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30/12/2023

GIDEON LEVY
Il n’y a pas moyen d’“expliquer” le degré de mort et de destruction à Gaza

Gideon Levy, Haaretz, 28/12/2023
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Il n’y a pas moyen d’“expliquer” la conduite d’Israël dans la bande de Gaza. La destruction, le massacre, la famine et le siège dans des dimensions aussi monstrueuses ne peuvent plus être expliqués ou justifiés, même par une machine de propagande efficace comme la diplomatie publique israélienne (hasbara).


Des drapeaux israéliens flottent à côté des décombres de bâtiments détruits à Gaza, vus depuis le sud d’Israël, Samedi dernier. Photo : Violeta Santos Moura / Reuters

Le mal ne peut plus être caché par la propagande. Même la combinaison gagnante israélienne de victimisation, de Yiddishkeit, de peuple élu et d’Holocauste ne peut plus brouiller l’image. Personne n’a oublié les horribles événements du 7 octobre, mais ils ne peuvent justifier ce à quoi nous assistons à Gaza. Le propagandiste qui pourrait expliquer l’assassinat de 162 enfants en un jour - un chiffre rapporté par les médias sociaux cette semaine - n’est pas encore né, sans parler de l’assassinat de quelque 10 000 enfants en deux mois.

Israël est déjà en train de mettre en place son nouveau “Yad Vashem”. Des centaines de fonctionnaires juifs des USA sont acheminés par navette aérienne vers les kibboutzim incendiés du sud. Natan Sharansky s’est également rendu à Kfar Azza cette semaine, pour voir et montrer à ces antisémites ce qu’ils nous ont fait.

Désormais, aucun invité officiel ne pourra atterrir en Israël sans être contraint de passer par le kibboutz Be’eri. Et par la suite, s’il ose tourner son regard vers la bande de Gaza, il sera taxé d’antisémitisme. Attendre les bus de Birthright avec un soldat surveillant chacun d’entre eux, fusil tchèque dégainé. Eux aussi sont déjà en route pour Nir Oz.

Il est très douteux que cela serve à quelque chose. La hasbara est désormais une machine immorale. Quiconque se contente d’être choqué par ce qui nous a été fait tout en ignorant ce que nous avons fait depuis n’a ni intégrité ni conscience. On ne peut pas ignorer Gaza et n’être choqué que par Kfar Azza. Bien sûr, il est obligatoire de dire et de montrer au monde ce que le Hamas nous a fait. Mais l’histoire ne fait que commencer. Elle ne s’arrête pas là. Ne pas raconter sa suite est un acte méprisable.

À côté des terribles souffrances israéliennes, qu’il ne faut pas sous-estimer, la bande de Gaza connaît aujourd’hui des souffrances bien plus grandes. Elles sont d’une ampleur énorme et provoque le désespoir. Elles n’ont pas d’explication et n’en ont pas besoin. Il suffit de lire les rapports provenant de Gaza et diffusés dans le monde entier, à l’exception d’un minuscule État dont les yeux sont fermés et le cœur scellé.


Des Palestiniens prient devant les corps de personnes tuées lors de bombardements israéliens avant de les enterrer dans une fosse commune dans la ville de Khan Younès, dans le sud de la bande de Gaza, le mois dernier. Photo Mohammed Dahman / AP

La hasbara israélienne est une mystification. Elle raconte une histoire qui n’est pas toute la vérité. En cachant plus de la moitié de la vérité, la hasbara aurait dû être considérée comme une activité honteuse. Mais ce n’est pas le cas. En Israël, une figure grotesque comme Noa Tishbi [“hasbariste” de choc, ex-“envoyée spéciale chargée de combattre l’antisémitisme et la délégitimation d’Israël” du gouvernement Lapid-Gantz, NdT] est devenue l’héroïne du moment. L’attaque ridicule contre Benny Gantz, qui a assisté à une fête en son honneur dans la maison du père endeuillé Eyal Waldman et a été photographié souriant, un verre dans une main et Tishbi dans l’autre, n’a pas compris l’essentiel.

Le fait est que les imposteurs, ici, sont transformés en héros. La navigation sur le compte X de Tishbi vous fera vomir. Une autre Nataly Dadon [mannequin, influenceuse, NdT], mais avec de la poussière d’Hollywood, du new age, des embrassades, des larmes et des sourires Colgate, du kitsch et de la mort en provenance directe de la zone proche de la frontière gazaouie. La nation juive est le peuple indigène d’Israël, nous sommes d’ici, dit la femme qui a émigré loin d’ici. Dès qu’elle a atterri à l’aéroport Ben Gourion, elle a dû courir se mettre à l’abri, en se filmant bien sûr pour faire trembler le cœur de tous les “amis d’Israël” et les faire pleurer.

Et les bijoux, oh les bijoux sur Tishbi : deux étoiles de David, pas une, juste pour être sûr ; un collier Chai et une carte du fleuve à la mer, le tout en or. Un quart de million d’adeptes. Hanoukka est une fête sioniste. Tel Aviv est une ville attaquée. « Il faut imaginer à quoi ressemblera le Moyen-Orient une fois le Hamas vaincu », dit-elle à Piers Morgan de TalkTV.

Vous voulez savoir à quoi ressemblera le Moyen-Orient ? Gaza détruite, deux millions de sans-abri et en face d’eux, également couvert de cicatrices et battu, un État d’apartheid dont Tishbi n’a même pas entendu parler.

 

26/11/2023

GIDEON LEVY
Est-il permis de se réjouir de la joie des Palestinien·nes libérés des prisons israéliennes ?

 Gideon Levy, Haaretz, 26/11/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

 

Ce week-end a été marqué par des montagnes russes qui n’ont laissé personne indifférent. Les images des otages libérés, des vieilles femmes et des petits enfants, étaient dignes d’un millier de telenovelas à la fin heureuse.

