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03/07/2023

JONATHAN SHAMIR
Ce qui se passe à Jénine aujourd’hui est un avertissement pour les deux parties

Jonathan Shamir, Haaretz, 3/7/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Peu de personnes ont fait plus que Netanyahou lui-même pour accélérer l’effondrement de l’[In]Autorité palestinienne.

Résumé des événements : Aux premières heures de lundi matin, les Forces de défense israéliennes ont lancé une opération contre les militants palestiniens dans la ville de Jénine, en Cisjordanie. Vers 1 heure du matin, des frappes aériennes israéliennes ont visé un bâtiment à Jénine qui, selon l’armée, était utilisé par des militants pour planifier des attaques. Ces frappes ont été rapidement suivies d’une incursion de l’infanterie. Vers 1 heure du matin, des frappes aériennes israéliennes ont visé un bâtiment à Jénine qui, selon l’armée, était utilisé par des militants pour planifier des attaques. Ces frappes ont été rapidement suivies d’une incursion de l’infanterie, avec environ 2 000 soldats israéliens engagés. L’armée a prévenu que l’opération pourrait durer plusieurs jours. Israël a déclaré avoir perquisitionné un “centre de commandement unifié” des Brigades de Jénine dans le camp de réfugiés de la ville, où des militants de différentes factions se réunissaient pour coordonner et préparer des attaques. Des bulldozers israéliens ont également été filmés en train de détruire des rues, tandis que les habitants palestiniens ont signalé des coupures d’électricité pendant plusieurs heures. L’armée israélienne affirme que sa priorité actuelle est de collecter des armes dans le camp de réfugiés de Jénine. Jusqu’à présent, 20 Palestiniens ont été arrêtés, tandis qu’un laboratoire de fabrication d’explosifs et des pièces d’un lance-roquettes ont également été saisis. Le ministère palestinien de la Santé a fait état de neuf morts, dont deux adolescents, et d’au moins 50 blessés, dont 10 dans un état critique, alors que l’opération se poursuit. Les groupes armés de résistants palestiniens sont mobilisés : le Bataillon de Jénine a annoncé avoir abattu 2 drones militaires israéliens, la Brigade Qassam de Jénine (Hamas) a annoncé une embuscade réussie contre des soldats israéliens près de la mosquée Al Ansar, tandis que la Tanière des Lions de Naplouse a appelé à une mobilisation générale contre l’agression et a annoncé qu’elle avait envoyé des combattants à Jénine dès l’aube de lundi. Ci-dessous un commentaire du rédacteur en chef de Haaretz.com

Photo : MOHAMMED SALEM/REUTERS

Paralysée par la diminution de ses ressources et de sa légitimité, l’[In]Autorité palestinienne a laissé un vide dans les villes de Naplouse et de Jénine, dans le nord de la Cisjordanie, qui a été rapidement comblé par des groupes militants locaux.

La plus grande opération menée par Israël en Cisjordanie depuis plus d’une décennie ne changera pas cette situation de sitôt.

Des sources politiques israéliennes de haut rang, s’exprimant sous couvert de l’anonymat, ont déclaré que l’opération des FDI à Jénine visait à “préparer le terrain pour le retour de l’Autorité palestinienne”.

Peu de choses donnent autant de sueurs froides à l’establishment sécuritaire israélien que la disparition de l’[In]Autorité palestinienne, et même le Premier ministre Benjamin Netanyahou s’est empressé de réitérer la semaine dernière que l’[In]Autorité palestinienne “ne peut pas être autorisée à s’effondrer”.

Pourtant, peu de personnes ont fait plus pour accélérer son effondrement que Netanyahou lui-même, qui a incité à la destruction de l’institution moribonde depuis son bureau de Premier ministre pendant plus d’une décennie et qui a siphonné les recettes fiscales de son économie captive.

Mais surtout, Netanyahou a affaibli l’[In]Autorité palestinienne en verrouillant tout règlement négocié du conflit israélo-palestinien et en érodant les droits fondamentaux et la sécurité des Palestiniens.

L’[In]AP sans gouvernail a été incapable d’assurer la protection la plus rudimentaire de son peuple : les colonies sont construites à un rythme sans précédent, les miliciens attaquent les Palestiniens et détruisent leurs biens.

Face à cette situation désastreuse, des groupes militants de base prennent les choses en main, souvent avec des effets mortels.

Mahmoud Abbas, le président octogénaire de l’[In]Autorité palestinienne, est une figure tragique, voire pathétique, et porte certainement une part de responsabilité : l’[In]Autorité palestinienne a eu sa part de corruption et a manqué à plusieurs reprises, pendant des décennies, d’honorer ses engagements en matière d’organisation d’élections.

Pour couronner le tout, on peut se poser des questions sur objectif civique, quand on voit que les enseignants sont en grève, les hôpitaux sont confrontés à de graves pénuries et les fonctionnaires ne sont pas payés. Tout ce que l’[In]Autorité palestinienne peut faire, c’est publier des déclarations de condamnation depuis Ramallah.

