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26/08/2023

GIDEON LEVY
Qusai, 16 ans, se rendait en scooter chez son oncle. Il a été exécuté par la police israélienne

 Gideon Levy et Alex Levac (photos), Haaretz, 26/8/2023
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

 Un adolescent palestinien de Jéricho se rendait chez des parents dans la banlieue de la ville lorsqu’il a été pris dans un raid de la police des frontières. Une seule balle l’a abattu et tué. « Deux terroristes ont été éliminés, dont le sujet de votre enquête », a déclaré la police à Haaretz

 

Le père endeuillé, Omar Walaji

 

Le scooter, un SYM 125 cc, est abîmé et éraflé à l’avant et sur les deux côtés. Des taches de sang séché parsèment le plancher, le siège et la carrosserie. Une photo de son conducteur - le jeune, ou plutôt le garçon - Qusai Walaji, est accrochée au guidon du véhicule cassé. Il est garé dans l’arrière-cour de la maison des Walaji, dans la rue Kitaf al-Wad, dans un quartier résidentiel de Jéricho. Cette semaine, il est devenu le mémorial à Qusai, qui y a été tué par balle. Il avait 16 ans au moment de sa mort.

 

Lorsque nous avons rendu visite cette semaine au père endeuillé, Omar Walaji, nous avons parlé pendant un bon moment de son fils et de son exécution par la police des frontières une semaine auparavant. Pendant tout ce temps, Omar s’est montré cordial, facile à vivre, parlant de son fils, qui avait été tué si peu de temps auparavant, comme s’il parlait de l’enfant des voisins. Mais vers la fin de notre conversation, lorsque nous lui avons redemandé s’il avait craqué et à quel moment - il avait d’abord éludé la question - son visage s’est soudain crispé et ses lèvres ont tremblé. Il a essayé de toutes ses forces d’étouffer ses larmes, mais sa retenue a cédé. Il a ouvertement versé les larmes amères d’un père qui pleure son fils bien-aimé.

 

« Vous avez ouvert sa blessure », a dit l’un des deux autres fils d’Omar, qui se trouvaient dans la pièce.

 

Omar a raconté qu’il n’avait pleuré que lorsqu’il avait vu le corps de son fils à l’hôpital de Jéricho, alors que les médecins essayaient, en vain, de le réanimer. Il n’avait pas pleuré depuis, mais là, les larmes coulent de manière incontrôlée. Embarrassé, il s’est précipité dans la salle de bain pour se laver le visage, comme un garçon puni qui a été renvoyé, et est revenu en se cachant le visage dans une serviette. Les pleurs ne se sont pas calmés facilement. Qusai n’est plus là.

 

Qusai a abandonné l’école en dixième année pour aider à subvenir aux besoins de sa famille. Il a travaillé dans un magasin de légumes à Jéricho, qui appartient à son oncle, puis, la nuit, il a travaillé à la maison avec son frère pour préparer des feuilles de molokhia [ou mouloukhiya/mloukhiyé, corète, jute rouge] utilisées pour faire de la soupe, afin de compléter ses revenus. Lors de notre visite, des sacs de plantes étaient posés au fond du salon. La famille du jeune homme est originaire du village de Wallaja, à côté de Jérusalem. En 1948, ils ont perdu leurs terres et se sont réfugiés dans le camp de Deheisheh, près de Bethléem, avant de s’installer à Jéricho. La maison des Walajis est un immeuble de trois étages qui abrite la famille élargie.

 

Il fait extrêmement chaud à Jéricho au mois d’août, et les grands refroidisseurs d’air portables Emek Coolers, fabriqués en Israël, travaillent d’arrache-pied. Omar est un homme petit et trapu de 51 ans qui, jusqu’à la semaine dernière, avait cinq enfants. Ses fils aînés, Ahmed, 26 ans, et Mohammed, 22 ans, tous deux grands et beaux, servent à leurs invités du café amer et des dattes sucrées. Mohammed travaillait jusqu’à récemment dans une succursale de la chaîne de supermarchés Rami Levy dans la colonie de Mishor Adumim - dans « l’exécution des commandes », dit-il en hébreu. Cependant, lorsque la police des frontières a tué son frère, son permis de travail a été automatiquement révoqué. Les familles palestiniennes endeuillées sont toujours punies deux fois : une première fois par la mort d’un être cher et une seconde fois par la privation de leurs moyens de subsistance.

 

Mohammed, à gauche, et Ahmed Wajali, avec le scooter que conduisait leur frère Qusai lorsqu’il a été abattu.

Les frères de Qusai ont essayé de le persuader de retourner à l’école, mais il n’aimait pas étudier et n’y est jamais retourné. Il travaillait au magasin de légumes tous les jours de 16 heures à 2 heures du matin, avant de rentrer chez lui pour s’occuper des feuilles de molokhia. Pendant l’été, les gens préfèrent travailler la nuit et dormir le jour. En effet, lorsque nous avons traversé la ville sous le soleil brûlant de l’après-midi en début de semaine, les rues elles-mêmes semblaient s’être dissoutes sous l’effet de la chaleur.


Le dernier jour de sa vie, Qusai n’est pas allé travailler mais est resté à la maison pour se reposer, comme il le faisait à l’occasion. Seul Mohammed est allé travailler au magasin de leur oncle ; ils avaient l’habitude de s’y rendre ensemble sur le scooter de Qusai. Ce jour-là - le lundi 14 août - Qusai travaillait avec les feuilles, et vers 2h30 du matin le mardi, il est sorti pour acheter des cigarettes. Environ une heure plus tard, il a pris le scooter et s’est rendu au camp de réfugiés d’Aqabat Jabr, situé à la périphérie sud de Jéricho.