Emad Hajjaj, Jordanie

Voir Emilia, six ans, pleurer ; voir Ohad, neuf ans, frissonner ; voir la libération d’Hannah Katzir, déclarée morte par le Djihad islamique palestinien, et de Yaffa Adar, qui a survécu à la captivité à l’âge de 85 ans, et avoir la gorge nouée.

Le fait que tous soient en bon état de santé est un motif de soulagement et de bonheur. C’est à cela que ressemble la joie nationale, mélangée au chagrin, à l’anxiété et à la déconfiture qui ont prévalu en Israël depuis le 7 octobre. Qu’ils reviennent tous, tout simplement.

Israël dans sa joie mitigée, et les Palestiniens dans leur joie mitigée. Est-il permis de se réjouir de leur joie ? Qui a même le droit de se réjouir dans ce pays ? La police des émotions a fixé des limites : Les Palestiniens ne peuvent pas se réjouir.

Des représentants de la police israélienne ont visité les maisons des personnes libérées à Jérusalem-Est, avertissant les occupants de s’abstenir de toute manifestation de joie. Nous avons le droit de nous réjouir du retour de nos enfants ; ils n’ont pas le droit de se réjouir du retour des leurs. Mais l’interdiction ne s’arrête pas là. Nous n’avons pas non plus le droit de les regarder se réjouir.

Le lendemain du retour des otages, le soleil s’est levé sur Gaza. C’était le premier matin depuis 50 jours consécutifs que le ciel de Gaza n’était pas couvert de panaches de fumée et de poussière dus aux bombardements. Les gens ne fuyaient pas pour sauver leur vie, tentant impuissants d’échapper aux bombes qui pouvaient tomber à tout moment sans avertissement. Les enfants, inquiets la nuit, mouillent encore leur lit (pour ceux qui en ont un), mais moins qu’avant. Est-il permis de se réjouir de cela en Israël ?

Enterrement de personnes tuées lors du bombardement israélien de l'hôpital Al Shifa, dans une fosse commune dans la ville de Khan Younès, au sud de la bande de Gaza, mercredi 22 novembre 2023. Mohammed Dahman/AP Photo

À une heure de route des hôpitaux où les familles ont été réunies, suscitant une joie nationale, des scènes similaires ont été observées à Jérusalem-Est et en Cisjordanie. Un père qui n’avait pas vu sa fille depuis huit ans l’a retrouvée dans une étreinte déchirante. Une femme a couru hystériquement vers sa fille, incarcérée depuis sept ans.

J’ai vu la mère de Malek Salman, de Beit Safafa, étreindre sa fille en pleurant et en criant. “Mama, mama”, a crié Malek, et j’ai ressenti de la joie. Est-ce une transgression ? Un défaut psychologique ? Un défaut moral ?

Trente-neuf femmes et mineurs palestiniens ont également quitté la prison pour retrouver leur famille et la liberté. Certains ont été condamnés pour des attaques à l’arme blanche, la possession d’un couteau ou une tentative de meurtre, d’autres pour des jets de pierres ou des peccadilles mineures. Aucun n’est innocent du crime de résistance violente contre l’occupation, et l’État était en droit de les juger et de les punir [sic]. Mais ce sont aussi des êtres humains.

Les enfants sont certainement des enfants, même lorsqu’il s’agit de jeunes lanceurs de pierres, condamnés en Israël à des peines de prison disproportionnées et à des conditions bien pires que les accusés juifs de leur âge. J’ai également été heureux de les voir sortir libres. Je sais que ce n’est pas permis.

Dans l’un des moments exceptionnels de la couverture télévisée péniblement unilatérale en Israël, Channel 13 News a montré un très bref moment de joie palestinienne au retour d’une fille. Almog Boker, journaliste de terrain dans l’âme, qui, de guerre en guerre, devient de plus en plus nationaliste et ne peut prononcer le mot Hamas sans y adjoindre le mot “nazis”, s’est écrié, indigné : “Nous ne devons pas montrer çà !”

Le journaliste Raviv Drucker a tenté de le convaincre qu’il est important de montrer que les Palestiniens sont heureux afin de révéler leur vrai visage - après avoir échoué à le persuader que tout doit être rapporté, tout simplement parce que c’est la raison d’être du journalisme.

Boker pense qu’en temps de guerre, les seules choses qui doivent être montrées sont celles qui servent les intérêts d’Israël. Et en effet, dans les médias israéliens, non seulement la souffrance de Gaza est bannie de l’écran, mais la joie des parents au retour de leur fille de prison l’est aussi, de peur que nous ne soyons tentés de penser qu’ils sont aussi des êtres humains, avec des sentiments et tout le reste.

C’est l’époque des grandes fluctuations émotionnelles. Les montagnes russes montent et descendent, et il est normal d’y laisser une petite place pour la petite joie des Palestiniens. La guerre, nous répète le gouvernement, n’est que contre le Hamas.

 

Kenny Tosh, Nigeria 

20/10/2023

ILAN PAPPÉ
Mes chers amis israéliens, voici pourquoi je soutiens les Palestiniens

Ilan Pappé, Palestine Chronicle, 10/10/2023

Italiano:  Cari amici israeliani, ecco perché sostengo i palestinesi
Português:
Meus amigos israelenses: é por isto que eu apoio os palestinianos

 

Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Il nest pas toujours facile de s’en tenir à sa boussole morale, mais si elle pointe vers le nord - vers la décolonisation et la libération - alors elle vous guidera très probablement à travers le brouillard de la propagande vénéneuse.


Il est difficile de maintenir sa boussole morale lorsque la société à laquelle on appartient - dirigeants et médias confondus - prend le dessus et attend de vous que vous partagiez avec elle la même fureur vertueuse avec laquelle elle a réagi aux événements de samedi dernier, le 7 octobre.

