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04/05/2023

JUAN PABLO CÁRDENAS S.
Le lithium au Chili, une opportunité

Juan Pablo Cárdenas S., Política y Utopía, 25/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Les intentions malveillantes de la droite ont été mises en évidence par la décision du président Boric de créer l’Entreprise nationale du lithium, une entité qui sera chargée de l’exploration et de la production d’une ressource qui est désormais considérée comme stratégique et qui peut produire des revenus encore plus importants pour le pays que ceux offerts par l’exploitation à grande échelle du cuivre. Une entité étatique qui assurera le contrôle par l’État d’au moins 51 % des activités d’exploitation de cette ressource et, surtout, qui visera à exporter ce minerai avec une valeur ajoutée.

Localisation des salines andines et pré-andines. Source

Il convient de noter que toutes les réserves de lithium appartiennent au Trésor public et que celui-ci pourrait se charger de leur extraction et de leur commercialisation sans faire appel à des investisseurs privés. Cependant, le gouvernement actuel a décidé d’inviter les intéressés à s’associer à l’État pour mettre en œuvre ces opérations, une offre qui a été accueillie favorablement par les deux entités privées qui exploitent actuellement ce minerai et dont les concessions expireront dans quelques années. En tout état de cause, elles préfèrent s’associer à l’État plutôt que d’abandonner leur travail au profit de l’État ou de tous les Chiliens, comme on dit.

Le Mouvement Litio para Chile, regroupant syndicalistes, militant·es et universitaires, se bat depuis une douzaine d’années pour la nationalisation du lithium

Avec leur voracité bien connue, certains entrepreneurs nationaux et étrangers n’ont pas approuvé l’initiative de La Moneda, avertissant qu’il serait bien mieux pour le Chili de confier à “l’initiative privée” l’exploitation d’une ressource destinée à rapporter d’énormes bénéfices, étant donné que c’est dans notre pays que se trouvent les plus grandes réserves du monde et qu’elles pourraient rapidement nous placer à la tête de la production mondiale. En effet, rien que l’année dernière, les impôts que l’État a perçus sur l’exploitation par Soquimich* et Albemarle* ont dépassé les ressources accordées par Codelco* au budget national, ce qui témoigne de l’immense demande mondiale et du bon prix de ce que l’on appelle aujourd’hui “l’or blanc”.   Et cela peut aussi indiquer les immenses profits de ces deux entreprises.

A tort, certains secteurs patronaux et politiques ont accusé Gabriel Boric d’imiter les décisions de l’ancien président Allende lorsqu’il a marqué une étape historique en nationalisant la principale entreprise de cuivre du pays. Une décision qui avait été adoptée en 1971 par un vote unanime du Parlement, qui incluait également les voix de la droite de l’époque.

Contrairement à ce qu’affirment les leaders de l’opposition, le président défunt n’aurait certainement pas invité, comme l’a fait le président Boric, des investisseurs privés à s’associer aux efforts de l’État dans ce domaine. Car il ne s’agit pas vraiment d’une nationalisation mais, au contraire, d’une offre généreuse au monde des entreprises de participer à l’exploitation d’une ressource qui appartient à l’État. La gauche ne devrait guère s’en réjouir, compte tenu de la triste expérience des entreprises privatisées par la dictature et les gouvernements qui lui ont succédé. Dans la mesure où des ressources aussi fondamentales que l’eau et l’électricité dépendent aujourd’hui d’entreprises dont la gestion est très discutable. Il en va de même pour les administrateurs de pensions et de santé, les concessionnaires de routes et tant d’autres qui réalisent d’énormes profits sur des services fondamentaux, avec peu de retour pour le pays.

 

Alors que les associations d’entreprises et leurs représentants au parlement s’opposent avec tant de ténacité à une réforme fiscale qui obligerait ceux qui ont tant à augmenter leurs maigres impôts au profit des pauvres et de la classe moyenne, il semblerait vraiment insensé de confier de nouvelles concessions minières, forestières et autres au secteur privé, alors que l’État pourrait entreprendre ces activités lui-même et collecter des ressources qui pourraient servir à vaincre la pauvreté, à atteindre le plein emploi et à financer, par exemple, des projets d’éducation et de logement. En outre, il devrait s’efforcer d’obtenir des salaires et des pensions décents.  

