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09/07/2023

AMEER MAKHOUL
Les raisons de l’échec de l’offensive israélienne contre Jénine

Ameer Makhoul, Middle East Eye, 7/7/2023
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Les événements sur le terrain ont prouvé que la résistance palestinienne avait anticipé l’invasion israélienne et la manière de l’affronter dans le cadre d’une bataille entre deux parties inégales.

Une bannière portant un slogan de solidarité avec le camp de réfugiés de Jénine et des photos de combattants est suspendue autour d’une fontaine dans le complexe de la mosquée Al Aqsa à Jérusalem pendant la prière du vendredi, le 7 juillet 2023 (AFP)

Le ministre israélien de la défense, Yoav Gallant, s’est vanté que l’offensive contre Jénine avait “pleinement atteint” ses objectifs, affirmant que lorsque les combattants palestiniens reviendraient dans le camp de réfugiés, ils “ne le reconnaîtraient pas en raison de la gravité de l’attaque.

« La plupart d’entre eux ont quitté leur lieu de résidence, et ceux qui sont restés se sont cachés dans des endroits où ils étaient protégés par la population civile, comme les hôpitaux. C’est quelque chose qui indique plus que tout la lâcheté et le manque de courage qu’ils ont essayé de démontrer à l’extérieur », a déclaré Gallant.

La réaction de l’armée israélienne, en revanche, a été plus sérieuse. Elle a exprimé une réelle inquiétude quant à l’extension de la résistance et des tactiques palestiniennes - y compris l’utilisation d’engins explosifs - à diverses zones de la Cisjordanie occupée.

Gallant semble s’adresser au public israélien pour se promouvoir et accroître son influence politique en dissimulant l’échec de son offensive plutôt qu’en présentant une image honnête de ses résultats.

“Triomphe palestinien”

Cherchant à remonter le moral des Israéliens, Gallant s’est vanté que les combattants palestiniens avaient fui pendant l’attaque. Mais on peut aussi dire que l’armée israélienne - considérée comme l’une des plus avancées au monde et équipée de son aviation, de ses satellites, de ses forces d’élite et de sa technologie militaire de pointe - n’a pas réussi à avancer jusqu’au centre du camp de réfugiés de Jénine.

Au lieu de marcher, les soldats rampaient au sol pour éviter d’être pris pour cible. Lors de leur retrait du camp, il s’agissait plutôt d’une retraite en véhicules blindés et en véhicules de transport de troupes.

Les célébrations de la victoire des habitants du camp et des combattants après le retrait de l’armée israélienne ont été plus impressionnantes. Il s’agit de réfugiés dont les familles et les grands-parents ont été expulsés de Haïfa et de ses environs lors de la Nakba en 1948, et qui ont été récemment déplacés de leurs maisons que l’armée a saisies pour les utiliser comme boucliers et casernes militaires après les avoir détruites.

Alors que le déplacement a touché un tiers de la population du camp, cette scène populaire et spontanée de célébration illustre le triomphe palestinien.

Mais pourquoi le ministre israélien de la Guerre a-t-il utilisé le terme de “fuyards” pour désigner les résistants, dont le nombre ne dépasse pas quelques dizaines et qui ne possèdent aucune arme létale, alors que les médias militaires et civils israéliens les présentent comme une armée régulière dotée d’un arsenal militaire et d’un état-major ?

La réponse à cette question réside dans les objectifs de l’attaque contre Jénine, qui, comme l’ont indiqué les médias israéliens avant l’attaque, visait à transformer le camp de Jénine en un “cimetière pour terroristes”. Ron Ben-Yishai, analyste militaire israélien pour Ynet, a soulignéla “déception de l’armée face au faible nombre de morts” parmi les combattants palestiniens.

Steve Bell, The Guardian

Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou et Gallant considèrent le camp de Jénine comme la “capitale du terrorisme, tandis que l’agence israélienne de sécurité, le Shin Bet, a déclaré que l’objectif était d’éliminer l’“infrastructure terroriste” et les “capacités de combat avancées, y compris le développement de capacités rudimentaires de lancement de roquettes”.

Cependant, le directeur général de l’Institut pour les études de sécurité nationale et ancien chef de la division du renseignement militaire, le général Tamir Hayman, a estimé que la résistance “vit dans le cœur des Palestiniens” et n’a pas de capitale, et qu’elle ne peut donc pas être éliminée en prenant d’assaut le camp de Jénine.

Hayman a ajouté qu’Israël n’avait “que l’option militaire sans aucun horizon politique”.