 Ces derniers mois, Aqabat Jabr est devenu un lieu militant et sanglant. Presque chaque nuit, les Forces de défense israéliennes et les troupes de la police des frontières font des descentes dans le camp pour exécuter des « opérations d’arrestation » aussi provocatrices qu’inutiles ; à certaines occasions, les soldats se montrent également dans la journée, comme nous l’avons vu lors de notre précédente visite en mars dernier.

Début février, à la suite d’un incident au cours duquel un restaurant appartenant à des colons au carrefour d’Almog Junction, près de la mer Morte, a été la cible de tirs - personne n’a été blessé - les forces des FDI et de la police des frontières ont lancé un assaut de grande envergure sur le camp, d’où elles pensaient que les suspects venaient, et ont tué cinq jeunes gens en une seule nuit, selon les autorités israéliennes. Mais les habitants du camp affirment qu’on ne sait toujours pas exactement qui et combien de personnes ont été tuées, car Israël a conservé les corps. Une mère, qui pensait que son fils avait été blessé, est arrivée dans un hôpital en Israël et a été consternée de découvrir que le patient dans le lit n’était pas son fils - qui, s’est-il avéré, avait été tué ("Jours tragiques dans les annales d’un camp de réfugiés palestiniens, 31/3/2023).

Au cours de l’année écoulée, 13 jeunes Palestiniens ont été tués à Aqabat Jabr - un nombre important pour un petit camp, autrefois considéré comme calme. Le 10 avril, des soldats y ont tué un jeune de 15 ans, Mohammed Balahan ; la semaine dernière, c’était un jeune de 16 ans.

 

Mardi à l’aube, Qusai se rendait chez son oncle et ses cousins, la famille Indi, dans le camp de réfugiés, où il se rendait fréquemment. Environ un quart d’heure après son départ, ses frères ont reçu un message d’un ami du camp indiquant que Qusai avait été blessé et transporté à l’hôpital de Jéricho. Avec leur père, ils se sont précipités à l’hôpital, apprenant quelques minutes plus tard que l’adolescent avait été déclaré mort. Qusai a été enterré aux premières lueurs du jour, car la famille ne voulait pas conserver son corps en chambre froide, nous disent-ils.

 

Cette nuit-là, la police des frontières avait organisé un raid à grande échelle sur Aqabat Jabr, pénétrant dans le camp peu de temps avant l’arrivée de Qusai. S’il avait su que les forces armées étaient entrées dans le camp, il ne se serait pas approché, affirment ses frères. La police des frontières avait pour mission de placer en détention un homme du Fatah, Abu al-Assal, une opération qui a suscité la résistance de militants armés. Les soldats ont pris position sur les toits.

 

Qusai Wajali

 L’oncle de Qusai habite non loin de la maison où l’homme recherché a été arrêté. Dans une autre partie du camp, la police des frontières avait déjà tué Mohammed Najum, un maître-nageur de 25 ans de la piscine de Jéricho, apparemment au cours d’échanges de coups de feu avec les militants. Mais Qusai, un jeune de 16 ans, venait d’arriver en scooter ; il est difficile de croire qu’il avait une arme ou qu’il a participé à la résistance. A-t-il jeté des pierres depuis le SYM 125 ? Cela défie l’entendement. Sa famille dit qu’elle ne peut même pas concevoir un tel scénario. Elle admet qu’elle ne connaît pas encore tous les détails de ce qui s’est passé ; elle n’a pas enquêté elle-même sur l’incident.

 

Selon Aref Daraghmeh, chercheur de terrain dans la vallée du Jourdain pour l’organisation israélienne de défense des droits humains B’Tselem, Qusai est arrivé par hasard sur les lieux après être entré dans le camp et a été abattu à quelques dizaines de mètres de distance. Il est convaincu que Qusai n’était pas armé. Une balle a atteint l’adolescent à la poitrine et il est tombé sur le scooter. Des jeunes l’ont embarqué dans une voiture privée et ont filé à l’hôpital.

 

Un porte-parole de la police israélienne a déclaré cette semaine, en réponse à une question posée par Haaretz : « Le 15/8/23, les forces de sécurité sont arrivées pour procéder à l’arrestation d’un individu recherché et pour fouiller sa maison à la recherche d’armes. Dans le cadre des échanges de tirs qui ont eu lieu entre les forces et les terroristes, deux terroristes qui ont ouvert le feu sur les forces ont été éliminés, y compris le sujet de votre enquête ».

 

L’objet de notre enquête était donc un terroriste.

 

« Il était jeune », dit son père en pleurs, la voix brisée. « Si jeune ».

 

 

24/08/2023

GIDEON LEVY
Les “héros” israéliens exécutent des “Arabes” en toute impunité


Gideon Levy, Haaretz, 24/8/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

 

Le clip vidéo est horrible. Un groupe de jeunes hommes s’occupe d’un homme blessé qui gît sur la route, tandis que l’on entend en arrière-plan les cris des personnes vivant à proximité. On voit un homme portant une chemise blanche courir vers le blessé. Une ambulance fait retentir sa sirène. Et soudain, c’est l’horreur. Un coup de feu retentit et une balle atteint l’homme en chemise blanche, qui est touché par derrière. Il tombe face contre terre.

Amid Ghaleb Bani Shamsa, électricien de 33 ans et père de trois enfants, est hospitalisé dans un état critique. Mardi, il a été transféré de l’hôpital Rafidiya de Naplouse à l’hôpital Istishari de Ramallah, mais son état reste critique. La photo de lui riant avec son fils en bas âge n’est pas moins triste que celle de Batsheva Nigri, également mère de trois enfants, qui a été tuée presque exactement au même moment près de la colonie de Beit Hagai, en Cisjordanie. Israël n’a bien sûr pleuré que Nigri. Il a à peine entendu parler de Bani Shamsa.


