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12/04/2022

REINALDO SPITALETTA
“Betsabé y Betsabé”, le roman de la petite vierge rebelle colombienne

Reinaldo Spitaletta, El Espectador, 12/4/2022
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

La première fois que j'ai entendu parler de Betsabé Espinal, la légendaire meneuse ouvrière de la première « grève des demoiselles » en Colombie, c'était peu avant la grève civique nationale du 14 septembre 1977 contre le gouvernement d'Alfonso López Michelsen. Il est apparu dans un dossier avec des couvertures en carton rustique et une pile de feuilles ronéotées. Sur  la couverture était écrit « Grupo de Estudio Betsabé Espinal ».


Deux ou trois ans plus tard, alors que j'étais encore étudiant en journalisme à l'université d'Antioquia, le collectif José Antonio Galán de Bogotá m'a demandé de réaliser une « enquête sur le mouvement ouvrier en Antioquia ». J'ai mené des entretiens dans les syndicats, avec des dirigeants astucieux de différentes centrales et fédérations syndicales, de toutes les obédiences, des démocrates-chrétiens, conservateurs et libéraux, à des camilistes [partisans du prêtre guérilléro et sociologue Camilo Torres, NdT] et des communistes.

Lors d'une de ces rencontres, je ne sais pas si c'était avec le syndicat de l’usine textile Fabricato, un des travailleurs m'a dit qu'à Bello, dans un secteur appelé La Callecita [la petite rue], vivait encore uen des grévistes de 1920 de l'Usine de tissage de Bello (qui avait auparavant d’autres raisons sociales). J'ai rencontré la dame, dont j'ai oublié le nom par la suite, qui m'a raconté des détails sur Betsabé Espinal, en particulier sur sa mort.

Ce que j'ai enregistré et systématisé, je l'ai envoyé, avec d'autres interviews et rapports, au centre d'études susmentionné de Bogota, dirigé par un certain Omar Ñáñez ou Yáñez, je ne sais plus. Je n'ai plus jamais entendu parler de ces matériaux, ni s'ils ont publié des recherches sur le sujet. Des années plus tard, alors que nous avions déjà participé à la création du Centre d'histoire de Bello en 1996, j'ai écrit un article en 2002 sur cette « grève des demoiselles » et sa dirigeante emblématique...

Ce qui était curieux dans ce compte rendu, c'est que j'ai écrit que Mlle Espinal était morte pendue par ses longs cheveux dans la douche de sa maison. Ça a déclenché des foudres. C’est faux, m'a confié un membre prestigieux de l'Académie d'histoire de Huila, ne cachant pas son agacement face au « manque de rigueur ». « Quelle belle mort c'était », m'a dit une dame sensible de Medellín. En réalité, elle est morte [à 36 ans, NdT] alors qu'elle manipulait des fils électriques devant sa maison dans le quartier historique de Guanteros à Medellín, le 16 novembre 1932.

En 2011, l'Universidad Pontificia Bolivariana a parrainé une recherche d'archives sur la grève de 1920, qui a fait l'objet d'une couverture médiatique extraordinaire de la part de journaux tels que El Correo Liberal, El Luchador, La Familia Cristiana, El Social, La Defensa et El Espectador, dont le reporter portait le pseudonyme quichottesque  El curioso impertinente. L'un des résultats de cette recherche sera publié en ce mois d’ avril : il s'agit du roman « Betsabé y Betsabé », à l'occasion du quatre-vingt-dixième anniversaire de la mort de celle qu'un chroniqueur de l'époque appela la Jeanne d'Arc colombienne.

Cette « grève des demoiselles », dont l'histoire est restée dans les limbes pendant de nombreuses années, a rompu avec un modèle d'entreprise qui comportait divers dispositifs de surveillance et de contrôle des travailleur·ses. Il existait une alliance, parfois tacite, parfois explicite, entre l'Église, l'État et les industriels. Et il était presque impossible, au milieu des modèles féminins mariaux, et avec tous les mécanismes de domestication et de contrôle ecclésiastique (patronages, catéchèse, conseils de censure, diètes littéraires pour les catholiques...), qu'un conglomérat de travailleuses puisse briser ces chaînes.