Il n’y a qu’une seule façon de résister à la tentation de se joindre à eux : si vous avez compris, à un moment de votre vie - même en tant que citoyen juif d’Israël - la nature coloniale du sionisme et si vous avez été horrifié par ses politiques à l’encontre du peuple autochtone de Palestine.

Si vous avez pris conscience de cela, vous ne vacillerez pas, même si les messages empoisonnés décrivent les Palestiniens comme des animaux ou des “animaux humains” [Yoav Gallant, ministre de la Défense]. Ces mêmes personnes insistent pour décrire ce qui s’est passé samedi dernier comme un “Holocauste”, abusant ainsi de la mémoire d’une grande tragédie. Ces sentiments sont véhiculés, jour et nuit, par les médias et les hommes politiques israéliens.

C’est ce sens moral qui m’a conduit, ainsi que d’autres membres de notre société, à soutenir le peuple palestinien par tous les moyens possibles ; et qui nous permet, en même temps, d’admirer le courage des combattants palestiniens qui se sont emparés d’une douzaine de bases militaires, surmontant l’armée la plus puissante du Moyen-Orient.

Par ailleurs, des personnes comme moi ne peuvent s’empêcher de poser des questions sur la valeur morale ou stratégique de certaines des actions qui ont accompagné cette opération.

Parce que nous avons toujours soutenu la décolonisation de la Palestine, nous savions que plus l’oppression israélienne se poursuivrait, moins la lutte de libération aurait de chances d’être “stérile” [au sens d’inoffensive] - comme cela a été le cas dans toutes les luttes de libération justes du passé, partout dans le monde.

Cela ne signifie pas que nous ne devrions pas garder un œil sur le tableau d’ensemble, ne serait-ce qu’une minute. Ce tableau est celui d’un peuple colonisé luttant pour sa survie, à un moment où ses oppresseurs ont élu un gouvernement déterminé à accélérer la destruction, voire l’élimination du peuple palestinien - ou même de sa revendication à être un peuple.

Le Hamas se devait d’agir, et rapidement.

Il est difficile d’exprimer ces contre-arguments parce que les médias et les politiciens occidentaux se sont ralliés au discours israélien et à la narration, aussi problématique soit-elle.

Je me demande combien de ceux qui ont décidé de revêtir le Parlement de Londres et la Tour Eiffel de Paris [et la Porte de Brandenbpourg à Berlin, et Palazzo Chigi à Rome] des couleurs du drapeau israélien comprennent vraiment comment ce geste apparemment symbolique est reçu en Israël.

Même les sionistes libéraux, dotés d’un minimum de décence, ont interprété cet acte comme une absolution totale de tous les crimes commis par les Israéliens contre le peuple palestinien depuis 1948, et donc comme une carte blanche pour poursuivre le génocide qu’Israël est en train de perpétrer contre la population de Gaza.

Heureusement, les événements de ces derniers jours ont suscité des réactions différentes.

Comme par le passé, de larges pans des sociétés civiles occidentales ne se laissent pas facilement berner par cette hypocrisie, qui s’est déjà manifestée dans le cas de l’Ukraine.

Nombreux sont ceux qui savent que depuis juin 1967, un million de Palestiniens ont été emprisonnés au moins une fois dans leur vie. Et avec l’emprisonnement, viennent les abus, la torture et la détention permanente sans procès.

Ces mêmes personnes connaissent également l’horrible réalité qu’Israël a créée dans la bande de Gaza lorsqu’il a bouclé la région, imposant un siège hermétique, à partir de 2007, accompagné du meurtre incessant d’enfants en Cisjordanie occupée. Cette violence n’est pas un phénomène nouveau, puisqu’elle est le visage permanent du sionisme depuis la création d’Israël en 1948.

Grâce à cette même société civile, mes chers amis israéliens, votre gouvernement et vos médias finiront par se tromper, car ils ne pourront pas revendiquer le rôle de victimes, recevoir un soutien inconditionnel et s’en tirer avec leurs crimes.

Le tableau d’ensemble finira par apparaître, en dépit de la partialité inhérente aux médias occidentaux.

La grande question, cependant, est la suivante : chers amis israéliens, serez-vous en mesure de voir clairement ce même tableau d’ensemble ? Malgré des années d’endoctrinement et d’ingénierie sociale ?

Et, ce qui n’est pas moins important, serez-vous capables d’apprendre l’autre leçon importante - celle que l’on peut tirer des événements récents - à savoir que la force seule ne peut pas trouver l’équilibre entre un régime juste d’une part et un projet politique immoral d’autre part ?

Mais il existe une alternative. En fait, il y en a toujours eu une :

Une Palestine dé-sionisée, libérée et démocratique, du fleuve à la mer ; une Palestine qui accueillera les réfugiés et construira une société qui ne discrimine pas sur la base de la culture, de la religion ou de l’appartenance ethnique.

Ce nouvel État s’efforcerait de corriger, dans la mesure du possible, les maux du passé, en termes d’inégalité économique, de vol de propriété et de déni de droits. Cela pourrait annoncer une nouvelle ère pour l’ensemble du Moyen-Orient.

Il n’est pas toujours facile de s’en tenir à sa boussole morale, mais si elle pointe vers le nord - vers la décolonisation et la libération - alors elle vous guidera très probablement à travers le brouillard de la propagande vénéneuse, des politiques hypocrites et de l’inhumanité, souvent perpétrées au nom de “nos valeurs occidentales communes”.

08/06/2023

GIDEON LEVY
Un bébé palestinien assassiné par un soldat, ça n’est pas une info pour les médias israéliens

Gideon Levy, Haaretz, 7/6/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Lundi, un enfant en bas âge, Mohammed Tamimi, est mort des suites des blessures infligées par un soldat israélien qui lui avait tiré une balle dans la tête, sous les yeux de son père. Le soldat a tiré une deuxième balle dans la poitrine du père. Mohammed, âgé de deux ans et demi, est décédé à l’hôpital pour enfants Safra du centre médical Sheba, à Tel Hashomer, quatre jours après que la balle a explosé dans sa tête.

