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19/08/2022

GIDEON LEVY
Pourquoi le père de Khalil Awawdeh, en grève de la faim depuis 170 jours, est prêt à perdre son fils

Gideon Levy et Alex Levac (photos), Haaretz, 19/8/2022

Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala 

C'est le 170e jour de la plus longue grève de la faim jamais observée par un détenu administratif palestinien. Khalil Awawdeh a passé 13 ans dans les prisons israéliennes et devait être libéré après le cessez-le-feu de Gaza, mais cela ne s'est pas produit.

Mohammed, le père de Khalil Awawdeh, à son domicile cette semaine. La famille a rejeté la demande de l'armée, lors d'un raid nocturne au début de l'année, de retirer ses posters du gréviste de la faim.

 

Mohammed Awawdeh veut que son fils, Khalil, continue à ne pas céder, et est prêt à le perdre à cette fin. « S'il sort mort, il aura ce qu'il voulait - même s'il est mort », explique le père de 61 ans dans la cour de la maison familiale de la ville d'Idna, à l'ouest d'Hébron.

 

Malgré cela, l'inquiétude et l'anxiété dans cette maison ont augmenté cette semaine. Mohammed sursaute à chaque fois que le téléphone sonne : Il pourrait s'agir d'un appel l'informant de la mort de son fils. La mère de Khalil, Jalila, 62 ans, voulait que son fils arrête sa grève de la faim dès le premier jour. Elle le veut vivant, même au prix de sa liberté. Pas le père. Et Dalal, la femme de Khalil, dit qu'elle est du côté de son mari qui a décidé d'aller jusqu'au bout.

 

Dalal est le dernier membre de la famille à avoir vu Khalil, au centre médical Shamir, au sud-ouest de Tel Aviv, où il a été transféré le week-end dernier. Elle a été gravement choquée par ce qu'elle a vu. Samedi, Dalal a rencontré un homme qu'elle a à peine reconnu, presque aveugle, à peine capable de parler.

 

Sa vie est en danger, et sa mort risque de déclencher une vague de violence renouvelée en Cisjordanie et dans la bande de Gaza. Contrairement à ce qui se passe en Israël, le sort de Khalil Awawdeh continue de susciter intérêt et inquiétude dans certains milieux internationaux. Une manifestation a eu lieu il y a quelques jours à Londres pour demander sa libération, et des événements similaires ont eu lieu dans d'autres villes.

Une cour négligée, ornée d'affiches appelant à la libération d'Awawdeh, dans un quartier tranquille d'Idna. Khalil Awawdeh a 41 ans, il est père de quatre filles. La plus jeune, âgée d'un an et demi, est blottie dans les bras de sa mère. Khalil est l'un des huit enfants de Mohammed et Jalila, mais seul Khalil a été actif dans le Jihad islamique. « Ils ont chacun suivi chacun son propre chemin, Khalil est sur le bon chemin », dit son père, qui atteste que lui-même n'a jamais été politiquement actif.

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Khalil Awawdeh, sur une photo non datée. « Chaque fois que le téléphone sonne, je pense qu'il est mort », dit son père. « Mais s'il meurt, le Jihad ne se taira pas ». Photo de la famille Awawdeh

 

Mohammed, un petit homme affable, a travaillé pendant des années en Israël et parle un bon hébreu d’ouvrier. Il est au chômage depuis 1992, date à laquelle il a été blessé dans un accident de travail à Ashkelon, et son taux d'invalidité est de 77 %. À son grand désespoir, il n'a pas été autorisé à entrer en Israël - on ne sait pas pourquoi. Cette semaine encore, il a demandé l'aide d'un visiteur pour obtenir un permis d'entrée afin de rendre visite à son fils et de reprendre son travail en Israël.

 

Khalil Awawdeh a été un éternel étudiant de premier cycle à l'université d'Hébron, où il étudiait l'ingénierie, mais ses fréquentes incarcérations l'ont empêché de terminer ses études. Il doit encore suivre neuf heures de cours et passer un entretien final pour obtenir son diplôme, ce qu'il ne parviendra probablement pas à faire de sitôt, voire jamais.

 

 L'historique de ses arrestations est long et inquiétant : Il n'est pas raisonnable de maintenir des personnes en détention sans procès autant de fois, et pendant autant d'années. Aujourd'hui, il est déterminé à mettre fin à ce cycle, d'une manière ou d'une autre.

