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14/09/2023

GIDEON LEVY
Quel que soit l’arrêt de la Cour suprême, Israël ne sera pas une démocratie

Gideon Levy, Haaretz, 14/9/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

On ne peut que s’émerveiller des délibérations de la Cour suprême mardi, 13 heures et demie de ravissement : l’autre Israël, l’Israël des rêves, pas de la réalité*. Cela fait une éternité qu’il n’y a pas eu de discussion aussi incisive et approfondie ici, et une éternité qu’il n’y a pas eu de discussion aussi déconnectée de la réalité ignorante, superficielle, chauvine, grossière, violente et à la tête du client d’Israël.

Les 15 juges suprêmes, le 12 septembre. Photo Yonatan Sindel/FLASH90

Les défenseurs de l’État démocratique juif. Photo : Ohad Zwigenberg / AP

L’audience était aux antipodes de l’attraction qui l’avait précédée au sein de la commission de la Constitution, du droit et de la justice de la Knesset. Tout a été appris et peaufiné au tribunal : “justice sociale”, “Votre Honneur”, “Pages Jaunes contre Israel Broadcasting Authority**” et “principe de Wednesbury”. Même l’avocat du gouvernement, Ilan Bombach, s’est momentanément transformé en un intellectuel d’Europe centrale réservé, citant Montesquieu et Hobbes. Une audience entièrement juive, entièrement ashkénaze, avec plus de kippahs que la moyenne de la population et presque pas d’Arabes ni de Haredim, les deux sources de contrariété habituelles de la société israélienne. L’Israël blanc débattait de l’avenir de sa forme de gouvernement. C’était instructif, mais aussi déprimant.

Il s’agissait d’une délibération à l’intérieur d’une bulle scellée et protégée, d’un sous-marin jaune en eaux troubles, d’un séminaire de troisième cycle en démocratie avec les meilleurs esprits, sur le pont du Titanic. Un étranger ayant assisté à l’audition aurait pu penser, à tort, qu’elle reflétait le niveau habituel de débat et d’argumentation en Israël - c’est ainsi qu’on y parle, surtout ces derniers temps. Mais le niveau et le style n’étaient pas l’élément le plus trompeur ; le contenu du débat l’était beaucoup plus.

Ce qui avait été décrit à l’avance comme “l’audience la plus importante de l’histoire du droit israélien” a tenu ses promesses. Il s’agissait de la délibération politique la plus importante de l’histoire de l’État d’Israël, tout simplement parce qu’il n’y a jamais eu, et qu’il n’y aura jamais, de délibération plus importante et plus lourde de conséquences ici. Ce n’est pas un hasard, bien sûr. L’importance de la lutte pour l’indépendance du pouvoir judiciaire ne peut être surestimée, mais nous ne pouvons ignorer les délibérations encore plus importantes et conséquentes concernant le gouvernement d’Israël qui n’ont jamais eu lieu.

Les délibérations de la Cour suprême ont été trompeuses car elles ont donné l’impression que le critère du caractère raisonnable est ce qui sépare l’Israël démocratique de l’Israël tyrannique. Son maintien, c’est la démocratie ; son abrogation, c’est la dictature. C’est ce qui se cache derrière le pathos, l’impression monumentale de la délibération. D’un côté, les gardiens qui luttent pour préserver le statu quo de toute atteinte ; de l’autre, l’aile droite subversive et révolutionnaire, qui cherche à tout détruire, y compris la Déclaration d’indépendance d’Israël. Comme si ce parchemin sacré, la colonne de feu qui a guidé l’État depuis sa création, avait jamais été mis en œuvre. Le diabolique Ilan Bombach est venu et a jeté le parchemin dans la poubelle de l’histoire.

ça aussi, c’est est une illusion, une autre façon de nous dire : regardez comme nous sommes beaux, quelle merveilleuse Déclaration d’indépendance nous avons, nous avons suivi ses préceptes avec diligence, jusqu’à ce que Bombach débarque.

Le bel Israël n’a réalisé que très peu des principes formulés par “37 personnes qui n’ont jamais été élues”, comme Bombach a décrit ses signataires. Le parchemin parle d’une nation qui “aime la paix mais sait se défendre”, d’un État qui “assurera l’égalité complète des droits sociaux et politiques à tous ses habitants, sans distinction de religion, de race ou de sexe” et qui “sera fidèle aux principes de la Charte des Nations unies”. Excusez-moi, mais quand Israël a-t-il respecté une seule résolution des Nations unies ? Cela aussi est exaspérant : « Nous tendons la main à tous les États voisins et à leurs peuples dans une offre de paix et de bon voisinage ». Une main de paix ? À qui ? Quand ? Où ? Qu’est-ce qu’Israël a compris de tout ça avant que Bombach ne le détruise ?

La délibération au tribunal était une délibération de fantasmes et de fantômes. Elle n’était pas différente d’une délibération à la Cour suprême d’Afrique du Sud avant 1994 sur la nature de la démocratie pour les Blancs. Personne n’a demandé mardi comment il était possible de parler de démocratie dans un État d’apartheid.

Nous devons vraiment espérer que, grâce à la Cour suprême, Israël continuera à suivre le précédent de Pages Jaunes ; l’alternative est dangereuse et terrible. Mais admettons-le : même avec l’arrêt Pages Jaunes sur le critère de raisonnabilité, nous ne serons pas une démocratie, pas même pour un instant.