Israël ne peut pas avoir le beurre et l’argent du beurre. La raison d’être de l’[In]Autorité palestinienne est d’apporter une solution politique. Elle ne peut pas présenter les incursions des FDI à Jénine comme un cadeau à l’Autorité palestinienne, tout en n’offrant aucun horizon politique et en s’attaquant au moindre vernis d’“État de droit” en Cisjordanie.

En mars, le sondeur Khalil Shikaki a constaté pour la première fois qu’une majorité de Palestiniens pensait que la dissolution de l’[In]Autorité palestinienne était dans leur propre intérêt.

Au vu de son bilan, qui peut les en blâmer ? Et du côté de la politique israélienne, la démagogie a-t-elle pris le pas sur une véritable évaluation de ce qu’il adviendra du conflit et des Israéliens si l’[In]Autorité palestinienne s’effondre ?

Ce qui se passe aujourd’hui à Jénine n’est que le prélude - et une mise en garde contre - d’une explosion bien plus incontrôlée, de part et d’autre de la Ligne verte.



23/06/2023

GIDEON LEVY
Comparer des morts d’Israéliens et de Palestiniens

Gideon Levy, Haaretz, 22/6/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

L'ambassadeur usaméricain en Israël, Tom Nides, a osé mardi, 30 jours avant la fin de son mandat, tweeter quelque chose de vrai. Il a mentionné dans un même souffle - difficile de croire à un tel courage - les victimes de l'attaque israélienne contre le camp de Jénine et les victimes de l'attaque palestinienne contre la colonie d'Eli en Cisjordanie.

Un soldat israélien réagit sur les lieux d'une attaque près de la colonie d'Eli, dans le nord de la Cisjordanie, mardi. Photo : AHMAD GHARABLI - AFP

 Le tollé en Israël a été immédiat. L'ambassadeur (israélien) Mike Herzog, que l'on n'entend pas beaucoup, a déclaré depuis Washington qu'“une condamnation équilibrée n'honore pas les victimes”. Le journal Yedioth Ahronoth a qualifié la déclaration de l'ambassadeur de “comparaison scandaleuse”, comme s'il s'agissait d'un fait plutôt que d'une position discutable, tandis que la droite hurlait comme à son habitude.

Le recul de l'ambassadeur n'a pas tardé. Le lendemain, Nides a dénoncé séparément le “meurtre insensé” commis à Eli, mettant fin au mélange interdit - en Israël - de ceux qui sont sacrés et de ceux qui sont impurs. À Jénine, il s'agissait de terroristes, dans la colonie d'Eli, il s'agissait d'âmes pures, c'est-à-dire de Juifs.

Nahman Shmuel Mordoff

Sedil Naghniyeh, 15 ans, se tenait sur la terrasse de sa maison dans le camp de réfugiés de Jénine avec son père Adnan pour observer ce qui se passait. Un soldat des FDI lui a tiré une balle dans la tête sous les yeux de son père et, mercredi, elle a succombé à ses blessures. Pourquoi l'ambassadeur des USA ne peut-il pas la mentionner dans le même souffle que le colon Nahman Shmuel Mordoff, qui avait deux ans de plus qu’elle et qui a été tué à Eli ? Son sang est-il plus rouge ? Le tuer est-il plus infâme ? De quelle manière ? Et pourquoi l'ambassadeur Herzog pense-t-il que la comparaison entre les deux ne rend pas hommage aux victimes ? Parce que le sang juif a été mélangé à d'autres sangs ? Sedil a été victime d'une attaque imprudente et incontrôlée des FDI. L'armée est convaincue qu'au cours de ses “rafles”, dont la plupart sont inutiles et illégitimes, elle est autorisée à commettre n'importe quel méfait, y compris à tirer sur tout ce qui bouge.

Sedil a été tuée au cours de la résistance des combattants du camp de Jénine contre l'invasion des FDI et de leur tentative de se protéger et de protéger leur camp contre les attaques israéliennes, qui consistent à arracher les gens à leurs maisons et à semer une terreur incessante dans le camp. Tout meurtre d'un Palestinien n'est pas légitime, même au cours d'une action militaire, même s'il s'agit d'une action des FDI, et toute résistance n'est pas illégitime.

Nahman a été victime d'une opération violente menée par des combattants palestiniens pour se venger des meurtres commis à Jénine et en guise de résistance contre la colonie d'Eli, le restaurant et la station-service qui ont été construits sur des terres palestiniennes spoliées.

Il serait préférable de ne pas couper les cheveux en quatre sur le plan éthique et de ne pas se demander quel meurtre était le plus infâme. Nous devrions plutôt affirmer que Sedil et Nahman ont été des victimes choquantes et inévitables d'une réalité intolérable, à laquelle il faut mettre fin.

Bien entendu, les Israéliens ne s'intéressaient qu'aux victimes israéliennes et ignoraient les sept victimes palestiniennes de Jénine, qui n'avaient ni nom, ni histoire, ni photo, ni visage humain. Ils étaient tous des “terroristes” et c'est tout. Dago, le chien des FDI qui a été blessé et hospitalisé à côté du sergent-major Y., a subi des procédures d'imagerie avancées, sa photo a été publiée et il a reçu plus d'attention que Sedil dans sa mort.

