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19/04/2023

JUDY MALTZ
Quatre-vingts ans après, les descendant·es des insurgé·es du Ghetto de Varsovie se battent pour une démocratie en Israël

Judy Maltz, Haaretz, 17/4/2023
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

La rébellion coule dans les veines de nombreux habitants du kibboutz “Combattants du Ghetto”, dans le nord d’Israël, ce qui explique pourquoi ils résistent de toutes leurs forces au coup d’État judiciaire du gouvernement Netanyahou.

De g. à dr. Yael Zuckerman,Yehonatan Stein et Moshe Shner, résidents du kibboutz Lohamei Hageta’ot. Photo : Rami Shllush

Les divisions sont si profondes dans la société israélienne d’aujourd’hui que même les familles sont séparées. Yael Zuckerman se console en se disant que la sienne est probablement une exception.

 « Notre famille élargie organise une réunion annuelle et lorsque nous nous sommes rencontrés il y a quelques semaines, je ne savais pas vraiment à quoi m’attendre », raconte-t-elle. « J’ai été agréablement surprise de découvrir que chacun·e d’entre nous avait participé activement au mouvement de protestation. Nous avons fini par nous asseoir autour de la table et partager des photos de nous-mêmes lors de différentes manifestations », dit-elle, faisant référence aux rassemblements pro-démocratiques de cette année contre les efforts du gouvernement Netanyahou pour éviscérer le système judiciaire.

 

Psychologue clinicienne à la retraite, Mme Zuckerman est la fille de deux chefs légendaires de l’insurrection du ghetto de Varsovie : Yitzhak (“Antek”) Zuckerman et Zivia Lubetkin et Zivia Lubetkin.

 

Cette semaine marque le 80e  anniversaire de l’acte le plus célèbre de la résistance juive contre les nazis pendant l’Holocauste.

Yael Zuckerman dans sa maison du kibboutz Lohamei Hageta’ot, dans le nord d’Israël. « Mes parents étaient des personnes qui assumaient la responsabilité de leurs actes, qui ne pensaient jamais à leurs intérêts personnels et qui se sont sentis coupables jusqu’à leur dernier jour de ne pas avoir pu sauver plus de Juifs ». Photo : Rami Shllush

Le 19 avril 1943, quelques centaines de jeunes combattant·es juif·ves tendent une embuscade aux forces allemandes qui pénètrent dans le ghetto de Varsovie pour rassembler les Juifs qui s’y trouvent encore et les transporter vers le camp de la mort de Treblinka. Les combattants ne disposaient que d’une dérisoire poignée d’armes, de grenades et de cocktails Molotov, mais ces individus désespérés, estimant qu’ils n’avaient plus rien à perdre, ont réussi à tenir tête aux nazis pendant près d’un mois.

“Antek” Zuckerman était le second de Mordechai Anielewicz, le chef du principal groupe de résistance juive. Il était alors basé du côté “aryen” de Varsovie, où il aidait à procurer des armes à ses camarades de l’Organisation juive de combat (Żydowska  Organizacja  Bojowa) derrière les murs du ghetto. Lubetkin, sa compagne de l’époque, était la seule femme à faire partie du haut commandement de l’organisation de gauche ZOB.

Des balayeurs nettoient le piédestal du monument aux héros du ghetto, qui commémore le soulèvement du ghetto de Varsovie d’avril 1943, dans la capitale polonaise au début du mois. Photo : WOJTEK RADWANSKI - AFP

 Yael a la particularité d’être le premier enfant né au kibboutz Lohamei Hageta’ot (le kibboutz des combattants du ghetto), fondé en 1949 par un groupe de 180 survivants de l’Holocauste. Nombre d’entre eux, comme ses parents, avaient été actifs dans la résistance juive aux nazis.

