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18/10/2023

AMIRA HASS
Deutschland, du hast deine Verantwortung schon längst abgetreten

Amira Hass, Haaretz, 16.10.2023
Übersetzt von Fausto Giudice
, Tlaxcala

Bundeskanzler Olaf Scholz sagte am vergangenen Donnerstag, dass „das Leid und die Not der Zivilbevölkerung im Gazastreifen nur noch zunehmen werden. Dafür ist auch die Hamas verantwortlich.“ Aber gibt es eine Grenze für diese Zunahme des Leids, wenn man bedenkt, dass Sie und Ihre Kollegen im Westen Israel uneingeschränkt unterstützen?

 Das Brandenburger Tor wurde am 7. Oktober in den Farben der israelischen Flagge beleuchtet. Foto: Fabian Sommer /AP

Werden Sie es hinnehmen, dass 2.000 palästinensische Kinder getötet werden? Sind 80.000 ältere Menschen, die an Dehydrierung sterben könnten, weil es in Gaza kein Wasser gibt, in Ihren Augen eine legitime Zunahme des Leidens?

Sie sagten auch: „Unsere eigene Geschichte, unsere aus dem Holocaust erwachsende Verantwortung macht es uns zur immerwährenden Aufgabe, für die Existenz und für die Sicherheit des Staates Israel einzustehen. Diese Verantwortung leitet uns.“ Aber Scholz, es gibt einen Widerspruch zwischen diesem Satz und dem oben zitierten.

„Leid ... wird nur zunehmen“ ist ein Blankoscheck für ein verwundetes, verletztes Israel, um hemmungslos zu pulverisieren und zu zerstören und zu töten, und riskiert, uns alle in einen regionalen Krieg, wenn nicht sogar in einen dritten Weltkrieg zu verwickeln, der auch Israels Sicherheit und Existenz gefährden würde. Aber „Verantwortung aus dem Holocaust“ bedeutet, alles zu tun, um einen Krieg zu verhindern, der zu Katastrophen führt, die wiederum zu Kriegen führen, die das Leid in einem endlosen Kreislauf vergrößern.

Ich habe dies von meinem Vater gelernt, einem Überlebenden der deutschen Viehwaggons. Schon 1992 sagte er mir jedes Mal, wenn ich aus dem Gazastreifen mit Berichten über die Unterdrückung der Bewohner durch Israel zurückkam: „Es ist zwar kein Völkermord, wie wir ihn erlebt haben, aber für uns war er nach fünf oder sechs Jahren vorbei. Für die Palästinenser geht das Leiden weiter und weiter, seit Jahrzehnten. Es ist eine andauernde Nakba“.

Ihr Deutschen habt eure Verantwortung, die „aus dem Holocaust“ - also aus der Ermordung u.a. der Familien meiner Eltern und dem Leid der Überlebenden - erwächst, längst abgetreten. Sie haben sie verraten durch Ihre vorbehaltlose Unterstützung eines Israels, das besetzt, kolonisiert, den Menschen das Wasser wegnimmt, Land stiehlt, zwei Millionen Menschen im Gazastreifen in einem überfüllten Käfig gefangen hält, Häuser abreißt, ganze Gemeinden aus ihren Häusern vertreibt und die Gewalt der Siedler fördert.

Und all dies geschah unter der Schirmherrschaft eines so genannten Friedensabkommens, das Sie und andere westliche Staats- und Regierungschefs befürwortet haben. Sie haben zugelassen, dass Israel diesem Abkommen in seiner europäischen Auslegung zuwiderhandelt - als Weg zur Errichtung eines palästinensischen Staates in den 1967 von Israel besetzten Gebieten, den viele Palästinenser gerade deshalb unterstützten, weil sie weiteres Leid und Blutvergießen verhindern wollten.

Es gibt keinen Mangel an Diplomaten und Mitarbeitern von Entwicklungsorganisationen, die darüber berichtet haben, wie Hunderttausende junger Palästinenser unter Israels arroganter Unterdrückung und dem Töten von Zivilisten - manchmal tropfenweise, manchmal wellenweise - jede Hoffnung und jeden Sinn für ihr Leben verloren haben. Palästinensische Menschenrechtsaktivisten haben immer wieder davor gewarnt, dass Israels Politik nur zu einer Eruption unvorstellbaren Ausmaßes führen kann. Auch israelische und jüdische Anti-Besatzungs-Aktivisten haben Sie gewarnt.

Aber Sie sind auf Ihrem Weg geblieben und haben Israel die Botschaft übermittelt, dass alles in Ordnung sei - dass niemand es bestrafen oder den Israelis durch energische diplomatische und politische Schritte beibringen wird, dass es neben der Besatzung keine Normalität geben kann. Und dann beschuldigen Sie Israels Kritiker des Antisemitismus.

Nein, diese Kolumne ist keine Rechtfertigung für die Mordorgie und den Sadismus, den die bewaffneten Männer der Hamas verübt haben. Sie ist auch keine Rechtfertigung für die schadenfrohe Reaktion einiger Palästinenser und die Weigerung anderer, die in ihrem Namen begangenen Gräueltaten anzusprechen.

Vielmehr ist es ein Aufruf an Sie, die gegenwärtige Kampagne von Tod und Zerstörung zu stoppen, bevor sie eine weitere Katastrophe über Millionen von Israelis, Palästinensern, Libanesen und vielleicht sogar Bewohnern anderer Länder in der Region bringt.

14/10/2023

AMIRA HASS
Les colons israéliens ne font aucune pause dans les expulsions et spoliations en Cisjordanie


Amira Hass, Haaretz, 12/10/2023
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Alors qu’Israël et le monde entier se concentrent sur les atrocités commises samedi 7 octobre, les colons et leurs partisans s’emploient à réaliser leur rêve d’annexion de facto de la Cisjordanie.