Une nouvelle Nakba

Si nous considérons qu’il s’agit là de l’objectif central du gouvernement israélien, il n’a finalement pas réussi à l’atteindre. La résistance n’a pas été éliminée, pas plus que ses capacités ou les connaissances accumulées dans l’art du combat et de la confrontation.

Au contraire, les événements sur le terrain ont prouvé que la résistance avait anticipé l’invasion de l’armée d’occupation, surveillé ses mouvements et déterminé comment, où et quand l’affronter dans le cadre d’une bataille entre deux parties inégales. Les Palestiniens ont tenu bon face à l’arsenal de guerre israélien.

Un autre objectif israélien était de cibler la base populaire palestinienne, c’est-à-dire le peuple palestinien dans son ensemble et les résidents du camp en particulier, en les considérant comme faisant partie de l’“infrastructure terroriste”.

C’est la principale raison pour laquelle les civils ont été pris pour cible, les infrastructures ont été complètement détruites, l’eau, l’électricité et les services de communication ont été coupés, et 5 000 personnes ont été forcées de quitter leur maison, ce qui a rappelé aux Palestiniens la Nakba.

La destruction de biens, en revanche, leur rappelle les attaques menées par des bandes de colons, qui ont notamment incendié des villages et détruit des biens à Huwwara, Turmus Ayya, Um Safa et Masafer Yatta.

Les objectifs de ces diverses opérations sont intégrés et interdépendants. Ils sont alignés sur l’idéologie sioniste religieuse dominante qui donne la priorité à un “projet de résolution” pour les Palestiniens - en d’autres termes, au nettoyage ethnique - et à l’annexion plutôt qu’à l’occupation.

Cette idéologie vise à créer une situation où les Palestiniens ont intérêt à quitter leur patrie. Ce projet a été formulé par le ministre de la Sécurité, Betzalel Smotrich, qui est également le chef du parti Sionisme religieux et le responsable de la gestion des affaires et de la colonisation en Cisjordanie occupée.

L’occupation a cherché à étouffer la conscience des Palestiniens, à terroriser la population par des destructions massives et des expulsions, et à leur faire payer le prix d’avoir été l’incubateur populaire de la résistance.

Prélude à une autre vaste offensive sur la région nord de la Cisjordanie, dont Naplouse, l’objectif politique central de l’offensive contre Jénine est une reconfiguration démographique du nord de la Cisjordanie par l’installation de colons. Cette offensive intervient après l’annulation par le parlement israélien, en mars 2023, de la loi de 2005 sur le désengagement, qui prévoyait le retrait d’Israël de la bande de Gaza et des régions du nord de la Cisjordanie, et après le rétablissement de la colonie illégale de Homesh.

L’objectif est de construire des dizaines d’avant-postes dans la région, de la judaïser et de l’annexer conformément aux accords de coalition.

Politique d’annexion

Pour l’occupation, la réalisation de cet objectif passe par l’élimination de la résistance dans cette zone et la marginalisation du rôle de l’[In]Autorité palestinienne, d’autant plus que la résistance vise l’armée et les colons israéliens. Les colons israéliens ne déménageront pas pour vivre dans cette zone à moins que l’État ne leur assure la sécurité et la tranquillité, ce qui se fera aux dépens des Palestiniens.

Cela signifierait l’échec du projet de judaïsation et de colonisation du nord de la Cisjordanie, et un échec temporaire, au moins, du projet d’annexion, auquel les Palestiniens résisteront.

 Ce projet était initialement marginal dans la politique israélienne, mais il a pris de l’importance après que l’ancien président Donald Trump l’a approuvé, et suite à la montée en puissance du sionisme religieux, qui a une influence significative sur la politique israélienne et une forte conviction idéologique.

Cela pourrait conférer au projet d’annexion un poids politique alors que certains de ses aspects sont mis en œuvre sur le terrain dans les territoires palestiniens, dans le cadre de ce que l’on appelle l’annexion de facto, sans l’annoncer officiellement.

Les résultats de l’attaque contre Jénine ont été décevants pour ceux qui s’accrochaient au projet d’annexion.

 Par une décision politique, l’armée israélienne a cherché à procéder à une expulsion massive des réfugiés palestiniens du camp, ce qui montre que la mentalité du déplacement et de la Nakba est toujours profondément ancrée dans le régime israélien. Il y a des gens qui la soutiennent et plaident pour sa mise en œuvre.

Cependant, les Palestiniens ont réagi en retournant chez eux immédiatement après le retrait des forces d’occupation, tandis qu’une partie importante de la population a refusé de quitter son domicile malgré les menaces des soldats israéliens.