Les chroniqueurs de l'époque, qui avaient une vision romantique de ces héroïnes indomptables, les appelaient de toutes sortes de noms, allant de "femmes viriles", "petites fleurs humaines", "esclaves rebelles" à "nouvelles Polycarpe" {évêque martyr de Smyrne, NdT]. L'événement inhabituel, une grève de filles, d’adolescentes et de jeunes adultes, ce qu’étaient les travailleuses, marquée, entre autres, par des revendications telles que celles des "trois huit", pour lesquelles tant de travailleur·ses sont mort·es en Europe et aux USA, a reçu une couverture médiatique exceptionnelle.

Les demoiselles, qui avaient inauguré l’exercice du droit de grève en Colombie, approuvé quelques mois plus tôt, en novembre 1919, par la loi 78, étaient les porte-drapeaux de la justice et de la dignité. Emmenées par une "brune futée" (comme l'a décrite un journaliste), grande tisserande, qui exigeait qu'on ne les fasse pas travailler de six heures à six heures et qu'on leur accorde une heure pour déjeuner, les plus de quatre cents ouvrières ont écrit une histoire sans pareille.

Ah, dans ce dossier, qu'un jour un frère a rapporté à la maison avec un certain secret, le nom de famille de Betsabé a également été changé, et a été parfois donné comme Espinosa. L'autre Bethsabée du roman est une femme qui est née au moment de la mort de la première et qui était capable, entre autres capacités ésotériques, de communiquer avec les esprits d'outre-tombe. Rien d'inhabituel dans une ville comme Medellín, qui, depuis 1870, pratiquait le spiritisme à grande échelle, du moins jusqu'aux années 1920.

Il y eut une génération, celle des années 1970, qui, en coalition avec les travailleurs, rêvait de nouveaux mondes et maintenait l'utopie en vie. Betsabé y Betsabé, un roman qui est sur le point de voir le jour, fait également référence à cette génération. [À paraître aux éditions UPB]

03/01/2022

RAMIRO VELASQUEZ GOMEZ
Colombie : une mauvaise année pour un mauvais président

Ramiro Velásquez Gómez, El colombiano, 31/12/2021
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Il est difficile de trouver un président pire, au moins au cours des 60 dernières années, qu'Iván Duque, surpassant le gouvernement insipide de 1998-2002.

 

Un président si désastreux qu'il a clôturé l'année 2021 en permettant la légalisation du paramilitarisme avec l'étrange loi sur la sécurité citoyenne destinée à satisfaire les craintes de quelques braves gens qui considèrent comme une absurdité et une menace le fait que d'autres luttent pour leurs droits.

Une règle qui facilite la répression policière, qui, selon les Nations unies, a été responsable de 28 meurtres de jeunes gens qui protestaient ou qui étaient simplement spectateurs. (Plus les abus sexuels avérés sur 16 femmes, et 44 autres font l'objet d'une enquête). Des faits que Duque a rejeté officiellement.

Le bilan, à la fin de l'année, ne pouvait pas être plus désastreux pour un président qui a l'habitude de faire des discours sur les scènes internationales (comme au sommet sur le climat de Glasgow, tout en ignorant l'Accord d'Escazú qu'il avait promis d’appliquer), et qui, chez lui, se charge de désavouer (?) les rapports et recommandations des organisations internationales.


Les chiffres ne mentent pas. Son gouvernement, avec son parti, le Centro Democrático, laisse le seuil de pauvreté inatteignable à 54,6 % des Colombiens (sur une population totale de 51,6 millions d'habitants, il y a 28,9 millions de pauvres et de très pauvres, selon les statistiques officelles).

Cette année, le déplacement de citoyens a augmenté de 84%, avec 57 116 Colombiens expulsés de leurs terres, a révélé l'ONU.

Le désastre ne s'arrête pas là. Jusqu'à la mi-décembre, il y a eu 93 massacres dans lesquels 320 personnes ont perdu la vie, et jusqu’en novembre, il y avait eu 12 797 homicides, selon Indepaz, dépassant de plus de 1 500 le chiffre de 2020.


On ne sait pas si c'est ce que lui, et son parti, entendent par paix sans impunité. (Par ailleurs, ce mois-ci, 21 militaires ont reconnu être responsables de plus de 240 faux  positifs, ce qui laisse penser qu'il s'agit d'une politique gouvernementale depuis 2002 : 6 402 Colombiens tués en huit ans). L'impunité.