Des proches de Mohammed Haitham Al Tamimi, âgé de deux ans et demi, pleurent pendant ses funérailles dans le village de Nabi Saleh, mardi. Photo : AHMAD GHARABLI/AFP

Un soldat israélien a tué un enfant de deux ans et demi, et les médias israéliens ont décidé, presque à l’unisson, que ce n’était pas intéressant, pas important, ou les deux. En d’autres termes, ce n’est pas un sujet. Channel 12 News [Canal 12, en hébr. Kephet 12], Israel Hayom et Maariv ont complètement fait disparaître l’histoire des yeux de leurs consommateurs d’informations. Elle n’a tout simplement jamais eu lieu. Les autres grands médias, à l’exception de Haaretz, l’ont reléguée dans les dernières pages, littéralement ou virtuellement. Ils l’ont également adoucie, l’ont rendue plus facile à avaler pour les consommateurs sensibles : après tout, ce n’est pas si joli que ça qu’un soldat israélien tue un enfant en bas âge.

Le site de la télévision publique Kan 11 : « On a annoncé la mort du petit Palestinien de 3 ans qui a été touché par une force de Tsahal qui a tiré sur les terroristes ». On a annoncé la mort d’un Palestinien de 3 ans et, surtout, la force a tiré sur des terroristes, pas sur le bambin et son père. Tout a déjà fait l’objet d’une enquête et tout est connu, la vérité comme vous la voulez. Le site d’information Walla a été encore plus prudent et patriotique : « La mort a été déclarée pour le Palestinien de 3 ans qui a apparemment été touché par des tirs des Forces de défense israéliennes ». Apparemment. Ce n’est pas certain. Peut-être qu’il s’est tiré dessus, peut-être que son père l’a tué, peut-être que ce sont les terroristes brutaux de Nabi Saleh qui l’ont tué : Qui sait, lecteurs de Walla. Pourvu que vous passiez une bonne nuit de sommeil et que vous nous rendiez visite à nouveau.

Le site d’information Ynet a également marché sur des œufs : « On a annoncé la mort de l’enfant de 3 ans qui a été abattu par erreur par une force de Tsahal qui a riposté à des terroristes ». Le porte-parole de Tsahal est devenu superflu. La gigantesque unité du porte-parole peut être démantelée. Elle n’aurait pas pu écrire une meilleure propagande. Tirs par erreur, tirs sur des terroristes. Aucun des messages d’alerte n’a nommé l’enfant, un Palestinien sans nom. Ils se sont tous contentés de l’expression froide “la mort a été annoncée”, comme s’il s’agissait d’une question bureaucratique. Les préposés se sont assis et ont annoncé le décès. Les soldats des FDI n’ont rien eu à voir avec cela.

Canal 12 News mérite un traitement spécial : c’est le feu de camp tribal. Ils savaient que l’enfant était mort et ont néanmoins décidé que ce n’était ni intéressant ni important. Qu’est-ce qui est passé par la tête du PDG Avi Weiss et de son équipe éditoriale ? À quoi pensait la présentatrice Yonit Levy, aux opinions bien arrêtées, lorsqu’ils ont décidé de cacher au public la mort d’un enfant en bas âge, tué d’une balle dans la tête par un soldat des forces de défense israéliennes ? Ils ont aussi des enfants, n’est-ce pas ? Ont-ils vu la photo de Mohammed saignant du trou béant dans sa tempe ? Ont-ils imaginé un enfant israélien dans son état ? Pouvez-vous imaginer l’enfer qu’ils auraient déclenché à l’antenne ?

Peut-être était-ce une question d’espace. Ce soir-là, les journaux télévisés ont présenté un homme acquitté d’accusations de viol. Les parents de la femme soldat tuée à la frontière égyptienne deux jours auparavant ont suivi, puis un reportage sur “la terreur tranquille”. J’ai pensé qu’il s’agissait à la fois d’une terreur et d’une tranquillité. C’est la terreur avec laquelle les soldats de Tsahal ont tué 24 enfants depuis le début de l’année, selon B’Tselem. Trouveront-ils le temps de parler du 24ème, Mohammed Tamimi ? Ne faites pas rire Weiss, Levy et les rédacteurs en chef. La “terreur tranquille”, c’est bien sûr la terreur contre les colons : pierres, bombes incendiaires. Nous n’en entendons pas assez parler. Nous avons suffisamment entendu parler des soldats qui tuent des enfants.

Canal 12 est la chaîne modérée/centriste d’Israël. Sur Canal 14, les téléspectateurs savent ce qu’ils obtiennent. Canal 12 est la voix de la vérité, de la sagesse, du professionnalisme et de la décence. Et cette voix nous dit chaque soir que la vie d’un bambin palestinien ne vaut rien, n’est pas intéressante et n’est pas importante. Continuons à protester, continuons à nous complaire dans le mégaphone arraché par le député Simcha Rothman à un proetstataire à New York et la croisière en Grèce du député Nissim Vaturi, continuons à nous battre pour la démocratie avec Canal12.

Seule l’histoire jugera des dégâts qu’elle a causés, de sa dissimulation systématique de l’occupation et de ses crimes, de son blanchiment et de sa légitimation à tout prix. Channel 12 est la véritable chaîne de propagande d’Israël.

Carlos Latuff

Rassemblement de soutien au village palestinien de Nabi Saleh

Officiellement jumelé depuis plusieurs mois maintenant avec L'Île-Saint-Denis (93), le village palestinien de Nabi Saleh a été le théâtre de nouvelles violences ces derniers jours, menant notamment à la mort d'un enfant de 2 ans et demi sous les balles de l'armée israélienne. Face à cette situation, un rassemblement de soutien est prévu vendredi 9 juin, à partir de 18h30 sur le parvis de l'Hôtel de Ville (1 rue Méchin). Les drapeaux de l’Hôtel de ville sont mis en berne. Une collecte solidaire sera notamment mise en place pour aider financièrement les familles à assurer les coûts des funérailles et des soins pour les autres habitants de Nabi Saleh blessés. Ne nous résignons jamais à accepter inhumanité et barbarie à l’égard du peuple palestinien.

