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11/02/2022

ANNAMARIA RIVERA
Pour en finir une bonne fois pour toutes avec la race

Annamaria Rivera, Comune-Info, 10/2/2022
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala 

Comme on le sait, la notion de « race » - critiquée puis abandonnée par une grande partie des sciences sociales et biologiques qui avaient contribué à son élaboration - est une catégorie aussi infondée que paradoxale, car elle repose sur le postulat qui établit une relation déterministe entre les caractéristiques somatiques, physiques et génétiques et les caractéristiques psychologiques, intellectuelles, culturelles et sociales.

 

Oswaldo Guayasamín, Mère et enfant de la série Ternura [Tendresse] (1989)

Je rappelle qu'en 1950, le déterminisme biologique a été formellement dénoncé par l'UNESCO dans la Déclaration sur la race, considérée comme le premier document officiel à nier la corrélation entre les différences biologiques et les différences culturelles, psychologiques, intellectuelles et comportementales.

Toutefois, cette déclaration n'a pas abandonné la catégorie de la race, mais uniquement le déterminisme biologique. En tant que tel, il ne s'agissait pas, même pour son époque, d'un document très avancé, bien que des chercheurs du calibre de Claude Lévi-Strauss et Ashley Montagu aient contribué à sa rédaction.

Je rappelle que ce dernier - biologiste, psychologue et enfin anthropologue (il fut l'un des premiers élèves de Malinowski, puis de Boas) - avait déjà en 1942 démoli « le mythe de la race » dans un essai (Man's Most Dangerous Myth : The Fallacy of Race), traduit tardivement en italien, sous le titre La race. Analyse d'un mythe [et pas encore traduit en français depuis 80 ans...].

En ce qui concerne la contribution de l'anthropologie culturelle à la déconstruction de la « race » (qui est souvent sous-estimée par les anthropologues eux-mêmes), il suffit de considérer le rôle de Franz Boas, un pionnier de l'anthropologie moderne. Boas, qui a également souffert personnellement de l'antisémitisme, est devenu, au fil du temps, un opposant acharné au racisme improprement appelé scientifique. Et ce, dans une phase historique où prévalaient encore des pseudo-sciences telles que la physiognomonie, la phrénologie et l'anthropologie criminelle de Cesare Lombroso.

C'est en démolissant progressivement l’innéisme et le biologisme déterministe que Boas a réussi à introduire la culture comme concept primaire, puis le relativisme culturel.

 

Autoportrait avec « document de voyage juif » (1943) de Felix Nussbaum (Osnabrück, 1904), mort à Auschwitz peu avant la libération du camp

Ce n'est pas un hasard si l'un des volumes que les nazis ont brûlé à Berlin dans la nuit du 10 mai 1933, cinq mois après l'arrivée au pouvoir d'Hitler, était l'un des essais les plus populaires de Boas : The Mind of Primitive Man, datant de 1911 (publié trois ans plus tard en allemand sous le titre plus explicite de Kultur und Rasse).

 Beaucoup plus tard, en 1946, Fernando Ortiz, considéré comme le plus important ethnologue et anthropologue cubain, publiera El engaño de las razas. Influencé avant tout par l'anthropologie culturelle usaméricaine, Ortiz y réfute radicalement, entre autres, le racisme scientiste. Je rappelle d'ailleurs que c'est lui qui a inventé le mot et le concept de transculturation.

 La Déclaration sur la race, votée à l'unanimité et par acclamation en 1978 par la Conférence générale de l'UNESCO, ne brille pas non plus par son audace. Il suffit de dire que, alors que pour l'anthropologue cubain, « race » était « una mala palabra que non debiera decirse », ici les adjectifs « racial »/ « raciaux » reviennent trente-deux fois et même les groupes raciaux sont mentionnés à plusieurs reprises comme une évidence.

 Presque toutes les conventions internationales sur les droits humains et même les textes fondamentaux de l'Union européenne, y compris la Charte des droits fondamentaux, suivront la même ligne. Il n'est donc pas surprenant que la « race » persiste même dans les Constitutions, dont l'italienne, dont ont été dotées les démocraties nées de la résistance au nazi-fascisme.

 Et pourtant, la « race » n'est rien d'autre qu'une "métaphore naturaliste", pour citer Colette Guillaumin (1972), sociologue féministe, auteure d'un des meilleurs ouvrages jamais écrits sur le mythe de la race et du racisme, jamais traduit en Italie (L'idéologie raciste. Genèse et langage actuel). Cette métaphore est utilisée pour naturaliser le processus même de dévalorisation, de stigmatisation, de hiérarchisation et de discrimination à l'égard de certains groupes, minorités et populations.