 

Les manifestations de masse en Israël en sont à leur quatrième mois, les manifestations hebdomadaires du samedi soir attirant des centaines de milliers de personnes dans tout le pays. Un chant que l’on entend régulièrement lors de ces rassemblements prend la forme d’un ultimatum adressé au gouvernement : « Démocratie ou soulèvement ! »

 

Pour Yael Zuckerman et d’autres membres de la deuxième et de la troisième génération de ce kibboutz, ce cri de guerre a une résonance très personnelle.

 

Mme Zuckerman, qui vit toujours au kibboutz (tout comme son frère aîné Shimon), affirme qu’elle ne manque aucune manifestation.

 

« J’ai manifesté à Haïfa, à Jérusalem, à Tel-Aviv - partout où j’ai pu », a-t-elle déclaré lors d’une récente interview dans sa maison remplie de plantes et entourée d’un jardin luxuriant. « Je le fais par peur. Je n’ai jamais ressenti auparavant l’effroi que je ressens aujourd’hui. C’est quelque chose de tangible et de terrifiant. Contrairement à mes parents, je n’ai pas été dotée de compétences en matière de leadership ou d’un charisme particulier, et je ne suis donc pas le genre de personne capable de rallier les masses. Mais je fais ce que je peux, et cela signifie souvent se tenir dans la rue en brandisant un drapeau ».

 

Cette femme à la voix douce considère qu’il est présomptueux de parler au nom de ses parents décédés. Cependant, si ces derniers étaient encore en vie aujourd’hui, elle pense qu’ils seraient « en train de résister de toutes leurs forces, et probablement, les connaissant, en train de jouer un rôle dirigeant dans ce combat ».

 

Obligation morale

Situé entre les villes côtières d’Acre et de Nahariya, Lohamei Hageta’ot compte quelque 800 habitants. Il abrite également la Maison des combattants du ghetto, créée en 1949 et premier musée de l’Holocauste au monde.

 

Début février, près de 200 de ses habitants ont signé une déclaration publique contre le coup d’État judiciaire - une annonce d’une demi-page, l’une des premières du genre, publiée dans le journal à grand tirage Yedioth Ahronoth. Comme de nombreux Israéliens, ils étaient convaincus que ce coup d’État pourrait sonner le glas de la démocratie dans leur pays.

 

Citant leur héritage unique, les kibboutzniks ont clairement indiqué dans leur déclaration que l’esprit combatif de leurs parents et grands-parents coulait encore fortement dans leurs veines.

 

« Nous sommes engagés dans la ‘rébellion’ contre toute forme de mal, d’injustice sociale et d’oppression d’autres peuples », ont-ils averti. « Nous résisterons à toute tentative de porter atteinte à notre système juridique et aux valeurs d’égalité, d’État de droit et d’indépendance du pouvoir judiciair »e.

 

Parmi les signataires figure Yehonatan Stein, un professeur d’histoire dont la grand-mère, Dorka Sternberg, faisait partie des membres fondateurs de Lohamei Hageta’ot. « En tant que descendants, j’estime que nous avons une obligation morale particulière de nous élever contre ce que fait ce gouvernement », déclare ce père de deux enfants, âgé de 42 ans.

 

« Après tout, nous savons mieux que quiconque que la démocratie ne se résume pas à la règle de la majorité, et nous savons mieux que quiconque ce qui peut arriver lorsqu’il n’y a pas de freins et de contrepoids et que trop de pouvoir est concentré entre les mains du régime ».

 

« L’Holocauste n’est d’ailleurs pas le seul exemple », ajoute-t-il.

Yehonatan Stein. « En tant que descendants, je pense que nous avons une obligation morale particulière de nous élever contre ce que fait ce gouvernement ». Photo : Rami Shllush

 Moshe (“Moishele”) Shner, professeur d’histoire et d’éducation à la retraite à l’Oranim Academic College, dont les parents faisaient partie des fondateurs de Lohamei Hageta’ot, a été l’une des forces motrices de la déclaration. Sa mère, Sarah Shner, était une combattante partisane en Biélorussie pendant la guerre et s’est ensuite employée à faire sortir clandestinement des Juifs de l’Union soviétique vers la Pologne et, de là, vers la Palestine mandataire. Éducatrice et auteure prolifique, elle a beaucoup écrit sur la résistance juive pendant l’Holocauste.