La mentalité de la Nakba et du déplacement n’a pas changé, mais la mentalité des Palestiniens, elle, a changé. Ils ne veulent pas quitter leurs maisons, leurs villes ou leurs terres. Ils insistent pour rester chez eux, quelle que soit la gravité de l’occupation ou de l’agression.

Pour les forces israéliennes, en particulier lors des opérations militaires, les Palestiniens sont des ennemis où qu’ils se trouvent et doivent être pris pour cible en tant que tels.

Sur le plan politique, Netanyahou a réussi sur deux points importants. Sur le plan intérieur, il a obtenu le soutien des chefs de l’opposition parlementaire concernant l’attaque et la décision du gouvernement. Il a également bénéficié du soutien unanime du consensus national sioniste, y compris de l’opposition populaire, qui n’a pas pris position contre l’agression, tandis que les grandes manifestations qui ont balayé le pays “pour la démocratie” ont ignoré l’opération.

Sur le plan international, Netanyahou a reçu un soutien sans équivoque de la part de l’administration Biden, ainsi que de la Grande-Bretagne et de l’Allemagne, qui ont soutenu “le droit d’Israël à protéger ses citoyens” et condamné “le terrorisme palestinien”.

Selon les sondages, la popularité de Netanyahou a augmenté, d’autant plus que la société et les médias israéliens ne se soucient pas du nombre de victimes palestiniennes ni de l’ampleur des destructions. Ils se concentrent principalement et uniquement sur les pertes israéliennes.

La situation palestinienne fait l’objet d’une agression israélienne permanente dont les méthodes peuvent changer, mais dont l’essence persistera toujours.

La classe politique au pouvoir n’a aucune perspective de solution juste ni même de gestion efficace de l’occupation et du conflit. Elle s’appuie principalement sur la force militaire pour faire face aux crises ou les reporter. Mais en réalité, chaque agression provoque l’inverse des buts recherchés.

La résistance sortira de la récente offensive plus déterminée, plus expérimentée et avec un soutien populaire plus large.

Israël cherchera à provoquer des dissensions internes aux Palestiniens, notamment entre les deux principales factions politiques, le Fatah et le Hamas, afin d’atteindre ses objectifs militaires par l’intermédiaire des Palestiniens. C’est actuellement le scénario le plus dangereux.

L’agression d’Israël n’a pas changé les règles du jeu, mais a plutôt renforcé la politique israélienne persistante. L’armée d’occupation s’est peut-être retirée du camp de Jénine, mais sa prochaine offensive n’est qu’une question de temps, et le compte à rebours a déjà commencé.

La protection des Palestiniens est donc une nécessité urgente et doit devenir une priorité absolue.


Saad Hajo

03/07/2023

JONATHAN SHAMIR
Ce qui se passe à Jénine aujourd’hui est un avertissement pour les deux parties

Jonathan Shamir, Haaretz, 3/7/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Peu de personnes ont fait plus que Netanyahou lui-même pour accélérer l’effondrement de l’[In]Autorité palestinienne.

Résumé des événements : Aux premières heures de lundi matin, les Forces de défense israéliennes ont lancé une opération contre les militants palestiniens dans la ville de Jénine, en Cisjordanie. Vers 1 heure du matin, des frappes aériennes israéliennes ont visé un bâtiment à Jénine qui, selon l’armée, était utilisé par des militants pour planifier des attaques. Ces frappes ont été rapidement suivies d’une incursion de l’infanterie. Vers 1 heure du matin, des frappes aériennes israéliennes ont visé un bâtiment à Jénine qui, selon l’armée, était utilisé par des militants pour planifier des attaques. Ces frappes ont été rapidement suivies d’une incursion de l’infanterie, avec environ 2 000 soldats israéliens engagés. L’armée a prévenu que l’opération pourrait durer plusieurs jours. Israël a déclaré avoir perquisitionné un “centre de commandement unifié” des Brigades de Jénine dans le camp de réfugiés de la ville, où des militants de différentes factions se réunissaient pour coordonner et préparer des attaques. Des bulldozers israéliens ont également été filmés en train de détruire des rues, tandis que les habitants palestiniens ont signalé des coupures d’électricité pendant plusieurs heures. L’armée israélienne affirme que sa priorité actuelle est de collecter des armes dans le camp de réfugiés de Jénine. Jusqu’à présent, 20 Palestiniens ont été arrêtés, tandis qu’un laboratoire de fabrication d’explosifs et des pièces d’un lance-roquettes ont également été saisis. Le ministère palestinien de la Santé a fait état de neuf morts, dont deux adolescents, et d’au moins 50 blessés, dont 10 dans un état critique, alors que l’opération se poursuit. Les groupes armés de résistants palestiniens sont mobilisés : le Bataillon de Jénine a annoncé avoir abattu 2 drones militaires israéliens, la Brigade Qassam de Jénine (Hamas) a annoncé une embuscade réussie contre des soldats israéliens près de la mosquée Al Ansar, tandis que la Tanière des Lions de Naplouse a appelé à une mobilisation générale contre l’agression et a annoncé qu’elle avait envoyé des combattants à Jénine dès l’aube de lundi. Ci-dessous un commentaire du rédacteur en chef de Haaretz.com