Une mauvaise année, la troisième d'affilée dans son administration inefficace, pour un président très éloigné du peuple colombien, refusant obstinément de reconnaître les situations et les débordements [comme le détournement de 70 milliards de peso [= 15 millions d’€] par la ministre Karen Abudinen, qui a suscité un néologisme, le verbe abudinear, pour voler, escroquer, NdT]. En tant que sénateur, rappelons-le, il s'est farouchement opposé à la levée de la loi des garanties électorales, mais maintenant il l'a acceptée, ce qui est le début d'une campagne sale orchestrée depuis les sphères officielles : le bureau du procureur a déjà augmenté ses effectifs avec 1 200 employés supplémentaires.

Le compte pourrait continuer. La conclusion est très claire : le prochain président doit être très bien choisi. La Colombie ne peut plus se contenter de la même vieille rengaine.

Miaou : si seulement la pauvreté pouvait diminuer en 2022. Et à tous, bonne année.

23/11/2021

REINALDO SPITALETTA
Et Hitler se réveilla à Tuluá, Colombie

Reinaldo Spitaletta, Sombrero de mago [Chapeau de magicien, chronique], El Espectador, 23/11/2021

Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

En 1954, on a vu Hitler se promener dans le froid de Tunja [la capitale du Boyacá], emmitouflé dans une ruana [variante andine de poncho], on l'a même photographié, puis, pour raisons de santé, le pauvre, il s’est fait repérer prenant les eaux à Paipa. On raconte même que Laureano Gómez, phalangiste pur jus jusqu'à ce qu'il doive se prosterner devant les USA, l'un des vainqueurs de la Seconde Guerre mondiale, a rendu hommage au Führer. Les "Léopards" [acronyme de Légion Organisée pour la Restauration de l'Ordre Social], grands rhétoriciens gréco-quimbaya-caldenses, étaient aussi des sympathisants nazis.

 


Laureano, afin de « faire de la lèche » aux gringos, arma et envoya le bataillon colombien en Corée, croyant ainsi effacer le souvenir de ses sympathies passées pour la phalange espagnole et la croix gammée allemande. À Medellín, dans les années de la Seconde Guerre mondiale, avec une grande présence de sympathisants nazis, Detective 100 a signalé que dans le Banco Alemán-Antioqueño, dirigé par Reinhard Gundlach et consul allemand dans cette ville, il y avait une distribution de propagande nazie et un réseau militant qui comprenait des pharmaciens et quelques brasseurs de bière.

« Lorsque la propagande arrive à la Banque, M. Gundlach oblige ses subordonnés à la lire, à la commenter et à la célébrer, puis elle est envoyée à M. Adolph Stober, chef de la propagande, qui est chargé de la représentation des fabricants allemands de produits pharmaceutiques. M. Stober se charge ensuite, par l'intermédiaire de ses agents et de la colonie nazie, de le distribuer à ses adeptes et à ses adeptes potentiels, qu'il gagne avec une étonnante habileté », note Detective 100, comme le raconte « Une collectivité honorablement suspecte ».

Le fantôme d'Hitler (certains prétendent qu'il n'est pas mort à Berlin en 1945, mais qu'il s'est échappé et a voyagé en Amérique du Sud) a manifesté sa sinistre matérialité dans les mouvements néo-nazis, racistes et génocidaires. Il est inconcevable qu'il existe, comme c'est le cas par exemple en Colombie, des adorateurs d'un auteur de crimes contre l'humanité.


Ce qui s'est passé à l'école de police de Tuluá n'est pas seulement une démonstration d'affection inhabituelle pour un système politique d'horreurs, qui a conduit l'humanité à une destruction sans précédent dans l'histoire, mais un symptôme de l'ignorance crasse des membres de cette institution. Et, comme dirait un Français, plutôt que d'arbitraire, c'est de bêtise qu’il s’agit, qui a autant d'histoire que la méchanceté.

02/11/2021

CHRISTOPHE KOESSLER
Après la mort suspecte d’Alfredo Camelo, menaces de paramilitaires sur les Colombien·nes réfugié·es en Suisse

Nous republions ces deux articles parus sur Le Courrier de Genève, qui devraient susciter l’inquiétude parmi tou·tes les Colombien·nes réfugié·es en Europe et ailleurs ainsi que chez toute personne défendant les droits des peuples et des humains.-Tlaxcala

Menace sur les Colombiens de Suisse

 Christophe Koessler, Le Courrier, 27/10/2021 

Christophe Koessler est journaliste au quotidien suisse Le Courrier. @ChrisKoessler

L’activiste genevois Alfredo Camelo, retrouvé mort en septembre, aurait reçu une balle d’arme à feu. Une information à prendre avec prudence mais qui s’inscrit dans le contexte d’une menace croissante sur les militant·es colombien·nes.