NdT
* La Cour suprême d’Israël a entamé mardi 12 septembre une audience consacrée à des recours contre un projet de loi gouvernemental limitant ses propres pouvoirs, que contestent depuis des mois des milliers de manifestants au nom de la démocratie. Pour la première fois dans l’histoire de la plus haute juridiction du pays, les quinze juges de la Cour se sont réunis au complet pour entendre les arguments des opposants à une mesure clé du projet, adoptée en juillet par la coalition de partis religieux, conservateurs et ultranationalistes au pouvoir, dirigée par le Premier ministre Benjamin Netanyahou. Cet amendement aux lois fondamentales de l’Etat hébreu prive la Cour suprême de son pouvoir d’annuler des décisions gouvernementales qu’elle juge “déraisonnables”. Pour le gouvernement, l’abandon de cette "clause de raisonnabilité" vise à empêcher des juges non élus d’intervenir dans les affaires politiques. Pour les opposants, il menace l’essence même de la démocratie israélienne en supprimant un instrument de contrôle vital et en ouvrant la voie aux abus de pouvoir et à la corruption. (Source : Reuters)

** L’affaire Pages Jaunes contre IBA, jugée en 1980, concernait une décision prise par l’Autorité israélienne de radiodiffusion (IBA) d’étendre un contrat avec une société privée pour une décennie supplémentaire et de lui accorder des droits exclusifs pour fournir des services de publicité à sa station de radio, Kol-Israel (La Voix d’Israël), sans procéder à un appel d’offres ou accorder à d’autres entreprises des chances égales de concourir pour le contrat. (Ces types d’exigences n’ont fait partie du droit public israélien que plusieurs années plus tard). Le juge Aharon Barak a laissé entendre que la décision de l’IBA était discutable, étant donné que l’IBA aurait pu améliorer son pouvoir de négociation et le contrat qui en a résulté en prenant en considération des offres supplémentaires. Il a néanmoins jugé la prolongation raisonnable, ou du moins “pas déraisonnable”. En revanche, le président de la Cour Landau a explicitement déclaré que si le caractère raisonnable aurait été mesuré par des normes objectives et aurait servi de base indépendante pour une intervention judiciaire, alors la Cour aurait dû intervenir dans cette affaire. En confirmant la décision de l’IBA tout en posant les bases substantielles d’une intervention future, Barak bénéficiait de quelques avantages tactiques. La décision a été prise par les trois juges, qui ont accepté de rejeter la requête, et il n’a pas été nécessaire de forcer la juge “pivot”, Ben-Porat, à décider si elle était d’accord avec Barak ou avec Landau sur l’issue de l’affaire. En outre, il n’y a pas eu de frustration de la volonté administrative, qui a soutenu l’IBA. A cette époque, l’IBA monopolisait le champ télévisuel et bénéficiait d’un fort soutien du gouvernement israélien. La décision a satisfait l’IBA, qui tirait 10 % de ses revenus de ce contrat privé.  Après l’arrêt Pages Jaunes, la Cour suprême israélienne a commencé à examiner le caractère raisonnable des décisions administratives en tant que motifs indépendants d’intervention judiciaire. (Source : Rivka Weill, The Strategic Common Law Court of Aharon Barak and its Aftermath: On Judicially-led Constitutional Revolutions and Democratic Backsliding, 2018)

 

 

 

13/08/2023

GIDEON LEVY
Les manifestants de la rue Kaplan doivent se rendre compte qu’il ne s’agit plus d’occupation, mais déjà d’un seul État

Gideon Levy, Haaretz, 13/8/2023
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Lors des manifestations organisées à Tel Aviv contre la réforme judiciaire du gouvernement, les meilleures personnes d’Israël se trouvent dans la zone délimitée par le bloc anti-occupation - les personnes de conscience qui reconnaissent qu’il n’y a pas de démocratie avec une tyrannie militaire dans son arrière-cour.

Manifestants anti-occupation en mai. Photo : Fadi Amub

Tout cela est très encourageant. Mais il est temps de replier les drapeaux, de changer les slogans et de quitter ce coin de rue. En 2023, lutter contre l’occupation revient à lutter contre les forces de la nature. Tout comme les inondations et les tremblements de terre, l’occupation ne peut plus être vaincue. Elle est là pour longtemps.

 

Avec plus de 700 000 colons (y compris dans les parties occupées de Jérusalem) qui ne seront jamais déplacés et une énorme entreprise consacrée à sa perpétuation, l’occupation ne peut être vaincue.

 

En outre, l’occupation a cessé depuis longtemps d’être une occupation. Qualifier d’occupation ce qui se passe dans les territoires palestiniens revient à la perpétuer, tout comme parler d’une solution à deux États qui ne sera jamais mise en œuvre et que personne en Israël n’a jamais eu l’intention de mettre en œuvre.

 

Par définition, l’occupation militaire est temporaire. Après 56 ans et sans perspective de fin, la situation dans les territoires ne peut plus être considérée comme temporaire. Et si elle n’est pas temporaire, ce n’est pas une occupation. Le caractère temporaire de l’occupation a expiré, et avec lui la possibilité de la définir comme une occupation.

 

Par conséquent, parler de l’occupation lors des manifestations de la rue Kaplan est anachronique. La combattre dans le cadre d’une lutte pour la démocratie n’est pas pertinent. Les manifestants de la rue Kaplan disent qu’ils luttent pour la démocratie. Or, la démocratie, c’est l’égalité avant tout.

 

Cela doit cesser. Cessez de lutter contre la construction de colonies, de rêver à des cartes de retrait délirantes et de penser en termes de “fin de l’occupation”. Il n’y aura pas de fin à l’occupation.

 

La rue Kaplan est l’endroit, l’occasion et le moment de changer de mentalité, de redéfinir l’agenda et de commencer quelque chose de nouveau, quelque chose de beaucoup plus porteur d’espoir et de pertinence. La lutte pour l’égalité des droits, de la mer Méditerranée au Jourdain, devrait commencer rue Kaplan.