 En fait, comme nous l'enseigne la longue et tragique histoire de l'antisémitisme, tout groupe humain peut être racialisé, indépendamment de la visibilité phénotypique, des origines, voire des particularités culturelles et sociales. Le stigmate appliqué à certaines catégories de personnes peut faire fi de toute différence, étant le résultat d'un processus de construction sociale, symbolique et politique. Pensez à la racialisation des réfugiés albanais en Italie dans les années 1990.

 Néanmoins, il y a encore ceux qui croient fermement que le racisme ne vise que les personnes « noires ». Un exemple récent est celui rapporté il y a quelques jours dans les journaux, y compris italiens. Il s'agit d'une Afro-Américaine - actrice, présentatrice de télévision, chanteuse - connue sous le pseudonyme de Whoopi Goldberg. Fin janvier de cette année, lors d'un talk-show très populaire, elle a osé affirmer que l'Holocauste « n'avait rien à voir avec la race », puisqu'il s'agissait « seulement » d'un épisode d' « inhumanité d’hommes envers des hommes ». La preuve en serait que les protagonistes sont « deux groupes de blancs ». En substance, « les blancs contre les blancs, et donc vous vous battez entre vous ».

En fait, la perception même des preuves somatiques dépend de l'histoire, de la société et de la culture. À tel point qu'il y a eu et qu'il y a encore des sociétés pour lesquelles les traits phénotypiques ou morphologiques (en particulier la couleur de la peau) qui sont habituellement considérés comme des critères de distinction entre les « races » n'avaient (et n'ont) aucune valeur taxonomique, et n'étaient pas valables pour établir des différences entre les individus et les groupes [en Afrique de l’Ouest, les Peuls sont dits « rouges » et non pas « noirs », NdT].

L'une des dernières peintures d'Emma Amos, une artiste féministe et antiraciste née en Géorgie mais aux origines très diverses. Elle se considérait en partie africaine, en partie cherokee, en partie irlandaise et en partie norvégienne.

Dans le racisme actuel, qu'il est convenu d'appeler « néo-racisme », le déterminisme biologique et génétique est souvent brouillé, parfois déguisé. Pour justifier l'hostilité ou le rejet de l'autre, pour mettre en œuvre et légitimer des pratiques de discrimination, de ségrégation et d'exclusion, les différences sociales, culturelles et religieuses sont souvent essentialisées, au point de les concevoir comme ahistoriques, absolues et immuables.

Néanmoins, il convient de rappeler que l'antisémitisme moderne était déjà culturaliste et différentialiste : Etienne Balibar a raison de prétendre que « le néo-racisme peut être considéré, d'un point de vue formel, comme un antisémitisme généralisé ».

Par conséquent, nous ne devons pas absolutiser l'hypothèse selon laquelle le racisme d'aujourd'hui est différentialiste, culturaliste, sans « races ». En réalité, les glissements, les mélanges, les passages du racisme biologique au racisme dit culturel, mais aussi l'inverse, ont toujours existé, existent encore et sont toujours possibles : au bon moment, l'imaginaire sédimenté de la « race » peut resurgir.

Ne serait-ce que pour cette raison, les efforts déployés par les chercheurs, notamment français et italiens, qui se réfèrent à la « Critique postcoloniale » semblent plutôt discutables, ces efforts visant à réintroduire le terme et la notion de race dans le lexique des sciences sociales, annulant ainsi un siècle de patient travail critique visant à les déconstruire.

Peu soucieux du risque de relégitimer la « race » au niveau du sens commun, les chercheurs dits « postcoloniaux » l'ont placée au centre de leur appareil conceptuel, tout en la comprenant comme une construction sociale et un dispositif d'infériorisation, de subordination et d'exclusion des autres. Le raisonnement de certains d'entre eux peut se résumer aux termes d'un syllogisme de ce type : la rhétorique des droits humains a fait de la « race » un interdit ; mais puisque la discrimination et le racisme existent, pour les rendre clairs, les analyser, s'y opposer et nommer les victimes, il faut exhumer le lemme de la race.

En vérité, quelles que soient les précautions prises, le passé des mots sédimente et persiste : quels que soient les efforts déployés pour la sociologiser, la « race » conservera toujours le sens biologico-déterministe qui lui a été attribué au XIXe siècle.

« On ne change pas la réalité en changeant les noms ; on ne se débarrasse pas du racisme en abolissant le mot race », affirme-t-on dans de nombreux milieux. Mais nous, qui proposons de l'abolir en commençant par la Constitution italienne, ne sommes pas naïves au point de penser que cela va bannir ou simplement miner le système raciste. Nous entendons plutôt affirmer que la présence de la « race » dans la Constitution semble aujourd'hui absurde et immotivée, exactement comme la notion de « sang royal » l'était dans le Statut Albertin [Constitution du Royaume de Savoie puis d’Italie, de 1848  jusqu’en 1946, NdT].

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