisageait de bombarder l’aéroport de Beyrouth.

ASG : J’ai vu ça. Je ne pense pas vraiment - je pense que les Israéliens font beaucoup de bruit et qu’il y a beaucoup de comptes sur Twitter qui diffusent beaucoup de désinformation et ce sont des gens qui ne sont pas des journalistes, parfois des activistes, et même des responsables israéliens, qui diffusent beaucoup de fausses informations et de rumeurs, et même des gouvernements occidentaux. Par exemple, ils ont récemment alerté leurs citoyens et les ont exhortés à quitter le Liban. Cette tendance n’est pas nouvelle. Elle existe depuis le début de la guerre, mais ces deux derniers jours ont été dingues. Ils ont commencé à envoyer des textos aux citoyens usaméricains, la France a rejoint la mêlée, l’Allemagne, de nombreux autres pays, tous occidentaux, les exhortant à quitter le pays comme ils ne l’avaient jamais fait auparavant. Cela fait partie intégrante de la campagne d’intimidation. Il s’agit d’exercer une pression sur les Libanais, qui à leur tour exercent une pression sur le Hezbollah et les menacent en quelque sorte d’une réponse massive de la part d’Israël. C’est donc aussi cela qui est à l’œuvre.

JS : Comment le Hezbollah perçoit-il ce moment insensé dans le contexte de la politique usaméricaine où Joe Biden, qui a toujours été un fervent promoteur d’Israël, un sioniste comme il se décrit lui-même, se retire maintenant de la course à un nouveau mandat. Il est probable que Kamala Harris s’opposera maintenant à Donald Trump. Netanyahou joue clairement son propre jeu en se basant en partie sur la politique usaméricaine. Que pensez-vous de la façon dont le mouvement Hezbollah voit le rôle des USA dans cette affaire, étant donné l’incertitude politique des prochains mois aux USA ?

ASG : Je pense que le Hezbollah, en particulier Nasrallah, a déclaré à plusieurs reprises que les USA étaient en fin de compte responsables de tout cela. Et le Hezbollah considère Israël comme un mandataire des USA. En tant que mandataire, il n’est pas entièrement redevable. Je ne pense pas que [les dirigeants du Hezbollah] le voient de cette façon. Et ils considèrent que Netanyahou a son propre agenda personnel et des raisons de ne pas toujours respecter les souhaits des USA. Mais en même temps, ils ne croient pas que les USA soient suffisamment sérieux pour empêcher une escalade. Je pense qu’ils ont tendance à croire que ce n’est pas dans l’intérêt des USA. C’est ce qu’ils ont dit. Il ne s’agit pas de ma propre analyse. C’est ce qu’ils ont dit publiquement, à savoir que l’escalade n’est pas dans l’intérêt des USA. C’est ce qu’ils ont dit publiquement, à savoir que les USA ne veulent pas d’une guerre totale. Cependant, ils ne pensent pas non plus qu’ils en font assez pour l’empêcher. C’est là que réside la contradiction.

En ce qui concerne les candidats, je pense que c’est assez difficile. Il y a, et si vous parlez aux gens ici - il n’y a pas que le Hezbollah - les gens ne savent généralement pas qui serait le pire candidat parce que, dans un sens, comment peut-on être plus sioniste que Biden ? En ce qui concerne Trump, nous l’avons vu émettre de nombreux messages contradictoires. Il y a eu des cas où il n’a pas été aussi conciliant envers Israël que dans d’autres cas, donc c’est un peu déroutant. Cependant, c’est aussi le même président qui a fait assassiner [le général iranien] Qassem Soleimani et [le commandant de la résistance irakienne] Abou Mahdi Al-Muhandis [lors d’une attaque de drone à Bagdad le 3 janvier 2020]. Il ne craint donc pas le risque. Certains diraient même qu’il est irrationnel. Et je pense que c’est tout à fait vrai. L’idée est donc de savoir si Kamala serait meilleure que Biden et Trump. Je pense qu’il y a un sentiment général - je ne parle pas du Hezbollah ici, mais du Liban en général - qu’elle pourrait être le moindre mal sur la base de certaines de ses déclarations jusqu’à présent et de certains rapports. Mais je ne pense pas que le Hezbollah mise sur un candidat en particulier, de la même manière qu’Israël mise sur la victoire de Trump.

JS : Si Israël s’engage et veut la guerre avec le Hezbollah, à quoi cela ressemble-t-il du côté libanais, en se basant sur l’histoire de ces conflits et de ces guerres et sur la réponse du Hezbollah à Israël ? Si Israël envoie des forces terrestres ou s’engage dans une campagne de bombardement très lourde et de grande envergure, à quoi peut-on s’attendre de la part du Hezbollah ?

D’après toutes les informations que j’ai recueillies, cela conduirait en fait à l’effondrement de l’État israélien.

ASG : Je pense que les services de renseignement israéliens en sont tout à fait conscients, car j’ai lu beaucoup de ces analyses dans les rapports des services de renseignement israéliens et américains, entre autres, à savoir que le Hezbollah - tout d’abord, je ne pense pas que l’on verrait ce que l’on a vu en 2006. Je ne pense pas qu’Israël pourrait envahir le Liban de la même manière. Je ne pense pas qu’il serait en mesure d’organiser une incursion terrestre, certainement pas de cette ampleur. Et Israël ne serait pas dans une position purement offensive. Israël serait également en position défensive parce que le Hezbollah s’infiltrerait et ferait des incursions en Israël même. La situation sera donc très différente, simplement en termes de stratégie globale de la guerre, puisqu’il s’agira d’une défense offensive de la part du Hezbollah. Il ne s’agira pas d’une simple défense.