Un soldat israélien monte la garde à un poste de contrôle à l’entrée nord de la ville palestinienne d’Hébron, dimanche. Photo : Hazem Bader / AFP

Les forces de sécurité israéliennes ont négligé la défense des communautés proches de la bande de Gaza parce qu’elles étaient préoccupées par la défense des colons de Cisjordanie, leurs saisies de terres, leurs rites d’adoration de pierres et d’autels.

C’est l’une des conclusions inéluctables à tirer des atrocités commises samedi. Ce n’est pas une surprise, mais cette négligence est intrinsèquement liée à l’un des principaux objectifs de la réforme judiciaire et de ses partisans sionistes religieux : accélérer l’annexion de facto de la majeure partie de la Cisjordanie et accroître la population de colons juifs. Cet objectif n’est pas seulement toujours d’actualité, il sera désormais encore plus facile à réaliser.

Les médias israéliens et internationaux ignorent la Cisjordanie alors que les témoignages déchirants des survivants des attaques de samedi font peu à peu surface et que l’armée israélienne mène des bombardements meurtriers de représailles sur Gaza et la prive d’eau, d’électricité et de nourriture.

Ce manque d’attention a permis aux colons et à leurs organes d’exécution, officiels (l’armée et la police) et semi-officiels (les agents de sécurité des colonies et les volontaires de droite agissant en tant que supplétifs), d’intensifier leurs attaques contre les éleveurs et les agriculteurs palestiniens avec un objectif clair : expulser davantage de communautés de leurs terres et de leurs maisons.

La volatilité de la situation a été démontrée mercredi, lorsque trois habitants - dont deux adolescents - du village de Qusra, au sud-est de Naplouse, ont été tués par des tirs à balles réelles et huit autres blessés. Les habitants du village affirment que les tireurs étaient des colons masqués qui sont entrés dans le village à bord de trois véhicules tout-terrain. Plus tard, lorsque des affrontements ont éclaté à la suite des funérailles, un autre adolescent a été tué à Qusra, soit par l’armée soit par d’autres personnes, ce n’est pas encore clair.

Un groupe WhatsApp palestinien documentant en temps réel les attaques des colons, en particulier dans la zone située au nord de Ramallah, a partagé des rapports minute par minute sur les événements de Qusra. Ces informations ont fait leur chemin jusqu’aux journaux télévisés en Israël. Mais d’autres incidents, qui ne font pas de victimes, n’en ont pas fait. Mercredi encore, par exemple, il a été signalé que des colons avaient tiré sur des agriculteurs travaillant sur leurs terres dans le village de Marda, au sud-ouest de Naplouse.

À 1 heure du matin, entre dimanche et lundi, un message partagé dans le groupe WhatsApp avertissait : « Un groupe de colons est en train de niveler un terrain sur la route reliant les villages de Qusra et de Jalu », dans une zone où se trouvent des colonies comme Shiloh et Eli et les avant-postes d’Esh Kodesh et d’Adei Ad.

Des personnes portent le corps d’un Palestinien tué lors de frappes israéliennes dans le camp de réfugiés de Jabalia, dans le nord de la bande de Gaza, lundi. Photo : Mahmoud Issa / Reuters

« Nous ne savons pas quelle est la nature des travaux car il n’y a pas d’électricité », indique le message, « mais il se pourrait qu’ils aient l’intention de détruire l’un des bâtiments agricoles de la zone ». On a appris par la suite que les Israéliens avaient détruit une maison vide qui semblait appartenir à un citoyen palestinien d’Israël.

À 3 heures du matin, il a été signalé que des colons pénétraient dans le village de Qaryout, à l’ouest de Jalud, et affrontaient les jeunes Palestiniens qui s’approchaient d’eux, avant que l’armée ne pénètre dans la zone et ne tire sur les maisons.

Quelques minutes avant 13 heures, un groupe de colons armés s’introduisant dans la ville de Qarawat Bani Hassan dans le gouvernorat de Salfit, au sud-ouest de Naplouse, a été signalé. Des coups de feu ont été entendus dans les vidéos jointes à l’alerte. Un habitant a déclaré : « Des colons et trois soldats ont tenté d’expulser des familles qui récoltaient des olives. Une confrontation a éclaté et [les soldats] ont tiré à balles réelles sur les jeunes et sont partis ».

À 14h30, un rapport a été publié sur un avocat palestinien qui avait quitté Salfit en voiture et avait été abattu par un garde de sécurité ou un autre civil israélien dans la colonie d’Ariel. La raison invoquée était qu’il était soupçonné d’avoir l’intention de commettre un attentat à la voiture-bélier.

A 14h35, un avertissement a été reçu concernant des colons tirant sur des voitures palestiniennes près de Ni’lin. À 15h30, un rapport fait état d’une attaque de colons contre la ville d’Einabus, située à l’ouest de Huwara et bordée par la colonie d’Yitzhar et ses avant-postes satellites.

« Les colons essaient d’entrer dans l’une des maisons », dit la voix dans la vidéo jointe, et avertit les habitants de ne pas s’approcher de la fenêtre. Deux résidents ont été blessés par les tirs, a-t-on appris par la suite.

À 18 heures, un rapport a indiqué que des colons et des soldats demandaient à une famille du village de Turmus Ayya de quitter sa maison près de Shiloh. L’un des membres de la famille a déclaré au groupe WhatsApp qu’il refusait de quitter la maison et que l’armée avait de toute façon déjà bloqué la route qui y mène la veille. L’agence de presse WAFA a également rapporté que des colons avaient jeté des pierres sur des voitures palestiniennes au nord de Jéricho lundi.

La capacité des Palestiniens à aider les communautés menacées est plus limitée que jamais. Depuis samedi, les FDI ont bloqué un grand nombre d’entrées et de sorties des villes et villages palestiniens en plaçant des blocs de béton et des monticules de terre et en verrouillant les barrières de fer déjà en place. Un journaliste palestinien a observé que les troupes israéliennes n’occupaient pas de positions à proximité de ces nouveaux barrages routiers.