Amid Ghaleb Bani Shamsa

 Bani Shamsa a été victime d’une tentative d’exécution Il n’y a pas d’autre façon de décrire les circonstances de cette fusillade criminelle et répugnante. Un homme désarmé va porter secours à un blessé allongé sur la route, et un tireur d’élite le vise à la tête et l’abat à distance. C’est le moment de se lamenter sur le fait qu’il n’y a pas (encore) de peine de mort en Israël. Si c’était le cas, peut-être que Bani Shamsa aurait au moins été exécuté à l’issue d’une procédure judiciaire.

En attendant, on peut procéder à des exécutions sans procès, sans raison, juste pour le plaisir. Peut-être pour satisfaire la soif de tirer ou le désir de vengeance des soldats et des agents de la police des frontières. Peut-être voulaient-ils raconter comment ils avaient tué un terroriste en rentrant chez eux. Peut-être parce qu’ils savaient qu’il ne leur arriverait rien s’ils tiraient une balle dans la tête d’un Palestinien.

Tirer sur quelqu’un qui tente de donner les premiers soins à un blessé est un crime de guerre au plus haut degré. J’espère qu’à la suite de la réforme judiciaire, les agents de la police des frontières comme celui qui a tiré une balle dans la tête de l’électricien de Beita pourront désormais être poursuivis par la Cour pénale internationale de La Haye. Ce n’est que là qu’ils auront une chance de payer pour leurs crimes. Ici, ils seront considérés comme des héros.

Leur victime n’a menacé personne, elle n’était pas armée et on peut supposer qu’elle n’a pas participé à la résistance légitime des habitants palestiniens à l’invasion de leur village de Beita par la police des frontières. Beita se bat depuis de nombreux mois contre le vol de ses terres par l’avant-poste de colons insolent et malfaisant d’Evyatar.

Bani Shamsa n’est pas la première victime de ce village, ni la dernière. Il n’est pas non plus la première ou la dernière victime d’une exécution ces dernières semaines.

Cette semaine, j’étais à Jéricho afin d’enregistrer les circonstances de la mort d’un jeune de 16 ans qui se trouvait sur son scooter dans le camp de réfugiés voisin d’Aqbat Jaber. Lui aussi a été abattu par la police des frontières, à distance, non pas d’une balle dans la tête mais d’une balle dans la poitrine, ce qui constitue un petit changement tactique. Il s’agit là aussi d’une exécution.

La semaine dernière, nous avons relaté les tirs insensés sur une voiture qui passait innocemment, sans raison. Un étudiant a été tué et son ami a été blessé. Un mois plus tôt, une autre fusillade insensée contre une voiture en marche. Cette fois, la fusillade a laissé deux jeunes gens handicapés. Qu’en est-il du soldat de Nabi Saleh qui a tiré à distance, atteignant à la tête Mohammed Tamimi, âgé de deux ans et demi, et le tuant en juin ? Ne s’agit-il pas d’une exécution ? Lorsque vous tirez une salve sur une voiture garée, dans laquelle un bébé vient d’être placé, c’est une exécution.

Dans la réalité qui prévaut, de telles exécutions ne feront qu’augmenter. Les médias israéliens n’en parlent presque jamais. Personne en Israël ne s’en offusquerait même si elles étaient dûment rapportées. Le mouvement de protestation regarde ailleurs - les exécutions de rue ne sont pas liées, selon lui, à la démocratie.

Lorsque tout s’inscrit dans le cadre d’une guerre contre le terrorisme, que seuls les Palestiniens sont considérés comme des terroristes, que l’armée et la police procèdent à des exécutions sans être désignées comme les agences de mise à mort d’un État terroriste, que les attentats ne sont définis comme des attaques terroristes que lorsque des Palestiniens tuent des Juifs, il n’est pas étonnant que l’histoire de la tentative d’exécution d’un électricien de Beita ait été publiée presque exclusivement dans le journal Haaretz. Après tout, qui s’intéresse au fait que quelqu’un reçoive une balle dans la tête, juste comme ça, comme si ce n’était rien ?


19/08/2023

GIDEON LEVY
Encore une “attaque terroriste” qui n’a jamais eu lieu : des soldats israéliens tuent un Palestinien et tabassent son ami

Gideon Levy et Alex Levac (photos), Haaretz, 19/8/2023

Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

 

Des soldats ont tiré des dizaines de balles sur une voiture dans laquelle se trouvaient deux étudiants dans leur village de Cisjordanie. L’un d’eux a été tué, l’autre a été blessé puis tabassé par les soldats. Il sagit d’un remake d’un autre incident, survenu le mois dernier, dont l’armée a également affirmé, à tort, qu’il s’agissait d’une tentative d’attaque à la voiture-bélier.

Un parent embrasse Mohammed Mukheimar

Un jeune étudiant est au bord de la route et pleure. Son corps entier tremble, sa voix est étouffée ; un parent tente de le prendre dans ses bras et de l’apaiser. Il est manifestement en état de choc. Comment pourrait-il en être autrement ? C’est à cet endroit, sur une route étroite qui sort du centre de son village de Cisjordanie, Sebastia, qu’il a perdu son ami le plus proche, sous ses yeux. En effet, les taches de sang du défunt sont encore visibles sur le sol.

 

C’est également à cet endroit que ce jeune homme de 19 ans a été blessé et tabassé par des soldats pendant un bon moment. C’est là que son ami a perdu le contrôle de la voiture dans laquelle ils se trouvaient, après avoir reçu des balles dans la tête et dans le torse ; le véhicule s’est écrasé contre la clôture le long de la route. Deux photographies du défunt portant une cravate rouge font partie du mémorial improvisé sur le site, avec quelques fleurs déjà fanées et un drapeau de la Palestine.