Deuxièmement, le Hezbollah s’est entièrement conventionnalisé, il ne s’agit même plus d’une force hybride. J’ai parlé à des experts militaires ici, et j’étais moi-même curieuse de savoir ce qu’ils pensaient. Où se situe [le Hezbollah] sur le spectre allant de la guérilla à l’armée conventionnelle ? Est-il au milieu, comme en 2006 ? Ils ont dit : « Non, c’est en fait une force conventionnelle à part entière aujourd’hui. Mais il est évident qu’elle possède les capacités d’une force armée irrégulière. Elle les conserve encore et possède cette expérience » . Il s’agit donc d’une organisation militaire beaucoup plus sophistiquée qui compte plus de 100 000 combattants, plus de 150 000 missiles et roquettes. Vous savez, en 2006, le Hezbollah ne comptait que quelques milliers de combattants, beaucoup moins de roquettes, des missiles et des roquettes beaucoup moins sophistiqués. En fait, tout ce que l’Iran possède, toutes les armes que l’Iran possède, vous pouvez être certain que le Hezbollah les possède aussi. Voilà ce que nous savons. Et c’est sans compter les choses que le Hezbollah fabrique au niveau national, comme la technologie des drones - il fabrique maintenant ses propres drones. Il s’agit donc d’une créature militaire très différente de celle de 2006.

Et, encore une fois, les tactiques ne seront pas seulement purement défensives. Elles seront offensives. Et c’est sans compter sur les autres acteurs de l’axe de la résistance qui sont impatients de rejoindre le combat et ont déclaré leur intention d’envoyer des centaines de milliers de combattants, comme les Houthis [du Yémen], au Liban.

D’après toutes les informations que j’ai recueillies, cela conduirait en fait à l’effritement de l’État israélien. Nous ne parlons pas ici d’une simple défaite d’Israël comme en 2006. Il s’agirait d’une défaite qui conduirait en fait à sa disparition. C’est pourquoi, lorsque nous parlons de « la grande guerre », qui n’est pas une question de "si", mais de "quand", lorsque cette guerre se produira, ce qui est inévitable, [le Hezbollah] a toujours dit que ce serait la guerre qui changerait la face de la région. Nous parlons donc ici d’un scénario qui conduirait certainement à la destruction d’une grande partie du Liban - personne n’en disconvient ou ne le minimise. Mais dans le même temps, il conduirait à la destruction d’Israël et, bien qu’il conduise à la destruction du Liban en termes matériels, cette destruction ne conduirait pas à l’effondrement de l’État libanais de la même manière qu’elle conduirait à l’effondrement du régime israélien ou sioniste. Je pense qu’il s’agit là d’une manière de voir les choses.

JS : En l’absence d’une guerre totale entre Israël et le Liban, quel est l’avenir de l’axe de la résistance ? Nous vivons un moment sans précédent. Il n’y a pas d’États-nations arabes qui interviennent pour dire : « Nous allons défendre militairement les Palestiniens de Gaza, de Cisjordanie et de Jérusalem », mais il y a une réponse multiforme, multinationale et impliquant des acteurs étatiques et non étatiques. Quel est l’avenir de cet axe de résistance ?

ASG : Il s’agit de la phase de consolidation de l’axe de la résistance. Il est apparu pour la première fois en Syrie, je dirais, en 2014 surtout - c’était en quelque sorte son apogée, en 2015, mais il n’était pas aussi important qu’il l’est aujourd’hui. Il n’incluait pas le Hamas, évidemment, ni les Houthis. Aujourd’hui, il s’agit d’un axe beaucoup plus large en termes d’États et de non-États - je ne sais même pas si nous devrions les appeler non-États. Ce sont des quasi-États et parfois, vous savez, des États virtuels comme les Houthis le sont aujourd’hui au Yémen. Je pense qu’il est erroné de parler d’acteur non étatique. Il s’agit de la phase de consolidation. Cette guerre a en fait été une sorte de terrain d’essai pour voir à quel point cette alliance est soudée, les armes et l’entraînement, le transfert d’armes, les connaissances militaires, la fabrication d’armes, et j’en passe. La coordination, tant tactique que stratégique. Elle s’est enracinée ici. Nous ne pouvons donc que supposer que le niveau de coordination, de coopération et de consolidation dans ses rangs ne fera que se renforcer, non seulement, d’ailleurs, au niveau des élites politiques ou des différentes armées de ces organisations, mais aussi au niveau populaire, que les bases de masse de chacun de ces acteurs soutiennent presque entièrement cette alliance.

Je pense donc que nous allons assister à un approfondissement de cette alliance et que nous allons commencer à voir comment elle s’écarte de manière significative de toutes les alliances occidentales ou de toutes les alliances que nous avons connues jusqu’à présent. Elle aura besoin de son propre modèle, de son propre modèle théorique, pour l’étudier et la comprendre. Il s’agit vraiment d’un nouveau paradigme.

 

 

 

 

 

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