Mohammed se souvient parfaitement de toutes les dates d'arrestation de son fils. La première fois, c'était en mai 2002. Khalil a été condamné à cinq ans et demi de prison après avoir été reconnu coupable d'appartenance et d'activité pour le compte du Jihad islamique : il a purgé la totalité de sa peine. Après sa libération, il a tenté de reprendre ses études universitaires, mais il a été de nouveau arrêté en octobre. Cette fois, il a été incarcéré pendant deux ans, mais n'a jamais été traduit en justice. Quelques mois après cette libération, il est à nouveau placé en détention administrative, pour 33 mois. Peu de temps après avoir été libéré, il a de nouveau été placé en détention ; cette fois, la détention administrative a duré 26 mois. Il a été libéré le 30 juin 2016.

Selon les données des forces de sécurité, entre 2007 et 2010, Khalil a été incarcéré pendant un total de 34 mois sans procès, et de 2014 à 2016, il a passé 26 mois supplémentaires en prison sans voir un juge (ce qui se distingue des peines d'emprisonnement résultant de condamnations, suite à des procès). Khalil a ensuite connu quelques années de tranquillité, jusqu'au 27 décembre 2021, date à laquelle il a été à nouveau placé en détention, sa dernière arrestation pour l'instant.

 

Dalal, la femme de Khalil Awawdeh, montre à sa fille une photo de son père.

 

Une force de quelques dizaines de soldats israéliens est arrivée à la maison que nous visitons maintenant, à 2h30 du matin ce jour-là. Mohammed les a accompagnés au troisième étage, dans l'appartement de son fils, où ils ont arrêté Khalil et sont repartis avec lui. Quelques semaines plus tard, il a été présenté à un juge pour une mise en détention provisoire, et le tribunal a ordonné sa libération. Mais le service de sécurité Shin Bet, suivant sa pratique habituelle dans de tels cas, a alors ordonné qu'il soit placé en détention administrative pendant six mois.

 

Khalil était déterminé à entamer une grève de la faim mais il a été infecté par le COVID-19 dans la prison d'Ofer. Il a été malade pendant quelques semaines, puis a entamé ce qui allait devenir la plus longue grève de la faim jamais observée par un Palestinien détenu par Israël, à partir du 3 mars 2022. Le printemps et l'été sont presque passés, et il continue sans relâche. Lundi, lorsque nous avons rendu visite à sa famille, c'était le 166e jour de sa grève de la faim.

 

La femme de Khali n'a été autorisée à le voir que deux fois depuis son arrestation, une fois le 13 février, peu avant le début de la grève, et une autre fois samedi dernier. Seule Dalal a été autorisée à lui rendre visite, pas même une de leurs filles. Les menottes et les chaînes aux jambes qui le retenaient à l'hôpital ont été retirées avant la visite, mais la plupart du temps, cet homme gravement malade reste attaché, selon son avocate, Ahlam Haddad. De nombreux gardiens de prison veillent sur lui - Dalal en a compté neuf à l'intérieur et à l'extérieur de la chambre de son mari. « Pas tant que ça », plaisante le père de Khalil.

 

Dalal a été autorisée à entrer dans l'hôpital par une porte arrière afin de contourner les médias palestiniens et étrangers présents sur place - les médias israéliens ne s'intéressent pas au sort du gréviste de la faim le plus déterminé de l'histoire locale. Au départ, elle n'a été autorisée à rester aux côtés de son mari que pendant une demi-heure, et uniquement en présence de gardiens de prison. Elle n'a pas non plus été autorisée à photographier son mari, ce qui aurait permis au monde entier de voir à quoi il ressemble maintenant.

 

Mohammed, le père de Khalil Awawdeh

 

On a fait sortir Dalal de la pièce au bout de 30 minutes, mais les représentants de la Croix-Rouge internationale qui étaient présents ont protesté contre la brièveté de la visite après une si longue période sans rencontre de ce type, et aussi au vu de l'état grave du prisonnier. Après une courte attente, Dalal a finalement été autorisée à revenir pour une heure supplémentaire. Elle n'a pas essayé de persuader Khalil de mettre fin à sa grève de la faim. Il ne se nourrit que d'eau, pour l'instant.

 

« Personne ne lui dira d'arrêter », dit son père.

 

Dalal, 32 ans, enseigne la géographie dans une école primaire d'un village voisin. Elle a été consternée par l'apparence de son mari, raconte-t-elle. Ses yeux semblent sortir de leurs orbites, ses bras et ses jambes sont émaciés. Lorsqu'elle est retournée dans la chambre pour poursuivre la visite, il ne se souvenait plus de qui elle était, comme c'était le cas au début de la visite. Il ne se souvient pas non plus du nom de ses filles. Ses yeux sont ouverts mais il ne voit pas, et il a du mal à identifier les gens par leur voix.