Photo : MOHAMMED SALEM/REUTERS

Paralysée par la diminution de ses ressources et de sa légitimité, l’[In]Autorité palestinienne a laissé un vide dans les villes de Naplouse et de Jénine, dans le nord de la Cisjordanie, qui a été rapidement comblé par des groupes militants locaux.

La plus grande opération menée par Israël en Cisjordanie depuis plus d’une décennie ne changera pas cette situation de sitôt.

Des sources politiques israéliennes de haut rang, s’exprimant sous couvert de l’anonymat, ont déclaré que l’opération des FDI à Jénine visait à “préparer le terrain pour le retour de l’Autorité palestinienne”.

Peu de choses donnent autant de sueurs froides à l’establishment sécuritaire israélien que la disparition de l’[In]Autorité palestinienne, et même le Premier ministre Benjamin Netanyahou s’est empressé de réitérer la semaine dernière que l’[In]Autorité palestinienne “ne peut pas être autorisée à s’effondrer”.

Pourtant, peu de personnes ont fait plus pour accélérer son effondrement que Netanyahou lui-même, qui a incité à la destruction de l’institution moribonde depuis son bureau de Premier ministre pendant plus d’une décennie et qui a siphonné les recettes fiscales de son économie captive.

Mais surtout, Netanyahou a affaibli l’[In]Autorité palestinienne en verrouillant tout règlement négocié du conflit israélo-palestinien et en érodant les droits fondamentaux et la sécurité des Palestiniens.

L’[In]AP sans gouvernail a été incapable d’assurer la protection la plus rudimentaire de son peuple : les colonies sont construites à un rythme sans précédent, les miliciens attaquent les Palestiniens et détruisent leurs biens.

Face à cette situation désastreuse, des groupes militants de base prennent les choses en main, souvent avec des effets mortels.

Mahmoud Abbas, le président octogénaire de l’[In]Autorité palestinienne, est une figure tragique, voire pathétique, et porte certainement une part de responsabilité : l’[In]Autorité palestinienne a eu sa part de corruption et a manqué à plusieurs reprises, pendant des décennies, d’honorer ses engagements en matière d’organisation d’élections.

Pour couronner le tout, on peut se poser des questions sur objectif civique, quand on voit que les enseignants sont en grève, les hôpitaux sont confrontés à de graves pénuries et les fonctionnaires ne sont pas payés. Tout ce que l’[In]Autorité palestinienne peut faire, c’est publier des déclarations de condamnation depuis Ramallah.

Israël ne peut pas avoir le beurre et l’argent du beurre. La raison d’être de l’[In]Autorité palestinienne est d’apporter une solution politique. Elle ne peut pas présenter les incursions des FDI à Jénine comme un cadeau à l’Autorité palestinienne, tout en n’offrant aucun horizon politique et en s’attaquant au moindre vernis d’“État de droit” en Cisjordanie.

En mars, le sondeur Khalil Shikaki a constaté pour la première fois qu’une majorité de Palestiniens pensait que la dissolution de l’[In]Autorité palestinienne était dans leur propre intérêt.

Au vu de son bilan, qui peut les en blâmer ? Et du côté de la politique israélienne, la démagogie a-t-elle pris le pas sur une véritable évaluation de ce qu’il adviendra du conflit et des Israéliens si l’[In]Autorité palestinienne s’effondre ?

Ce qui se passe aujourd’hui à Jénine n’est que le prélude - et une mise en garde contre - d’une explosion bien plus incontrôlée, de part et d’autre de la Ligne verte.



04/06/2023

AMEER MAKHOUL
Comment les dirigeants israéliens menacent de faire la guerre à l’Iran pour résoudre la crise interne

Ameer Makhoul (bio) , middleeasteye.net, 31/5/2023
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

La récente “guerre des menaces” a révélé la profondeur de la crise économique et financière d’Israël résultant du coup d’État judiciaire entrepris par le gouvernement actuel

Le chef de l’état-major général de l’armée israélienne, Herzi Halevi, s’exprime lors de la conférence de Herzliya le 23 mai 2023 (Twitter)

La conférence d’Herzliya des 22 et 23 mai, qui s’est tenue à l’université israélienne Reichman, a servi de cadre à l’amplification des menaces militaires contre des cibles régionales, notamment le Liban et l’Iran. Selon le chef d’état-major des forces israéliennes, Herzl “Herzi” Halevi, des attaques "aériennes, maritimes et terrestres" sont envisageables.