Les villes et les villages sont coupés les uns des autres, le bouclage étant particulièrement strict autour de ceux qui sont proches de Jérusalem. Un responsable d’une agence d’aide internationale a déclaré à Haaretz qu’il était impossible de voyager entre le nord et le sud de la Cisjordanie. La route entre Bethléem et Hébron est pratiquement inaccessible aux Palestiniens.

Les Palestiniens qui se trouvaient en Israël samedi ou dimanche ont été autorisés à rentrer chez eux en passant par les principaux points de contrôle. Des centaines de Gazaouis, voire plus, qui travaillaient en Israël ont été contraints d’abandonner leur lieu de travail.

 
Le village palestinien de Qaryout. Photo : Alex Levac

Ils n’ont pas pu retourner dans la bande de Gaza bombardée et, tout en recevant des nouvelles de plus en plus inquiétantes sur les épreuves subies par leurs familles, ils ont été conduits dans les environs des villes palestiniennes, notamment à Jénine et à Ramallah, où les autorités les accueillent dans des bâtiments publics et les résidents dans leurs maisons.

Les routes principales sont presque totalement dépourvues de voitures appartenant à des Palestiniens. Même ceux qui peuvent trouver un moyen de sortir des villes ne se risquent pas à prendre la route.

L’un des principaux objectifs des colons est de faire disparaître les véhicules palestiniens des routes principales de Cisjordanie. Ils mettent parfois en œuvre cette mission en bloquant les voies d’accès aux villes.

En ce moment de tension, le verrouillage des villes palestiniennes et l’absence de circulation des Palestiniens sur les routes principales facilitent le contrôle de la région par les militaires. Et par ricochet, ils concrétisent l’ouverture et le projet des dirigeants religieux sionistes de faire disparaître les Palestiniens.

Les habitants disent que chaque petit rassemblement de quelques jeunes manifestants près des postes de contrôle attire des tirs plus nourris que par le passé. Des colons armés ont été vus en train de s’entraîner au tir lundi dans la région de Tulkarem, près d’un point de contrôle dont les soldats sont désormais absents.

Une vidéo mise en ligne par les colons décrivant les armes et les munitions qui leur sont attribuées n’a fait qu’accroître les craintes des Palestiniens d’être encore plus abandonnés aux plans à peine dissimulés des civils israéliens qui contrôlent leur vie.

 

 

16/09/2023

AMIRA HASS
Pour Israël, les accords d'Oslo ont été un succès retentissant

Amira Hass,  Haaretz, 12/9/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

La création d’enclaves palestiniennes est un compromis interne à Israël : faire disparaître les Palestiniens sans les expulser. Pendant ce temps, Israël engrange d’importants bénéfices, notamment en transformant la Cisjordanie et la bande de Gaza en laboratoire humain


Steve Bell, The Guardian

Dans les accords d’Oslo signés il y a 30 ans, Israël a accepté de réduire progressivement l’occupation, tandis que les Palestiniens ont été contraints de cesser instantanément toute résistance. Chaque partie a interprété cette réduction comme elle l’entendait.

Les représentants palestiniens ont compris ou espéré qu’en échange de la cession de 78 % de la Palestine historique avant la fin de 1999 (sans renoncer aux liens personnels, familiaux, culturels, émotionnels ou historiques de leur peuple), le contrôle militaire israélien sur les territoires occupés en 1967 prendrait fin et les Palestiniens y établiraient un État.

Les Israéliens ont conclu qu’ils avaient obtenu un sous-traitant pour procéder à des arrestations et traquer les opposants (sans que la Cour suprême d’Israël et le groupe de défense des droits B’Tselem s’en mêlent, comme l’a dit le Premier ministre de l’époque, Yitzhak Rabin). Les négociateurs israéliens ont veillé à ce que l’accord écrit détaille les étapes du processus sans mentionner d’objectifs concrets (un État, un territoire et des frontières fixes).

Israël étant la partie la plus forte, c’est son interprétation qui l’a emporté et qui a déterminé la nature et la morphologie éternelles du  “rétrécissement” : L’israélisation d’autant de territoires que possible et, à l’intérieur de ceux-ci, des poches d’autonomie palestinienne - qui sont séparées, affaiblies et contrôlées à distance, Israël étant en mesure de les couper les unes des autres. Les origines des accords d’Abraham de 2020 remontent à 1993.

Grâce à Oslo, Israël s’est déchargé de la responsabilité de l’occupant à l’égard de la population et de son bien-être. Et il a gardé la crème : le contrôle de la terre, de l’eau, des longueurs d’onde des téléphones portables, de l’espace maritime et aérien, de la liberté de mouvement, de l’économie et des frontières (à la fois extérieures et de chaque poche de territoire).

Israël tire d’énormes profits de ces leviers de contrôle, car il est à la tête d’un grand laboratoire humain où il développe et teste ses exportations les plus rentables : armes, munitions et technologies de contrôle et de surveillance. Les Palestiniens de ce laboratoire, privés d’autorité et dont les ressources s’amenuisent, se voient confier la responsabilité de gérer leurs problèmes et leurs affaires civiles.

Les Palestiniens restent une réserve de main-d’œuvre bon marché pour les Israéliens. Une grande partie des coûts de l’occupation est répercutée sur les Palestiniens sous la forme de biens et de services qu’ils sont obligés d’acheter mais qu’ils ne peuvent pas développer parce qu’Israël contrôle la majeure partie du territoire, des frontières et de l’économie en général.

 Saïd An-Nahry

Viennent ensuite les frais élevés sur les transactions financières (comme le transfert de l’argent des douanes au trésor palestinien), les prélèvements et les amendes dont les recettes vont à la police, aux ports, à l’administration civile et à l’armée israélienne, les frais au passage de la frontière avec la Jordanie, les frais de transaction et d’enregistrement immobilier dans la zone C de la Cisjordanie, le marché noir des permis de travail, la rétention de l’argent des douanes sous divers prétextes, l’emploi de vétérans du service de sécurité du Shin Bet et de l’armée comme consultants qui ouvrent des portes dans la bureaucratie de l’occupation, et les intérêts qui s’accumulent sur tous les retards de paiement. Ce n’est peut-être pas grand-chose par rapport au produit intérieur brut d’Israël, mais c’est une fortune pour les Palestiniens, surtout si l’on tient compte de leur PIB et de leurs salaires.