 

Quelques semaines avant sa dernière arrestation, Awawdeh a été convoqué pour un interrogatoire dans les bureaux du Shin Bet à Etzion, près de Bethléem. À la fin de la séance, son père raconte qu'il a dit à ses interrogateurs que s'il devait être à nouveau incarcéré sans procès, il entamerait une grève de la faim. Mohammed n'a aucune information sur les négociations actuellement en cours pour sa libération, l'Égypte servant de médiateur entre Israël et le Jihad islamique - personne ne tient la famille au courant et tout ce qu'elle sait, elle le tient des médias.

 

À la fin de l'opération Aube naissante menée par l'armée israélienne à Gaza au début du mois, le Jihad islamique a exigé qu'Awawdeh soit transféré dans un hôpital, mais cela n'a eu lieu que quelques jours plus tard, malgré son état grave. Il a été transféré à l'hôpital jeudi dernier, un peu plus de 160 jours après le début de sa grève de la faim. Il pèse 38 kilos, selon la famille ; avant qu'il ne cesse de manger, il en pesait 86.

 

Pense-t-il à la possibilité que son fils puisse mourir ? Mohammed : « J'y pense à chaque minute. Chaque fois que le téléphone sonne, je pense qu'il est mort. Mais s'il meurt, le djihad ne se taira pas ». Et si Khalil lui demandait maintenant ce qu'il doit faire ? « Je lui dirais de continuer. De ne pas s'arrêter. S'il mange maintenant, ils lui donneront encore six mois [d'emprisonnement], et après ça encore six mois ». Mais s'il ne mange pas, il va mourir. « Il mourra ».  Et ses enfants ? « Les enfants ont Dieu ».

 

Au cours de la grève de la faim, la famille a reçu deux fois la visite de Hisham Abou Hawash, un détenu administratif qui a été libéré après une grève de la faim de 141 jours, la plus longue avant celle de Khalil. Abou Hawash, qui a mis fin à sa grève en janvier dernier, est toujours une épave, selon Mohammed : il a du mal à marcher, à manger et à monter les escaliers.

 

Banderoles de soutien à Khalil Awawdeh

 Au 50e jour de la grève de la faim de Khalil, les Forces de défense israéliennes et les forces du Shin Bet ont fait une descente au domicile de la famille en pleine nuit et ont exigé qu'elle retire les affiches placées dans la cour pour demander la libération de Khalil. La famille a refusé, disant que les affiches ne seraient enlevées qu'après le retour de Khalil. Les troupes sont parties.

 

Un agent du Shin Bet a dit à Mohammed à ce moment-là : « Votre fils sera libéré à la fin, mais il ne sera plus un être humain ». Mohammed a demandé pourquoi, et on lui a répondu : « Il sortira peut-être sans jambe, sans reins, sans foie, sans yeux ». Mohammed a répondu : « S'il sort, il aura ce qu'il voulait. Le Shin Bet veut qu'il meure. Mon fils n'a rien fait contre Israël. S'il l'avait fait, il aurait écopé de 20 ans de prison ».

 

Les affiches demandant sa libération apposées sur chaque arbre ici disent : « Non à la détention administrative ».

 

Cette semaine, une cour d'appel militaire a entendu la demande de libération d'Awawdeh. Le juge colonel Eyal Nun a écrit dans sa décision de ne pas le libérer, apparemment sans que sa main ne tremble sur le clavier : « La clé de l'état de santé du requérant est entre ses mains, et je ne peux qu'exprimer l'espoir qu'il en fera usage... On peut protester contre ce que le requérant considère comme une incarcération injuste sans mettre sa vie en danger, mais si le requérant souhaite amener les choses à un point tel qu'à la suite du danger pour sa vie, il sera libéré de la détention administrative - il est impossible d'accepter cela, à la lumière du danger qu'il représente. Tout au plus, si l'état du requérant atteint une condition de danger immédiat pour sa vie, il serait possible d'ordonner la suspension de l'ordre de détention administrative.

Je n'ai pas été convaincu que l'état du requérant a atteint cet état et, par conséquent, je ne peux pas faire droit à l'appel... Le résultat final est que, parce que je n'ai pas trouvé d'erreur dans la décision de la juridiction précédente, même à la lumière des derniers développements, et ayant constaté que la détention administrative du requérant est justifiée - je rejette l'appel ».

 

Combien de temps sera-t-il emprisonné sans être jugé ? Quand le “danger” qu'il représente disparaîtra-t-il ? En l'état actuel des choses, il n'existe aucune preuve permettant de prouver le danger, même partiellement, devant un tribunal. C'est pourquoi Awawdeh n'est pas traduit en justice, comme c'est le cas dans les États respectueux de la loi, mais est maintenu en détention sans procès. Et comment saurons-nous que sa dangerosité a cessé ?

 

C’est ça, le système juridique militaire et le système de justice israélien dans les territoires occupés.     



 

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