 S’exprimant lors de la conférence, Halevi a évoqué la possibilité d’une attaque préventive israélienne : « Des développements négatifs pourraient nécessiter une action contre l’Iran. Le moment d’une attaque [militaire] préventive contre le Hezbollah qui garantirait notre avantage devrait être examiné... [Hassan] Nasrallah ose nous affronter, mais le rétablissement après la guerre serait extrêmement difficile pour le Liban ».

 La conférence a coïncidé avec des visites de bases militaires stratégiques par le Premier ministre
Benjamin Netanyahou et le ministre de la Sécurité Itamar Ben-Gvir, qui se sont récemment fait l’écho de ces sentiments dans leurs déclarations publiques.

 Cette année, la conférence annuelle sur la sécurité avait pour thème “Visions et stratégies à l’ère de l’incertitude”, partant du principe que l’État juif serait au bord d’une guerre régionale désastreuse. Dans ce contexte, les dirigeants militaires et gouvernementaux du pays ont multiplié les menaces explicites à l’encontre de l’Iran, du Hezbollah, de la Syrie et du Liban.

 

"L'Iran est une menace pour la paix"-Sur la hache : "Colonies"
Carlos Latuff

Se préparer à la guerre

Le ministre de la Défense, Yoav Gallant, a déclaré lors de la conférence qu’Israël se préparait à ce qu’il a décrit comme une “guerre difficile, complexe et sur plusieurs fronts”. Il a accusé les Gardiens de la révolution iraniens de “transformer des navires commerciaux civils en bases militaires, en transporteurs de drones et en bases terroristes maritimes au Moyen-Orient”.

Il est intéressant de noter que ces menaces semblent avoir suscité plus d’intérêt de la part des médias étrangers que de la part des médias israéliens.

Gallant a ajouté : « Ces plates-formes terroristes maritimes représentent une extension du terrorisme maritime de l’Iran dans le golfe Persique et la mer d’Arabie, avec l’ambition d’étendre sa portée à l’océan Indien, à la mer Rouge et peut-être même à la mer Méditerranée ».

 Gallant propose une “solution” : « Seules la coopération internationale et la mise en place d’une coalition contre le terrorisme iranien dans le Golfe, ainsi qu’une menace militaire réelle contre chaque front, permettront d’affronter le plus efficacement possible le terrorisme iranien, que ce soit dans les airs, en mer ou sur terre ».

 Par ailleurs, le chef de la direction du renseignement militaire, le général Aharon Haliva, a lancé un avertissement : « Nasrallah est sur le point de commettre un faux pas qui pourrait plonger la région dans une guerre importante ». Il a évoqué un
incident récent impliquant un combattant du Hezbollah qui a franchi la frontière israélienne et posé un engin explosif près du carrefour de Megiddo, à l’intérieur du pays, disant qu’il n’était ni accessoire ni unique.

Haliva a souligné que l’Iran continuait d'avancer dans ses ambitions nucléaires, en progressant dans l’enrichissement de l'uranium. Il a déclaré : « Nos évaluations indiquent que l’Iran n’a pas encore pris la décision définitive d’obtenir des armes nucléaires. Israël reste vigilant et suit de près tous ces changements ».

Haliva a ajouté que
le retour de la Syrie au sein de la Ligue arabe, ainsi que le réchauffement des relations et la visite du président Bachar Al Assad en Arabie saoudite, laissent présager une remontée du moral et de l’assurance des Syriens, ce qui pourrait renforcer le défi que représente la Syrie pour Israël.

Dans une contradiction apparente, la rhétorique exacerbée menaçant d’une guerre préemptive imminente contraste fortement avec la nature même de la guerre préemptive, qui repose traditionnellement sur des éléments de tromperie et de surprise.

La perception unilatérale selon laquelle le Hezbollah a été dissuadé depuis 2006, associée aux affirmations de la conférence d’Herzliya selon lesquelles il est désormais plus audacieux dans sa confrontation avec Israël, néglige un point essentiel, à savoir qu’Israël lui-même aurait pu être dissuadé. La dissuasion est en effet une voie à double sens. Cette notion a d’ailleurs été illustrée par la récente résolution de la crise du gaz en Méditerranée orientale, ainsi que par le barrage de missiles qu’Israël a essuyé depuis le Sud-Liban il y a quelques semaines.