Les pays occidentaux ont déchargé Israël de ses obligations financières en tant que puissance occupante et ont financé une grande partie des dépenses de gestion, d’entretien et de développement limité des enclaves palestiniennes. L’explication est que cela est nécessaire à l’établissement d’un État palestinien. Mais depuis des années, les pays occidentaux en ont assez de subventionner l’occupation et ses problèmes. Ils punissent donc les Palestiniens en faisant preuve d’avarice et les mettent en garde contre des catastrophes humanitaires, alors qu’ils signent de généreux accords économiques, scientifiques et militaires avec Israël.

23/08/2023

AMIRA HASS
Les villageois palestiniens d’Anin ne devraient accéder à leurs terres que deux fois par an, dit l’armée d’occupation, avec la bénédiction de la Cour Suprême

Amira Hass, Haaretz, 20/8/2023

Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

 

La Haute Cour d'Israël a rejeté la demande des villageois d'Anin qui souhaitaient travailler leurs terres au-delà de la “barrière de séparation” [alias le Mur d’apartheid] tous les jours, estimant que deux fois par semaine étaient suffisantes. Aujourd'hui, l'armée israélienne estime que les agriculteurs ne devraient avoir accès à leurs terres que deux fois par an

Des familles palestiniennes font la queue à la porte d'Anin, dans le mur de Cisjordanie. Le bureau du procureur de l'État a recommandé à la Cour d'annuler leur requête. Photo : Nidal Eshtaya

 

Les agriculteurs du village d'Anin veulent pouvoir travailler correctement leurs terres tous les jours. Ils ont donc demandé que la porte de la barrière de séparation qui sépare leurs parcelles du village soit ouverte tous les jours, et non deux fois par semaine. Ils ont déposé cette demande en 2007, environ cinq ans après qu'Israël a construit le mur sur leurs terres, mais leur demande a été rejetée.

 

Il y a un an, ils ont renouvelé leur demande, ont essuyé un nouveau refus et ont saisi la Haute Cour de justice en mars. L'armée les a alors informés, ainsi que la Cour, qu'elle prévoyait en fait de rendre la porte “saisonnière” : au lieu de l'ouvrir deux fois par semaine, elle le fera deux fois par an pour les labours et la cueillette des olives. Et si les agriculteurs sont si désireux d'accéder à leurs terres tous les jours, qu'ils parcourent 25 kilomètres à l'aller et au retour, en passant par une autre porte. Le bureau du procureur de l'État a donc recommandé au tribunal d'annuler la requête.

Les juges n'ont même pas tenu d'audience avec les requérants et leur avocate, Tehila Meir, de l'association israélienne de défense des droits HaMoked. Au cours de la première semaine d'août, ils ont simplement rendu leur décision : deux jours par semaine suffisent amplement, a écrit la juge Ruth Ronnen, avec l'appui de ses collègues Yael Willner et Alex Stein. Si le portail devient effectivement saisonnier, les pétitionnaires peuvent demander une réparation juridique, a-t-elle noté.

Des Palestiniens et une soldate israélienne au poste de contrôle d'Anin, la semaine dernière. Photo : Nidal Eshtaya

 

Sur les quelque 17 000 dounams [=1700 ha] que compte le village en Cisjordanie, 11 000 sont coincés le mur de séparation et la ligne verte, dans une enclave de 31 000 dounams. Il s'agit de l'enclave de Barta'a, où vivent 7 000 Palestiniens dans sept villages, dont le plus grand est Barta'a lui-même. Environ 3 000 colons y vivent également dans quatre colonies ; il y a également une zone industrielle israélienne.

 

Il est difficile de dire qu'il s'agit de la Cisjordanie et non d'Israël. La construction et les autres travaux de développement dans les villages palestiniens font l'objet de restrictions sévères. Les Palestiniens qui ne vivent pas dans l'enclave sont interdits d'accès, bien qu'un petit nombre d'entre eux reçoivent un permis spécial. Il s'agit notamment des habitants des villages situés à l'est du mur et dont les terres se trouvent à l'ouest du mur de béton (jusqu'à récemment une clôture), comme les habitants d'Anin.

 

Un voyage éprouvant, une longue attente

 

Les soldats n'ouvrent le portail d'Anin que les lundis et mercredis, et seulement deux fois par jour pour de brefs intervalles : de 6h50 à 7h10 et de 15h50 à 16h10. Le portail se trouve à environ cinq minutes de marche des maisons des requérants, et leur terrain se trouve à cinq à vingt minutes de marche du portail.

 

Réunion entre des officiers supérieurs israéliens, des habitants d'Anin et des membres de l'association israélienne de défense des droits HaMoked, près de l'ouverture dans le mur, en mai 2023. Photo : Jessica Montell/HaMoked


« Avant 1948, Anin possédait environ 45 000 dounams [= 4 500 ha] », nous a dit par téléphone le chef du conseil du village, Mohammed Issa. « Environ 27 000 de ces terres ont fini en Israël. Depuis 2002, la plupart des terres agricoles qui nous ont été laissées se trouvent de l'autre côté du mur. Chaque famille y possède une terre ».

 

L'obtention d'un permis d'accès aux terres agricoles est une procédure très compliquée ; les permis ne sont accordés qu'aux résidents dont les documents de propriété satisfont l'administration “civile” israélienne en Cisjordanie. En outre, il faut prouver son lien de parenté direct avec les propriétaires (c'est-à-dire les conjoints et les enfants ; les petits-enfants ne reçoivent pas de permis). Tout cela est soumis à un contrôle bureaucratique et sécuritaire rigoureux. Le permis doit être renouvelé tous les quelques mois, tous les ans ou tous les deux ans, selon le type de permis.

