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15/03/2023

LUIS HERNANDEZ NAVARRO
Camarade Gilberto, 80 ans
Hommage à Gilberto López y Rivas (*6 mars 1943)

 Luis Hernández Navarro, La Jornada, 14/3/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Un an avant l’assaut de la caserne Madera dans le Chihuahua [23 septembre 1965), le dirigeant syndical des enseignants Othón Salazar et d’autres enseignants ont tenté de donner vie à un mouvement de guérilla d’orientation socialiste. Ils n’étaient pas seuls, ils étaient accompagnés dans leur rêve par les survivants du mouvement jaramillista*, les noyaux ouvriers du Frente Obrero Comunista Mexicano maoïste, dirigé par l’avocat Juan Ortega Arenas, ainsi que des médecins, des avocats, des étudiants et des intellectuels.

 « En 1964, personne ne pouvait m’ôter de la tête que le moment tactique pour le Mexique était le mouvement de guérilla. J’ai pris un médecin, une infirmière, des munitions et des armes. Nous avons passé quinze jours à nous entraîner dans une communauté appelée Jaulillas, près de Tehuitzingo, à Puebla ; l’influence que la révolution cubaine a exercée sur un groupe d’entre nous, et sur moi en particulier, a été très grande. Il m’a semblé, avec une conviction totale, qu’il n’y avait pas d’autre issue pour le Mexique que le mouvement de guérilla », a déclaré Othón Salazar à Amparo Ruiz del Castillo.


 L’un des participants à ce projet politico-militaire était un jeune étudiant en anthropologie qui venait d’abandonner ses études d’économie, dépassé par ses cours de comptabilité : Gilberto López y Rivas. Militant des Jeunesses communistes, dont il avait été exclu pour déviations petites-bourgeoises, il consacrait une partie de son temps à l’entraînement à l’autodéfense, étudiant les tactiques de guérilla, s’entraînant au maniement des armes et apprenant à fabriquer des grenades artisanales à l’efficacité douteuse.

La nouvelle organisation ne s’est pas opposée militairement au gouvernement, bien qu’elle ait eu des pertes et des prisonniers au niveau régional. Des témoins affirment qu’elle n’avait pas de nom, d’autres l’identifient comme le Movimiento 23 de Mayo. Ils ont étudié la contre-insurrection britannique en Malaisie et celle des Français en Algérie. La guerre de guérilla** du Che devient leur bible. Ils analysent les conditions d’établissement d’un foyer de guérilla et la possibilité d’une guérilla itinérante. À l’intérieur, Gilberto s’occupe des cellules ouvrières dans les quartiers de la brasserie Modelo et de l’usine de cuisinières Acros, collecte des produits pharmaceutiques et collabore avec les Jaramillistas, en soutenant le commandant Félix Serdán, alias Rogelio (1917-2015), dans son travail de conspirateur.

Enfant, López y Rivas a vécu dans un logement précaire à Santa María la Ribera, à Mexico. Il a ensuite vécu à Veracruz, où il a appris l’invasion usaméricaine du port (1914) par Luz María Llorente veuve Posadas, son instit de la 4ème à la 6ème année d’école primaire Elle avait vécu sous l’occupation yankee. Les USAméricains la dégoûtaient, la seule expérience qu’elle avait, et la seule qu’elle voulait, c’était qu’ils s’en aillent, a-t-elle dit à Gilberto. L’anti-impérialisme l’a donc habité dès son plus jeune âge. Sa thèse de doctorat à l’université de l’Utah, publiée plus tard sous forme de livre en espagnol en 1976, s’intitulait La guerra del 47 y la resistencia popular a la ocupación (La guerre de 47 [USA-Mexique, 1846-1848] et la résistance populaire à l’occupation).

En 1968, il a épousé Alicia, sa partenaire de vie et d’aventures, mère de leurs fils Nayar et Ali (tous trois des personnes extraordinaires). Alicia et lui ont sauvé leur peau le 2 octobre 1968 à Tlatelolco grâce aux enseignements du commandant Serdán. Félix, c’est à toi que nous devons la vie, lui a-t-il dit. Il a émigré au Canada, où il a travaillé comme ouvrier du bâtiment, jardinier et chauffeur de taxi. Après avoir obtenu son doctorat aux USA, il a enseigné à l’université du Minnesota. Jusqu’à ce qu’en 1978, il soit arrêté avec Alicia par le FBI, accusé d’espionnage. C’est vrai. En raison de leur conviction pour la cause du socialisme et de la façon dont les USAméricains traitent notre pays et nos compatriotes de l’autre côté de la frontière, ils collaboraient avec l’agence militaire de renseignement soviétique (GRU) depuis une dizaine d’années. Ils s’étaient engagés en faveur de la révolution mondiale. Finalement, ils n’ont pas été poursuivis car le ministère de la Justice a fait valoir que les enregistrements à leur encontre et la perquisition non autorisée de leur domicile avaient violé leurs droits civils. Dans les 48 heures, ils sont retournés au Mexique.