 

C’est là que Mohammed Mukheimar s’est tenu cette semaine et a raconté comment les soldats des Forces de défense israéliennes l’ont blessé puis brutalisé après avoir tué son meilleur ami, sans raison apparente. Les soldats ont prétendu que la voiture avait essayé de les écraser. Le fait que Mukheimar ait été libéré au bout de neuf jours par un tribunal militaire ne fait que démontrer que c’était une fiction : il n’y a pas eu d’attaque terroriste ni de tentative d’attaque à la voiture-bélier. Il n’y a eu que l’ivresse du pouvoir et les rodomontades de matamores de jeunes soldats qui s’ennuyaient, assoiffés d’action, et qui ont tiré une épouvantable série de balles. Sur une affiche défraîchie surplombant la scène de la mort, on voit Yasser Arafat saluer.

Il y a quelques semaines, cette rubrique rapportait une histoire étonnamment similaire (“Les soldats israéliens ont tiré et blessé des "assaillants" palestiniens présumés - mais ne les ont pas arrêtés, 29/7/2023). Deux jeunes cousins de la ville de Yabad se rendaient en voiture sur les terres de leur famille dans le village de Tura a-Sharkiya, lorsque des soldats des Forces de défense israéliennes ont tiré sur leur voiture, les blessant tous les deux grièvement. Les FDI ont prétendu qu’ils avaient tenté d’écraser les soldats, mais les auteurs présumés de cette “attaque terroriste” qui n’a jamais eu lieu n’ont même pas été placés en détention. Quelques semaines plus tard, nouveau cauchemar.


Affiches montrant une photo de Fawzi Makhalfa à l’endroit où il a été tué le mois dernier

Mohammed Mukheimar et Fawzi Makhalfa étaient des amis d’enfance qui vivaient côte à côte à Sebastia et faisaient tout ensemble. Le vendredi 21 juillet n’a pas dérogé à la règle. Ce soir-là, le père de Fawzi lui a demandé de se rendre à son usine de sacs en plastique dans le village voisin de Deir Sharaf et d’allumer les fours en prévision du travail du lendemain. C’était la routine habituelle du vendredi soir, après une journée de repos.

 

Fawzi a appelé Mohammed et lui a proposé de partir ensemble, comme toujours. Ils sont montés dans la Seat Ateka du père de Fawzi. Mohammed est étudiant en première année de comptabilité. Fawzi est également en première année et étudie la gestion d’entreprise. Tous deux fréquentent l’antenne de Naplouse de l’université ouverte d’Al-Quds.

 

Alors que la Seat s’engageait sur la route étroite, des soldats ont soudain surgi de l’obscurité devant eux. Il était 23 h 50. Mohammed estime qu’une quinzaine de soldats se sont dirigés vers eux sur la route, qui tourne légèrement à cet endroit. Les deux étudiants ont alors essuyé des tirs nourris, des dizaines de balles, sans aucun avertissement, se souvient-il. La tête de Fawzi était affaissée, mais Mohammed dit qu’il ne pensait pas que son ami était mort. Il a lui-même été touché par une balle dans le bras droit et par des éclats de projectiles dans différentes parties de son corps. Au vu de la photo de la voiture, criblée d’impacts de balles, il est difficile de croire que Mohammed a survécu.

 

Les soldats lui ont ordonné de sortir de la voiture, raconte-t-il aujourd’hui, debout sur la route, en revivant les événements. Ils ont pointé leurs fusils sur lui. Il a crié : “Ne tirez pas !” Après qu’il est sorti du véhicule, les soldats l’ont poussé et l’ont fait tomber par terre. L’un d’eux lui a mis un pied sur la gorge. Après environ trois minutes, dit-il, ils l’ont traîné jusqu’à un mur de béton au bout de la route. Un soldat lui a demandé, en arabe : “Qu’est-ce que vous foutiez, tous les deux ?” Mohammed a répondu qu’ils étaient en route pour Deir Sharaf et qu’ils ont été pris par surprise lorsque les soldats leur ont tiré dessus, sans raison et sans avertissement.

 

Mohammed dit qu’il pense avoir vu le soldat, qui s’était agenouillé près de lui, se lever et jeter un regard perplexe à ses camarades, comme pour leur dire : “Pourquoi avez-vous tiré ?” Entre-temps, une ambulance palestinienne est arrivée sur les lieux et a évacué Fawzi. Mohammed a voulu s’approcher de son ami - il ne savait pas encore que Fawzi était mort - mais les soldats lui ont barré la route, menaçant de lui tirer dessus à nouveau.

 

Mukheimar et Hani Makhalfa, à l’endroit où le fils de Hani, Fawzi, a été tué le mois dernier.


Les mains de Mohammed étaient attachées derrière son dos par des menottes en plastique. L’infirmier palestinien lui a alors annoncé que Fawzi était mort. Aujourd’hui, alors qu’il nous parle, il éclate en larmes amères et se souvient de la dernière image qu’il a de son ami : sa tête affaissée sur ses genoux. Entre-temps, les soldats lui ont dit de monter dans leur jeep. Un soldat l’a frappé avec la crosse de son fusil et Mohammed s’est effondré. Alors qu’il gît sur la route, un soldat lui donne un coup de pied dans le dos. Mohammed a réussi à se relever mais les coups de crosse n’ont pas cessé alors qu’il était conduit en direction de Shavei Shomron, une colonie située à un peu plus d’un kilomètre de là, où se trouve une base de l’armée. Du sang a coulé de son bras. Près de la barrière à l’entrée de la colonie, on lui a demandé de s’asseoir sur un rocher tout en lui bandant les yeux avec un chiffon.

 

Les soldats ont recommencé à le frapper et à lui donner des coups de pied, chacun à son tour. Un soldat l’a forcé à se lever, se souvient-il, pour ensuite l’assommer d’un coup. Finalement, il a été contraint de monter dans une jeep militaire et de s’allonger sur le sol, tandis que les coups continuaient. Ils l’ont piétiné, dit-il, un soldat appuyant sur sa gorge, un autre sur la blessure de son bras.