 

Le père de Moshe, Zvi Shner, a dirigé pendant de nombreuses années la Maison des combattants du ghetto et a édité de nombreux volumes de témoignages de survivants.

 

« Mes parents étaient les grands prêtres de la mémoire ici », déclare fièrement Shner, 68 ans, en prenant son petit-déjeuner dans sa maison du kibboutz. Il se souvient que sa mère avait été recrutée par Yitzhak Zuckerman après la guerre pour l’aider à localiser les archives secrètes du ghetto de Varsovie (connues sous le nom de projet “Oyneg Shabbes” ou “Oneg Shabbat”) enfouies sous les ruines.

 

En hommage aux fondateurs du kibboutz, M. Shner a récemment organisé, au cimetière de Lohamei Hageta’ot, une manifestation de “chaises vides” contre le gouvernement. Les chaises, explique-t-il, symbolisent les fondateurs décédés qui, après avoir émergé de la période la plus sombre de l’histoire juive, étaient déterminés à construire un lieu où les valeurs de démocratie, de liberté, d’égalitarisme et de libéralisme pourraient s’épanouir.

 

« Ils auraient été très désespérés s’ils étaient encore en vie aujourd’hui, en voyant ce qui se passe dans ce pays », déclare M. Shner. « Mais ce qu’ils nous ont appris, c’est qu’il faut s’élever contre l’injustice partout où elle existe et se battre pour nos valeurs. Pour nous, rejoindre le mouvement de protestation est un impératif moral ».

 

Peu de temps après le début des premières manifestations à Tel Aviv en janvier dernier, M. Shner s’est rendu sur la route à l’extérieur de son kibboutz, un drapeau israélien à la main. Il était le seul manifestant dans la rue ce soir-là. Depuis lors, les manifestations devant Lohamei Hageta’ot se sont multipliées chaque semaine, attirant à la fois les habitants du kibboutz et ceux des villes et communautés voisines. Au dernier décompte, dit Shner, plusieurs centaines de manifestants étaient présents.

 

Sa nature rebelle, dit Shner en souriant, a été héritée de sa mère décédée. « Elle a été partisane toute sa vie, même après avoir quitté les forêts », explique-t-il. « Elle ne recevait d’ordre de personne et faisait ce qu’il fallait faire, pas nécessairement ce qui était autorisé. Elle m’a toujours appris à ne pas baisser les yeux devant l’autorité et à agir de manière à ce que je sois fier de me regarder dans la glace chaque matin. C’est peut-être ce qui explique pourquoi je me suis tellement impliqué dans ces manifestations ».

 

Moshe Shner. « Ce que nous avons appris des fondateurs des kibboutz, c’est qu’il faut s’élever contre l’injustice partout où elle existe et se battre pour nos valeurs ». Photo : Rami Shllush

Cette fois, c’est différent

 

Le sentiment de désespoir de Yael Zuckerman face à la direction prise par Israël n’est pas nouveau. Il a commencé bien avant que le dernier gouvernement - le plus religieux et le plus à droite de l’histoire du pays - ne prenne le pouvoir à la fin de l’année dernière.

 

« ça fait des années que mon estomac se retourne face à ce que je vois autour de moi : l’occupation, la discrimination à l’encontre de la minorité arabe et le discours haineux à l’encontre de personnes comme moi, qualifiées de “traîtres gauchistes” », explique-t-elle. « Mais jusqu’à présent, je n’ai jamais ressenti le besoin de me révolter. J’acceptais ce que faisait le gouvernement, même des choses que je trouvais horribles, parce que c’était le gouvernement qui avait été élu par le peuple. Mais cette fois, c’est différent.