Plusieurs analystes militaires soutiennent que le mandat de Netanyahou en tant que premier ministre pendant la majeure partie de la dernière décennie, en particulier ses efforts pour saper l’accord sur le nucléaire iranien jusqu’à son abandon par l’administration Trump, a peut-être posé par inadvertance un risque stratégique pour Israël.

 Cette affirmation découle de l’observation que le rythme de l’enrichissement de l’uranium et le développement de missiles à longue portée en Iran se sont tous deux accélérés, à la suite du retrait des USA
de l’accord. Ils ajoutent que tout acte d’agression contre l’Iran pourrait inciter ses dirigeants à accélérer l’achèvement de son projet nucléaire militaire, ce qui est tout à fait contraire aux intérêts stratégiques d’Israël.



Emad Hajjaj

 Motivations politiques

L’analyste politique israélien Ronel Alfer et l’analyste militaire Amir Oren affirment dans Haaretz que la position adoptée par les dirigeants militaires, les institutions de sécurité et le gouvernement actuel est principalement destinée à l’opinion publique israélienne. Selon les analystes, la menace de guerre est devenue un cliché, bien qu’elle prévienne efficacement l’insubordination militaire potentielle parmi les pilotes.

Ils estiment en outre que ce climat d’alerte accrue aide Netanyahou à atteindre son objectif, qui est d’écarter ses rivaux politiques, tels que Ben-Gvir et le parti Otzma Yehudit (Pouvoir juif), et d’intégrer le chef de l’opposition, Benny Gantz, dans un gouvernement de coalition d’urgence. Ils estiment en outre que l’intégration de Gantz dans le gouvernement pourrait obtenir l’approbation de l’administration Biden.

Alfer évoque en outre la possibilité qu’Israël mette en péril sa propre sécurité pour tenter de faire dérailler les efforts de “réforme judiciaire” et de surmonter la crise interne en cours. Selon lui, cela pourrait déboucher sur un conflit motivé par des objectifs politiques internes.

 À la suite de ses attaques contre Gaza, Netanyahou a réussi à regagner une partie de sa
popularité et de sa stature perdues, mais ce rebond est notablement limité et n’a pas modifié l’orientation dominante de la politique intérieure israélienne.

La population israélienne est actuellement plus préoccupée par l’état de l’économie, l’escalade des prix et l’appréhension d’un effondrement économique que par les questions relatives à l’Iran. La pression économique a été encore exacerbée par le spectre de la guerre, qui a entraîné une dépréciation marquée du shekel israélien par rapport aux devises étrangères, ce qui laisse présager de nouvelles hausses de prix et une inflation financière.

En outre, les événements en cours coïncident avec la ratification d’un budget d’État de deux ans pour lequel Netanyahou s’est manifestement plié aux exigences de ses partenaires de coalition, à savoir les sionistes religieux et les Haredim.

Manque de capacité

Bien qu’elle reste entourée d’incertitude et de scepticisme, une autre question clé est de savoir si Israël est préparé à une guerre bien calculée contre le Hezbollah et l’Iran. Plusieurs analystes ont conclu qu’Israël, malgré ses formidables capacités militaires et ses prouesses dans l’utilisation de l’intelligence artificielle à des fins militaires, pourrait ne pas être en mesure de dicter pleinement l’issue, la trajectoire et l’ampleur d’une telle guerre.

La capacité du front intérieur israélien à supporter une guerre d’une ampleur presque totale est tout aussi obscure.

Selon les déclarations du chef d’état-major israélien, la menace du Hezbollah a été gérée efficacement depuis 2006. Toutefois, cette même période illustre également la position similaire d’Israël en matière de dissuasion. Pendant toutes ces années, la frontière nord est restée l’une des lignes de confrontation les plus pacifiques.

En outre, l’accord définissant la démarcation des frontières maritimes entre le Liban et Israël, en particulier en ce qui concerne l’exploration gazière, témoigne de cette double dissuasion politique et militaire. Les récentes déclarations de l’état-major israélien viennent compléter ce tableau complexe. À la suite de la dernière agression contre Gaza, les autorités israéliennes ont précisé que les évaluations appropriées pour évaluer les attaques contre le Jihad islamique ne s’appliquaient pas au front nord, où opère le Hezbollah.

 Cette déclaration fait suite aux travaux de la conférence d’Herzliya, où, selon les évaluations israéliennes, le Hezbollah a été qualifié de front le plus redoutable de l’Iran.