 

Il a été emmené à la base de la colonie, où un médecin de l’armée l’a examiné et a nettoyé sa blessure. Un autre médecin lui a fait une injection - violemment, dit-il. Environ une heure plus tard, une ambulance israélienne est arrivée et l’a emmené dans un hôpital, dont il ne sait pas lequel (probablement l’hôpital Meir, à Kfar Sava). Dans l’ambulance, il a senti qu’il perdait connaissance.

 

Après avoir passé une nuit en observation à l’hôpital, il a été libéré et emmené au poste de police de l’agglomération d’Ariel pour y être interrogé. Un officier a appelé son père pour l’informer de l’état de santé de son fils et a également permis à Mohammed de dire à son père qu’il serait amené au tribunal de Salem pour une audience de placement en détention provisoire dans deux jours. C’est à ce moment-là que nous avons arrêté le récit dans la chaleur torride du mois d’août et que nous nous sommes rendus au domicile de Fawzi.

 

Fatika, mère du défunt Fawzi Makhalfa, cette semaine. Elle pleure sans arrêt.

Les parents endeuillés : Fatika, 42 ans, qui pleure sans arrêt, et son mari, Hani, 48 ans, fabricant de sacs. Hani raconte qu’il a entendu des coups de feu cette nuit-là et qu’il a appelé avec angoisse les deux téléphones portables de son fils, mais qu’il n’a pas eu de réponse. Il est monté sur le toit de leur maison et a vu une voiture et des soldats regroupés autour d’elle. Il ne savait pas encore que son fils était impliqué. Il a appelé des voisins qui habitent au-dessus du lieu de l’incident pour leur demander ce qu’il en était de la voiture. Ils lui ont répondu qu’il s’agissait d’une Seat Atika. Hani s’est précipité à l’hôpital Rafidia de Naplouse, où on lui a annoncé la mort de son fils.

 

La grand-mère, Nisam, 75 ans, vêtue de noir, pleure à son tour. Mohammed, dont les pieds tapent nerveusement et sans cesse sur le sol, continue de raconter les événements de ce vendredi, fondant parfois en larmes. C’est un beau jeune homme délicat, avec un appareil dentaire.

 

L’officier de police a demandé à Mohammed de raconter ce qui s’était passé et a accusé le jeune homme d’avoir essayé de foncer sur les soldats. Mohammed dit qu’il a cru perdre la tête en entendant cela. “D’où est-ce que vous sortez ça ? Nous n’avons rien fait aux soldats”, déclare-t-il. Après l’interrogatoire, il a été emmené à la prison d’Ofer, près de Ramallah. Le lendemain matin, il a été transféré au centre médical de l’administration pénitentiaire à Ramle et, le jour suivant, à la prison de Megiddo.

 

Le mardi suivant, il a comparu devant le tribunal militaire de Salem, mais son audience a été reportée au dimanche suivant. En prison, il est de nouveau interrogé, cette fois par un agent des services de sécurité du Shin Bet qui se fait appeler “Tayaara” (avion) et qui menace Mohammed de le “faire décoller de là” s’il ment. L’agent l’a également accusé d’avoir planifié, avec Fawzi, un attentat contre les soldats. Il lui a montré un clip vidéo dans lequel Fawzi se filmait en train de chanter - on ne sait pas très bien pourquoi. Une fois de plus, alors qu’il raconte ces événements, Mohammed s’effondre et pleure. “Tu es un gros menteur”, a déclaré Tayaara à la fin de l’interrogatoire, au cours duquel il a également tenté de déterminer à quelle organisation les deux étudiants étaient affiliés.

L’unité du porte-parole des FDI a envoyé cette semaine la déclaration suivante à Haaretz : « Au cours d’une activité initiée par une unité des FDI dans le village de Sebastia le 21 juillet, une tentative a été faite de percuter les soldats avec une voiture. Ceux-ci ont répondu en tirant sur les deux suspects qui se trouvaient dans le véhicule. Au cours de l’incident, le conducteur a été tué et un autre suspect qui voyageait avec lui a été blessé et évacué pour recevoir une évacuation médicale [sic]. Les circonstances de l’événement sont en cours d’éclaircissement. Nous n’avons pas connaissance de plaintes concernant des violences commises par les soldats à l’encontre du suspect - si de telles plaintes sont déposées, elles seront examinées selon la procédure habituelle ».


Mukheimar et Hani Makhalfa, à l’endroit où le fils de Hani, Fawzi, a été tué le mois dernier.

 

Comme dans l’incident de Tura al-Sharkiya, il n’est pas possible d’accepter le récit de l’armée : S’il y avait eu ne serait-ce qu’un soupçon de preuve, Mohammed n’aurait pas été libéré. Salma a-Deb’i, chercheuse de terrain pour l’organisation israélienne de défense des droits humains B’Tselem, qui a enquêté sur l’affaire, a noté à juste titre que si Mohammed avait également été tué, il n’y aurait eu aucun moyen de prouver qu’une attaque terroriste n’avait pas eu lieu, qu’il s’agissait seulement d’un meurtre de plus de ce qui était apparemment une personne innocente.

 

Le dimanche 6 août, Mohammed a été ramené au tribunal de Salem, où son avocat, Salah Ayoub, l’a informé qu’il avait été décidé de le libérer. Nous lui demandons ce qu’il a ressenti à ce moment-là. “Tout ce que je voulais, c’était voir Fawzi”. Mais Fawzi avait déjà été enterré.

 

Mohammed s’est rendu directement au domicile de son ami et a visité la tombe avec les parents de Fawzi. Selon Abdulkarim Sadi, un autre chercheur de terrain de B’Tselem, qui a vu la vidéo de la visite de la tombe, Mohammed était très perturbé et dans un état très instable, dont les signes étaient encore visibles cette semaine.