 

Une personne, un vote, comme dans la plus modeste des démocraties. Tous les sujets de l’État - environ 15 millions de personnes, de Metula à Eilat et de Rafah à Jénine, toutes soumises à son autorité - doivent être égaux en droits. Sans cela, Israël n’est pas une démocratie.

 

Le bloc anti-occupation défile à Tel Aviv. Photo : Itai Ron

 

Laissez la partie “juive” de la définition de l’État pour les cérémonies de commémoration de l’Holocauste. Il n’y a rien qui puisse être juif et démocratique. Si les manifestants de la rue Kaplan ne comprennent pas cela, alors qui le comprend ?

 

La lutte contre la législation antidémocratique est importante, mais aussi dangereuse. Elle brouille la réalité et l’idéalise : si les projets de loi sont stoppés, Israël sera-t-il une démocratie ? Le véritable coup d’État a été la transformation d’Israël en un État d’apartheid, lorsque l’occupation est devenue immortelle. À côté de cela, l’abrogation du critère du caractère raisonnable n’est rien de plus qu’une mouche gênante.

 

La véritable protestation doit donc se concentrer sur ce coup d’État. Apartheid ou démocratie, telle est la question : il n’y en a pas de plus importante, même si Moshe Radman, l’un des principaux dirigeants et théoriciens des combattants de la liberté, pense que toute la question est simplement “la qualité de vie des Palestiniens”.

 

La section anti-occupation de la rue Kaplan doit être nettoyée, remplacée par de nouveaux drapeaux et de nouveaux slogans partout. Au lieu de parler de l’occupation, parlez d’égalité, de suffrage universel, d’un seul État démocratique. Au lieu d’être contre les colonies, soyez en faveur d’un État de tous ses citoyens.

 

Existe-t-il une démocratie dans le monde qui ne soit pas l’État de tous ses citoyens ? Si ce n’est pas de ses citoyens, alors de qui ? De Dieu ? À une demi-heure de voiture de la rue Kaplan, les gens ne peuvent pas manifester sur quoi que ce soit, de quelque manière que ce soit ; ils ne peuvent pas se défendre, protester ou résister.

 

Cela doit être changé, avant toute autre chose. Cela doit commencer rue Kaplan. Sans cela, Kaplan manque à son devoir. Il ne s’agit pas d’une question qui ne concerne qu’un petit coin de Kaplan ; elle touche au cœur de la raison d’être de Kaplan. Il s’agit de la lutte pour la démocratie pour tous, pour un État démocratique - ni juif, ni palestinien, mais démocratique. Existe-t-il une autre forme de démocratie ?

19/07/2023

EL DIARIO
Une juge ouvre une procédure pénale contre Ada Colau pour avoir suspendu le jumelage de Barcelone avec Tel Aviv

Pau Rodríguez / Oriol Solé Altimira, El Diario, 17/7/2023

Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

La magistrate accepte dexaminer la plainte pour “prevaricación” [équivalent d’un recours en excès de pouvoir] de l’avocat Francesc Jufresa contre l’ex-mairesse et le directeur de la Coopération de la mairie de l’époque ; une juge des contentieux administratifs avait, début juillet, refusé de bloquer le décret de la mairesse qui suspendait les relations.
Une juge a ouvert une nouvelle procédure pénale contre Ada Colau, cette fois pour avoir rompu les relations de Barcelone avec Israël et le jumelage avec la ville de Tel-Aviv. La magistrate du 5e tribunal d’instruction a admis la plainte de l’avocat Francesc Jufresa, qui voit dans cette décision un délit de “prévarication” [abus d’autorité], et l’attribue à la fois à l’ancienne mairesses et à l’ancien responsable de la Justice globale et de la coopération internationale. 

Dans sa décision, rendue le 11 juillet et consultée par elDiario.es, la magistrate admet également la plainte déposée par l’Association et communication sur le Moyen-Orient, pro-israélienne, auprès du ministère public. C’est cette organisation qui avait déjà saisi la juridiction contentieuse pour demander l’arrêt du décret de la mairesse suspendant les relations, mais la juge a rejeté sa demande de mesure conservatoire visant à bloquer la décision.

Bien qu’elles concernent la même décision, les deux procédures sont différentes : dans la juridiction contentieuse, le juge annulera tout au plus la suspension des relations entre Israël et Barcelone. Mais la procédure pénale est plus grave, car Colau et son responsable de la coopération risquent d’être déchus de leurs droits d’exercer une fonction publique s’ils sont condamnés.

Les procédures judiciaires s’ajoutent à la liste des plaintes et des dénonciations que Colau et d’autres membres de son administration ont reçues dans le cadre de procédures pénales, que les membres de Barcelona en Comú en ont toujours qualifiées de guerre judiciaire, étant donné qu’à ce jour aucune d’entre elles n’a abouti à un procès : toutes ont été classées sans suite ou se trouvent dans la phase d’instruction.

La nouvelle affaire concernant la suspension des relations avec Israël consiste, une fois de plus, à transférer une divergence politique à une procédure pénale en considérant une décision symbolique comme un délit d’excès de pouvoir. L’avocat Jufresa, considéré comme l’un des ténors du barreau de Barcelone, avait déjà poursuivi Colau dans le passé pour la piétonnisation de la ville, qu’il considérait également comme un délit.