Bibi au chevet de Dago, l’héroïque chien juif de l’unité canine Oketz K-9 de l'armée d'occupation, au centre médical Rambam d’Haïfa, le 19 juin. Photo Kobi Gideon/Service de presse du houvernement israélien


Sedil et son père Adnan

Sedil était une jolie fille, née et élevée dans le camp de Jénine. Son père est le directeur de la maintenance du Théâtre de la liberté du camp. L'ancien directeur du théâtre, Jonathan Stanchek, un Israélien résidant actuellement en Suède, a pleuré Sedil mercredi. Sa famille avait été sa voisine proche pendant les dix années où lui et sa famille ont vécu dans le camp. Ce n'est que l'été dernier qu'il a accueilli Adnan dans sa ferme en Suède.

Stanchek dit qu'il n'a jamais entendu le père prononcer un mot de colère contre les Juifs ou les Israéliens, bien qu'ils aient détruit sa maison à trois reprises, que son frère ait été tué, que son fils soit en prison et que sa fille soit décédée mercredi. Sedil était une amie de Yasmin et Yemiro, les enfants Stanchek. Elle jouait au Lego avec Yasmin et s'occupait de Yemiro. Stanchek a écrit que Sedil était une fille merveilleuse. Parfois, quand elle jouait avec sa fille, les deux filles simulaient être assises dans un café - le genre de café qui n'existe pas dans le camp de Jénine et dont il est difficile de rêver.

30/04/2023

GIDEON LLEVY
A Jénine, de nouvelles tombes sont prêtes pour la prochaine incursion de l’armée israélienne

Gideon Levy et Alex Levac (photos), Haaretz, 29/4/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Le camp de réfugiés de Jénine s’est transformé en une véritable forteresse : des chevaux de frise en acier à chaque coin de rue, des caméras de sécurité, la surveillance de tout étranger qui ose entrer, des centaines d’hommes armés qui se préparent à la prochaine incursion de l’armée. Et le sang va couler.

Le cimetière du camp de réfugiés de Jénine, avec les photos de ceux qui sont tombés récemment, affichées sur les murs

 

Dans le camp de réfugiés de Jénine, trois tombes à ciel ouvert attendent les prochains habitants tués par les forces de défense israéliennes. Ici, les tombes sont creusées à l’avance et, malheureusement, elles ne restent pas vides très longtemps. Près de 50 combattants armés et autres ont été tués ici au cours de l’année écoulée par des soldats israéliens. Le camp, situé dans le nord de la Cisjordanie, traverse sa période la plus difficile et la plus violente depuis la seconde Intifada, il y a une vingtaine d’années.

 

Le cimetière regorge de tombes - c’est déjà la troisième nouvelle section créée depuis l’Intifada et la plupart des tombes sont occupées. À la fin de la semaine dernière, le premier matin de la fête de l’Aïd El Fitr marquant la fin du mois sacré du Ramadan, comme le veut la coutume, l’endroit était animé par des milliers de personnes, des familles endeuillées et des amis des morts, dans le camp le plus militant des territoires occupés.

 

Pour ceux qui cherchent une autre similitude entre nous et eux : comme lors du Jour du Souvenir en Israël, lors de cette importante fête musulmane, des familles ne se sont pas rendues sur la dernière demeure de leurs proches en raison de la présence de politiciens - dans ce cas, de l’Autorité palestinienne - qui n’osent normalement pas entrer dans le camp. Pour protester contre la présence des politiciens, les familles se sont rendues au cimetière de Jénine la veille de la fête ou ont attendu qu’elle soit terminée.

 

Le dernier jour de l’Aïd El Fitr, lundi dernier, une mère endeuillée a arrosé les fleurs sur la tombe fraîchement creusée de son fils à l’aide d’un arrosoir en plastique. Les parents à qui nous avons parlé ont évoqué leurs fils avec un mélange de douleur et de fierté. Comme en Israël.

 

 

Une mère endeuillée au cimetière de Jénine

 

D’un point de vue visuel, le cimetière est à couper le souffle. D’immenses photographies aux couleurs vives des derniers chouhada (martyrs) du camp sont accrochées tout le long de la clôture extérieure, tandis que d’autres portraits s’affichent sur les nouvelles tombes. Les tombes des combattants, issus de toutes sortes de groupes militants, se ressemblent et sont mieux entretenues que les autres. De petits parterres de fleurs entourent chaque tombe, comme dans nos cimetières militaires. Les trois tombes ouvertes rendent la scène encore plus obsédante.

 

Au coin de la rue, à l’extérieur, des photographies grand format marquent le mémorial improvisé où la journaliste d’Al Jazeera, Shireen Abu Akleh, a été le 11 mai dernier - probablement par les forces de défense israéliennes, selon les enquêtes menées par les principaux médias internationaux et les groupes de défense des droits humains. Une fumée blanche s’élève des tas d’ordures en feu autour de l’endroit où elle est tombée.

 

Ce cimetière, situé à la périphérie du camp, raconte l’histoire des morts. Une visite au cœur du camp révèle l’étonnante histoire des vivants.