Avec une main devant, une main derrière, Gilberto a entamé une fructueuse carrière universitaire dans ce pays, sans renoncer à son engagement politique dans la lutte pour la libération nationale et le socialisme. Il est l’auteur d’une quinzaine d’ouvrages sur l’histoire du Mexique, l’anthropologie et la question nationale, plusieurs traduits en anglais, français, portugais et italien (l’un d’eux, Mandar obedeciendo, la ruptura del cerco, comptabilise près de 950 000 téléchargements, et Pueblos indígenas en tiempos de la Cuarta Transformación, plus de 596 000). Il a été le premier directeur élu de l’École nationale d’anthropologie et d’histoire (ENAH). Il a été chroniqueur pour El Gallo Ilustrado et, depuis 1997, pour La Jornada.

Figure emblématique de la solidarité mexicaine avec le Nicaragua et le Salvador, il a rejoint le Courant socialiste et, avec lui, a participé au Parti socialiste mexicain et au Parti de la révolution démocratique. Il a fait partie de la direction nationale de ce parti, en tant que secrétaire aux droits de l’homme et aux peuples indiens. Député fédéral lors de la dernière année de la 54e  législature et de la 57e  législature, il a été le premier délégué élu de Tlalpan de 2000 à 2003. Il a vivement critiqué l’approbation de la réforme indigène en 2001. À la fin de son mandat, il démissionne du parti et quitte la politique institutionnelle.

Conseiller de l’EZLN dans les accords de San Andrés et l’un des théoriciens les plus importants de l’autonomie indigène, Gilberto vient d’avoir 80 ans. Il n’aurait jamais imaginé vivre aussi longtemps et aussi intensément. Contre vents et marées, son engagement dans la lutte des peuples originaires, dans le zapatisme, à Cuba et au Venezuela, et dans les luttes pour l’émancipation des peuples est resté inébranlable. Il dit ce qu’il fait et fait ce qu’il dit. Sa bonne humeur est explosive. Comme l’a écrit Julius Fučík dans Reportage écrit sous la potence,  López y Rivas a vécu et s’est battu pour la joie. Son nom n’a jamais été associé à la tristesse.   

 NdT

* Le Movimiento Jaramillista (1943-1962) était un mouvement paysan dirigé par Rubén Jaramillo Ménez (1898-1962) dans l’État de Morelos. Jaramillo avait servi dans les forces révolutionnaires du général Emiliano Zapata. À la fin de la guerre, vers 1920, Jaramillo a entamé une bataille juridique pour obtenir des terres et des prêts pour les producteurs de riz et de canne à sucre, et a organisé la construction d’une raffinerie de sucre à Zacatepec qui a commencé à fonctionner en 1938. Les partisans de Jaramillo (Jaramillistas) se sont heurtés aux propriétaires terriens (caciques), aux monopoles et aux politiciens régionaux. En 1943, après avoir échappé à une tentative d’assassinat, Jaramillo entame la première phase de son conflit armé en adoptant une stratégie de guérilla. En 1945, ses partisans acceptent l’amnistie et fondent le Partido Obrero Agrario Morelense (PAOM), qui propose la candidature de Jaramillo au poste de gouverneur de l’État. À la suite d’allégations de fraude électorale et d’une nouvelle tentative d’assassinat, Jaramillo retourne au conflit armé. En 1951-1952, les partisans de Jaramillo retournent aux urnes en s’alliant au candidat présidentiel Miguel Henríquez, mais le gouvernement fédéral réprime le Mouvement Henriquista et une nouvelle phase de guérilla s’ouvre alors (1952-1958). Après une nouvelle amnistie, les Jaramillistas reviennent à des moyens de lutte essentiellement pacifiques de 1959 à 1962 (bien qu’ils aient envahi sans succès les plaines de Michapa et de El Guarín en 1961, et aient été vaincus). Le 23 mai 1962, Jaramillo, sa femme enceinte et trois de leurs enfants ont été enlevés à Tlaquiltenango par des officiers de la police judiciaire militaire et exécutés à proximité du site archéologique de Xochicalco.

** La guerre de guérilla, dernier livre de Che Guevara, édité par François Maspero en 1962, réédité par 100 Nuits en 2008, doit reparaître aux éditions Au diable vauvert le 13 avril 2023

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