La décision de Colau de suspendre le jumelage avec Tel-Aviv a été l’une des plus controversées de sa dernière période en tant que mairesse. La cheffe de file de Barcelona en Comú l’a approuvée par décret le 9 février, mettant ainsi fin à l’accord d’amitié signé par le maire socialiste de l’époque, Joan Clos, en 1998. Les comuns s’appuyaient sur une initiative menée par la plateforme Prou Complicitat, avec plus de 4 000 signatures et le soutien de 80 organisations, qui demandait la fin de cette relation en signe de protestation contre la violation des droits humains par l’État d’Israël au sein de la population palestinienne. 

Mais Colau a été rejetée par son propre partenaire gouvernemental, le PSC [branche catalane du PSOE], et par tous les autres partis représentés au sein de la plénière municipale. À l’exception d’ERC [Gauche républicaine de Catalogne], qui s’est abstenue, tous les autres ont accusé Colau d’avoir agi “unilatéralemen” et lui ont demandé de lever la suspension. Cette décision est maintenant sur la table du nouveau maire, le socialiste Jaume Collboni, qui était contre la rupture de la relation mais qui n’a pas encore pris de décision sur ce qu’il fera (même s’il a déjà reçu une lettre du maire de Tel-Aviv). 

Le manque de compétences de Colau est mis en avant

La plainte a d’abord été déposée auprès de l’Audience nationale, car il était entendu que les effets du délit présumé se produisaient dans un autre pays, Israël, mais la réponse du tribunal a été que les tribunaux compétents étaient ceux de la capitale catalane. Les arguments avancés par les plaignants pour alléguer la “prévarication” sont que le conseil municipal n’a pas le pouvoir de prendre des décisions qui affectent la politique étrangère, ce qui correspondrait au gouvernement central, et que l’option de contourner la plénière municipale - où Colau n’avait pas la majorité - rendrait l’initiative "juridiquement irréalisable". 

La plainte souligne que Colau n’avait pas lautorité pour rompre formellement les relations avec Israël, bien que le décret approuvé ne fasse référence qu’au jumelage avec Tel Aviv. En revanche, Colau a accompagné sa décision d’une lettre adressée au premier ministre du pays, Benyamin Netanyahou, dans laquelle elle annonce qu’elle suspend “temporairement” les relations avec l’État d’Israël “jusqu’à ce que les autorités mettent un terme à la violation systématique des droits humains à l’égard de la population palestinienne”. Selon les plaignants, cette lettre a le statut d’“acte administratif”, ce que les comuns nient. 

09/07/2023

GIDEON LEVY
Comment oses-tu clamer que tu te bats pour la démocratie, Ehud Barak ?

Gideon Levy, Haaretz, 9/7/2023
Traduit par  Fausto Giudice, Tlaxcala

L’ancien premier ministre Ehud Barak pense qu’Israël traverse “la crise la plus grave de son histoire”.

Il y a quelques jours, il s’est de nouveau fendu d’ un article incisif dans Haaretz, cette fois-ci particulièrement dramatique, avec plus de points d’exclamation qu’à l’accoutumée. « Israël ne sera pas transformé en dictature ! », « Nous ne nous rendrons jamais ! », « Nous ne céderons jamais ! », « Cette protestation sera couronnée de succès ! »

Depuis le début de la protestation, Barak est devenu un combattant de la liberté sous stéroïdes. On ne peut qu’être impressionné par sa détermination et lui accorder le respect qui lui est dû.

L’ancien Premier ministre israélien Ehud Barak participe à une manifestation contre le coup d’État judiciaire dans le nord d’Israël, le mois dernier. Photo : Fadi Amun

En même temps, on ne peut que se demander comment il peut faire cela, comment il ose. Comment un homme d’État et un militaire israélien avec son palmarès, ancien chef d’état-major de Tsahal, premier ministre et ministre de la défense, peut-il parler autant de la démocratie sans rien y comprendre ?

Comment Barak ose-t-il parler de démocratie tout en fermant les yeux non seulement sur la réalité manifestement antidémocratique de l’arrière-cour du pays, mais aussi sur le fait flagrant qu’il a participé à sa formation, pas moins et peut-être plus que la droite ? Un homme d’État israélien comme Barak ne peut pas parler de démocratie tant qu’il parle de démocratie pour les Juifs uniquement, et c’est la seule chose dont Barak parle.

Il y a exactement 25 ans, quelques mois avant qu’il ne soit élu premier ministre, j’ai demandé à Barak lors d’une interview télévisée : « Si vous étiez né Palestinien, comment votre vie se serait-elle déroulée ? Que seriez-vous devenu ? » Il a courageusement donné la seule vraie réponse possible : « Je suppose que si j’avais eu l’âge requis, à un moment donné, j’aurais rejoint l’une des organisations terroristes ». Je l’ai admiré pour sa réponse et pour les conclusions qu’il en tirait.

Dix ans plus tard, le même Barak, en tant que ministre de la défense, a commandé l’opération “Plomb durci”, l’assaut israélien le plus barbare contre la bande de Gaza, qui a fait 1 385 morts parmi les Palestiniens, dont plus de la moitié étaient des personnes sans défense, parmi lesquelles 318 enfants, 109 femmes et 248 agents de la circulation. Cette attaque barbare a constitué un autre sommet de la tyrannie militaire d’Israël sur le peuple palestinien. C’est Barak l’a menée, il ne faut pas l’oublier.

Ehud Barak, alors ministre de la Défense, et Benny Gantz, alors chef d’état-major de l’armée israélienne, sur une base militaire à la frontière entre Israël et Gaza, dans le sud d’Israël, le dimanche 8 mai 2011. Photo: : Eliyahu Hershkovitz

Mais au-delà de ses mains tachées de sang - elles sont communes à tous les militaires et à leurs donneurs d’ordre - et après l’échec de ses tentatives de trouver une solution politique au conflit, dans lesquelles il a offert aux Palestiniens des conditions bien inférieures à celles fixées par les résolutions des institutions internationales, l’ancien ministre de la défense du gouvernement de Benjamin Netanyahou est devenu l’une des figures de proue du mouvement de protestation de 2023. Il s’agit d’un nouveau chapitre de la glorieuse carrière de Barak, qui lui vaut aujourd’hui beaucoup d’honneurs et de reconnaissance.

