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16/07/2024

PHILIP WEISS
Israël est en train de se désagréger, et les dirigeants usaméricains sont dans le déni


Philip Weiss, Mondoweiss, 15/7/2024
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Philip Weiss (USA, 1955) est un journaliste et écrivain usaméricain juif et antisioniste, fondateur, avec Adam Horowitz, du site ouèbe Mondoweiss en 2007.
Biographie

L’incapacité d’Israël à résoudre la question palestinienne autrement que par l’apartheid et les massacres a favorisé l’émergence d’une culture politique fasciste et raciste dans le pays. Mais cette vérité doit être cachée aux USAméricains.

Plusieurs voix de gauche ont récemment déclaré qu’Israël était en train de se désagréger. La société est déchirée par la guerre, le gouvernement est dominé par des racistes brutaux et la seule réponse du pays à la question fondamentale - la moitié de la population est palestinienne -, c’est l’apartheid et les massacres à répétition.


« Des soldats israéliens ont mis le feu à la bibliothèque de l’université Al Aqsa dans la ville de Gaza et se sont photographiés devant les flammes », a rapporté le journaliste Younis Tirawi sur X le 23 mai. Tirawi a montré que la photo avait été partagée sur les médias sociaux par le soldat israélien Tair Glisko. 424e  bataillon, brigade Givati, qui a ensuite rendu son compte privé.

La culture politique israélienne a des relents de fascisme. Les derniers massacres de civils à Gaza sont immédiatement approuvés par les politiciens centristes, tandis que les ministres de droite lancent des appels à l’exécution des prisonniers palestiniens. L’ensemble de la société dénonce la libération d’un médecin innocent enlevé par les forces israéliennes à Gaza et se lance dans (ce que Gideon Levy appelle) « une campagne hystérique de panique, d’incrimination, de haine, de déshumanisation, de soif de vengeance, de soif de sang ».

On a l’impression qu’Israël n’a pas d’issue. Il n’est pas étonnant que des centaines de milliers d’Israéliens aient fui le pays depuis octobre dernier.

Comment les USA font-ils face à ces réalités ? La réponse à ces 20 dernières années de haine anti-palestinienne a été le déni. La réponse à ce cycle politique est également un déni total.

L’establishment usaméricain insiste sur le fait qu’Israël est une démocratie saine et qu’il est capable d’évoluer vers une solution à deux États dans laquelle les Palestiniens vivraient côte à côte avec les Israéliens.

Aucun expert de la situation ne le croit, mais ces fictions soutiennent notre classe politique, comme Paul Begala qui a déclaré la semaine dernière sur CNN que Biden avait fait preuve d’un grand leadership sur Gaza. Si nos experts regardaient la vérité en face - Israël est un État juif suprémaciste qui ne cherche qu’à obtenir plus de terres avec moins de Palestiniens, et qui tue de jeunes Palestiniens sans aucune hésitation - , les USA devraient prendre des mesures, avec le reste du monde, pour isoler Israël.

C’est la leçon que l’on peut tirer de la défaite de Jamaal Bowman : ce membre du Congrès a vu l’occupation de près en 2021 lors d’un voyage de J Street en Israël et en Palestine et, selon l’excellent rapport de Calder McHugh dans Politico, il n’a pas pu mentir sur l’impasse dans laquelle se trouve Israël et sur les crimes de guerre.

« [La solution à deux États] était la chose que vous disiez pour que tout le monde vous laisse tranquille... pour qu’au moins vous puissiez satisfaire les deux parties, la liberté palestinienne et l’État juif », explique [Bowman]. Mais ce qu’il a retenu de ces cinq jours de réunions et d’entretiens, de déjeuners en boîte et de dîners chics, c’est qu’il n’y avait aucune volonté politique au sommet du gouvernement israélien de poursuivre une solution à deux États ou de s’engager dans un quelconque processus de paix durable - et que la volonté des USA d’envoyer une aide importante à Israël sans aucune condition n’était donc pas judicieuse.

Et après que Bowman a qualifié ce qui se passait à Gaza de génocide et a déclaré que le boycott était légitime, J Street lui a retiré son soutien.

Bowman avait mis à mal le grand mensonge de la politique étrangère usaméricaine, comme quoi « Israël est une démocratie solide qui se dirige vers un État palestinien ».

Dire la vérité est politiquement impossible à cause du lobby israélien. Le parti démocrate est incapable de s’aliéner des forces susceptibles de déverser près de 20 millions de dollars sur la tête de Jamaal Bowman en quelques semaines et le salissent comme un antisémite pour avoir dit la vérité. Alors que des doyens de Columbia ont été suspendus pour avoir envoyé des textos sur des donateurs pro-israéliens.

Ainsi, alors qu’Israël est en chute libre et que sa seule réponse consiste en des massacres et une famine sans fin que le monde voit et déteste, la crise usaméricaine est simple. Nos dirigeants doivent nier cette réalité pour continuer à satisfaire le lobby.