 

Ces derniers temps, Mme Zuckerman a beaucoup pensé à ses parents et à leur style de leadership, si différent, note-t-elle, de celui des dirigeants actuels du pays.

Le père de Yael Zuckerman, Yitzhak, s’adressant à la première assemblée du kibboutz Lohamei Hageta’ot en 1949. Photo : Rudolf Younes/Archives de la Maison des combattants du ghetto

 « Mes parents étaient des personnes qui assumaient la responsabilité de leurs actes, qui ne pensaient jamais à leurs intérêts personnels et qui se sont sentis coupables jusqu’à la fin de leur vie de ne pas avoir pu sauver plus de Juifs », dit-elle. « Le soulèvement du ghetto de Varsovie a été le premier acte de ce type contre les nazis dans toute l’Europe, mais ils se sont souvent torturés à l’idée que s’ils avaient agi plus tôt, davantage de vies auraient peut-être pu être sauvées ».

 

Son père, raconte-t-elle, s’est vu un jour demander quelles leçons militaires pouvaient être tirées du soulèvement d’avril 1943. Sa réponse célèbre a été que ce n’était pas un sujet pour les écoles militaires, mais plutôt pour les écoles qui étudient l’esprit humain.

 

Il y a quelques années, raconte Mme Zuckerman, elle a demandé et obtenu un passeport polonais. « Je n’entrerai pas dans les détails, mais je plaisantais souvent en me disant que si Israël devenait une dictature sous la direction de Netanyahou, j’aurais un endroit où aller », explique-t-elle.

 

« Et maintenant, nous nous retrouvons dans une situation où une dictature est suspendue au-dessus de nos têtes comme une épée. Je sais que mes parents, s’ils étaient encore en vie aujourd’hui, n’auraient jamais abandonné et ne seraient jamais partis. Et vous savez quoi ? Les manifestations m’ont fait comprendre qu’il n’était pas question pour moi de quitter cet endroit non plus. Les gens qui manifestent aujourd’hui dans les rues - leur esprit humain me donne de l’espoir ». [Puisse leur esprit humain s’étendre un jour à TOUS les humains peuplant ce territoire,NdT]

 

Des visiteurs regardent une exposition au musée de la Maison des combattants du ghetto au kibboutz Lohamei Hageta’ot. Photo de la maison des combattants du Ghetto : Rami Shllush

 

Lire aussi  Marek Edelman, le Dernier des Mohicans – La preuve qu’on peut être ‘juif polonais’ sans être sioniste

 

01/04/2023

AMIRA HASS
Les masses israéliennes protesteront-elles contre une injustice qu’elles ont causée ?

Amira Hass, Haaretz, 31/3/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Le/la Cynique : Les Israéliens manifestent donc parce qu’ils craignent d’être arrêtés à l’étranger pour avoir commis des crimes de guerre et interrogé des Palestiniens sous la torture ?

Le/la Fan : C’est quoi ton problème ? Les agents du Shin Bet, les architectes qui ont conçu les colonies d’Ariel et de Ma’aleh Adumim, les avocats et les juges qui ont approuvé la coupure de la bande de Gaza du monde et la destruction des villages de Masafer  Yatta - ne sont qu’une minorité parmi les dizaines de milliers d’opposants à ce détestable coup d’État contre notre système de gouvernement.

Des manifestants contre la refonte du système judiciaire se rassemblent devant le Parlement israélien à Jérusalem, lundi. Photo : AHMAD GHARABLI - AFP

C : Mais ils sont du même milieu que les manifestants. Ils renoncent aux salauds de la Police des frontières et de La Familia, mais en même temps ils veulent assurer l’avenir de leurs enfants comme tortionnaires du Shin Bet, développeurs de logiciels espions, bombardeurs de Gaza, avocats qui approuvent les déportations et ainsi de suite, sans risquer d’être arrêtés lorsqu’ils débarqueront à La Haye ou à Madrid.