Mais Barak est aussi l’un des plus grands meneurs en bateau de ce mouvement. Son identification temporaire avec les jeunes Palestiniens qui luttent contre la tyrannie militaire nommée Israël a été oubliée depuis longtemps, et il travaille maintenant, avec une détermination partagée par la droite et la gauche, à faire disparaître la question, à la nier et à l’étouffer.

Le fait qu’il n’y ait pas de démocratie tant que cette tyrannie perdurera a depuis longtemps été balayé de la conscience d’Israël. Barak et ses semblables en sont la cause. Ils ont créé la fausse image qui permet aux gens de descendre dans la rue avec pathos, en se battant pour la démocratie pour un seul peuple et en se sentant si bien, dans un pays où deux nations de taille égale vivent dans un état d’apartheid.

On lit Barak avec incrédulité. Une démocratie parfaite est sur le point d’être détruite par Netanyahou et ses associés. Un régime de liberté et d’égalité qui a tant caractérisé Israël est sur le point d’être brisé par les méchants de droite. Une dictature se profile à l’horizon. Barak conclut : « C’est le combat le plus important auquel nous ayons jamais participé ». Voici une autre phrase directe et honnête du soldat le plus décoré d’Israël : C’est en effet le combat le plus important auquel tu aies jamais pris part.

Tu as fui la lutte vraiment décisive, bande de lâches, et vous continuez à le faire. Vous n’avez ni le courage ni l’intégrité nécessaires pour entreprendre le combat décisif. Au lieu de cela, vous essayez d’occulter cette lutte avec les manifestations hebdomadaires de la rue Kaplan, en la fuyant tous ensemble, gauche et droite confondues.

Si tu étais né Palestinien, Ehud Barak, est-ce que tu serais allé rue Kaplan ? Est-ce que tu aurais placé un espoir quelconque dans ces manifs ?

Carlos Latuff, 2010

 

27/06/2023

GIDEON LEVY
Un appartement du Quartier musulman de Jérusalem raconte l'histoire de l'apartheid israélien

Gideon Levy et Alex Levac (photos), Haaretz, 16/6/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

ACTUALISATION
L'expulsion par la police du couple Sub Laban est prévue entre le 28 juin et le 13 juillet

Une lutte de 47 ans pour un appartement dans le quartier musulman de Jérusalem devait prendre fin cette semaine avec l'expulsion d'un couple de Palestiniens âgés. La paperasserie bureaucratique a retardé cet acte, mais la police continue de harceler le couple

Norat Gheith Sub Laban : « Si vous étiez né dans cette maison, si tous vos frères et sœurs y étaient nés et y avaient grandi, si votre mère et votre père y étaient morts, si votre frère en avait été exilé, est-ce que vous vous rendriez et l'abandonneriez ? »

L'existence de l'apartheid en Israël peut être prouvée au moyen d'un climatiseur. Un simple appareil qui souffle de l'air frais en été et de l'air chaud en hiver, fixé au mur d'un appartement avec très peu de fenêtres, dont les occupants, un couple âgé et souffrant, pourraient avoir besoin de ses services.

Il y a quelques années, Norat Gheith Sub Laban, 68 ans, et Mustafa Sub Laban, son mari de 74 ans, ont installé un climatiseur dans leur petit appartement de Jérusalem. Peu de temps après, ils ont été contraints de l'enlever sur ordre des autorités israéliennes, au motif que l'immeuble dans lequel ils vivent est une structure historique dans laquelle il est interdit d'installer un climatiseur. Les “propriétaires de l'appartement”, à savoir l'État d'Israël, n'ont pas autorisé l'installation d'un tel appareil. Le climatiseur a été arraché du mur, la niche est restée.

Aujourd'hui, un climatiseur similaire est visible sur le mur extérieur de l'appartement des voisins, la famille Friedman. Soudain, le bâtiment n'est plus historique. Un climatiseur juif, fier et provocateur, dépasse du mur de l'ancienne structure musulmane, comme pour dire : l'apartheid est bien vivant ici. Ce qui est permis aux Juifs est interdit aux Palestiniens.

Ici, on a le droit d'expulser des centaines de familles palestiniennes de leurs maisons, dans la honte et le dénuement, parce qu'avant 1948, les logements appartenaient à des Juifs. Mais personne n'envisage de faire la même chose pour les Palestiniens qui ont perdu leurs biens la même année, dans les mêmes circonstances, dans la même ville. Et tout cela se fait, bien sûr, avec l'autorisation générale du fameux système judiciaire israélien à tous ses niveaux, dont l'autonomie fait aujourd'hui l'objet d'une bataille au sein de la société israélienne. Les Juifs peuvent retrouver les propriétés qu'ils ont perdues à Jérusalem-Est, mais les Palestiniens ne peuvent pas retourner dans les maisons qu'ils ont perdues dans la partie occidentale de la ville, avec l'approbation du tribunal. Si ce n’est pas de l'apartheid, alors c’est quoi ?

