Communiqué de
la MANPUP
(Mesa Amplia Nacional de Profesores y Profesoras de
Universidades Públicas, Plateforme nationale des professeur·es des universités
publiques), Colombie, 3 mai 2021
Traduit
par Alfredo
Gómez-Muller
Nous sommes
des enseignantes et des enseignants qui travaillons avec la jeunesse
colombienne, qui témoigne d’une capacité d’autonomie et de pensée critique qui
lui a permis de comprendre que le pays se trouve à un tournant. Le peuple
colombien ne supporte plus une nouvelle réforme régressive portant sur la
fiscalité, la santé, les régimes de retraite ou le code du travail. Il est
clair que l’actuel projet de réforme contribue à aggraver l’appauvrissement et
la précarisation des couches populaires et des malnommées « classes
moyennes ». La concentration des richesses, la corruption politique,
l’inefficacité de l’administration, les dépenses militaires pour la guerre et
la dilapidation des finances publiques ont un coût qui ne devrait pas être
financé au moyen d’une fiscalité régressive qui priverait les citoyens du
nécessaire pour vivre ; elles devraient plutôt être supprimées, et l’on
devrait exiger que les responsables en rendent des comptes devant la justice.
La grève
nationale qui se développe depuis le 28 avril dernier est un mouvement
massif rassemblant diverses couches de la population colombienne, lassée des
abus d’une classe politique dont l’autoritarisme, le penchant anti-démocratique
et l’incompétence à gouverner se révèlent en plein jour. On assiste à une perte
des garanties citoyennes, visible notamment dans la décision, contraire à la
Constitution, d’interdire la protestation sociale, ainsi que, plus grave encore,
dans l’ordre donné de tirer contre les manifestants qui défendent leurs droits
et ceux des générations à venir.
En tant que
professeurs et professeures qui sommes partie prenante d’une université
critique et engagée dans la construction d’une vie digne pour tous, nous
adressons un appel urgent aux organisations humanitaires internationales afin
qu’elles prennent position à l’égard des graves violations des droits humains qui ont lieu actuellement en Colombie. Des centaines de milliers de
personnes sont sortis dans les rues sur l’ensemble du territoire national, afin
de s’opposer à la prétention du gouvernement d’imposer une nouvelle réforme
fiscale qui risque de précipiter la majorité de la population dans une misère
jamais vue jusqu’ici. Il est irrationnel que cette réforme absurde ait été
concoctée dans l’un des pays les plus touchés par la pandémie en raison de
l’inefficacité des politiques publiques de santé, de l’improvisation de l’État
ou du détournement des fonds publics. Mais la dilapidation des fonds publics
par le gouvernement ne peut pas être à la charge d’un peuple dont la survie est
menacée par la pandémie, le chômage et la violence.
La
protestation sociale est un droit constitutionnel. Il fait partie de la
Déclaration universelle des droits de l’homme, et touche à la liberté de pensée
et d’expression. Un État social de droit est tenu de garantir à sa population
l’exercice de ce droit qui est un rempart de la démocratie. Pourtant, en Colombie la réponse à ces justes
exigences a été l’ordre du Président de militariser les rues et les lieux
publics et de faire un usage disproportionné de la force contre les
manifestants, en invoquant l’« assistance militaire ». On a ainsi
déclenché une guerre ouverte contre les citoyens au nom d’une prétendue
« sécurité citoyenne », déployant des militaires armés et entraînés
contre une population civile sans armes.
Là où il
existe un collectif rassemblé dans le cadre du droit à la protestation, il y a
démocratie participative et citoyenneté. Les rassemblements dans les grandes
villes ont été endeuillés par la violence perpétrée contre des dizaines de
jeunes manifestants qui ont été blessés par balle ou assassinés sans autre
forme de procès. Des preuves documentaires suffisantes permettent d’affirmer que
des gens en uniforme ou bien des civils qui les accompagnent tirent sur les
manifestants, les passent à tabac ou les retiennent de force. Le bilan encore
approximatif de cette barbarie fait état d’une vingtaine de morts, 500
personnes retenues, la plupart arbitrairement, 200 blessés dont 18 avec des
lésions oculaires, 42 cas d’abus ou d’agressions contre des journalistes ou des
membres d’organisations humanitaires, et 10 cas de violence sexuelle et de
genre. Les incidents les plus graves ont eu lieu dans la ville de Cali, où le
Recteur de l’université du Valle et la Gouverneure du Département ont donné
l’ordre, légalement discutable, de déloger par la force un groupe d’étudiants
qui se trouvaient dans le campus en attendant de pouvoir négocier les conditions
pour la reprise des cours dans le contexte de la pandémie. La situation s’est
aggravée encore à Puerto Resistencia, Puente del Comercio et Llanogrande
(Palmira), avec des victimes à déplorer. Dans notre pays les entités garantes
du bien-être des citoyens ne sont pas crédibles, comme les defensorías et les personerías,
car ces organismes sont cooptés par un gouvernement criminel qui donne l’ordre
de tirer sur le peuple et assassine les jeunes, les citoyens qui sont en
première ligne pour défendre la démocratie. En raison de tout ce qui précède,
nous refusons formellement l’usage immodéré des mécanismes de répression de
l’État, nous exigeons la justice pour les victimes et nous exprimons
énergiquement notre opposition aux réformes sociales régressives que le
gouvernement entend soumettre au pouvoir législatif en matière de fiscalité, de
santé, de retraites et de droits du travail. En conséquence, nous adressons un
appel urgent à la communauté internationale pour exiger la protection des
droits humains des manifestants et des manifestantes.