Comment aller à Mairie de l'Île-Saint-Denis à L'Ile-Saint-Denis en Bus, Métro, Train, Tram ou RER ?

 

 

05/06/2023

SERAJ ASSI/ZACHARY FOSTER
“Les Palestiniens, ça n’existe pas”: une affirmation sioniste dans laquelle le fanatisme le dispute à l’ignorance

Seraj Assi et Zachary Foster, Haaretz, 21/3/2023
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Seraj Assi est un Palestinien né en Israël, titulaire d’un doctorat en études arabes et islamiques de l’université de Georgetown (Washington DC, USA), où il est chercheur invité. Il est professeur adjoint d’arabe à l’université George Mason (Fairfax, Virginie). Il est l’auteur de The History and Politics of the Bedouin. Reimagining Nomadism in Modern Palestine, Routledge 2018. @Srjassi

Zachary Foster est un historien usaméricain de la Palestine et le créateur de Palestine Nexus. @_ZachFoster

Des hommes politiques israéliens comme le ministre des Finances Bezalel Smotrich persistent à nier l’existence d’un peuple palestinien, mais les faits historiques parlent d’eux-mêmes. Smotrich et les conservateurs usaméricains pro-israéliens devraient écouter.

Le ministre israélien des Finances, Bezalel Smotrich, a prononcé en mars à Paris un discours niant l’existence des Palestiniens en tant que peuple, affirmant que “la nation palestinienne n’existe pas” : « Il n’existe pas de nation palestinienne. Il n’y a pas d’histoire palestinienne. Il n’y a pas de langue palestinienne ».


 Smotrich s’est exprimé devant un pupitre drapé d’une image représentant une carte d’Israël incluant la Cisjordanie occupée, la bande de Gaza, la Jordanie et une partie de la Syrie. Il est difficile d’ignorer l’ironie de la situation : un ministre ultranationaliste qui entretient l’idée que les Palestiniens sont un peuple artificiel tout en montrant une carte artificielle d’Israël.

La plus ancienne carte ptolémaïque de la Palestine encore existante. Copie grecque byzantine de la carte de la 4e carte de l’ Asie de Ptolémée [IIème  siècle ap. J-C). Tirée du Codex Vaticanus Urbinas Graecus 82, Constantinople vers 1300. Probablement assemblée par Maximus Planudes ; plus tard en possession de Palla Strozzi (1372-1462) puis de Federico da Montefeltro, duc d’Urbino. Les grandes lettres rouges au centre indiquent en grec : Παλαιστινης ou Palaistinis.


Autre carte de la Palestine de Ptolémée 

 Carte vénitienne de 1300

Abraham Ortelius, Palestinae Sive Totius Terrae Promissionis Nova Descriptio Auctore Tilemanno Stella Sigenens (Une nouvelle description de la Palestine ou de toute la Terre promise par l’auteur Tilemannus Stella Sigenens.), extrait de l’édition allemande de 1572 de son Theatrum Orbis Terrarum, le premier atlas moderne.

Smotrich n’était pas le premier haut responsable israélien à nier l’existence du peuple palestinien. Il faisait clairement écho au fameux dicton de Golda Meir : « Les Palestiniens, ça n’existe pas », ainsi qu’aux remarques plus récentes de la députée du Likoud Anat Berko, qui a affirmé que le peuple palestinien n’existait pas « parce qu’il ne peut pas prononcer la lettre P », une déclaration qui pourrait faire un titre dans The Onion (site satirique].

Ces dernières années, nier l’existence nationale des Palestiniens est devenu un stéréotype faux-cul populaire parmi les politiciens pro-israéliens en Occident également. Les politiciens conservateurs usaméricains ont nié à plusieurs reprises l’existence des Palestiniens à des fins politiques. Pour Mike Huckabee [ancien gouverneur républicain de l’Arkansas et pasteur baptiste, NdT] : « Les Palestiniens n’existent pas vraiment ». Pour Newt Gingrich, ancien président de la Chambre des représentants : « Il n’y a pas eu d’État palestinien, je pense que le peuple palestinien a été inventé ».

Une fois de plus, les Palestiniens se trouvent dans l’obligation de défendre leur existence même en tant que peuple. Heureusement, les données historiques sont sans ambiguïté et parlent d’elles-mêmes : Les Palestiniens sont connus sous le nom de Palestiniens depuis le XIXe siècle.

 

L’édition du 18 août 1931 du journal Filastin. Photos : Archives Filastin

Les références aux Palestiniens en tant que peuple remontent aux années 1870, lorsque des voyageurs et diplomates usaméricains et européens en Palestine ont commencé à désigner les habitants arabes de la Palestine comme “Palestiniens”. Parmi eux, le consul britannique à Jérusalem, James Finn, le missionnaire protestant allemand Ludwig Schneller et la voyageuse irlando-usaméricaine Adela E. Orpen, qui ont tous appelé les habitants arabes musulmans et chrétiens de la Palestine “Palestiniens”.

C’est avec l’écrivain palestinien Khalil Baydas (1874-1949) que l’appellation “palestinien” s’est imposée en arabe. Baydas a été le premier Arabe à utiliser le terme “palestinien” au sens moderne et national du terme. En 1898, il publie une traduction arabe d’un traité russe populaire, Description de la Terre Sainte. Son objectif était évidemment patriotique. « Les livres arabes de géographie sur le sujet étaient insuffisants », écrit-il dans l’introduction. « Le peuple de Palestine avait besoin d’un livre de géographie sur son pays ». Le reste de l’ouvrage est truffé de références aux Palestiniens en tant que peuple.