Selon les Nations unies, 218 familles, soit près de 1 000 personnes, risquent d'être expulsées de la même manière à Jérusalem. La semaine dernière, devant la maison de la famille Sub Laban, des colons ont crié : « Le quartier musulman est juif ! » Attendez un peu : Ce qui s'est passé à Hébron pourrait se reproduire ici. « Dieu est le roi », a écrit quelqu'un en énormes lettres hébraïques en face de la maison de la famille Sub Laban, au 33 de la rue Aqbat Al Khalidiyah, au cœur du quartier musulman. Sur le mur, une plaque commémore Eliyahu Amedi, assassiné ici en 1986. La municipalité de Jérusalem autorisera-t-elle l'apposition d'une plaque similaire à la mémoire d'Eyad al-Hallaq, le Palestinien handicapé que des policiers israéliens ont tué devant la porte de Damas en 2020 ? Ou pour Mohammed Abu Khdeir, l'adolescent que des Juifs ont brûlé à mort dans la forêt de Jérusalem en 2014 ?

La literie de la famille Sharabi, les colons de l'étage du dessus, s'agite dans la brise au-dessus du petit balcon qui appartient encore pour quelques jours au couple palestinien susmentionné. L'immeuble voisin, au 35 de la rue Aqbat Al Khalidiyah, est déjà complètement tombé aux mains des juifs ; au numéro 33, c'est la famille Sub Laban qui a survécu. Roni et Hadar Friedman vivent dans l'appartement en face du leur, le débarras des Sub Laban est devenu l'appartement de la famille Wermesser et, comme indiqué, les Sharabi se trouvent à l'étage du dessus.

Les voisins du dessus ont aplati l'ancien dôme de pierre de l'immeuble pour créer un balcon, détruisant ainsi - certainement en violation de la loi - un autre joyau architectural ancien, mais qui compte ? Les colons ont rénové leurs appartements, mais Norat et Mustafa n'ont pas le droit de réparer quoi que ce soit, et le plâtre des murs de leur maison s'écaille. Des portes électriques intelligentes enferment les colons non invités dans leurs appartements ; certains d'entre eux se promènent armés de pistolets.


Linge appartenant aux Sharabi, les voisins du dessus, suspendu au-dessus de l'appartement des Sub Laban.

Mardi dernier, des policiers se sont à nouveau présentés au domicile de Norat et Mustafa, comme ils le font presque tous les jours, pour fouiller, vérifier et surtout pour harceler et intimider. Ahmad, l'aîné du couple, a demandé à l'un des policiers : « Vous contrôlez toutes les maisons de Jérusalem-Est ? » Réponse :  « Nous essayons d'identifier tous les résidents ». Ahmad, qui travaille pour Ir Amim, une organisation à but non lucratif qui s'efforce de faire avancer les causes de l'égalité et de la durabilité à Jérusalem pour les Israéliens et les Palestiniens qui y vivent, a rétorqué : « Très bien. Je ne savais pas. Quels gentils garçons ! »

À la fin du mois, Norat et Mustafa ne seront plus là. Une lutte de 47 ans contre la bureaucratie de l'occupation s'achèvera par une douloureuse défaite. Mais le frère de Norat, Anwar Gheith, qui a été expulsé de cet immeuble il y a de nombreuses années, a écrit sur le mur du salon lors de sa dernière visite : « Nous reviendrons ». Parmi les autres déclarations qui y figurent, on peut lire : « La Palestine sera libre ».

En attendant, les Sub Laban tentent de s'accrocher à leur maison, jusqu'à la dernière minute. Les seules choses qu'ils ont enlevées sont les photographies, des souvenirs qui ne peuvent être remplacés. Pour le reste, ils ont tout laissé derrière eux, même s'ils savent que la fin est proche. Chaque coup frappé à la porte fait sursauter le couple ; Norat dit que son cœur bat la chamade à chaque bruit. Ils savent que la police est en route. Norat nous montre un réfrigérateur plein, pour montrer qu'ils n'ont pas encore cédé. Leur appartement est un 67 mètres carrés, divisé en deux petites pièces, dont l'entrée d'origine a été bloquée par des voisins malveillants, et qui a besoin d'être rénové de toute urgence, compte tenu de ses murs moisis et de sa cage d'escalier étroite. C'est ici que Norat est née, et c'est ici qu'elle ne mourra apparemment pas.

Norat et Mustafa sont un couple sobre et respectable, parents de cinq enfants. Mustafa était auparavant membre de la police israélienne. Cette semaine, il s'est reposé pendant de longues périodes sur son lit dans l'étroite chambre à coucher, après avoir été transporté en urgence à deux reprises au centre médical Hadassah dans le quartier Ein Karem de la ville, où il a subi un cathétérisme cardiaque, son cœur ayant été affaibli au moins en partie par les tensions de ces dernières semaines. Norat a dû utiliser un inhalateur pendant notre conversation.

À l'extérieur, un guide de colons explique à un groupe d'Australiens le droit des Juifs au quartier musulman. Rifaat, 34 ans, le plus jeune fils de Norat et Mustafa, qui travaille au bureau de l'agence des Nations unies pour les droits de l'homme à Ramallah, tente de corriger la propagande du guide, et les Australiens sont prêts à l'écouter. Une yeshiva de la secte hassidique Bratslav se trouve également en face de la maison de la famille Sub Laban, et un panneau signale la synagogue Tzuf Dvash de l'Eidat Hama'aravi'im, datant du XIXe siècle.

Un jeune homme haredi ouvre la porte de l'appartement des Wermesser à l'aide d'une carte électronique. Pour leur part, les Friedman vivent ici depuis 1984, date à laquelle ils ont repris l'appartement de la famille Karaki. Le linge des Sharabis pend si bas au-dessus de la maison des Sub Labans qu'ils doivent se pencher lorsqu'ils sont sur le balcon. Les relations de voisinage sont inexistantes ici. Norat dit qu'elle voit la haine dans les yeux des colons, “comme des animaux sauvages”.