Aucune des entreprises privatisées n’a apporté autant au pays que celles qui dépendaient de l’entreprise publique Corfo*, Codelco ou celles qui géraient auparavant les fonds de pension des travailleurs, dont les pensions pour les retraités sont nettement plus élevées que celles fournies aujourd’hui par les AFP*. Aux mains, comme chacun sait, d’une poignée de propriétaires étrangers dans ce qui est considéré comme l’entreprise la plus rentable de ces dernières décennies. Cette activité n’est comparable qu’aux profits des banques privées.

Nous savons déjà que l’énorme inégalité qui existe dans le pays est à l’origine de troubles tels que la criminalité et la violence qui sévissent dans les villes et les quartiers de tout le pays. N’importe quel Chilien peut voir l’extrême richesse dans laquelle vivent certaines personnes, ainsi que les millions de compatriotes qui n’ont pas de salaire décent ni de régime alimentaire adéquat. La conséquence, par exemple, est que le nombre de jeunes qui abandonnent l’école, tentés par le trafic de drogue qui sévit dans les zones les plus précaires, augmente rapidement.

On répète, et on le répète avec force, que le plus dangereux est de confier à l’administration publique la gestion des entreprises d’État et l’exploitation de nos richesses. Cela reviendrait à encourager une plus grande corruption dans la politique, alors qu’il est déjà clair que c’est le monde des affaires qui a le plus contribué à corrompre les hauts et moyens fonctionnaires de l’État, à s’entendre pour escroquer les consommateurs et à rechercher l’impunité pour toutes ses attaques contre l’intérêt national.

La croissance économique que les puissants présentent comme une incitation au bien-être social est totalement fausse si une répartition équitable des revenus n’est pas réalisée. Il ne s’agit pas d’être étatiste par caprice, mais d’assumer la certitude que ceux qui ont le plus profité de l’exploitation de nos matières premières sont ceux qui se sont montrés incapables de freiner leur voracité excessive.

En ce sens, nos gouvernants devraient insister sur leur volonté de maintenir le lithium comme une ressource appartenant à tous les Chiliens, tout en recherchant une Constitution et une législation qui redonnent à l’État l’autorité d’entreprendre et d’assurer une croissance économique qui empêche la scandaleuse concentration des richesses.

Face à l’échec évident des politiques néolibérales, la récupération de l’État souverain dans le respect de ses ressources et de sa dignité est aujourd’hui propice. C’est un point sur lequel les gouvernements progressistes de notre région devraient s’accorder s’ils veulent éviter que les explosions sociales ne se multiplient sur tout le continent et éviter le risque de restauration par la force des dictatures néfastes qui nous ont prosternés devant les intérêts étrangers qui continuent à contrôler nos décisions politiques. En ce sens, l’hégémonie retrouvée par ces partis et mouvements grâce à leur puissance économique et communicationnelle et, bien entendu, la faiblesse et l’atomisation de la gauche, sont inquiétantes.

NDT

Soquimich (SQM) : Société chimique et minière du Chili, entreprise publique créée en 1968, privatisée sous Pinochet entre 1983 et 1988, passant dans les mains de son beau-fils Julio Ponce Lerou avec les habituelles méthodes de gangsters des Chicago Boys. L’entreprise chinoise Tianqi en a acquis 24% des actions en 2018.

 Albemarle : entreprise minière usaméricaine exploitant le lithium d’Atacama.

Codelco : Corporación Nacional del Cobre, entreprise publique d’exploitation du cuivre, créée en 1971 et partiellement privatisée sous Pinochet et ses successeurs.

Corfo : Corporación de Fomento de la Producción, organisme étatique créé en 1939, chargé du développement et d’aide à la création de l’industrie nationale.

AFP : Administradoras de Fondos de Pensiones, sociétés anonymes administrant les fonds de retraite.        

 

 

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