 

« Parce qu’une telle amitié ne permettra jamais / À nos cœurs d’oublier / L’amour sanctifié par le sang / Reviendra fleurir entre nous », a écrit le poète hébreu Haïm Gouri dans son “Chant d’amitié”.

 

Mohammed dit que Fawzi était comme un frère pour lui, depuis l’âge de 6 ans.

 

 

20/06/2023

GIDEON LEVY
Deux Palestiniens, âgés de 2 et 80 ans, morts : affaires classées

Gideon Levy, Haaretz, 18/62023
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Coup sur coup, l’armée israélienne a légitimé la semaine dernière deux actes ignobles commis par ses soldats. Ils n’ont pas été jugés et n’ont pas été punis. Les FDI ont totalement innocenté ceux qui avaient envoyé à la mort un Palestinien âgé et ligoté, ainsi que celui qui avait tiré une balle dans la tête d’un enfant palestinien en bas âge, le tuant.

Les deux actes rivalisent par leur degré de barbarie. Pour les commandants des FDI, les deux sont corrects, normaux et acceptables. Désormais, les soldats de Tsahal sauront ce qu’ils savent depuis longtemps : ils peuvent faire tout ce qu’ils veulent, y compris tirer sur des enfants en bas âge et brutaliser des personnes âgées.

Aucun mal ne vous sera fait, leur dit-on. Vous avez agi comme on l’attendait de vous.

Des parents palestiniens lors des funérailles d’Omar As’ad, 80 ans, dans le village de Jiljilya en Cisjordanie, en janvier dernier. Photo : JAAFAR ASHTIYEH / AFP

Le premier acte ignoble a été commis il y a environ un an et demi, à 3 heures du matin, dans le village prospère et tranquille de Jiljilya, en Cisjordanie. Des soldats du bataillon Netzah Yehuda (qui d’autre ?) arrêtent un homme de 80 ans, Omar As’ad, pour le plaisir sadique de la chose. Il rentrait tranquillement chez lui après avoir rendu visite à un ami dans le village.

Il les supplie de le laisser tranquille. Ils le sortent de force de sa voiture, lui attachent les mains dans le dos, lui bandent les yeux avec un chiffon et lui enfoncent un autre chiffon dans la bouche pour l’empêcher de crier. Ils le traînent ensuite dans la rue. À ce moment-là, l’un des pieds d’As’ad est déjà nu après qu’une tong a glissé. Ils le poussent dans la cour d’un immeuble en construction. Là, ils le jettent à plat ventre sur un sol en béton et l’abandonnent dans l’air froid de la nuit, vêtu d’une simple chemise. Son kefieh est également tombé.

Il reste là pendant environ une heure, sans bouger, jusqu’à ce que les soldats reviennent pour lui détacher les mains avant de partir. Ils n’ont même pas remarqué qu’il était mort. Rien à foutre.

Propriétaire d’une épicerie à Milwaukee, dans le Wisconsin, As’ad est retourné, à un âge avancé, dans son village natal pour y finir ses jours avec ses amis d’enfance. Les soldats, qui l’ont jeté comme un sac pour la seule raison qu’il était palestinien, ont peut-être des grands-pères de son âge. Comment se seraient-ils sentis si leurs grands-pères avaient été traités de la sorte ?

Cette question n’a pas traversé l’esprit des soldats du bataillon Netzah Yehuda, qui se traduit par Judée éternelle. L’éternité d’As’ad a pris fin cette nuit-là, le 12 janvier 2022. Les soldats de Netzah l’ont expédié à la mort.

L’autopsie a révélé qu’il était mort d’une crise cardiaque causée par la violence dont il était la cible. Lorsque j’ai visité le site où il a été jeté dans la nuit froide avec des témoins oculaires qui avaient également été arrêtés sans raison par des soldats qui s’ennuiyaient, il était difficile de comprendre une telle cruauté et une telle insensibilité à l’égard d’un homme âgé, de forte corpulence, pieds nus et sans défense.

Le fait qu’As’ad soit un citoyen usaméricain a fait naître l’espoir que, peut-être, cette fois-ci, les FDI seraient obligées de s’écarter de la dissimulation habituelle. Au lieu de cela, une simple enquête a traîné pendant un an et demi. Personne n’a été arrêté. Personne ne sera jugé. Le porte-parole du département d’État usaméricain a un peu grogné sur l’affaire la semaine dernière, mais il n’y a pas lieu de s’inquiéter. Les USAméricains pardonneront à leur allié de traiter ainsi l’un de leurs propres citoyens.

Des hommes se tiennent à côté d’une affiche d’Omar As’ad, 80 ans, dans le village de Jiljilya en Cisjordanie, en janvier dernier. Photo : MOHAMAD TOROKMAN / REUTERS

Ce mois-ci, la nuit du 1er  juin n’était pas aussi froide à Nabi Saleh que cette nuit d’hiver à Jiljilya, et depuis, les soldats de Netzah Yehuda ont été renvoyés de Cisjordanie en raison de leur conduite - mais les nouveaux soldats du bataillon Duchifat, de la même brigade Kfir, étaient également très enthousiastes à l’idée de passer leur première nuit dans le village sans maman.

Quelqu’un avait entendu des tirs. Des soldats sont entrés dans le village et ont commencé à tirer en l’air sans se coordonner. Les soldats de la tour de garde n’ont rien signalé.

Un soldat en quête d’action a commencé à cribler de balles une voiture dont les phares avaient été allumés à l’entrée d’une maison à l’orée du village. À travers sa lunette à vision optique, il a vu ou n’a pas vu la petite tête de Mohammed Tamimi, 2 ans, et son père, Haitham. Il a tiré sur les deux, tuant le bambin.

Cette fois, l’enquête au niveau du commandement a été rapide. Le seul soldat réprimandé a tiré en l’air. Tirer sur l’enfant et son père était la bonne chose à faire - correcte, légale et morale.