 

Les habitants d'Anin qui passent le contrôle de l'administration “civile” et du service de sécurité du Shin Bet peuvent entrer dans leurs terres par la porte de Barta'a, située à 25 kilomètres au sud. Bien que cette porte soit ouverte tous les jours, il faut compter environ une heure et demie de trajet depuis Anin, car l'itinéraire est en partie constitué de chemins de terre que seul un tracteur ou un véhicule tout-terrain peut emprunter.



 Ce poste de contrôle éloigné est utilisé par des centaines de Palestiniens d'autres villages qui vivent dans l'enclave de Barta'a ou qui ont des permis pour la traverser.

 

Pour commencer, traverser avec un tracteur nécessite un permis qui soumet les demandeurs à une course d'obstacles bureaucratiques. Les agriculteurs qui transportent des outils de travail à travers la porte de Barta'a doivent subir un long contrôle de sécurité. Ensuite, après environ deux heures de route, ils doivent faire demi-tour vers le nord pour se rendre sur leurs terres, qui sont à portée de vue et de marche de leurs maisons.

 

Les frais de déplacement élevés découragent également les candidats : 80 shekels [20€] par jour avec votre propre véhicule, ou 60 shekels [15€] par jour avec les transports publics, qui ne sont pas disponibles à toute heure de la journée.

 

Toutes ces explications, détaillées dans la requête de Meir de HaMoked, n'ont pas réussi à convaincre les juges. Mme Ronnen s'est rangée du côté de l'armée et de l'administration “civile” sur tous les points, déclarant que « les seules cultures actuellement présentes sur les terres sont des oliveraies qui ne nécessitent qu'une culture saisonnière pendant les saisons de labourage et de cueillette ». Elle a ajouté que « les requérants ne contestent pas cette affirmation ».

 

Des Palestiniens attendent à la porte d'Anin. Photo : Nidal Eshtaya

 

Mais les pétitionnaires ont contesté cette affirmation. Une réponse de Meir à la réponse du bureau du procureur de l'État à la pétition indique qu'avant la construction du mur de séparation, les villageois cultivaient des céréales telles que le blé et l'orge, et des légumes tels que les tomates, les oignons, le sésame et les concombres. La construction même du mur et la limitation du nombre de jours pour la franchir ont contraint les agriculteurs à renoncer aux cultures qui nécessitent une irrigation quotidienne, des soins et une surveillance, a déclaré Meir.

 

La ligne dure de la Cour

Lors d'une visite à la porte en mai, initiée par l'armée et le bureau du procureur de l'État après le dépôt de la pétition, les agriculteurs ont expliqué la situation à des officiers supérieurs, comme le documente Meir, qui a participé à la réunion avec d'autres personnes de HaMoked. Meir a joint à sa réponse un avis de Bimkom, un groupe israélien de défense des droits qui milite pour l'égalité dans la planification et qui travaille depuis de nombreuses années avec les communautés palestiniennes de l'enclave de Barta'a.

Des Palestiniens attendent dans la chaleur près de la porte d'Anin, la semaine dernière. Photo : Nidal Eshtaya

 

Des Palestiniens marchant sur une route en direction de la porte de Barta'a, la semaine dernière. Photo : Nidal Eshtaya

 

En fournissant des données et des photos aériennes, Bimkom montre que de nombreuses parcelles de terre d'Anin, qui étaient cultivées de manière intensive avant 2000, se sont desséchées en raison des restrictions d'accès. Les arbres des oliveraies d'Anin, qui n'ont pas besoin d'être irrigués, sont méticuleusement entretenus.

 

Lorsqu'on lui a demandé si les villageois espéraient recommencer à cultiver des légumes, du blé et de l'orge, Issa, le chef du conseil du village, a déclaré à Haaretz : « Nous parlons maintenant de garder et de sauver ce que nous avons, les arbres que nous avons ».

 

Il est scandalisé par la décision selon laquelle le portail ne sera ouvert que deux fois par an. « Un troupeau de vaches [d'un village voisin de la région israélienne de Wadi Ara] s'approche de nos arbres et les endommage, si bien que nous devons être présents tous les jours », explique Issa.

 

Il est à craindre que ce qui se passe dans d'autres endroits où l'armée et l'administration “civile” ne laissent entrer les agriculteurs que deux ou trois fois par an se produise à Anin : les oliveraies seront envahies par les chardons et ravagées par de fréquents incendies, et leur rendement diminuera fortement.

 

Dans leur réponse à la pétition, les avocats du bureau du procureur de l'État, Yael Kolodny et Jonathan Berman, ont affirmé, au nom de l'armée et de l'administration “civile”, que le portail était utilisé par les résidents d'Anin titulaires d'un permis agricole, principalement pour entrer en Israël sans autorisation. Ils ont indiqué qu'ils se basaient sur des images de drone et sur une visite inopinée du portail à la fin du mois de mars, au cours de laquelle les personnes qui la franchissaient ont été interrogées. Ils ont indiqué que de nombreuses personnes avaient des vêtements de rechange et que certaines étaient “habillées de manière formelle”. Aucune personne ne portait d'outils de travail, ont ajouté les avocats.


Le mur de séparation près d'Anin, la semaine dernière. Photo : Nidal Eshtaya

 

Les agriculteurs ont répondu à Meir que certains d'entre eux quittent effectivement la maison avec des vêtements propres et se changent en vêtements de travail, qu'ils portent également dans le cadre de leurs emplois dans la réparation automobile, la construction, la peinture de maisons et d'autres activités. De même, les travailleurs qui passent par le portail laissent généralement leurs outils sur leur parcelle au lieu de les porter dans les deux sens. Les oliveraies entretenues, écrit Meir en citant Bimkom, montrent que les agriculteurs visitent régulièrement les arbres et les soignent avec dévouement.