 

Nos hôtes ont d’abord eu peur de nous emmener au cimetière, puis ont transigé en nous permettant de l’apercevoir depuis la fenêtre de la voiture. Finalement, ils nous ont permis de sortir pour prendre une photo, mais nous ont demandé de revenir rapidement et de disparaître derrière les vitres sombres de leur SUV Toyota dernier modèle, une voiture volée dont les plaques d’immatriculation ont été arrachées, qui s’est élancée dans les allées du camp. Notre chauffeur portait un fusil M16 en bandoulière et des chargeurs de munitions étaient coincés dans la pochette de la banquette arrière. Bienvenue dans le camp de réfugiés de Jénine.

 

Chevaux de frise à Jénine cette semaine

 

Lors de nos précédentes visites, nous ne nous étions jamais sentis aussi menacés ; nos hôtes n’avaient jamais craint autant pour notre sécurité. Mais cette fois-ci, quelques instants seulement après que notre voiture immatriculée en Israël a franchi l’entrée du camp, les groupes WhatsApp et Facebook locaux bruissaient déjà de la nouvelle de la présence d’Israéliens dans le camp.

 

Il y a plus de photos de chouhada dans les allées aujourd’hui que lors de la grande invasion des forces israéliennes, pendant l’Intifada. Presque tous les garçons tiennent un fusil jouet, et nous avons vu une fille avec un fusil. Mais la véritable innovation de ces derniers mois, ce sont les chevaux de frise qui ont été érigés dans le but de ralentir toute incursion de l’armée israélienne. À chaque intersection et à chaque entrée du camp, à l’exception d’un seul, ces chevaux de frise en acier se trouvent sur le bord de la route pendant la journée et, chaque nuit, vers 23 heures, ils sont mis en travers pour bloquer la circulation.

 

Ces chevaux de frise, que les FDI enlèvent parfois à l’aide d’énormes bulldozers ou en les faisant exploser, retardent l’entrée des forces et donnent aux militants du camp le temps de s’organiser. Les caméras de sécurité, installées à chaque coin de rue, sont une autre nouveauté dans le paysage de ce camp devenu forteresse. En cas de raid imminent de l’armée, les observateurs placés aux portes d’entrée sonnent l’alarme dans tout le camp. Parfois, les soldats qui s’approchent tirent sur les transformateurs électriques, coupant l’électricité et laissant le camp dans l’obscurité totale.

 

Il n’y a pas une seule nuit de calme ici.

 

Les maisons du camp de Jénine sont plantées sur le flanc d’une colline, qui est surmontée d’un certain nombre d’habitations relativement nouvelles et plus spacieuses. L’acteur israélo-palestinien assassiné Juliano Mer-Khamis et sa famille ont vécu là-haut, tout comme l’activiste local Zakaria Zubeidi avec sa femme, ses enfants et sa famille élargie.

 

Des hommes armés au cimetière de Jénine cette semaine

 

L’histoire de la famille Zubeidi en quelques mots : sur six frères, deux ont été tués et trois sont emprisonnés en Israël, tous après avoir purgé de longues peines derrière les barreaux. Aujourd’hui, un seul d’entre eux, Abed, est libre ; il a également été incarcéré dans le passé, pendant six ans. La mère des Zubeidi, Samira, a été tuée lors de l’invasion des FDI en 2002 ; leur père, Mohammed, est mort d’un cancer en 1993, à l’âge de 45 ans, après avoir été empêché, à un moment donné, de se rendre au centre médical Hadassah de Jérusalem pour y recevoir un traitement médical. Après la mort de Mohammed, deux de ses fils, Zakaria et Obed, alors détenus dans une prison israélienne, n’ont pas été autorisés à assister aux funérailles.

 

Jamal Zubeidi, l’oncle des frères, qui les a élevés comme un père par la suite, a perdu son propre fils, Na’im, l’année dernière, ainsi que son gendre Daoud, qui était marié à la fille de Jamal et était un autre des frères de Zakaria et Obed. Les photos des morts, que nous connaissions depuis des années, depuis l’enfance, sont accrochées dans le salon de la maison de Jamal. C’est un homme noble, impressionnant et raffiné - un Job local.

 

En roulant à toute allure dans les ruelles du camp, nous voyons des choses plus sinistres que par le passé. Quelque chose de lourd et de menaçant plane sur ce camp densément peuplé ; il y règne un sentiment inquiétant que l’on ne retrouve pas dans les autres camps de réfugiés de Cisjordanie. Des hommes armés passent comme des ombres dans les rues, un pick-up conduit par des membres de la katiba (bataillon) se fraye un chemin, couvert avec un filet de camouflage militaire. Sous la partie ouverte à l’arrière, il peut y avoir des armes, des combattants ou des barrières métalliques à déposer à différents endroits du camp, selon les besoins. La katiba est une union de toutes les forces combattantes présentes ici. Les combattants du Fatah, du Hamas, du Jihad islamique, des bataillons des martyrs d’Al Aqsa, d’Ezzedine Al Qassem et des bataillons d’Al Quds sont tous réunis dans le cadre de la katiba et travaillent de concert. Lors des funérailles et des événements commémoratifs, des centaines de ces militants se présentent, faisant étalage de leur puissance et de l’armement en leur possession.