En mai 2021, des manifestants ont interpellé les Nations unies et les autorités suisses pour qu’elles exigent de Bogota le respect de la vie humaine et le droit de manifester. DR

Dimanche matin, un militant suisso-colombien bien connu retrouve l’inscription gravée sur la jante de sa voiture à Genève : «AUC», pour Autodéfenses unies de Colombie, du nom de la milice paramilitaire d’extrême droite. Au pays, l’inscription équivaut à une menace de mort. À y regarder de plus près, le défenseur des droits humains, accompagné d’un agent de police, découvre que son pneu a été endommagé par une perforation qui pourrait entraîner son éclatement une fois le véhicule lancé à pleine vitesse – l’hypothèse est évoquée par le policier selon l’activiste. «Pour moi, c’est un attentat à ma vie et à celle de ma famille», déclare le militant, qui a déposé plainte hier.

L’affaire a une résonance particulière alors que Le Courrier recevait presque au même moment une autre information qui reste à vérifier. Le militant colombien Alfredo Camelo, dont le corps a été retrouvé au bord du Rhône début septembre, aurait été touché d’une balle d’arme à feu. On l’a entendu d’une source policière qui s’est confiée sans doute par inadvertance à une personne connue de la rédaction.

Rumeur ou information ? Ce qui est sûr à ce stade, c’est que plus d’un mois et demi après les faits l’enquête sur les circonstances de sa mort, désormais confiée au Ministère public genevois, n’est pas terminée. S’il s’agissait d’un suicide, pourquoi la justice tarderait tant à confirmer cette thèse, s’interrogent des proches ?

25/05/2021

Feu sur les Indiens : chronique de la haine à Cali, Colombie

 Victoria Solano, 070, 15/5/2021

Traduit par Fausto Giudice

Victoria Solano est une documentariste et journaliste colombienne, réalisatrice notamment des documentaires 9.70 (Prix National de journalisme Simon Bolivar) et Sumercé.

Être indigène en Colombie, c'était jusqu'à cette semaine vivre sous la menace : garants de la production d'aliments sains et du maintien de la biodiversité, ils sont le plus grand obstacle à l'extractivisme qui cherche à progresser dans le pays. Les populations indigènes de Colombie sont raflées, appauvries et persécutées, en vue de leur extinction. Mais avec les manifestations qui ont pris d'assaut le pays ces 12 derniers jours, une nouvelle étape a été franchie : des civils organisés sont sortis pour leur donner la chasse.

Les premières images ont été transmises en direct.

Une douzaine d'hommes courent le long de la 127ème  rue, une artère secondaire dans l'un des quartiers les plus exclusifs de Cali. La caméra se déplace avec le groupe, on entend une respiration haletante. On entend aussi le bruit des coups de feu et le sifflement des balles qui fendent l'air, passant près, très près. Quelqu'un crie « en bas, dans le coin », en désignant l'endroit d'où ils tirent. Le groupe continue à se déplacer dans la même direction que précédemment - vers l'endroit d'où proviennent les coups de feu - mais pas en ligne droite, mais en se croisant comme un zigzag. La personne qui filme se laisse tomber au sol et pendant quelques secondes, le téléphone portable passe de la caméra frontale à la caméra selfie, on peut voir un homme allongé sur le sol en train de se protéger. C'est un indigène. On ne peut voir que ses yeux noirs. Un foulard rouge et vert couvre une partie de son visage et il porte sur la tête l’écusson du CRIC (Consejo Regional Indígena del Cauca). La caméra étant de nouveau en mode frontal, il se lève et dit : « Ils tirent sur la minga, ils veulent la liquider ».

La minga est une forme d'organisation des communautés indigènes colombiennes. Un mot qui désigne de nombreuses formes de rassemblement et de travail solidaire - d'une récolte à une manifestation. C'est aussi le nom donné à un collectif de plus d'une centaine de communautés indigènes qui ont trouvé dans ce mot ancestral une forme de représentation politique. En Colombie, être indigène, c'est être menacé : la plupart des peuples vivent dans des territoires convoités par l'agrobusiness, les méga-mines et d'autres formes d'accaparement de l'eau et des terres. De nombreuses communautés se consacrent à la production alimentaire agroécologique, à la gestion des semences et à la préservation de la biodiversité. Selon le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), 34 peuples autochtones sont en danger d'extinction dans ce pays, soit 60 % ; et 15 % des 4 millions de réfugiés vivant dans le pays sont autochtones, bien qu'ils ne représentent que 2 % de la population. La haine des indigènes - qui expliquera ce qui va se passer - fait vibrer ce pays depuis 500 ans. 