 

Quant aux images de drone, Meir a écrit qu'elles avaient été prises en Cisjordanie et qu'elles ne montraient personne en train d'entrer en Israël. Les pétitionnaires, qui ont remarqué le drone, affirment que les images sont sélectives, montrant des personnes qui montent dans des voitures (qui, selon l'armée, les emmènent en Israël) mais ne montrant pas celles qui continuent à pied jusqu'à leurs parcelles. Les pétitionnaires ajoutent que certains agriculteurs montent dans des voitures israéliennes (appartenant à des citoyens palestiniens de l'État juif) pour atteindre leurs terres plus rapidement.

 

Meir a déclaré à Haaretz que l'arrêt de la Cour montre une détérioration radicale de la reconnaissance par celle-ci des obligations de l'État envers les Palestiniens lésés par le mur de séparation. Elle a fait remarquer que la Cour avait approuvé la construction du mur au début des années 2000, après que l'État se fut engagé à réduire au minimum nécessaire les dommages causés aux Palestiniens coupés de leurs terres, tout en leur permettant un accès raisonnable à ces dernières.


Anin, la semaine dernière. Photo : Nidal Eshtaya 


 Une route fermée près de la porte d'Anin, en mai 2023. Photo : Amir Levy

 

Aujourd'hui, lorsqu'il s'avère que l'accès n'est pas raisonnable, le tribunal rejette l'appel des agriculteurs sans tenir d'audience, note-t-elle. « Il est triste de voir à quel point il suffit de peu pour que l'atteinte aux droits humains des Palestiniens qui cherchent à travailler leur terre soit considérée comme justifiée », ajoute-t-elle

 

HaMoked a également remarqué un autre aspect troublant de la décision : les juges ont décidé que ces terres appartiennent “formellement” à la “zone de Judée et Samarie”, la Cisjordanie, qui est occupée par Israël depuis 1967. Cette déclaration indique qu'essentiellement, et non formellement, ce territoire palestinien, connu dans le jargon militaire sous le nom de “zone de jointure”, n'appartient pas à la “région de Judée et de Samarie”.

 

Il n'y a donc qu'un pas entre l'arrêt de la Cour et son consentement à l'annexion des terres situées au-delà du mur. Les juges savent bien que seuls les Israéliens et les touristes étrangers sont autorisés à accéder librement à cette zone, alors que les Palestiniens en sont uniformément interdits, et que seules les colonies et l'administration “civile” peuvent y réaliser des plans de construction, alors que les autorités locales palestiniennes, dont c'est la terre, ne le peuvent pas. Après tout, la Cour a approuvé cet état de fait en 2011.

 

Des soldats israéliens gardent une ouverture dans le mur de séparation, près d'Anin. Photo : Amir Levy

 

En fait, plus de 500 kilomètres carrés de terres (9,4 % de l'ensemble de la Cisjordanie) sont coincés entre le mur de séparation et la ligne verte. La réalité est donc qu'une énorme portion de territoire a été annexée à Israël sans déclaration “officielle”.

 

Pour respecter la promesse de l'État de laisser les agriculteurs travailler leurs terres, 79 portails ont été construits dans le mur de séparation. Seules cinq sont ouverts toute la journée, 11 sont ouverts brièvement deux ou trois fois par jour, et 10 sont ouverts pendant plusieurs brefs intervalles deux ou trois jours par semaine.

 

Avec la fermeture de la porte d'Anin, ce nombre tombera à neuf, et la porte d'Anin rejoindra les 53 autres “portes saisonnières” qui ne sont ouvertes que quelques jours par an pour le labourage, la cueillette et parfois le désherbage. Les habitants d'Anin avaient jusqu'à lundi 21 août pour faire appel de la décision de fermer leur porte.

 

 

23/06/2023

AMIRA HASS
Pour expulser efficacement les envahisseurs palestiniens [!], un bon colon doit apprendre l’arabe

Amira Hass, Haaretz, 6/6/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Apprendre l'arabe parlé pour mieux chasser les agriculteurs et les bergers palestiniens de leurs terres. C'est la dernière mutation de la motivation des services de renseignement de sécurité pour l'étude de l'arabe en Israël. Tel est le message exprimé lors d'une conférence d'introduction à un cours en ligne d'arabe parlé, rédigé et promu par un homme de 28 ans, né aux USA, qui vit dans l'une des colonies de Cisjordanie en expansion constante, au nord de Ramallah.

Le concepteur du cours a invité trois “spécialistes du domaine”, comme il les appelle, à parler de l'importance de l'apprentissage de la langue : Mordechai Kedar (conférencier retraité de l'université Bar-Ilan et ancien officier du renseignement militaire), Ariel Osterreicher (ancien officier de liaison auprès du coordinateur des activités gouvernementales dans les territoires, aujourd'hui assistant exécutif de l'attaché de défense d'Israël aux Philippines) et le premier orateur, Shabtay Kushelevsky, l'un des fondateurs de la milice connue sous le nom d'Hashomer Yosh (Yosh est un acronyme hébreu courant pour Judée et Samarie, les noms bibliques des régions de Cisjordanie ; il possède une ferme non autorisée dans le sud de la Cisjordanie). 

Shabtay, son chien juif et ses moutons juifs

 

Lors de la conférence Zoom, j'ai entendu parler de l'importance d'apprendre l'arabe du point de vue de la sécurité, du renseignement et de la sociologie régionale.

Les bénévoles de l'organisation font partie d'une machine bien huilée qui, avec l'encouragement et le soutien de l'État et des institutions chargées du maintien de l'ordre (les forces de défense israéliennes, la police israélienne et le ministère de la défense), est responsable des violences qui chassent les bergers et les agriculteurs palestiniens de leurs terres en Cisjordanie.

Lors de la conférence Zoom (à laquelle je me suis inscrite en utilisant mon nom complet et en payant pour trois participants), j'ai entendu parler de l'importance de l'apprentissage de l'arabe du point de vue de la sécurité, du renseignement et de la sociologie régionale. Le concepteur du cours m'a également parlé de l'importance de la mousse du café arabe et du fait que « beaucoup de gens ne savent pas à quel point la culture arabe et la langue arabe sont liées par un lien indéfectible » [ça alors, vraiment ? NdT].