 

Le mémorial improvisé à l’endroit où la journaliste d’Al Jazeera Shireen Abu Akleh a été tuée le 11 mai dernier, à Jénine

 

La dernière incursion à Jénine a eu lieu une semaine avant notre visite ; la dernière personne tuée dans cette ville est tombée il y a environ 40 jours. Lors de notre visite vendredi dernier, une cérémonie commémorative était organisée pour ce jeune homme - Nidal Hazem, un cousin de Raad Hazem, qui a perpétré l’attaque terroriste dans la rue Dizengoff qui a tué trois Israéliens en avril 2022, pendant le Ramadan. Nidal a été tué dans la rue Abou Bakher à Jénine avec un ami et un garçon de 14 ans, lors d’un raid de l’armée. D’où la méfiance qui règne dans le camp. Les chefs des milices ne font pas confiance aux journalistes israéliens, qui les ont presque tous déçus en adoptant ce qu’ils considèrent comme le récit israélien tordu de ce qui se passe réellement à Jénine. Ils ne font pas non plus confiance aux médias internationaux.

 

Les militants locaux et les autres personnes figurant sur la liste des personnes recherchées par Israël se cachent beaucoup moins qu’auparavant. « Quoi qu’il arrive, ça arrivera », nous ont dit certains avec insistance. Cela explique aussi pourquoi ils sont plus prompts que jamais à appuyer sur la gâchette. Ils n’hésitent pas à ouvrir le feu partout où se trouvent des soldats. Si la vie a toujours été bon marché ici, la mort est désormais proposée à un prix défiant toute concurrence. Le soutien de l’opinion publique aux militants atteint également un nouveau sommet. S’il y avait autrefois des gens qui avaient des réserves sur les actions des militants, aujourd’hui le camp est derrière eux, comme un seul homme. Il n’y a plus rien à perdre.

 

En face de l’hôpital gouvernemental de Jénine, à l’entrée du camp, se trouve toujours la sculpture d’un cheval créée par l’artiste allemand Thomas Kilpper à partir de la ferraille de divers véhicules, dont des ambulances, que l’armée israélienne a détruits lors de l’opération “Bouclier défensif” en mai-juin 2002. Aujourd’hui, 20 ans plus tard, la sculpture est ornée de photos de ceux qui sont tombés au cours de l’année écoulée.

 

Si le temps semble parfois s’arrêter dans le camp de réfugiés de Jénine, il semble aussi ne jamais s’arrêter, ne serait-ce qu’un instant.

29/01/2023

GIDEON LEVY
Qu’est-ce que vous avez cru ? Le raid israélien de Jénine a provoqué l'attaque terroriste qu'il prétendait déjouer

Gideon Levy,Haaretz, 29/1/2023
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Qu’est-ce que vous avez cru ? Que le meurtre de 146 Palestiniens en Cisjordanie en 2022, selon B'Tselem, dont la plupart étaient des non-combattants, serait docilement accepté ? Que le meurtre d'une trentaine de personnes au cours du mois écoulé passerait en douceur ?

Des personnes en deuil portent les corps de huit Palestiniens lors de funérailles conjointes dans la ville de Jénine, en Cisjordanie, jeudi. Photo : Majdi Mohammed /AP

Que les résidents du camp de réfugiés de Shuafat, maltraités chaque jour et chaque nuit par des policiers et des agents de la police aux frontières qui envahissent leurs maisons dans le cadre d'opérations étranges, allant des raids fiscaux aux arrestations nocturnes, détruisant leurs biens et leur dignité, arroseront leurs agresseurs de riz ? Que quelqu'un dont le grand-père a été assassiné par un colon et dont un ami de 17 ans a été tué la semaine dernière par la police aux frontières n'était pas susceptible de commettre un attentat ?

Et à quoi pensaient les commandants de l'opération insensée de jeudi dans le camp de réfugiés de Jénine ? Quel était le but de l'opération, à part une démonstration de puissance ? Réprimer le terrorisme ? Elle n'a fait qu'attiser les flammes.

Ils savaient que s'ils attaquaient le centre du camp, il y aurait un grand bain de sang. Les forces de défense israéliennes et l'unité spéciale antiterroriste de la police ne peuvent plus envahir ce camp courageux et déterminé sans faire couler beaucoup de sang. Ils savaient également qu'aucune “énorme attaque terroriste à l'intérieur d'Israël” n'a été déjouée par l'opération, comme l'a proclamé vendredi le porte-parole des FDI, également connu sous le nom de Yedioth Ahronoth. Ils ont envahi le camp le matin, alors que les enfants étaient sur le chemin de l'école - heureusement, au moins les écoles de l'UNRWA étaient en grève ce jour-là - juste parce qu'ils le pouvaient.

« Si le général Yehuda Fuchs, chef du commandement central, avait su que cela se produirait, il ne l'aurait peut-être pas approuvé », a déclaré le journaliste Alon Ben-David sur Channel 13 News. Et à quoi pensait le général, qu'il y avait une autre option ? Après tout, tout le monde savait que l'opération de Jénine allait déclencher une dangereuse vague de violence. Il n'est pas possible d'envahir le camp de réfugiés de Jénine sans qu'il y ait un massacre, ai-je écrit ici après ma visite il y a environ trois semaines (lire ici), et aucun massacre dans le camp ne pourrait se passer tranquillement.

