Affichage des articles dont le libellé est Shin Bet. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Shin Bet. Afficher tous les articles

12/08/2022

GIDEON LEVY
Pourquoi le militant palestinien Nasser Nawajah a subi un raid de l'armée israélienne et 14 heures de détention

Gideon Levy et Alex Levac (photos), Haaretz, 12/8/2022
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Une importante force de l'armée israaélienne a fait une descente dans le village du militant palestinien des droits humains Nasser Nawajah. Il a été emmené menotté et les yeux bandés en détention pendant 14 heures, tout cela pour un entretien de 15 minutes avec un agent du Shin Bet qui lui a conseillé de modérer son comportement.

Nawajah montre comment il a été arrêté. Le "capitaine" du Shin Bet l'a averti de ne pas ennuyer l'armée ou de "franchir les lignes rouges", mais n'a pas pu exiger que l'activiste cesse de documenter les événements.

N'y a-t-il vraiment pas d'arrestations à caractère politique en Israël ? Se produisent-elles uniquement en Syrie et en Russie ? Est-il possible qu'un militant des droits humains de Cisjordanie ait été placé en détention uniquement pour l'empêcher de documenter l'invasion d'un village palestinien par un groupe de colons ? Ce qui est arrivé samedi soir dernier à Nasser Nawajah, militant des droits humains et chercheur sur le terrain pour B'Tselem et Haqel - deux organisations israéliennes de défense des droits humains - ne peut être décrit que comme une arrestation politique.

Aucune autre description ne correspond à ce que le service de sécurité Shin Bet et les Forces de défense israéliennes, son sous-traitant pour les arrestations et les enlèvements, ont fait à ce jeune homme impressionnant et déterminé du village de Susya, dans les collines du sud d'Hébron. L'envoi de dizaines de soldats à son domicile tard dans la nuit, sa détention totalement injustifiée pendant 14 heures, menotté et les yeux bandés, le soldat qui l'a photographié pour avoir la photo d'un "terroriste", le traitement abusif et humiliant qu'il a subi - tout cela pour une très courte conversation avec le "capitaine Yassin", l'agent régional du Shin Bet.

« Pourquoi ne m'ont-ils pas convoqué par téléphone ? » demande Nawajah, le lendemain de sa libération inconditionnelle. Pourquoi ? Parce que Nawajah est un résistant non violent à l'occupation qui se présente n'importe où et n'importe quand dans les collines du sud d'Hébron et ailleurs en Cisjordanie, là où il y a des épisodes de violence des colons ou lorsque l'administration civile démolit des maisons. Il est toujours là, il filme et documente les événements pour B'Tselem et Haqel.

C'est précisément ce que le Shin Bet veut empêcher. À cette fin, un militant palestinien peut être enlevé chez lui, sans mandat, bousculé durant une nuit et une journée, laissé en détention par l'armée pendant des heures - puis relâché comme si de rien n'était.

Lundi dernier, lors de notre visite, au lendemain de la libération de Nawajah, les gens avaient afflué chez lui. Personne, dit-il, pas même lui, ne savait au moment de son arrestation combien de temps il serait détenu et de quoi il serait faussement accusé cette fois-ci, le samedi 6 août. La première fois qu'il a été détenu, suite à l'accusation diffamatoire concoctée par la journaliste israélienne Ilana Dayan et le cinéaste Omri Assenheim, dans le cadre d'une collaboration honteuse entre l'organisation de droite Ad Kan et l'émission télévisée d'investigation "Fact" de Dayan, c'était en janvier 2016. Il a été maintenu en détention pendant près de deux semaines avant d'être libéré - sans qu'aucune charge ne soit retenue contre lui. La détention au début de ce mois a été plus courte, et tout aussi dépourvue de motifs.

Nawajah est âgé de 40 ans, père de quatre enfants, originaire de l'ancienne Susya (Susya al-Qadima), dont les habitants palestiniens ont été expulsés en 1986 pour que leur village puisse être cédé à des colons. Les villageois ont alors été contraints de s'installer sur des terres privées, à environ un kilomètre de là, où ils ont créé une nouvelle communauté, également appelée Susya.

Nawajah n'a été scolarisé que pendant huit ans, après avoir été blessé par une munition non explosée laissée dans un champ alors qu'il se rendait à l'école dans la ville de Yatta. C'était une marche de cinq kilomètres, et il avait dû la faire tous les jours, sous la pluie et au soleil. Aujourd'hui, il regrette d'avoir abandonné l'école. « Si j'avais eu un diplôme, je serais allé beaucoup plus loin dans la vie », dit-il.


Nasser Nawajah

À 14 ans, il commence à faire des petits boulots en Israël. Le pire de tous, dit-il, était de gaver les oies dans deux mochavim [colonies coopératives juives « socialistes », NdT], Azaria et Ben Zakai. Après avoir pris conscience de l'ampleur de la souffrance qu'il infligeait aux oies, il a rêvé de devenir vétérinaire pour expier ses crimes contre ces créatures. Cela ne s'est pas produit : son affection et sa compassion pour les animaux demeurent, mais à un moment donné, il décide de transformer l'idée de protéger les animaux en une mission de défense des droits humains.