 Si l’objectif de ces menaces est de rajeunir la capacité de dissuasion d’Israël, cela correspondrait à l’affirmation de Netanyahou sur la supériorité d’Israël dans le domaine de “l’intelligence humaine et artificielle”. Cette dernière partie concerne les opérations militaires, les cybercapacités et “l’influence sur l’opinion publique et le moral de l’adversaire”.

 Toutefois, l’Iran et le Hezbollah considèrent le gouvernement de. Netanyahou comme un facteur qui a affaibli Israël sur le plan stratégique, ce qui se reflète dans la diminution de son influence régionale. Pour eux, le leadership actuel offre plus d’opportunités que de risques. Revenant apparemment sur ses menaces, un porte-parole de l’armée israélienne a déclaré aux médias étrangers le 24 mai que les avertissements émis par les dirigeants politiques et militaires du pays « ne signifient pas qu’une guerre se profile à l’horizon, ni qu’Israël va frapper l’Iran de manière imminente ».



La Chine parraine l'accord entre l'Iran et l'Arabie saoudite
Emad Hajjaj

Changement d’alliances

Dans un paysage régional en mutation, des signes naissants de réconciliation interarabe et arabo-iranienne apparaissent. Dans le même temps, Israël et les USA affirment que l’Iran aide la Russie en lui fournissant des drones et des missiles dans le cadre du conflit russo-ukrainien.

En fin de compte, il est peu probable que l’escalade des menaces des dirigeants israéliens précipite une guerre à grande échelle

Cet alignement de l’Iran sur la Russie et la Chine, tel qu’il est perçu par Netanyahou, pourrait susciter l’intérêt des USA pour une éventuelle attaque contre l’Iran, mettre un terme à la détente entre l’Arabie saoudite et l’Iran et entre les pétromonarchies du Golfe et la Syrie, et limiter les efforts arabes visant à instaurer un nouvel ordre mondial fondé sur la multipolarité plutôt que sur une configuration unipolaire.

Les analyses israéliennes suggèrent qu’en menaçant d’une guerre régionale, Netanyahou pourrait accélérer les pressions usaméricaines sur l’Arabie saoudite pour qu’elle normalise ses relations diplomatiques avec Israël. Cet effort comprend actuellement des mesures limitées à court terme telles que la facilitation des vols directs entre Israël et l’Arabie Saoudite pour transporter les pèlerins du Hadj parmi les Palestiniens de 1948.

Il est de plus en plus douteux que la guerre de menaces orchestrée par Israël se transforme en une véritable guerre, une entreprise qui présente des risques dépassant de loin toute capacité à en prédire les conséquences - potentiellement dévastatrices non seulement pour le Liban, mais aussi pour Israël lui-même.

Le récent assaut israélien sur Gaza, qui visait spécifiquement le mouvement du Jihad islamique, relativement petit et de capacité limitée, a mis en évidence l’incapacité d’Israël à contrôler efficacement la progression de l’offensive ou à dicter sa conclusion. Comme l’a déclaré Halevi, la situation sur le front nord est totalement différente de celle de Gaza, et les mêmes stratégies ne peuvent être employées.

Dans ces conditions, il semble que l’influence régionale d’Israël ait diminué de manière significative et palpable. Il est également très peu probable que les dirigeants israéliens parviennent à remodeler les priorités mondiales des USA au profit de leur propre agenda politique. Par ailleurs, la “guerre des menaces”, répétée depuis 2004 et en particulier en 2013 et 2014 avant la conclusion de l’accord international sur le programme nucléaire iranien, est devenue inefficace.

Les objectifs de cette rhétorique sont axés sur des gains à court terme plutôt que sur une stratégie à long terme. La “guerre des menaces” actuelle a révélé la profondeur de la crise économique et financière d’Israël résultant du coup d’État judiciaire entrepris par le gouvernement actuel.

Alors que certaines guerres ont pu soutenir l’économie israélienne dans le passé, elles sont devenues désastreuses pour l’économie, qui retient actuellement l’attention de la société israélienne plus que toute autre question. Cela indique que la crise politique interne israélienne, le coup d’État judiciaire et ses résultats sont à l’origine de l’érosion de la dissuasion israélienne, parallèlement aux transformations régionales et mondiales mentionnées précédemment.

 En fin de compte, il est peu probable que l’escalade des menaces des dirigeants israéliens précipite une guerre à grande échelle. Et bien que les manœuvres diplomatiques usaméricaines puissent favoriser une certaine détente entre Israël et l’Arabie saoudite, la perspective de relations diplomatiques formelles reste incertaine.