Les chefs militaires ont peut-être cru qu'ils déjouaient des attaques terroristes, mais ils ont alimenté une nouvelle vague d'attaques, et ils le savaient. Il s'ensuit donc que le sang des morts de Jénine, mais aussi de Jérusalem, indirectement, est sur les mains de ceux qui ont mené l'opération dans le camp de Jénine.

Une fois de plus, c'est Israël qui a commencé. Il n'y a pas d'autre façon de décrire la chaîne des événements. Dans le camp de réfugiés de Jénine se trouvent aujourd'hui des dizaines de jeunes hommes armés qui sont prêts à sacrifier leur vie. Le fait de tuer quelques-uns d'entre eux ne diminue en rien la détermination des autres. Jénine est un camp de réfugiés particulier, dont l'esprit combatif n'a d'égal aujourd'hui que dans la bande de Gaza. Le militantisme du camp s'est développé dans les ruelles dont les habitants ont grandi en sachant que leur pays leur avait été enlevé et qu'ils étaient condamnés à une vie de misère. La torture continue sous la forme d'une personne tuée presque tous les jours au cours des derniers mois en Cisjordanie devait également conduire à Neve Yaakov et à Silwan.

On ne peut ignorer le fait que les deux attaques ont eu lieu dans des colonies. Il n'y a aucune différence entre Neve Yaakov et la Cité de David, entre Esh Kodesh et Havat Lucifer. Toutes se trouvent dans les territoires occupés, toutes sont également illégales selon le droit international, même si Israël a inventé son propre monde de concepts.

La suite des événements est également entre les mains d'Israël. Il est douteux qu'une troisième intifada soit inévitable, mais toute opération grandiose de vengeance israélienne ne fera que verser de l'huile sur les flammes. Toute punition collective ne fera qu'aggraver la situation, même si elle satisfait la soif de vengeance de la droite.

Arrêter 42 membres de la famille ? Dans quel but, si ce n'est pour satisfaire cette soif ?

Raser la maison de l'auteur du crime ? Après tout, la précédente démolition à Shuafat, qui a entraîné l'invasion du camp par pas moins de 300 policiers, de grandes destructions et le meurtre d'un jeune innocent de 17 ans, n'a dû qu'inciter un habitant du camp, Khairi Alqam, à prendre son pistolet vendredi soir et à aller tuer des Juifs à Neve Yaakov, laissant Israël choqué uniquement par la cruauté des Palestiniens.

 NdT


 Khairi Alqam (à dr.), 51 ans, un ouvrier du bâtiment, fut poignardé à mort en 1998 par Haim Perlman, un colon membre du mouvement kahaniste Kach , auteur d’au moins 8 attaqués au couteau contre des Palestiniens, faisant 4 morts. Baptisé « le poignardeur en série » par la presse israélienne, il fut arrêté en 2010 et remis en liberté sur ordre de la Cour suprême après un mois de résidence surveillée. Son avocat s’appelait Itamar Ben Gvir. Il coule des jours tranquilles dans la colonie de Tekoa. Le jeune Khairi, né en 2002 et nommé d’après son grand-père, l’a rejoint comme martyr.

 
Ben Gvir et son client et frère d'armes Perlman en 2010



15/01/2023

GIDEON LEVY
Des soldats israéliens sont venus raser des maisons palestiniennes ; en chemin, ils ont tué deux jeunes hommes

 

Gideon Levy et Alex Levac (photos), Haaretz, 14/1/2023
Traduit par 
Fausto Giudice, Tlaxcala

Deux Palestiniens ont été abattus par des soldats des FDI en mission de démolition - pour détruire les maisons des familles de deux autres jeunes hommes, qui avaient tué un officier israélien. La punition collective a donc été aggravée par d’autres meurtres.

La maison rasée de la famille d’Abderrahman Abed, à Kafr Dan, cette semaine. Sur le plafond en béton qui s’est effondré, quelqu’un a dessiné une étoile de David à côté d’une croix gammée, et écrit “Nazisme du siècle”.

Deux énormes bulldozers jaunes sont garés devant la maison d’une famille endeuillée dans le village de Kafr Dan, au nord-ouest de Jénine, en Cisjordanie. L’un des bulldozers appartient au père endeuillé, Mahmoud Abed, et l’autre à son défunt fils, Fouad, qui travaillait avec lui. Il s’agit d’une maison à deux étages, encore dépourvue de finition en plâtre. Les parents et les enfants vivent au rez-de-chaussée ; l’étage supérieur, encore en construction, était destiné à Fouad, 17 ans, l’aîné de cinq enfants.

Fouad est décédé dans la soirée du premier jour de l’année 2023. Bonne année, Kafr Dan. En 2022, les forces de défense israéliennes ont tué six résidents locaux. Ce village militant de 8 000 habitants est influencé par l’esprit de résistance déterminé qui émane du camp de réfugiés voisin de Jénine.