22/04/2023

GIDEON LEVY
Azzoun : les jeunes hommes de cette ville palestinienne continuent de mourir

 Gideon Levy et Alex Levac (photos), Haaretz, 22/4/2023
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala 

 

Ayid Salim, un étudiant palestinien de 20 ans en architecture d’intérieur, a participé à des manifestations contre les troupes israéliennes qui ont effectué des raids sur sa ville natale. Un soldat qui pensait qu’Ayid lançait des pétards lui a tiré dessus à cinq reprises. C’est le troisième homme à mourir ainsi à Azzoun en un an

 

Azam Salim, le père d’Ayid

 La ville d’Azzoun est un lieu déshérité, militant, gorgé de souffrance. Pour son malheur, elle est située sur l’autoroute 55, la principale voie de communication entre Naplouse et Qalqilyah, dans le nord de la Cisjordanie, où la circulation des colons est intense. Deux grandes colonies - Karnei Shomron et Alfei Menashe - sont situées à l’est et à l’ouest, Azzoun étant coincé entre les deux. Parmi les habitants écoeurés de la ville, avec ses quelques garages et ateliers de métallurgie, la tentation de jeter des pierres sur les voitures des colons est très grande.

Les habitants sont condamnés à être assiégés, emprisonnés derrière des monticules de terre et une porte en fer jaune à l’entrée de la ville, qui est fermée par une chaîne pendant des jours et parfois des semaines, apparemment de façon arbitraire. Même lorsque le portail est grand ouvert, il est presque toujours gardé par des soldats des Forces de défense israéliennes. Les habitants qui sortent d’Azzoun ou ceux qui cherchent à y entrer vivent dans la crainte des forces étrangères qui gardent l’entrée jour et nuit. Trois jeunes gens ont été tués dans la ville au cours de l’année écoulée, tous de la même manière. Aucun d’entre eux n’était armé, ils n’ont apparemment mis personne en danger. S’il s’était agi de manifestants juifs ou de supporters de football de Jérusalem, le genre de personnes connues pour lancer des pétards, personne n’aurait songé à leur tirer dessus à balles réelles, avec l’intention de tuer. Si un policier ou un soldat tuait sans réfléchir un juif qui lançait des pierres ou des pétards, il serait probablement jugé. Mais à Azzoun, les soldats qui font cela aux Palestiniens “font leur devoir”, peut-être même sont-ils considérés comme des parangons d’héroïsme.

 

Ainsi, avec une insupportable désinvolture, sans susciter le moindre intérêt dans les médias ou ailleurs, des jeunes gens qui n’ont pratiquement rien fait de mal sont abattus. On abrège la durée de vie de personnes qui commencent à peine à vivre. Chez eux, les familles endeuillées se noient dans le chagrin et l’agonie, tandis que les soldats font comme si de rien n’était.

 

 
La ville d’Azzoun en 2020

Nous nous étions rendus à Azzoun il y a moins d’un an pour documenter les circonstances de l’assassinat de Yahya Adwan, âgé de 27 ans au moment de sa mort (“The suspected offense: throwing a firebomb. The punishment: death”, 13/5/2022). Adwan a d’abord été arrêté pour avoir jeté des pierres à l’âge de 14 ans et a été condamné à deux ans et demi de prison, après quoi il a dû quitter l’école. Il a passé une grande partie des années qui lui restaient à vivre dans les prisons israéliennes, soit un total de huit années de sa vie, pour avoir jeté des pierres, jusqu’à ce que des soldats le tuent.

 

C’était le vendredi soir, 29 avril 2022 - pendant le Ramadan précédent, lorsque l’armée a organisé une autre de ses opérations d’arrestation, des enlèvements pour la plupart inutiles qui provoquent inévitablement une résistance violente de la part des jeunes gens locaux - lorsqu’une jeep blindée de Tsahal s’est arrêtée dans la rue principale d’Azzoun. Sa portière s’est ouverte et un soldat à l’intérieur a tiré trois balles sur Adwan. Des images vidéo montrent l’acte de tuer. En un clin d’œil, la portière s’est refermée et la jeep a poursuivi sa route, tandis que le jeune homme se vidait de son sang.

 

À l’époque, Abdulkarim Sadi, chercheur de terrain pour l’organisation israélienne de défense des droits humains B’Tselem, avait noté que, d’après ses données, il s’agissait du cinquième cas, au cours des dernières semaines, où des soldats avaient ouvert le feu à balles réelles à partir d’une jeep blindée, avant de repartir. Les blessures par balles d’Adwan montrent qu’il a été abattu alors qu’il s’enfuyait. Quelques minutes plus tôt, un cocktail Molotov lancé sur la jeep avait explosé et s’était éteint sur le véhicule blindé, sans causer de dommages. On ne sait pas si c’est Adwan qui l’avait lancé.

 

Forces israéliennes en Cisjordanie en août. Photo : bureau du porte-parole des FDI

 Il a été abattu dans la rue principale de la ville, non loin de son domicile, à côté d’un supermarché qui porte le nom idyllique de Paradise, un véritable Eden. Le 2 mars dernier, Mohammed Salim, 17 ans, a été tué à côté de l’école locale, également par des soldats israéliens. C’était encore le Ramadan, et l’armée semait à nouveau la mort.

 

Le dernier chahid (martyr) de la ville a été abattu comme ses prédécesseurs. Il a lui aussi été tué dans la rue principale, non loin de chez lui, à une différence près : au lieu d’être tué à côté d’un supermarché ou d’une école, il a été abattu à côté d’une fontaine publique. Tout le reste est étonnamment similaire dans la vie et la mort des jeunes qui tombent à Azzoun.