Des manifestants comparent Israël à une république bananière lors d’une manifestation à Jérusalem lundi. Photo : Emil Salman

F : C’est une image démagogique de la société israélienne. Tout d’abord, les juifs mizrahi manifestent également. Deuxièmement, la majorité d’entre eux sont des gens qui travaillent dur, des salariés comme toi et moi, sans pensions financées par l’État, avec des hypothèques et des dettes et de la colère face à la détérioration des systèmes d’éducation et de santé. Regarde comment ils ont réussi à saper l’arrogance capitaliste du Kohelet Forum.

30/03/2023

SERGIO RODRIGUEZ GELFENSTEIN
Pour le régime sioniste, c’est le début de la fin : en voici quelques indices

 Sergio Rodríguez Gelfenstein, 29/3/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Original He aquí evidencias claras del principio del fin del régimen sionista
English Behold, clear evidence of the beginning of the end of the Zionist regime

À Julio García Jarpa, camarade et  ami cher
qui nous a quittés avant l’heure
Un homme noble et bon, loyal comme peu d’autres.
Il y a quelques jours, après avoir lu mon article précédent,
 avec son humour traditionnel, il m’a écrit pour me dire
“Ecrivez poète, vous avez de l’avenir”.
Qu’il en soit ainsi, cher frère, et je promets de continuer à le faire.
Jusqu’à la victoire. Toujours !

La décision de Benjamin Netanyahou de reporter sa proposition de refonte judiciaire semble clore une période de grands bouleversements dans l’État sioniste, mais les événements de ces dernières semaines pourraient faire penser le contraire.

Il convient toutefois de préciser qu’il ne s’agit pas de “souffler les bougies” de la fin du sionisme à court terme, mais de montrer la pourriture politique, morale et éthique du régime et la fin du mythe de l’homogénéité et de la solidité du système de domination sioniste.

 À cette occasion, nous ne porterons pas de jugement de valeur, nous nous contenterons de rappeler les événements des six derniers mois. Laissons-les parler d’eux-mêmes, afin que chacun puisse tirer ses propres conclusions. Nous commencerons en septembre de l’année dernière, lorsque, à mon avis, l’escalade des conflits internes a commencé, pour aboutir à une situation qui met clairement en évidence la fragilité de l’État sioniste :

9 septembre. Le général de division Uri Gordin, nouveau commandant du commandement nord de l’armée israélienne, a averti que le Hezbollah tirerait quelque 4 000 missiles sur les territoires occupés au cours des premiers jours d’une éventuelle guerre à venir et que les dirigeants israéliens seraient les premiers visés.

4 octobre. Dans une interview accordée aux médias, l’ancien chef de la Direction du renseignement militaire de l’armée israélienne (AMAN), le général-major Amos Yadlin, a donné son avis sur l’accord maritime avec le Liban qui était en cours de discussion à l’époque. Yadlin a déclaré : « Les critères de l’accord n’ont pas été publiés, ni en Israël ni au Liban, et l’hypothèse selon laquelle il pourrait être proche de la fin est que le secrétaire général du Hezbollah, Sayyed Hassan Nasrallah, a obtenu tout ce qu’il voulait, et qu’il est donc satisfait... »

4 octobre. Les médias israéliens, quant à eux, ont déclaré que Hassan Nasrallah « a réussi la bataille des consciences dans les négociations sur la délimitation des frontières maritimes ». Ils ajoutent que le Liban est uni sur l’accord maritime alors que « Tel-Aviv est divisé ».

8 octobre. La chaîne israélienne Kan estime que « ni le commandant, ni les services de renseignement israéliens ou occidentaux ne peuvent entrer dans la tête de Nasrallah et parvenir à analyser ce qu’il planifie ».

26/03/2023

GIDEON LEVY
À qui appartient vraiment Israël ?