Les signes de deuil et de souffrance sont palpables ici : dans le deuil qui envahit la maison de Fouad ; dans le modeste mémorial à l’autre bout du village - un drapeau de la Palestine déployé sur une parcelle de terre gorgée de sang, entourée de pierres - qui marque l’endroit où la deuxième victime des FDI cette même nuit, Mohammad Hoshiyeh, 23 ans, d’un village voisin, a été tué ; et à l’hôpital Ibn Sina de Jénine, où les médecins soignent encore un habitant de Kafr Dan de 18 ans, Ezzedine Abed, qui a été grièvement blessé cette même nuit. Et puis il y a les deux tas de décombres que les troupes israéliennes ont laissés derrière elles cette semaine - des vestiges des maisons des familles des combattants palestiniens qui ont pris part à une attaque au poste de contrôle voisin de Jalameh le 14 septembre. En face des monticules, des villageois étaient assis sur des chaises en plastique, pleurant la destruction de leurs maisons comme le font les personnes dans les tentes de deuil pour leurs morts.

L’establishment de la défense israélienne a décidé de marquer le premier jour de la nouvelle année en démolissant les maisons des familles des deux jeunes hommes, D’Abderrahman Abed et Ahmed Abed, qui ont tué le major des FDI Bar Falah lors de l’incident du barrage routier. Les deux Palestiniens, membres de l’un des clans les plus importants de leur village, ont été tués lors d’un échange de coups de feu avec les forces israéliennes, dans lequel Falah était impliqué.

Un modeste mémorial à Kafr Dan marque l’endroit où la deuxième victime des FDI cette même nuit, Mohammad Hoshiyeh, 23 ans, d’un village voisin, a été tué.

Vers 22 heures, le 1er janvier, une importante force de soldats et de gigantesques engins de terrassement a encerclé Kafr Dan et lancé une invasion, prenant position et bloquant les routes du village, ainsi que son accès depuis l’extérieur, jusqu’au lendemain matin. Les occupants des deux maisons destinées à la démolition, distantes de quelques centaines de mètres, ainsi que leurs voisins, ont été emmenés par les troupes dans une mosquée voisine. Puis ce furent les explosions. Les deux étages de la maison de la famille d’D’Abderrahman ont été démolis ; seul le deuxième étage de la maison d’Ahmed a été détruit.

Immédiatement après l’incursion de l’armée, les inévitables affrontements violents ont éclaté entre les soldats et les jeunes de la région qui tentaient en vain de défendre leur village, accompagnés de personnes des communautés voisines venues aider à la résistance. L’un de ces derniers, Mohammed Hoshiyeh, a reçu une balle dans la tête à l’entrée de Kafr Dan. D’après ce que l’on sait, il a jeté des pierres sur les soldats et a également tenté d’ériger des barrières de pierre avant d’être tué. La plupart des jeunes ont jeté des pierres et des bouteilles de peinture sur les troupes, mais certains ont tiré sur elles à balles réelles.

Tout au long du jour de l’An, Fouad Abed et son père étaient sortis travailler. Vers 18 heures, Fouad est rentré chez lui, s’est douché, a pris un repas léger et, après 21 heures, a pris la voiture familiale pour se rendre au gymnase, comme il le faisait tous les soirs. L’une des photos figurant sur les affiches de deuil placées chez lui le montre vêtu d’un T-shirt de style militaire, les résultats de son entraînement étant clairement visibles : c’était un jeune homme robuste et musclé. Sur cette même photo, on le voit tenant un pistolet, un fusil en bandoulière. (Selon son père, la photo a été prise lors d’un mariage, mais cela semble peu probable). La mère de Fouad, Noha, lui a demandé d’acheter du lait maternisé pour sa sœur de 8 mois, en rentrant de la salle de sport.

Mahmoud, 38 ans, le père, qui avait deux fils et trois filles, s’est assis cette semaine sur l’aire non pavée devant sa maison, pleurant son fils. Son visage et sa voix brisée en disaient long. Fouad a fréquenté une école locale jusqu’en seconde, puis a rejoint son père aux travaux de terrassement sur son bulldozer JCB jaune. Selon sa famille, le dernier soir de sa vie, il a essayé de rentrer de la salle de sport mais s’est heurté à des barrières érigées par les troupes israéliennes au centre du village, près du diwan, un lieu de rassemblement du clan élargi des Abed. Fouad a laissé la voiture près du diwan et a continué à pied. Il a probablement rejoint les lanceurs de pierres.

Le père endeuillé, Mahmoud Abed (à gauche).

Au deuxième étage d’une petite maison au centre du village, un soldat se cachait. En dessous de la maison se trouvaient trois véhicules de l’armée. Le soldat à l’étage a tiré des volées de balles réelles sur les jeunes qui s’étaient rassemblés dans la rue. Fouad a été touché : six balles l’ont atteint, au cou, à la poitrine et à l’estomac. Il était 22h40. Ezzedine Abed, 18 ans, qui se trouvait non loin de là, a reçu une balle dans la poitrine. La taille des trous causés par les tirs dans les murs des bâtiments adjacents, que nous avons vus cette semaine, indique que des armes lourdes ont été utilisées.