Au XXe siècle, après que la révolution constitutionnelle ottomane a assoupli les lois sur la censure de la presse en 1908, des dizaines de périodiques sont apparus en Palestine, et le terme “palestinien” a ainsi gagné en popularité. Entre 1908 et 1914, le terme apparaît quelque 170 fois dans plus de 110 articles de livres et de journaux arabes.

En 1911, Isa al-Isa et Yusif al-Isa, des cousins palestiniens de Jaffa, ont fondé ce qui allait devenir le journal le plus populaire de Palestine, pour lequel ils ont choisi le nom de Filastin. En fait, des années avant la fondation de Filastin, plusieurs autres Palestiniens, dont Ilyas Bawwad à Safed et Yusuf Siddiqi à Hébron, avaient tenté de lancer un journal appelé Palestine ou Filastin, mais aucune de ces tentatives ne s’était concrétisée.

Un sentiment d’identité palestinienne se développe en Palestine et au-delà, et les Palestiniens de l’Est à l’Ouest adoptent rapidement cette identité. Entre 1908 et 1914, une multitude d’associations “palestiniennes” sont créées à Chicago, Beyrouth et Istanbul.

L’occupation britannique de la Palestine pendant la Première Guerre mondiale n’a fait qu’accélérer le rythme d’adoption de l’identité nationale palestinienne. En 1919, craignant la montée du sionisme et de l’immigration juive en Palestine, le premier congrès arabe palestinien se tient à Jérusalem. Le 3 septembre 1921, le journal Filastin déclare : « Nous sommes d’abord des Palestiniens et ensuite des Arabes ».

L’identité palestinienne ne tardera pas à se répandre dans les villes et les villages de Palestine. En 1925, l’éminent éducateur palestinien Khalil Sakakini a parcouru la campagne palestinienne en tant que représentant de la délégation du sixième Congrès arabe palestinien. Il s’en souviendra plus tard : « La nation palestinienne vivait une phase de lune de miel du nationalisme ».

Sixième congrès national palestinien, Jaffa, octobre 1925. Photo : Institute of Palestine Studies.

Même les dirigeants sionistes ont été contraints de reconnaître l’existence d’une identité nationale palestinienne. En 1923, Ze’ev Jabotinsky écrit : « le peuple arabe de Palestine dans son ensemble ne vendra jamais ce patriotisme fervent qu’il garde si jalousement ». En 1929, David Ben-Gourion prévient qu’un mouvement national arabe palestinien est en train de naître.

Grâce au Grand soulèvement palestinien, qui a duré de 1936 à 1939, le terme “palestinien” était tout simplement omniprésent dans la presse à la fin des années 1930. De nombreux écrivains palestiniens, par exemple, tenaient à souligner que des familles “non palestiniennes”, notamment les Sursuq (ou Sursock), avaient vendu des “terres palestiniennes” aux sionistes. Les écrivains arabes ont également invoqué le terme pour faire l’éloge des “Palestiniens” qui ont joué un rôle clé dans le mouvement littéraire arabe d’avant-guerre, ou de ceux qui ont rejoint la Grande Révolte arabe, dirigée par l’émir Faysal Ier  pendant la Première Guerre mondiale.

Tout cela montre que les Arabes de Palestine sont connus sous le nom de Palestiniens depuis [au moins] le dix-neuvième siècle et qu’ils se sont toujours identifiés comme Palestiniens.

Alors pourquoi les propagandistes racistes comme Smotrich ressentent-ils constamment le besoin de nier l’existence des Palestiniens ? Parce que la notion même de peuple palestinien rappelle constamment que l’entreprise sioniste a été fondée sur l’effacement de l’identité nationale des Palestiniens. Mais l’histoire nous enseigne que le peuple palestinien existait bien avant la création de l’État d’Israël, et même avant le mouvement sioniste moderne.

 NdT
La palme de l'infamie revient sans doute à Shmuel Trigano, dans l'article Le passé historique du mot « Palestine » – Peleshet/Philistie, Plishtim/ Philistins/Envahisseurs (2021). Il écrit :
C’est le KGB qui en 1964 réécrivit l’histoire pour les « idiots utiles » d’Occident, la gauche socialiste, communiste, tiers mondiste, en faisant de la guerre des Arabes contre les Juifs (ce que fut excactement la guerre de 1948 rassemblant plusieurs pays arabes contre Israël, une guerre semi nationaliste, semi djihadique), une guerre nationale palestinienne contre le colonialisme occidental.” [sic]

 

 

 

21/05/2023

Six faits essentiels sur la Nakba que tout le monde devrait connaître

Dotan Halevy, Maayan Hillel et les éditeurs de l’Atelier d’histoire sociale, Haaretz, 18/5/2023

Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Dotan Halevy est chercheur postdoctoral à l’Académie Polonsky pour les études avancées en sciences humaines et sociales de l’Institut Van Leer de Jérusalem.

Maayan Hillel est chargée de cours au Crown Family Center for Jewish and Israel Studies de la Northwestern University (Evanston, Illinois, USA).
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Le Social History Workshop est un blog fondé par des historiens et des spécialistes du Moyen-Orient afin de rendre accessible à un large public des études de pointe sur la région et le monde.
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Il y a quelques semaines, Israël a célébré son 75e jour d’indépendance. Le 15 mai, le jour de la Nakba a été célébré pour la première fois par les Nations unies. Plusieurs faits doivent être compris afin d’appréhender la signification durable de cet anniversaire

Une femme couverte du drapeau palestinien participe à une marche pour commémorer le 75ème jour de la Nakba, près du kibboutz de Megiddo, sur la zone où se trouvait autrefois le village palestinien de Lajjun.