Rifaat, le plus jeune fils de Norat et Mustafa, parle à des touristes australiens.

L'histoire de la lutte épuisante et sans fin de la famille, qui s'étend sur 47 ans et des milliers d'heures de procès, a été relatée dans ces pages par Amira Hass au début de l'année [lire ici]. En commençant par la possession avant 1948, attribuée à Samuel Moshe Ben David Shlomo Gangel, qui possédait le bâtiment à la fin du XIXe siècle, en passant par le gardien des biens ennemis du Royaume hachémite de Jordanie, jusqu'à l'entrée des parents de Norat dans le bâtiment en 1949 en tant que locataires protégés. Du dépositaire israélien des biens des absents à la cession de la propriété en 2010 au “Little Galicia Endowment”, en passant par Aviezer Zelig Asher Shapira, Joshua Heller et Avraham Avishai Zinwirth, les mystérieux individus qui ont revendiqué l'immeuble pour eux-mêmes par l'intermédiaire d'un fonctionnaire des colons, Eli Attal, qui gère partout la dépossession dans la Vieille Ville ; de Shuvu Banim à Ateret Kohanim et Ateret Leyoshna, les obscures associations de colons, dont les différences sont imperceptibles.

La lutte des Sub Laban a traversé toutes les instances juridiques, allant jusqu'à la Cour suprême, et s'est achevée par une décision de 2016 autorisant le couple à rester dans l'appartement pendant 10 années supplémentaires, en supposant qu'ils décéderaient, si Dieu le veut. Depuis longtemps, il est interdit à leurs enfants de vivre dans la maison. Mais comme l'explique Rifaat, chaque décision de justice a toujours laissé une ouverture pour une nouvelle décision, qui n'a d'ailleurs pas tardé à venir - sous la forme de la dernière et définitive décision d'expulsion immédiate.

Rifaat qualifie le système juridique israélien de “tribunal des colons”. Les décisions concernant l'appartement de ses parents montrent à quel point il a raison. Dans un cas, un juge du tribunal de première instance de Jérusalem a dû sauter par-dessus le mur des colons voisins pour entrer dans la maison des Sub Laban, car il insistait pour voir de ses propres yeux que les colons avaient en fait bloqué l'entrée, après quoi il a rendu une décision consistant en des procédures d'ingénierie compliquées pour permettre au couple d'entrer dans leur maison.

À une autre occasion, le couple a été accusé de ne pas habiter l'appartement. Cela s'est produit lorsque la municipalité a décrété qu'il devait être rénové parce qu'il était devenu dangereux d'y habiter - et lorsque le couple a déménagé temporairement pendant les rénovations, le gardien des biens des absents a interdit les rénovations et le couple n'a pas pu revenir. À une autre occasion, lorsque Norat a déménagé pour quelques mois afin de vivre avec son fils - qui n'était pas autorisé à vivre dans l'appartement - parce qu'elle souffrait d'une hernie discale et avait besoin d'aide pour se déplacer, les colons l'ont dénoncée aux autorités ; elle a été obligée d'apporter des documents des autorités médicales pour pouvoir retourner dans son logement.

Kafka vit également au 33, rue Aqbat Al Khalidiyah, dans la vieille ville de Jérusalem.

Et maintenant, la lettre du bureau de l'huissier de justice de l'État, datée du 4 mai 2023 : « Vous êtes informé par la présente que l'exécution de l'ordre d'évacuation est fixée au 11 juin 2023, à partir de 8 heures du matin ». Le 11 juin à huit heures du matin est passé cette semaine - il manquait un formulaire, on l'a laissé entendre à la famille. Auparavant, l'expulsion avait été programmée pour le 15 mars 2023, mais la police s'y était opposée en raison d'un manque d'effectifs.


Rifaat Sub Laban

Les requérants ont demandé une “ordonnance d'expulsion flexible”, qui permet de disposer d'un certain nombre de jours pour effectuer le travail, et cette demande a été acceptée. L'expulsion doit maintenant avoir lieu entre le 11 et le 26 juin - aujourd'hui, demain ou quelques jours plus tard. Rifaat est certain que la police ne les informe pas des plans exacts, ce qui fait partie de la guerre psychologique menée par les autorités pour les épuiser. Il pense que la police attend un moment propice où il n'y aura pas trop de monde dans la maison - ni les diplomates étrangers, ni les activistes, ni les nombreux journalistes qui ont visité la maison au cours des années de lutte. La famille devra payer 30 000 shekels (7 600€) pour sa propre expulsion, car elle ne partira pas de son plein gré.

Pendant ce temps, Norat et Mustafa vivent d'anxiolytiques. La bataille a été jouée. 

N'ont-ils jamais pensé à partir ? Norat : « Je répondrai par une question. Si vous étiez né dans cette maison, si tous vos frères et sœurs y étaient nés, y avaient grandi, s'y étaient mariés, si votre mère et votre père y étaient morts, si votre frère en avait été exilé, est-ce que vous vous rendriez et abandonneriez cette maison ? Je veux une réponse. Chaque minute passée dans cette maison est une minute supplémentaire de protection de mes souvenirs d'enfance. Chaque minute est l'occasion de me sentir embrassée par des membres de ma famille qui ne sont plus parmi nous. Je ne suis jamais seule dans cette maison, même quand je suis seule - toute ma famille et tous mes souvenirs sont toujours avec moi dans cette maison.

« S'ils viennent nous expulser, je n'ouvrirai pas la porte. Mais si je sens un danger pour moi et pour mon mari, je me rendrai et j'abandonnerai la maison pour protéger ma famille. Si je suis expulsée, je donnerai la maison à Dieu. Cette maison restera une prison jusqu'à ce qu'elle soit libérée. Je reviendrai. Et si ce n'est pas moi, ce seront mes enfants. Un jour, l'occupation prendra fin et nous reviendrons ».