Gideon Levy, Haaretz, 26/3/2023
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Samedi à l’aube, un groupe d’ouvriers érythréens posait du gazon le long d’un chemin à Ramat Aviv vers le parc Yarkon (au nord de Tel Aviv) entre le centre Yitzhak Rabin, le siège de l’unité du porte-parole de Tsahal et le siège d’une grande agence militaire. À la fin de la journée, tout était vert. Pendant ce temps, d’autres demandeurs d’asile originaires d’Afrique, vêtus de sweats à capuche et armés de pinces à déchets, débarrassaient le parc de ses détritus, pour le plus grand plaisir de ses visiteurs. Ce sont eux qui portent le fardeau du nettoyage et de l’embellissement d’Israël.

Une peinture murale réalisée en 2017 par un artiste érythréen demandeur dasile, Afwerki Teame, représentant un nettoyeur de rue africain derrière une voiture portant la plaque dimmatriculation de la date de la loi sur les dépôts de 2017 qui prélève 20 % de la rémunération de tous les demandeurs dasile et auxquels ils ne peuvent accéder quaprès avoir quitté Israël.

Tôt le matin, au quatrième jour du ramadan, des dizaines de milliers de travailleurs palestiniens en plein jeûne étaient déjà sur les échafaudages des gratte-ciels et sur les routes et les ponts qu’ils construisent. Ils ont quitté leur domicile au milieu de la nuit, ont enduré le passage long, difficile et humiliant des points de contrôle, ont accompagné leurs patrons exploiteurs sur leurs chantiers, où ils ont risqué leur vie en travaillant dans des conditions dangereuses, et sont rentrés chez eux le soir, épuisés, affamés et n’ayant droit à aucun respect. Ils sont les bâtisseurs de ce pays, ils en portent le fardeau, peut-être même plus que tous ceux qui sont reconnus comme tels. Personne ne pense à les remercier pour quoi que ce soit.

Des ouvriers du bâtiment organisent une cérémonie à la mémoire d’un collègue tué sur le chantier à Jérusalem, au début du mois. Photo : Olivier Fitoussi

Lorsque l’ancien chef du Shin Bet, Nadav Argaman, a déclaré à la journaliste Ilana Dayan que l’État « appartient à tous ceux qui en assument la charge* », il ne parlait pas d’eux. Ni des éboueurs érythréens, ni des bâtisseurs palestiniens. Ses remarques s’adressaient principalement aux Haredim, comme d’habitude ici, les derniers à ne pas partager le fardeau.

Quand les Israéliens disent “porteurs du fardeau”, ils parlent d’agents du Shin Bet comme Argaman, le nouveau John Locke de la contestation démocratique :ils parlent de généraux, de soldats, mais seulement des unités de combat et de préférence des unités d’élite, qui sont indemnisés à l’extrême. S’y ajoutent depuis peu des gens de la haute technologie, riches à l’extrême. Tous ceux qui n’appartiennent pas à l’une de ces catégories ne supportent pas le fardeau et, selon la théorie d’Argaman, l’État ne leur appartient pas.

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L’État n’appartient pas à ses citoyens malades et handicapés qui, en raison de leur handicap, n’assument aucune charge et sont eux-mêmes une charge pour lui. Il n’appartient pas aux centaines de milliers de travailleurs anonymes qui peinent dans des conditions pénibles dans l’industrie et les services, et auxquels personne ne fait référence lorsqu’il parle de ceux qui supportent le fardeau. Il n’appartient pas non plus aux dizaines de milliers de chômeurs qui ont été licenciés ou laissés sur le bord du chemin, ni aux faibles qui ont été abandonnés pour diverses raisons. Il n’appartient pas aux infirmières et aux médecins, aux aides-soignants et aux techniciens médicaux du système de santé, tous aussi dévoués que les soldats de la Brigade Kfir. Personne ne parle d’eux lorsqu’il s’agit d’assumer le fardeau. Personne ne parle non plus des chauffeurs de camions et de bus, des nettoyeurs de rues et de centres commerciaux, d’une grande armée de soldats inconnus qui rendent le pays possible, sans mériter ni gloire ni gratitude.