Contrairement à ce que prétend la propagande, pour les Palestiniens, le jour de la Nakba ne consiste pas à marquer l’événement de la création d’Israël comme une catastrophe. Il s’agit de la catastrophe qui a été le sort permanent des Palestiniens depuis lors, conséquence d’une politique persistante d’Israël et de nombreux autres pays, qui refusent de considérer les Palestiniens comme un peuple et un groupe national ayant droit à l’autodétermination.

Le jour de la Nakba marque une catastrophe historique en cours et exhaustivement documentée, une catastrophe sur laquelle l’État d’Israël tel que nous le connaissons a été construit. Les dimensions de cette catastrophe, son déroulement, la violence qu’elle a entraînée et ses ramifications à long terme pour les Palestiniens, les Israéliens et le Moyen-Orient sont encore en cours d’apprentissage. Soixante-quinze ans après le déplacement de centaines de milliers de Palestiniens, il existe quelques faits fondamentaux que chacun devrait connaître pour comprendre l’importance persistante de la Nakba.

1. La population : Avant la guerre de 1948, 600 000 Juifs et 1,4 million de Palestiniens vivaient dans la Palestine mandataire britannique. Sur ces 1,4 million de Palestiniens, 900 000 vivaient dans le territoire qui allait devenir l’État d’Israël après la guerre. La majeure partie de cette population, soit 700 à 750 000 personnes, a été activement expulsée ou a fui au-delà de la frontière - vers la Syrie, le Liban, l’Égypte ou la Transjordanie - ou vers les zones contrôlées par les armées arabes impliquées dans la guerre (la Cisjordanie et la bande de Gaza).

Des personnes participent à la marche commémorant le 75ème  jour de la Nakba, près du kibboutz de Megiddo, sur la zone où se trouvait autrefois le village palestinien de Lajjun.

Ainsi, à la fin de la guerre, une minorité palestinienne de 156 000 personnes restait à l’intérieur des frontières d’Israël. Sur ce nombre, 46 000 étaient des réfugiés internes qui avaient été expulsés ou avaient fui leurs maisons et leurs terres et avaient dû continuer à vivre dans d’autres endroits à l’intérieur d’Israël.

Contrairement à la croyance populaire en Israël, le seul cas documenté où les dirigeants arabes ont appelé la population arabe à fuir est celui de Haïfa. Ils ont quitté la ville lorsqu’elle a été attaquée par les forces paramilitaires de la Haganah, malgré les exhortations de certains dirigeants juifs à rester. Les recherches historiques n’ont trouvé aucune preuve que les dirigeants arabes aient donné un ordre général à la population de fuir leurs maisons. Cette affirmation trouve apparemment son origine dans la propagande israélienne des années 1950 et 1960, qui tentait de présenter le déracinement des Palestiniens comme le résultat d’un choix volontaire.

2. La terre : À quelques exceptions près, les réfugiés palestiniens n’ont jamais été autorisés à retourner dans leurs maisons et sur leurs terres, une politique israélienne déclarée qui a été élaborée dès la guerre. Empêcher le retour des réfugiés palestiniens (appelé “infiltration” dans le jargon israélien) était un projet clé dans les premiers jours de l’État israélien. À cette fin, pendant la guerre et dans les années qui ont suivi, Israël a détruit environ 400 villages palestiniens abandonnés et quartiers palestiniens dans les villes, ou y a installé des immigrants juifs. Au fil du temps, les noms des villages ont été effacés de la carte, marqués comme “ruines” ou rebaptisés en hébreu.

La plupart des terres de ces villages ont été accaparées immédiatement après la guerre de 1948 et sont devenues des terres d’État en vertu de la loi sur la propriété des absents, qui définissait les réfugiés palestiniens internes comme des “présents-absents”. D’autres expropriations ont suivi au cours des décennies suivantes. Les réfugiés palestiniens internes n’ont pas pu retourner dans leurs villages en raison des restrictions de mouvement imposées par l’administration militaire qui a gouverné les Palestiniens en Israël jusqu’à la fin de l’année 1966.

Une femme palestinienne et un enfant dans le camp de l’UNRWA à Khan Younès, dans la bande de Gaza, en 1948

Au total, 85 % des terres appartenant aux Palestiniens dans la région qui est devenue l’État d’Israël avant 1948 ont été expropriées et sont devenues propriété de l’État. En conséquence, les terres agricoles qui constituaient les principales sources de revenus de la minorité palestinienne restée en Israël ont également été saisies par l’État.

3. Culture et politique : Outre l’expulsion de la population palestinienne et la saisie de ses sources de revenus, la Nakba a également éliminé une communauté nationale dynamique dotée d’une culture florissante profondément enracinée dans la terre qui est devenue la Palestine mandataire en 1917.

À quelques exceptions près, les réfugiés palestiniens n’ont jamais été autorisés à retourner dans leurs maisons et sur leurs terres, une politique israélienne déclarée qui avait déjà été élaborée pendant la guerre.

Dans les années 1930 et 1940, Haïfa, Jaffa, Jérusalem, Acre, Gaza et d’autres villes sont devenues des centres florissants d’affaires et de loisirs palestiniens. Ces villes comptaient des cabinets d’avocats et de comptables arabes, des cinémas, des théâtres, des cafés, des restaurants, des hôtels, des bibliothèques, des plages et des clubs sportifs. Elles abritaient également des associations culturelles que les Palestiniens visitaient quotidiennement et où ils renforçaient leurs liens de longue date avec des intellectuels, des artistes et des hommes politiques de tout le Moyen-Orient.

Comme la population sioniste, dès la fin de l’ère ottomane, la population palestinienne se voyait avancer à grands pas vers un futur État souverain et démocratique. La guerre de 1948 a interrompu ce processus. À la fin de la guerre, Nazareth était la seule ville arabe restant en Israël, tandis que les Palestiniens devenaient une petite minorité dans les autres grandes villes.

4. Les causes de la Nakba : Les Palestiniens ont-ils provoqué la catastrophe de 1948 en s’opposant au plan de partage des Nations unies de 1947 ? Cette question a une réponse normative et une réponse pratique.