Le 33 de la rue Aqbat Al Khalidiyah. Photos Emil Salman

 


 

 



 

12/06/2023

GIDEON LEVY
La contestation des Blancs : une “success story” israélienne

Gideon Levy, Haaretz, 11/6/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

La contestation des Blancs a réussi. Elle a mis un terme au projet de refonte du système judiciaire et, pour cela, ses participants méritent tout le respect et la gratitude qui leur sont dus. Il n'y a pas eu beaucoup de mouvements de protestation dans l'histoire de ce pays, et celui-ci semble avoir été le plus réussi. Applaudissements, chers amis. Vous avez prouvé que les Israéliens ne sont pas des Hongrois ou des Polonais. Mais ces applaudissements enthousiastes ne doivent pas masquer les maux et les défauts de cette protestation. Les symptômes n'ont fait qu'empirer ces derniers temps.


Manifestation contre la réforme judiciaire à Tel Aviv, samedi 10 juin 2023. Photos : Moti Milrod (en haut) & Ofer Vaknin (en bas)


Plus la protestation réussissait, plus l'autosatisfaction de ses initiateurs augmentait - regardez comme nous sommes merveilleux - et avec elle, la sauvegarde méticuleuse de la pureté du camp, ne permettant à aucune autre question de brouiller les cartes. Cette autosatisfaction a entraîné la satiété de la protestation : la pureté du camp l'a rendu trop blanc. L'histoire retiendra peut-être qu'il s'agit d'un mouvement qui a bloqué certaines législations dangereuses ; mais elle retiendra certainement qu'il s'agit d'un mouvement qui a systématiquement fait preuve de lâcheté en évitant des questions plus fatidiques.

Après tout, même si la protestation atteint pleinement ses objectifs, Israël ne fera que revenir à ce qu'il était il y a encore quelques années. Pour rappel, c'était aussi un pays moralement tordu, à peine moins que l'actuel dirigé par Netanyahou.

Le week-end dernier, les organisateurs de la contestation ont invité Rawia Aburabia, professeure de droit au Sapir Academic College, à parler de la violence dans les communautés arabes. La contestation étend ses ailes, diversifie les thèmes de sa campagne, devient plus pertinente et plus actuelle. Mais il s'est avéré que l'invitation comportait un piège : Il ne devait pas être question de l'occupation. Aburabia a évidemment décidé de refuser cette généreuse invitation, écrivant : « si c'est à cela que ressemble la liberté d'expression dans une vague de protestations visant la démocratie pour les Juifs seulement, dans laquelle les structures de pouvoir ethno-nationales et le contrôle des orateurs sont des copiés-collés [d'autres sphères], en vérité, je ne sais plus quoi dire ».

Il s'agissait manifestement d'un incident annoncé, dans le cadre d'un mouvement déterminé à combattre les personnes qui luttent contre l'occupation. L'occupation n'est manifestement pas liée à la démocratie aux yeux des démocrates de la rue Kaplan.

Shikma Schwartzman-Bressler s'adresse aux manifestants lors d'une manifestation à Tel Aviv en mars. Photo : Hadas Parush

L'héroïne photogénique de la contestation, Shikma Bressler, qui a récemment été photographiée dans une pose à la Che Guevara, tenant un drapeau israélien, a déclaré : « le fait de voir des Israéliens défendre la démocratie, manifester partout dans le monde et en Israël, devrait faire comprendre que nous sommes comme [le mouvement hassidique] Chabad, sauf que nous défendons la démocratie. Nous sommes pleins de foi dans notre façon de faire, nous nous battons en étant ce que nous sommes. Le drapeau a remplacé les vêtements noirs [portés par les disciples de Chabad] ».

Nous avons de la chance. Le drapeau israélien a remplacé l'habit noir et nous avons maintenant un nouveau Chabad. Oublions l'incroyable comparaison avec une organisation religieuse ultra-nationaliste, cette dangereuse organisation appelée Chabad, dont la leadeuse du mouvement de protestation s’inspire.

Laissons également de côté son attitude à l'égard des vêtements noirs, qui est inoffensive même si elle est différente - une protestation qui se glorifie de cette manière est une protestation qui s'est engraissée et rassasiée, une protestation de privilégiés. Si cette protestation rejette tout contact avec les personnes qui comprennent qu'une démocratie construite sur les bases d'une dictature militaire cruelle ne sera jamais une véritable démocratie, il s'agira d'un mouvement de protestation creux, trompeur et spécieux.

Il est bon que des masses de gens continuent à descendre dans la rue. Il est difficile de critiquer la conscience politique et la volonté d'agir des gens de bonne volonté. Mais à côté des drapeaux, il faut aussi dire la vérité. Et la vérité, c'est que cette manifestation n'a qu'un seul objectif : la destitution de Benjamin Netanyahou. Telle est la véritable passion des manifestants.

C'est un objectif légitime et même juste. Netanyahou porte l'entière responsabilité de l'effondrement insensé du système au cours des derniers mois. Mais les gens qui brandissent des drapeaux sur la rue Kaplan, blancs et rassasiés, juifs et sionistes, n'oubliez pas que même si Netanyahou s'en va, Israël continuera d'être un État d'apartheid.

Un État d'apartheid ne sera jamais une démocratie, même si les Juifs y préservent leurs droits, même si vous continuez à défiler avec des drapeaux dans la rue Kaplan pendant des années.

Ce n'est donc pas une véritable démocratie que vous défendez. Les vrais démocrates ne peuvent donc pas se joindre à votre combat.