19/05/2021

Communiqué des FARC-EP sur l’assassinat de Jesús Santrich dans une embuscade de l’armée colombienne

FARC-EP
Deuxième Marquetalia
18 mai 2021
Traduit par Tlaxcala

Versão portuguesa 

COMMANDANT JESUS SANTRICH,

LE COMBAT CONTINUE

COMMUNIQUÉ À LA COLOMBIE ET AU MONDE :

Nous informons la Colombie et le monde, avec la douleur au cœur, de la triste nouvelle de la mort du commandant Jesús Santrich, membre de la direction des FARC-EP, Deuxième Marquetalia, dans une embuscade exécutée par des commandos de l'armée colombienne le 17 mai.

Cela s'est produit dans la Serranía del Perijá, une zone frontalière binationale, entre El Chalet et le village de Los Laureles, à l'intérieur du territoire vénézuélien. Les commandos colombiens sont entrés dans la zone sur ordre direct du président Iván Duque. La camionnette dans laquelle se trouvait le commandant a été attaquée par des tirs de fusils et des lancers de grenades. Une fois le crime consommé, les assassins lui ont coupé l'auriculaire de la main gauche. Quelques minutes plus tard, près de l'endroit, les commandos ont été rapidement extraits dans un hélicoptère jaune en route pour la Colombie.

11/05/2021

Colombie, peuple de lions

Reinaldo Spitaletta, El Espectador, 11/5/2021

Traduit par Fausto Giudice

Ils se sont attaqués aux enfants survivants de l'Opération Orion*(on pouvait le lire sur une pancarte), aux héritiers des anciennes générations qui, en Colombie, ont agité les rues et les places lors du formidable mouvement étudiant de 1971 et de la grève générale (grève civique nationale) de 1977. Les jeunes de Colombie (« les oiseaux qui n'ont pas peur des animaux ni de la police ») ont une fois de plus activé leurs attributs de désobéissance civile et d'opposition aux outrages officiels.

 

"Qui n'appuie pas la grève (paro), appuie le para(militaire)"

Et ils ont marché en défiant la « loi de la pesanteur » de la répression. L’un d’eux grimpe sur une haute corde raide et offre son corps agile aux vents et aux manifestants. Une fille dirige un orchestre de jeunes qui joue l'hymne combatif du compositeur chilien Sergio Ortega : « Le peuple uni ne sera jamais vaincu ». D'autres tombent sous les balles assassines du régime. Et ils continuent tous à chanter. Ils n'ont pas peur, en fait, ni des zapateiros (Général Eduardo Zapateiro, commandent de l’armée) ni des esmadeux (ESMAD = brigades anti-émeutes).

Ils y vont avec leurs masques. Avec des tambours et des drapeaux. Avec leurs voix fortes. Ils sautent (« porropopó, porropopó, celui qui ne saute pas est un enfoiré uribiste »). Ils chantent des refrains contre le malgouvernement. Et il ne manque pas de ceux qui, en plus de crier contre Duque et le ministre des finances démissionnaire, contre le procureur que les camionneurs ont dégommé en faisant comprendre que le fonctionnaire vaniteux a subi une « extinction de cerveau », s'il en a jamais eu un, acclament les prostituées et les vendeurs de rue.

06/05/2021

Colombie : Faire cesser le massacre, tout de suite !
Appel S.O.S. à la communauté internationale

Communiqué de la MANPUP (Mesa Amplia Nacional de Profesores y Profesoras de Universidades Públicas, Plateforme nationale des professeur·es des universités publiques), Colombie, 3 mai 2021

Traduit par Alfredo Gómez-Muller


Nous sommes des enseignantes et des enseignants qui travaillons avec la jeunesse colombienne, qui témoigne d’une capacité d’autonomie et de pensée critique qui lui a permis de comprendre que le pays se trouve à un tournant. Le peuple colombien ne supporte plus une nouvelle réforme régressive portant sur la fiscalité, la santé, les régimes de retraite ou le code du travail. Il est clair que l’actuel projet de réforme contribue à aggraver l’appauvrissement et la précarisation des couches populaires et des malnommées « classes moyennes ». La concentration des richesses, la corruption politique, l’inefficacité de l’administration, les dépenses militaires pour la guerre et la dilapidation des finances publiques ont un coût qui ne devrait pas être financé au moyen d’une fiscalité régressive qui priverait les citoyens du nécessaire pour vivre ; elles devraient plutôt être supprimées, et l’on devrait exiger que les responsables en rendent des comptes devant la justice.