L’unité du porte-parole des FDI a fait la déclaration suivante à Haaretz cette semaine : « Le 1er  janvier 2023, lors de la démolition des maisons des terroristes de l’affrontement à côté du barrage routier de Jalameh, de violents troubles ont éclaté, avec notamment des jets de pierres, de cocktails Molotov et d’engins [explosifs], l’incendie de pneus et des tirs massifs sur les forces [israéliennes]. Les combattants des FDI ont utilisé des moyens de dispersion de la foule et ont tiré sur les individus armés qui leur avaient tiré dessus. Les circonstances de la mort des personnes tuées sont en cours de clarification ».

Il est important de rappeler que les incursions des forces militaires et la démolition des maisons de personnes innocentes constituent l’ordre normal des choses, le prétendu “bon ordre” dans les territoires, et que la résistance légitime à cet ordre constitue une perturbation de l’ordre qui doit être réprimée par tous les moyens.

Comme la plupart des villageois, les membres de la famille de Fouad se sont serrés les uns contre les autres dans leur maison pendant l’incursion de cette nuit fatidique. Plus tard dans la nuit, des informations ont commencé à apparaître sur les médias sociaux selon lesquelles l’adolescent avait été blessé et évacué. Sa famille a tenté, mais en vain, de se rendre à l’hôpital. Kafr Dan était soumis à une sorte de couvre-feu. Toutes les routes étant bloquées par l’armée, il était dangereux, voire impossible, de quitter la maison alors que la mission de démolition se poursuivait. La famille endeuillée se souvient que les soldats étaient particulièrement agressifs cette nuit-là.

Mahmoud Abed, le père de Fouad, devant sa maison.

Près de cinq heures de peur et d’inquiétude paralysantes pour Fouad se sont écoulées avant que sa famille ne puisse quitter sa maison : à 2 h 40 du matin, les parents de l’adolescent ont réussi à partir pour l’hôpital Ibn Sina, emmenant avec eux sa sœur de 12 ans, Adain, qui était si traumatisée par les événements qu’elle a presque perdu connaissance, disent-ils. L’armée les a laissés passer et ils ont filé vers Jénine.

Cependant, lorsqu’ils sont arrivés à l’hôpital, Fouad n’était plus là. Ibn Sina n’a pas de morgue. Il a été déclaré mort juste après minuit et son corps a été transporté à l’hôpital gouvernemental de Jénine, situé à proximité, à l’entrée du camp de réfugiés de la ville. Ayant déjà appris en chemin que leur proche était mort, la famille s’est rendue directement à la morgue pour voir le corps.

« Il a essayé de rentrer à la maison mais il n’y est pas arrivé », raconte aujourd’hui son père. « Disons qu’il a jeté des pierres - six balles dans son corps ? ». Il nous montre le téléphone portable de Fouad, taché de son sang et avec un billet de 20 shekels glissé dans l’étui.

Un nouveau jour s’est levé en même temps que la nouvelle année à Kafr Dan. Abdulkarim Sadi, chercheur de terrain pour l’organisation israélienne de défense des droits humains B’Tselem, est arrivé dans le village un peu après 8 heures du matin pour documenter ce qui s’était passé pendant la nuit, et a été surpris de voir que les véhicules et les troupes de l’armée étaient toujours là. Sadi s’est empressé de trouver un abri dans une maison voisine. Les unités balistiques de l’armée avaient fait exploser la maison d’Ahmed Abed à 4h30 du matin, et vers 8 heures, elles avaient dynamité la maison d’Abderrahman. Les troupes se sont finalement retirées vers 10 heures du matin.

La maison des Abed

Au début de la semaine, Ezzedine Abed, qui souffre d’une grave blessure à la poitrine, a été transféré des soins intensifs d’Ibn Sina, où il se trouvait depuis qu’il a été abattu, à un service ordinaire pour y poursuivre son traitement.

Lorsque nous arrivons à la maison démolie d’Abderrahman Abed, deux jeunes hommes sont assis à proximité, regardant les ruines. Il s’agit de Mustafa, le frère d’Abderrahman, et de Wahal, son neveu. La maison semble être couchée sur le ventre. Des drapeaux de la Palestine et d’organisations impliquées dans la lutte palestinienne sont éparpillés parmi les décombres. Sur le plafond en béton qui s’est effondré, quelqu’un a dessiné une étoile de David à côté d’une croix gammée et écrit, en arabe “nazisme du siècle”. Les rubans rouges et blancs de la police israélienne gisent sur le sol à proximité.

Huit âmes avaient vécu dans cette maison, en plus d’Abderrahman, et certainement aucune d’entre elles n’avait de lien avec ce qu’il a fait. Son grand-père, Subkhi, âgé de 85 ans, et sa grand-mère, Shawkiya, 78 ans, vivaient également avec les frères et sœurs et les parents d’Abderrahman. Le couple âgé a maintenant déménagé dans un appartement loué à Kafr Dan.

Non loin de la maison rasée se trouve ce qui reste du deuxième étage de la maison d’Ahmed Abed, qui s’est effondré sur le premier étage et a causé davantage de destruction. Quelques femmes sont assises en face des décombres, regardant en silence les dégâts.