Cela s'est produit après le meurtre de Yair Har Sinai, de la colonie juive de Susya, en 2001. Les colons ont appréhendé Nawajah et un autre jeune homme de son village et les ont remis au Shin Bet et à l'armée. Il avait 17 ans à l'époque, et a enduré une nuit d'interrogatoires et de passages à tabac avant d'être relâché à l'aube.

De retour dans son village, il découvre à son grand étonnement qu'il n'existe plus. « Je monte sur la colline et je ne vois pas de village. Où est le village ? J'ai cru que j'avais perdu la tête à cause des interrogatoires. J'étais mal en point, j'étais en état de choc à cause d'eux - et il n'y a pas de village. Je me suis rapproché et j'ai vu des tas de tiges métalliques et de plastique déchiré, et des murs démolis. Mon village s'était transformé en un tas de ruines. L'armée était arrivée à 6 heures du matin et avait tout démoli ».

14/10/2021

GIDEON LEVY
Ronen Bar : une nouvelle étoile est née au firmament sioniste, mais cela ne change rien au fait que le Shin Bet est une organisation cruelle

 Gideon Levy, Haaretz, 13/10/2021
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

C'est cyclique, tous les quatre ou cinq ans : Le service de sécurité Shin Bet a un nouveau chef. Le CV d'une superstar, l'allure de James Bond, toutes les vieilles histoires ressortent sur ses jours de gloire dans "l'unité", son "service" audacieux. Des diplômes de Harvard et de Tel Aviv. Quel esprit, diront les gens, un héros israélien.

Le nouveau chef du service de sécurité Shin Bet, Ronen Bar, lundi. Photo : Moti Milrod

Tous les postes de sécurité importants en Israël sont invariablement occupés par "un officier très respecté". Ils sont toujours très estimés quand ils commencent. Mais ça finit comme pour Elazar Stern [ministre du Renseignement qui a renoncé à devenir le patron de l’Agence Juive après avoir reconnu qu’il avait déchiqueté des plaintes pour harcèlement sexuel dans l’armée lorsqu’il était responsable de sa direction du personnel, de 2004 à 2008, NdT]. C'est particulièrement vrai pour les nouveaux chefs du Shin Bet. Ils sortent de l'ombre, ce qui ne fait qu'ajouter à leur aura. R. devient soudainement Ronen Bar, et tous ceux qui le connaissaient en tant que R. chantent ses louanges. "Israël peut compter sur lui", "On peut le suivre les yeux fermés". On n'entend jamais un seul mot négatif sur le nouveau chef du Shin Bet ou le chef d'état-major de Tsahal. Ils sont ce que nous avons de plus proche des dieux. La chemise moulante, la mallette chic, la maison en banlieue et la barbe soignée sont autant de bonus dans le cas de Bar. Tout comme l'histoire bizarre de la voiture en feu d'un Arabe israélien dont R. a éteint les flammes avec ses mains en devenant Ronen. Quelle joie ! 

Chaque fois qu'un chef du Shin Bet, du Mossad ou des FDI est nommé, les attentes et les promesses s'envolent. Le temps passe. Cela se termine presque toujours par des larmes, de la honte, de l'embarras ou au moins de la consternation. Les montagnes se transforment en taupinières ; à la fin, on se retrouve avec Avi Dichter [père du Mur de l’Apartheid, organisateur d’exécutions extrajudiciaires. Patron des services secrets puis ministre dans des gouvernements de droite après avoir été sioniste socialiste dans sa jeunesse, il a évité de se rendre en Grande-Bretagne de 2007 à 2012, craignant d’y être arrêté, NdT] Lorsqu'il a été engagé, on nous a aussi promis une étoile. Lui aussi était dans "l'unité" et dans une "opération audacieuse". Lorsqu'ils se révèlent vraiment, à la fin de leur mandat, les ténèbres sont révélées. "Le bouclier invisible" est la devise du Shin Bet, et la meilleure idée est peut-être que ses têtes ne doivent pas être vues - pour leur propre bien. Des figures mornes, des commis à qui l'on donne une aura spéciale pour une raison quelconque. Aucun n'est jamais devenu un leader national. Plusieurs ont même eu des ennuis. Avraham Shalom a donné l'ordre de fracasser des crânes (dans l'affaire du bus 300 en 1984), puis a menti et couvert l'affaire ; Jacob Perry a gagné de l'argent et a dû quitter la politique dans des circonstances embarrassantes ; Carmi Gilon a porté la responsabilité de l'assassinat d'Yitzhak Rabin ; Ami Ayalon semblait prometteur mais s'est éteint. Yuval Diskin refait occasionnellement surface - rien d'extraordinaire ; Yoram Cohen est déjà oublié, comme le sera bientôt Nadav Argaman.