 

 

28/05/2023

GIDEON LEVY
Il ne reste que deux options pour Israël : une nouvelle Nakba ou un État pour deux peuples

Gideon Levy, Haaretz, 28/5/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

L'une des plus grandes réussites de Benjamin Netanyahou est d'avoir définitivement balayé de la table la solution des deux États. En outre, au cours de ses années au poste de premier ministre, il est parvenu à faire disparaître l'ensemble de la question palestinienne de l'agenda public.

Illustration : Marina Grachanik

En Israël et à l'étranger, plus personne ne s'y intéresse, si ce n'est pour la forme, du moins pour l'instant. Aux yeux de la droite, il s'agit d'une formidable réussite. Aux yeux de toute autre personne, il s'agit d'une évolution désastreuse, l'indifférence à son égard étant encore plus désastreuse.

Netanyahou ne nous laisse que deux solutions à long terme, et pas plus : une seconde Nakba ou un État démocratique entre le Jourdain et la mer Méditerranée. Toute autre solution est insoutenable et n'est qu'une illusion, comme toutes celles qui l'ont précédée, destinée à gagner du temps pour consolider l'occupation. Non pas qu'il y ait beaucoup plus à consolider : l'occupation est profonde, consolidée, forte et irréversible. Mais si l'on peut la consolider encore plus, pourquoi pas ? Le retrait de la question de l'ordre du jour permettra de déclarer officiellement la mort de la solution à deux États, des décennies après qu'elle est morte de facto.

Netanyahou souhaitait supprimer tout débat sur l'existence de deux États, et il y est parvenu sans difficulté. Il n'est pas étonnant que les deux parties sachent parfaitement qu'aucune solution sérieuse et globale n'a été proposée depuis que les premiers colons ont occupé le Park Hotel à Hébron en 1968. En tout état de cause, il n'y a pas de place entre le Jourdain et la Méditerranée pour deux véritables États-nations, dotés de tous les attributs d'un État indépendant, y compris d'une armée. Il y a tout au plus de la place, dans les bons jours, pour une superpuissance régionale juive et un État palestinien fantoche. Il faut respecter les personnes qui se battent encore pour deux États dans leurs prévisions, leurs plans, leurs tableaux et leurs cartes, mais aucune base de données ne peut changer le fait flagrant qu'aucun véritable État palestinien ne sera établi ici. Sans lui, il n'y a pas de solution à deux États.

En tuant cette solution, Netanyahou ne nous laisse que deux solutions possibles. La grande majorité des Israéliens, y compris Netanyahou lui-même, comptent sur la perpétuation de l'apartheid pour l'éternité. Ostensiblement, cela semble être le scénario le plus raisonnable. Mais la montée en puissance de la droite israélienne et l'esprit de résistance des Palestiniens, qui ne s'est pas complètement dissipé, ne permettront pas que cette situation perdure éternellement. L'apartheid est une solution provisoire, peut-être à long terme - il est en place depuis plus de 50 ans et peut persister pendant encore 50 ans - mais sa fin viendra. Comment cela se passera-t-il ? Il n'y a que deux scénarios possibles. L'un est privilégié par l'extrême droite et, malheureusement, peut-être par la quasi-totalité des Israéliens : une seconde Nakba. Si les choses se précipitent et qu'Israël doit choisir entre un État démocratique pour deux peuples et une expulsion massive de Palestiniens afin de maintenir l'existence d'un État juif, le choix sera clair pour la quasi-totalité des Juifs israéliens. À partir du moment où la solution de deux États a été écartée, ils n'ont plus eu d'autre choix.

C'est une bonne chose que la solution des deux États ait été retirée de l'ordre du jour, étant donné que l'implication stérile actuelle dans ce domaine n'a fait que causer des dégâts. Il s'agissait d'une solution prête à l'emploi, nous l'adopterons donc au moment opportun. Cela a consolé le monde et les camps de gauche et du centre en Israël, tout en ignorant les centaines de milliers de colons violents qui exercent un pouvoir politique important et qui ont donné le coup de grâce à cette solution il y a longtemps. Dans une Cisjordanie dépourvue de Juifs, cette solution avait quelques chances ténues, mais pas dans une région où les colons règnent en maîtres. Le problème, c'est que les cinq millions de Palestiniens qui vivent entre le Jourdain et la Méditerranée ne vont nulle part entre-temps.

Le jour viendra, même si ce n'est que dans un avenir lointain, où l'on nous braquera un pistolet sur la tempe : une deuxième Nakba, avec l'expulsion des Arabes israéliens [Palestiniens de 1948], ou un seul État démocratique, avec un premier ministre ou un ministre de la Défense palestinien, une armée commune, deux drapeaux, deux hymnes et deux langues. Il n'y a pas d'autre solution que celles-ci. Laquelle choisirez-vous ?