Je n'ai pas entendu dire que l'arabe valait la peine d'être appris parce qu'il est riche et beau, une langue sémitique qui nous enseigne ses racines communes avec l'hébreu. Et il va sans dire que je n'ai pas entendu que c'était la langue des Palestiniens, les natifs de cette terre. Selon Kushelevsky, ils sont de toute façon des “envahisseurs”. Voici ce qu'il a dit lors de la conférence, édité si nécessaire pour des raisons de clarté et de style :

« Le judaïsme est la religion la plus agricole du monde : le calendrier tourne autour des événements agricoles. Hashomer Yosh est une organisation qui s'est donné pour mission d'aider les agriculteurs, en particulier les planteurs et les bergers, car en plus d'encourager toutes les formes d'agriculture juive et le retour au judaïsme, ils gardent également des territoires pour nous.

« En termes de droit, chaque agriculteur a des moutons qui vont aux pâturages. Nous avons un problème insensé dans tout le pays, pas seulement en Judée et en Samarie, et c'est l'invasion des terres. Chaque invasion de terre par les Arabes nécessite une sorte de hangar, et deux ans plus tard, vous avez un quartier entier que vous ne pouvez pas expulser. Si un agriculteur parvient à empêcher cette histoire de deux chèvres et d'un abri, il a empêché une invasion.

« La totalité de [la ville de] Bnei Brak, voisine de Tel-Aviv, représente [29 400 acres = 12 000 ha]. L'ensemble des colonies [juives] de Judée et de Samarie représente environ [260 000 acres= 105 000 ha]. Chaque ranch, quant à lui, occupe en moyenne [4 000 acres=1618 ha]. En d'autres termes, une seule famille contrôle la superficie d'une ville de taille moyenne, et aucune invasion [arabe] ne s'y produira. Quelque 200 ranchs d'une seule personne contrôlent environ [800 000 acres-323 000 ha].

"S'occuper des moutons est le travail le plus difficile au monde. N'importe quel enfant de 4 ans peut déplacer les moutons d'un endroit à l'autre. C'est ce qu'a fait Rachel [dans la Bible], qui a trouvé un mari. La région est magnifique, notre terre - étonnante : grottes, sources, ravins... mais vous êtes complètement seul. Tous nos ancêtres étaient des bergers. Moïse, le roi David, tous étaient des bergers.

« Les éleveurs de moutons possèdent les moutons, mais ils ne s'occupent pas nécessairement de la garde des troupeaux. Souvent, les éleveurs font appel à un berger, qui est un as et qui est en contact avec la nature, mais il ne reste que six mois, car c'est très monotone. Quelques-uns s'accrochent pendant un an. En Suisse, par contre, il faut être avec les moutons pendant trois ans pour devenir aide-berger.

« Le berger connaît le territoire. C'est-à-dire toutes les plantes du territoire et ce que chaque plante fait aux moutons. Par exemple, il est très sain pour les moutons de traverser une oliveraie [appartenant à des Palestiniens, comme l'expérience nous l'apprend]. Mais pas plus de 15 minutes, car la quantité devient alors toxique.

« Le berger connaît chaque ravin, chaque colline, chaque point d'eau. Il connaît aussi l'arabe parlé sur le terrain : Dieu soit loué, cette région se rétrécit et nous y entendons de plus en plus d'hébreu. Il y a dix ans, 70 % des moutons du pays, et pas seulement en Judée et en Samarie, étaient des moutons non juifs. Aujourd'hui, 60 % sont des moutons juifs. Ils occupent l'espace qu'ils sont censés occuper.

« Bien sûr, le berger connaît aussi la langue parlée dans les champs, le berger arabe qui crie quelque chose ou le clan que vous rencontrez en chemin. Si nous voulons nous emparer de la terre et la posséder, la connaissance de la langue est un élément important du rôle de propriétaire.

« Nous, à Hashomer Yosh, nous avançons sur le sujet des cours d'arabe pour les volontaires, afin qu'ils soient capables de s'orienter sur le terrain. Lorsqu'un berger [juif] rencontre un berger arabe et qu'il peut parler plus que l' « arabe des postes de contrôle » que nous connaissons tous grâce à notre service militaire, qu'il sait faire la différence entre les moutons et tout ce qui a trait à l'orientation sur le terrain, cela réduit considérablement les frictions. La dernière chose que nous voulons, ce sont des bagarres à coups de pierres. C'est la différence entre le ciel et la terre, être avec les moutons quand on connaît l'arabe et quand on ne le connaît pas. C'est encore plus important que de déplacer les moutons vers la gauche ou la droite. C'est ce qui préservera nos vies, les moutons et la terre ».

“Fascinant”, a commenté le concepteur du parcours en guise de remerciement à Kushelevsky.

 

31/05/2023

AMIRA HASS
“Chema Israel” : les paroles de Primo Levi résonnent dans le quotidien des Israéliens et des Palestiniens

 Amira Hass, Haaretz, 30/5/2021
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

“Vous qui vivez en toute quiétude
Bien au chaud dans vos maisons,
Vous qui trouvez le soir en rentrant
La table mise et des visages amis”

Premiers vers de “Chema” [Écoute], poème liminaire du livre Si c'est un homme, de Primo Levi (1946)

Ø Alors que vous vous réveilliez avec la prière de Chema à la radio, les engins de terrassement de l'administration civile israélienne en Cisjordanie rasaient déjà une école, trois tentes et une citerne d'eau, et des dizaines de milliers de travailleurs se pressaient aux postes de contrôle pour entrer en Israël.

Ø Pendant que vous vous brossiez les dents, de jeunes hommes en tsitsit [franges] coupaient un olivier et des milliers de travailleurs continuaient à franchir les points de contrôle.

Ø Pendant que vous faisiez une omelette, des soldats arrêtaient un berger, lui liaient les poignets, lui couvraient les yeux avec un tissu et l'emmenaient dans une base militaire.

Ø Alors que votre fils partait à l'école, les soldats tiraient des grenades lacrymogènes et les femmes et les enfants s'étouffaient.