La bonne nouvelle est que certains diseurs de vérité dans le mainstream US n’ont pas peur de s’exprimer. Il y a bien sûr la bande des quatre députées (The Squad), et un segment des Juifs communautaires qui se sont retournés contre Israël - IfNotNow et Peter Beinart.


Récemment, Megan Stack a publié dans le New York Times un excellent article sur l’écrasante “obscurité” en Israël. Stack a qualifié la société israélienne comme régie par la “suprématie juive” officielle, elle a cité à plusieurs reprises les rapports sur l’apartheid et a déclaré que Netanyahou avait démoli la possibilité de créer deux États.

L’article citait un chroniqueur grand public qui avait réagi à des photos de Palestiniens sur la plage de Gaza en appelant à des « rivières de sang ».

« Nous aurions dû voir beaucoup plus de vengeance là-bas », a ajouté [Yehuda] Shlezinger sans complexe. « Beaucoup plus de rivières de sang gazaoui ».

Shlezinger n’est pas une figure « marginale », a commenté Stack. Les signes de durcissement sont « au vu et au su de tout le monde « .

Un langage déshumanisant et des promesses d’anéantissement de la part des dirigeants militaires et politiques. Des sondages qui ont révélé un large soutien aux politiques qui ont semé la dévastation et la famine à Gaza. Des selfies de soldats israéliens se pavanant fièrement dans des quartiers palestiniens écrasés par les bombes. Une répression de toute forme de dissidence, même légère, parmi les Israéliens.

L’article montrait que lorsqu’une société s’enferme dans l’apartheid, elle devient fasciste.

Mais le courant dominant aux USA est toujours incapable d’accepter ce message. Stack est un cas isolé au New York Times. Il est interdit de parler de l’apartheid au sein du parti démocrate. Les chaînes câblées ne veulent pas aborder ce sujet.

Les sionistes libéraux jouent un rôle essentiel dans ce déni. Il y a deux ans, j’ai signalé qu’une dirigeante de J Street USA soutenait le BDS dans un article pour Americans for Peace Now. Le bloc sioniste libéral a réagi de manière décisive. Peace Now a retiré l’article et J Street a publié une déclaration affirmant que l’étudiante ne soutenait pas le BDS. L’étudiante a renié sa propre position. Une ligne rouge a été franchie.

Ainsi, l’outil essentiel des mouvements anti-discrimination - du boycott des bus de Montgomery aux travailleurs agricoles en passant par l’apartheid sud-africain - est annulé par une organisation libérale. De fait, J Street a qualifié le BDS d’“antisémite”.

L’accusation d’antisémitisme joue un rôle clé dans ce déni. Bowman a été traité d’antisémite et d’anti-israélien arce qu’il témoignait contre l’apartheid. L’université de Columbia a suspendu deux honorables groupes de solidarité avec les Palestiniens sous le même chef d’accusation - l’antisémitisme - certainement en raison de la pression des donateurs. Le courrier direct envoyé à la maison de ma mère par les principales organisations juives fait état d’une montée en flèche de l’antisémitisme dans le pays et cite tous les étudiants et groupes anti-Israël. Aucune mention n’est faite des dizaines de milliers de victimes civiles à Gaza.

Les témoins doivent donc être détruits afin de permettre à l’establishment de persister dans son idée qu’Israël est une démocratie poursuivant une solution à deux États – « l’Israël rêvé », selon l’expression cinglante de Max Blumenthal. Comme ce prochain voyage en Israël d’une grande synagogue new-yorkaise qui nie tout problème.


Le Temple Emanu-El parraine un voyage en Israël intitulé “Redécouvrir Israël” qui vise à éveiller les sentiments des Juifs américains pour le “pays que nous aimons”. Ce voyage de 8 jours en octobre 2024 “pour le cœur, l’esprit et l’âme” propose des escapades dans le désert, des séances de yoga et des rencontres avec des soldats israéliens.

Voir Israël pour ce qu’il est réellement mettrait en évidence l’échec du sionisme. Son principal objectif était d’assurer la sécurité des Juifs. Mais les Juifs ne sont pas en sécurité en Israël parce que la société opprime un peuple indigène qui résiste. Comme me l’a assuré la meilleure amie de ma mère à Jérusalem il y a 18 ans, « il y aura une guerre après l’autre jusqu’à ce qu’ils nous acceptent ».

Il y a toujours des rationalisations pragmatiques pour justifier le déni. S’il n’y a pas d’illusion d’une solution à deux États à brandir, le pays le plus puissant du Moyen-Orient sera déstabilisé, et il y aura des montagnes russes sanglantes et sans fin (comme quelqu’un l’a dit un jour) vers l’égalité des droits pour tous.

Mais il est clair que nous sommes aujourd’hui confrontés à une réalité sauvage et que l’establishment usaméricain se range du côté des suprémacistes juifs. Et les Palestiniens paient le terrible prix de la malhonnêteté et du pharisaïsme. Il ne faudra pas venir dire que vous ne saviez pas.

 Glen Le Lievre, Australie

 

 

 

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