Gideon Levy, Haaretz, 13/10/2021
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala
C'est cyclique, tous les quatre ou cinq ans : Le service de sécurité Shin Bet a un nouveau chef. Le CV d'une superstar, l'allure de James Bond, toutes les vieilles histoires ressortent sur ses jours de gloire dans "l'unité", son "service" audacieux. Des diplômes de Harvard et de Tel Aviv. Quel esprit, diront les gens, un héros israélien.
Le nouveau chef du service de sécurité Shin Bet, Ronen Bar, lundi. Photo : Moti Milrod
Tous les postes de sécurité importants en Israël sont invariablement occupés par "un officier très respecté". Ils sont toujours très estimés quand ils commencent. Mais ça finit comme pour Elazar Stern [ministre du Renseignement qui a renoncé à devenir le patron de l’Agence Juive après avoir reconnu qu’il avait déchiqueté des plaintes pour harcèlement sexuel dans l’armée lorsqu’il était responsable de sa direction du personnel, de 2004 à 2008, NdT]. C'est particulièrement vrai pour les nouveaux chefs du Shin Bet. Ils sortent de l'ombre, ce qui ne fait qu'ajouter à leur aura. R. devient soudainement Ronen Bar, et tous ceux qui le connaissaient en tant que R. chantent ses louanges. "Israël peut compter sur lui", "On peut le suivre les yeux fermés". On n'entend jamais un seul mot négatif sur le nouveau chef du Shin Bet ou le chef d'état-major de Tsahal. Ils sont ce que nous avons de plus proche des dieux. La chemise moulante, la mallette chic, la maison en banlieue et la barbe soignée sont autant de bonus dans le cas de Bar. Tout comme l'histoire bizarre de la voiture en feu d'un Arabe israélien dont R. a éteint les flammes avec ses mains en devenant Ronen. Quelle joie !
Chaque fois qu'un chef du Shin Bet, du Mossad ou des FDI est nommé, les attentes et les promesses s'envolent. Le temps passe. Cela se termine presque toujours par des larmes, de la honte, de l'embarras ou au moins de la consternation. Les montagnes se transforment en taupinières ; à la fin, on se retrouve avec Avi Dichter [père du Mur de l’Apartheid, organisateur d’exécutions extrajudiciaires. Patron des services secrets puis ministre dans des gouvernements de droite après avoir été sioniste socialiste dans sa jeunesse, il a évité de se rendre en Grande-Bretagne de 2007 à 2012, craignant d’y être arrêté, NdT] Lorsqu'il a été engagé, on nous a aussi promis une étoile. Lui aussi était dans "l'unité" et dans une "opération audacieuse". Lorsqu'ils se révèlent vraiment, à la fin de leur mandat, les ténèbres sont révélées. "Le bouclier invisible" est la devise du Shin Bet, et la meilleure idée est peut-être que ses têtes ne doivent pas être vues - pour leur propre bien. Des figures mornes, des commis à qui l'on donne une aura spéciale pour une raison quelconque. Aucun n'est jamais devenu un leader national. Plusieurs ont même eu des ennuis. Avraham Shalom a donné l'ordre de fracasser des crânes (dans l'affaire du bus 300 en 1984), puis a menti et couvert l'affaire ; Jacob Perry a gagné de l'argent et a dû quitter la politique dans des circonstances embarrassantes ; Carmi Gilon a porté la responsabilité de l'assassinat d'Yitzhak Rabin ; Ami Ayalon semblait prometteur mais s'est éteint. Yuval Diskin refait occasionnellement surface - rien d'extraordinaire ; Yoram Cohen est déjà oublié, comme le sera bientôt Nadav Argaman.
Peu de pays sont aussi fiers de leurs services secrets. Les services secrets sont un mal nécessaire. En Israël, lorsque l'essentiel de l'activité du Shin Bet consiste à soutenir l'occupation par le biais d'un contrôle tyrannique sur un peuple occupé, la disgrâce est particulièrement grande. Vous pouvez admirer le Shin Bet pour ses opérations réussies, pour ses capacités étonnantes et sa pyrotechnie spectaculaire. Mais en fin de compte, nous parlons d'une organisation méprisable. Une organisation qui n'exclut aucun moyen, qui torture les gens et joue avec leurs vies, qui exploite les faiblesses humaines à ses propres fins, qui viole chaque droit individuel, qui ne traite pas les Palestiniens comme des êtres humains, qui les espionne jour et nuit, qui fait des descentes dans leurs maisons et leurs chambres, y compris celles des enfants, qui connaît la couleur de leurs sous-vêtements ; le Shin Bet est le tuyau d'égout d'où s'échappe la puanteur pourrie de l'occupation.
La personne qui dirige cette agence est peut-être un diplômé de Harvard audacieux et éloquent, voire quelqu'un qui maîtrise le langage de la démocratie. Mais il est à la tête d'une organisation cruelle qui ne se préoccupe pas seulement de la sécurité des Israéliens, mais avant tout de la perpétuation de l'occupation. Sans le Shin Bet, il n'y a pas d'occupation, car il n'y a pas d'occupation sans résistance, que le Shin Bet est toujours prêt à écraser avec les moyens les plus avancés du monde. Les gens qui perpétuent cette horreur ne sont dignes d'aucun honneur ni d'aucun respect, même lorsqu'ils ont été serveurs au Bagdad Café de Tel Aviv, comme l'a été Bar.
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