 

Cette semaine, lorsque nous nous sommes rendus au domicile d’Ayid Salim, abattu le 8 avril, nous avons pu entendre en arrière-plan la psalmodie enregistrée de versets du Coran. Il avait 20 ans. Le père endeuillé, Azam Salim, est un chauffeur de camion de 55 ans ; sa femme, Kifah, 50 ans, est vêtue de noir. Ils ont cinq filles, et maintenant un seul fils. Ayid a abandonné l’école en seconde et a travaillé dans un atelier de réparation de pneus près de chez lui, pour aider à subvenir aux besoins de la famille. Il y a deux ans, il a suivi un cours de trois mois sur la décoration et l’aménagement de la maison, dans un établissement d’enseignement supérieur situé à Qalqilyah, non loin de là. Il n’a pas pu trouver d’emploi dans son nouveau domaine et a continué à travailler dans l’atelier de réparation de pneus. Son frère aîné Ali, 27 ans, travaille comme terrassier, mais il ne peut pas économiser suffisamment d’argent pour une future vie de couple en raison de la situation économique de sa famille. Les murs du salon des Salim sont nus, certains n’ont même pas été enduits ; quelques chaises en plastique sont empilées dans un coin, pratiquement le seul mobilier présent.

Ayid Salim, qui a été tué ce mois-ci. Son cousin avait vu un jeune homme allongé sur le sol en train de saigner, s’était approché pour l’aider - et avait alors vu qu’il s’agissait d’Ayid. Photo famille Salim

La vie d’Ayid Salim se déroulait généralement entre le travail et la maison ; il partait à 8 heures du matin et rentrait à 17 heures. Il dînait généralement avec sa famille et rendait ensuite visite à l’une de ses sœurs mariées, ou allait rencontrer des amis qui se retrouvaient dans la rue principale. Comme la plupart des jeunes d’Azzoun, Ayid a également participé aux affrontements avec les soldats près de la porte d’entrée de la ville.

 

En décembre dernier, il a été arrêté pour la première fois de sa vie. Des soldats ont fait une incursion nocturne dans sa maison - une autre incursion audacieuse derrière les lignes - et ont kidnappé Ayid dans son lit. Il a été libéré 15 jours plus tard sans condition, les soupçons des autorités quant à son implication dans des jets de pierres n’ayant pas abouti.

 

Le samedi 8 avril, il travaille comme d’habitude et rentre chez lui en fin d’après-midi. Il attend l’iftar (repas de rupture du jeûne), qu’il prend avec sa famille, puis sort. Kifah raconte qu’elle est également sortie et qu’à son retour, sa fille Isra lui a dit qu’Ayid avait pris son enceinte portable et qu’il allait voir des amis. Quelques minutes plus tard, Kifah a entendu une volée de coups de feu provenant de la rue principale, à quelques dizaines de mètres de la maison. Elle estime avoir entendu une trentaine de coups de feu.

 

La mère d’Ayid Salim, Kifah, et son cousin, Abderrahmane Salim

 

Kifah a paniqué et s’est précipitée hors de la maison dans la rue. Un parent l’a appelée pour lui demander si elle savait où se trouvait son fils, puis l’a informée qu’Ayid avait été blessé à la jambe ; il a précisé qu’il avait été transporté dans le petit hôpital local et qu’il était en bon état. Le docteur Mustafa Salim, médecin de garde, a écrit dans son rapport qu’Ayid avait été amené aux urgences vers 21 heures dans un véhicule privé, après avoir reçu cinq balles dans le haut du corps. Il souffrait de graves blessures à la poitrine, à l’épaule et à l’estomac et est arrivé à l’hôpital dans un état de mort clinique - tous les efforts pour le réanimer ont été vains.

 

Peu de temps auparavant, le cousin d’Ayid circulait en voiture dans la rue principale d’Azzoun. Abderrahmane Salim, 30 ans, revenait de son travail dans un magasin de pièces détachées dans le village voisin de Jayus. Soudain, il a vu un jeune homme étendu sur le sol, en sang. Il s’est arrêté et a emporté la victime grièvement blessée dans sa voiture. Ce n’est qu’à ce moment-là qu’il s’est rendu compte qu’il s’agissait de son cousin. Il a vu un trou béant dans la poitrine d’Ayid et s’est souvenu plus tard que le jeune homme ne répondait pas et semblait ne plus respirer.

 

Abderrahmane nous a dit cette semaine qu’il avait remarqué un soldat qui se tenait au milieu de la rue à environ 150 mètres d’Ayid - peut-être était-ce celui qui lui a tiré dessus. Il a également raconté qu’avant la fusillade, il n’y avait pas eu d’affrontements à cet endroit et que les soldats étaient apparemment sortis de derrière la barrière à l’entrée d’Azzoun pour tendre une embuscade à des jeunes qui leur avaient jeté des pétards et les avaient poursuivis. Lorsque Ayid a été abattu, dit son cousin, il n’y avait que quelques jeunes autour de lui.

 Azzoun en 2019. Photo: Moti Milrod

 L’unité du porte-parole des FDI a déclaré cette semaine, en réponse à une question de Haaretz : « Le 8 avril 2023, au cours d’une activité de protection des routes, des combattants de Tsahal ont tiré sur un suspect qui leur avait lancé un engin à côté du village d’Azzoun, sur le territoire de la brigade régionale d’Ephraïm. Un touché a été observé [sic]. Par la suite, le décès d’Ayid Salim a été signalé. Les circonstances de sa mort sont en cours d’éclaircissement ».

 

Pour sa part, Sadi, l’enquêteur sur le terrain, a déclaré que quelque 20 000 personnes ont assisté aux funérailles d’Ayid par une journée particulièrement chaude en plein Ramadan.

 

Plus tard, nous nous sommes rendus dans le magasin de vidange et d’accessoires automobiles d’Ifrah Efendi, près d’une fontaine d’eau potable pour les passants. C’est là qu’Ayid s’est effondré et est mort.