 La grève nationale qui se développe depuis le 28 avril dernier est un mouvement massif rassemblant diverses couches de la population colombienne, lassée des abus d’une classe politique dont l’autoritarisme, le penchant anti-démocratique et l’incompétence à gouverner se révèlent en plein jour. On assiste à une perte des garanties citoyennes, visible notamment dans la décision, contraire à la Constitution, d’interdire la protestation sociale, ainsi que, plus grave encore, dans l’ordre donné de tirer contre les manifestants qui défendent leurs droits et ceux des générations à venir.

 En tant que professeurs et professeures qui sommes partie prenante d’une université critique et engagée dans la construction d’une vie digne pour tous, nous adressons un appel urgent aux organisations humanitaires internationales afin qu’elles prennent position à l’égard des graves violations des droits humains qui ont lieu actuellement en Colombie. Des centaines de milliers de personnes sont sortis dans les rues sur l’ensemble du territoire national, afin de s’opposer à la prétention du gouvernement d’imposer une nouvelle réforme fiscale qui risque de précipiter la majorité de la population dans une misère jamais vue jusqu’ici. Il est irrationnel que cette réforme absurde ait été concoctée dans l’un des pays les plus touchés par la pandémie en raison de l’inefficacité des politiques publiques de santé, de l’improvisation de l’État ou du détournement des fonds publics. Mais la dilapidation des fonds publics par le gouvernement ne peut pas être à la charge d’un peuple dont la survie est menacée par la pandémie, le chômage et la violence.

La protestation sociale est un droit constitutionnel. Il fait partie de la Déclaration universelle des droits de l’homme, et touche à la liberté de pensée et d’expression. Un État social de droit est tenu de garantir à sa population l’exercice de ce droit qui est un rempart de la démocratie.  Pourtant, en Colombie la réponse à ces justes exigences a été l’ordre du Président de militariser les rues et les lieux publics et de faire un usage disproportionné de la force contre les manifestants, en invoquant l’« assistance militaire ». On a ainsi déclenché une guerre ouverte contre les citoyens au nom d’une prétendue « sécurité citoyenne », déployant des militaires armés et entraînés contre une population civile sans armes.

Là où il existe un collectif rassemblé dans le cadre du droit à la protestation, il y a démocratie participative et citoyenneté. Les rassemblements dans les grandes villes ont été endeuillés par la violence perpétrée contre des dizaines de jeunes manifestants qui ont été blessés par balle ou assassinés sans autre forme de procès. Des preuves documentaires suffisantes permettent d’affirmer que des gens en uniforme ou bien des civils qui les accompagnent tirent sur les manifestants, les passent à tabac ou les retiennent de force. Le bilan encore approximatif de cette barbarie fait état d’une vingtaine de morts, 500 personnes retenues, la plupart arbitrairement, 200 blessés dont 18 avec des lésions oculaires, 42 cas d’abus ou d’agressions contre des journalistes ou des membres d’organisations humanitaires, et 10 cas de violence sexuelle et de genre. Les incidents les plus graves ont eu lieu dans la ville de Cali, où le Recteur de l’université du Valle et la Gouverneure du Département ont donné l’ordre, légalement discutable, de déloger par la force un groupe d’étudiants qui se trouvaient dans le campus en attendant de pouvoir négocier les conditions pour la reprise des cours dans le contexte de la pandémie. La situation s’est aggravée encore à Puerto Resistencia, Puente del Comercio et Llanogrande (Palmira), avec des victimes à déplorer. Dans notre pays les entités garantes du bien-être des citoyens ne sont pas crédibles, comme les defensorías et les personerías, car ces organismes sont cooptés par un gouvernement criminel qui donne l’ordre de tirer sur le peuple et assassine les jeunes, les citoyens qui sont en première ligne pour défendre la démocratie. En raison de tout ce qui précède, nous refusons formellement l’usage immodéré des mécanismes de répression de l’État, nous exigeons la justice pour les victimes et nous exprimons énergiquement notre opposition aux réformes sociales régressives que le gouvernement entend soumettre au pouvoir législatif en matière de fiscalité, de santé, de retraites et de droits du travail. En conséquence, nous adressons un appel urgent à la communauté internationale pour exiger la protection des droits humains des manifestants et des manifestantes.