L’État n’appartient pas non plus à ses citoyens arabes : personne ne songe à les appeler porteurs du fardeau, même lorsqu’ils risquent leur vie sur des grues de construction ou dans les cabines de camions de marchandises sur les routes et qu’ils meurent en accomplissant des tâches subalternes pour la gloire de leur pays. D’après Argaman - Argaman, qui a gagné ici une admiration réservée à quelques rares personnes, une étoile brillante au firmament de la protestation - dans ce pays, les droits dépendent du respect des obligations, comme les fascistes aiment toujours le dire, et bien sûr, ce sont les Argaman qui définissent les obligations.

Comment se fait-il que, même dans le camp libéral, tant de gens soient convaincus que l’État n’appartient qu’aux privilégiés et aux puissants, à ceux qui sont capables de remplir ses devoirs sacrés, de préférence en servant dans une unité militaire d’élite, et non aux faibles, aux exploités, aux handicapés, aux pauvres, ni aux Arabes et aux Haredim. Au fur et à mesure que la protestation en faveur de la démocratie prend de l’ampleur, l’esprit de Sparte éclate, même chez ceux qui se prétendent Athéniens. Il faut le dire aux Argaman : l’État, comme tout État, appartient à tous ses citoyens, y compris les faibles, les pauvres, les handicapés, les Haredim, les Arabes et même les parasites. Aucun agent du Shin Bet ne décidera à qui ce pays appartient ou n’appartient pas, et ce n’est pas le respect des obligations qu’il spécifie qui définira les droits des citoyens. Une fois que cela sera clair, nous pourrons commencer à parler de démocratie.

Comment se fait-il que, même dans le camp libéral, tant de personnes soient convaincues que l’État n’appartient qu’aux privilégiés et aux puissants, de préférence ceux qui font partie des unités d’élite chargées de la sécurité ?

NdT
*Allusion à un épisode biblique : durant la traversée du désert après la sortie d’Égypte, les Hébreux se plaignent de l’avoir à manger que de la manne. « 
Nous nous souvenons des poissons que nous mangions en Égypte, et qui ne nous coûtaient rien, des concombres, des melons, des poireaux, des oignons et des aulx. Maintenant, notre âme est desséchée : plus rien ! Nos yeux ne voient que de la manne. » Moïse, attristé, dit à l’Éternel : « Pourquoi affliges-tu ton serviteur, et pourquoi n’ai-je pas trouvé grâce à tes yeux, que tu aies mis sur moi la charge de tout ce peuple ? Est-ce moi qui ai conçu ce peuple? est-ce moi qui l’ai enfanté, pour que tu me dises: Porte-le sur ton sein, comme le nourricier porte un enfant, jusqu’au pays que tu as juré à ses pères de lui donner? Où prendrai-je de la viande pour donner à tout ce peuple ? Car ils pleurent auprès de moi, en disant : Donne-nous de la viande à manger! Je ne puis pas, à moi seul, porter tout ce peuple, car il est trop pesant pour moi.  Plutôt que de me traiter ainsi, tue-moi, je te prie, si j’ai trouvé grâce à tes yeux, et que je ne voie pas mon malheur. » Réponse du patron : «  L’Éternel dit à Moïse: Assemble auprès de moi soixante-dix hommes des anciens d’Israël, de ceux que tu connais comme anciens du peuple et ayant autorité sur lui; amène-les à la tente d’assignation, et qu’ils s’y présentent avec toi.  Je descendrai, et là je te parlerai ; je prendrai de l’esprit qui est sur toi, et je le mettrai sur eux, afin qu’ils portent avec toi la charge du peuple, et que tu ne la portes pas à toi seul. » [Nombres, 11] Le sieur Argaman se voit sans doute comme l'un des 70 élus...