Des femmes marchent dans le camp de réfugiés de Nahr al-Bared, au Liban, en 1952

D’un point de vue normatif, la question doit être posée honnêtement : si, aujourd’hui, une communauté d’immigrants venait en Israël, revendiquait la propriété historique de la terre et proposait que nous, Israéliens juifs, la partagions, penserions-nous que c’est justifié et serions-nous prêts à faire un “compromis” sur le partage de la terre ? Pour les Palestiniens, le plan de partage revenait à dire : « Vous avez envahi ma maison, et maintenant vous êtes prêts à faire un compromis sur le partage des pièces ».

Une nette majorité de Palestiniens et leurs dirigeants politiques étaient prêts à accepter les immigrants juifs en Palestine en tant que minorité jouissant de droits égaux au sein d’un futur État à majorité arabe. Cependant, même pour la minorité qui était prête à faire un compromis sur la partition de la terre, le plan de partage des Nations unies de 1947 constituait une division injuste du territoire et des ressources.

Cela nous amène à la réponse pratique. Lorsque le plan de partage a été voté, la plupart des terres de l’État juif proposé n’appartenaient pas à des Juifs et abritaient 350 000 Arabes palestiniens. L’État juif devait inclure la ville de Haïfa et son port, principal atout économique du pays, la plaine côtière qui abritait l’essentiel de l’industrie palestinienne des agrumes, les routes traversant le pays dans sa longueur et les terres fertiles des vallées. L’ensemble du Néguev a été désigné pour l’État juif en dépit d’une propriété foncière juive extrêmement limitée, en partant du principe que les Juifs avaient un plus grand potentiel de développement à l’avenir que les droits de propriété ou les droits fonciers existants.

5. Pourquoi les Palestiniens ne mettent-ils pas le passé derrière eux ?

Pour les Palestiniens, la Nakba n’est pas le passé. C’est le présent. Le processus qui a débuté en 1948 n’a, pour l’essentiel, jamais pris fin. Après la guerre, Israël a exproprié les terres palestiniennes et a imposé une administration militaire à ses citoyens palestiniens, qui a duré jusqu’en 1966. Puis, en 1967, Israël a imposé un régime militaire en Cisjordanie occupée et dans la bande de Gaza. Le gouvernement militaire et le projet de colonisation continuent de s’approprier de plus en plus de terres palestiniennes, outrepassant les libertés individuelles, les droits humains et la dignité fondamentale des Palestiniens, détruisant pratiquement la possibilité pour les Palestiniens d’établir un État indépendant à l’avenir.

Un homme peint le drapeau palestinien et des branches sur une toile, dans le cadre de la marche pour commémorer le Jour de la Nakba, avril 2023. Photo : Fadi Amun

La réalité de la vie en tant que réfugiés a condamné des générations de Palestiniens à une vie de souffrance et de pauvreté qui se poursuit des décennies après la guerre. Leur situation n’a fait qu’empirer lors des guerres de 1967 et de 1982, ainsi que lors des guerres périodiques et du siège de Gaza depuis 2007.En effet, Israël n’est pas le seul responsable de la condition des Palestiniens dans les camps de réfugiés ou de ces affrontements militaires. Mais les racines de ces conflits remontent incontestablement à 1948 comme moment formateur, et l’imprègnent chaque fois d’un sens nouveau. C’est pourquoi les Palestiniens ne considèrent pas la Nakba comme un simple événement historique, mais comme une forme d’existence permanente. Elle est réaffirmée à chaque rencontre avec un soldat à un poste de contrôle, à chaque expropriation de terre et restriction de mouvement, ou à chaque guerre contre Gaza. Ainsi, le traumatisme de 1948 continue d’être un pilier de l’identité palestinienne et de la mémoire collective.

Cela signifie-t-il qu’il n’y a pas d’issue à la situation actuelle ? Pas du tout. Tout au long de l’histoire commune des Israéliens et des Palestiniens, il y a eu d’innombrables occasions de remédier à l’injustice de 1948 par une reconnaissance honnête par Israël de la tragédie palestinienne, des droits nationaux des Palestiniens, de l’indemnisation de leurs pertes matérielles, du retour d’une partie des réfugiés sur leurs terres et, enfin, du tracé de frontières durables ou de la décision conjointe d’établir un État binational par le biais d’accords politiques appropriés. Israël a choisi de ne pas le faire, pour des raisons qui lui sont propres, mais il pourrait aussi choisir différemment à l’avenir.

6. La Nakba est l’affaire des Palestiniens - Pourquoi les Israéliens devraient-ils s’en préoccuper ?

Parce que la guerre de 1948 n’était pas une guerre entre deux pays distincts dans laquelle l’un des deux camps a simplement perdu. C’est l’élimination de la population palestinienne qui a permis la formation d’Israël en tant que pays démocratique à nette majorité juive. L’effacement de la culture et de l’histoire palestiniennes a permis à l’État moderne d’Israël d’établir un lien direct entre lui-même et l’ère biblique, tout en ignorant la longue et riche histoire arabe du pays.

En d’autres termes, sans la Nakba, Israël tel que nous le connaissons n’aurait pas pu voir le jour. Il incombe donc aux Israéliens juifs de reconnaître la perte sur laquelle leur pays s’est construit.

Mais le plus important, c’est le présent et l’avenir de tous les habitants de ce pays. Si les Israéliens veulent léguer à leurs enfants une réalité qui ne soit pas un conflit perpétuel fondé sur l’oppression, la violence et l’effacement, ils doivent s’attaquer aux blessures de 1948.

La reconnaissance et la solidarité avec la catastrophe et la douleur palestiniennes ne nient pas l’israélité, la judéité ou le droit des Israéliens à vivre en paix et en sécurité. Cette reconnaissance et cette solidarité constituent une chance réelle de vivre en paix et en sécurité en Israël.