Ø Alors que la nounou des bébés arrivait, des policiers israéliens déguisés en marchands de fruits et légumes faisaient une descente dans le camp de réfugiés de Jénine.

Ø Pendant que vous enfourchiez votre vélo, il y avait déjà trois morts et huit blessés dans le camp ; une école avait été détruite ; cinq mètres cubes d'eau achetée avaient été gaspillés ; une tente s'était effondrée ; des chèvres effrayées s'étaient dispersées ; une femme s'était évanouie à cause des gaz lacrymogènes et avait été transportée d'urgence à l'hôpital ; 13 arbres avaient été abattus ; des soldats excités par leur mission réussie étaient retournés à leur jeep et des ouvriers avaient atteint les chantiers quatre heures après avoir quitté leur maison.

Ø En arrivant au travail, vous avez reçu un message WhatsApp de votre frère, le soldat : « Tu me manques ».

Ø Pendant que vous vérifiiez vos courriels sur votre ordinateur, trois fonctionnaires de l'administration civile rejetaient les demandes de 286 agriculteurs qui souhaitaient accéder à leurs terres de l'autre côté du mur de séparation.

Ø Pendant que vous discutiez avec un collègue, la Croix-Rouge informait une mère que l'armée ne la laissait pas rendre visite à son fils malade en prison.

Ø Pendant votre pause-café, un garçon fondait en larmes parce qu'un soldat avait pointé un fusil sur lui à un poste de contrôle volant sur la route de Naplouse.

Ø Pendant que vous alliez aux toilettes, l'administration civile approuvait la construction de 48 unités de logement dans un avant-poste de colonie qui avait été légalisé.

Ø Pendant que vous envoyiez votre rapport hebdomadaire au patron, le ministre des Finances annonçait qu'il volait 120 millions de shekels (30 millions d’€) supplémentaires aux recettes de l'Autorité palestinienne.

Ø Pendant que vous montiez sur le toit pour fumer et vous étirer, un jeune Palestinien était placé à l'isolement à la prison de Kishon, à son huitième jour de détention, après avoir été interrogé par le service de sécurité du Shin Bet pendant 15 heures et demie, assis et attaché à une chaise basse.

Ø Pendant que vous et votre mère décidiez de ce que vous alliez préparer pour le dîner du vendredi soir, le ministère palestinien des Finances annonçait que les employés de l'Autorité palestinienne ne recevraient ce mois-ci que 60 % de leur salaire, et 62 véhicules attendaient déjà au poste de contrôle volant.

Ø Pendant que vous écrasiez une cigarette, un médecin de la prison donnait de l'acétaminophène au jeune interné qui s'était plaint de douleurs dorsales et d'engourdissement des mains, et un soldat du poste de contrôle volant tirait des grenades incapacitantes sur les conducteurs et les passagers qui sortaient de leur voiture.

Ø Pendant que vous retourniez à l'ordinateur, un officier de l'infrastructure de l'administration civile ordonnait la destruction d'une conduite d'eau dans un village de la vallée du Jourdain.

Ø En quittant le bureau, vous n'avez pas remarqué les ouvriers en train de construire un immeuble de luxe au milieu des ficus, dans le cadre d'un programme de démolition et de reconstruction.

Ø Pendant que vous alliez chercher votre fils aîné à l'école (un plaisir du jeudi), un chauffeur de la municipalité d'Hébron remplissait un réservoir d'eau à partir du tuyau principal à l'entrée de la ville palestinienne de Bani Nai'm, et les soldats libéraient le berger qu'ils avaient arrêté. Il avait mal à la tête parce que les soldats ne lui avaient pas donné d'eau.

Ø Pendant que votre fils vous parlait du match de football, quatre jeunes hommes portant un grand drapeau israélien envahissaient une maison près d'une source dont ils se sont emparés il y a longtemps dans un village à l'ouest de Ramallah.

Ø Pendant que vous vous rendiez à l'épicerie de votre quartier, le chauffeur de la municipalité d'Hébron apportait de l'eau à un quartier qui n'a pas eu l'eau courante depuis trois mois parce que la pression de l'eau est trop faible en raison des restrictions imposées par Israël sur les quantités d'eau distribuées aux non-Juifs.

Ø Alors que vous rentriez chez vous, des adolescents portant des kippot ont donné des coups de pied à un vieil homme portant un keffieh.

Ø Pendant que vous changiez une couche, un adolescent de la "“jeunesse des collines” a tweeté : « Louons Dieu pour la forte présence juive dans la région et pour les bergers juifs qui ont reconquis le territoire... Les Bédouins [du village d'Ein Samiya] quittent la région... Nous voulons que tous les Bédouins... quittent le pays. Il y a de meilleurs pâturages en Arabie saoudite ».

Ø Pendant que vous coupiez une tomate, le journal télévisé annonçait qu'un Arabe a été reconnu coupable d'incitation et condamné à un an de prison.

Ø Pendant que vous lisiez une histoire à votre fils, la Haute Cour de justice rendait deux arrêts qualifiés, l'un autorisant l'État à détruire des villages et à les remplacer par un champ de tir militaire, l'autre permettant au Shin Bet de continuer à détenir un Palestinien qui était déjà en garde à vue sans inculpation ni preuves depuis 19 mois d'affilée.

Ø Pendant que les cris de votre bébé vous réveillaient, des soldats masqués faisaient une descente dans 17 villages, camps de réfugiés et quartiers, arrêtant huit hommes. Et pendant que vous vous remettiez au lit, un petit garçon de 4 ans mouillait sa culotte parce que les soldats avaient fait sortir toute sa famille de leur maison et l'avaient emmenée dans la cour, leurs fusils braqués sur eux.

Ø Pendant que vous vous réveilliez, neuf ordonnances sur le vol de terres rédigées par des juristes militaires attendaient la signature du chef de l'administration civile.

Et il y eut un soir, il y eut une nuit et il y eut un bonjour Israël.