Annamaria Rivera, Comune-Info, 25/10/2021
Traduit par Fausto
Giudice, Tlaxcala
La réponse massive (jusqu'à 200 000 participants) du 16 octobre à l'assaut fasciste et squadriste qui avait eu lieu une semaine plus tôt contre le siège national de la confédération syndicale CGIL est un tournant qui pourrait ouvrir - comme son secrétaire général Maurizio Landini lui-même l'a dit - une nouvelle phase de protagonisme syndical et de démocratie. À mon avis, l'une des conditions devrait être d'impliquer largement les travailleurs immigrés, dont la présence et la visibilité n'étaient pas évidentes même lors de la grande manifestation du 16 octobre.
La syndicalisation et la participation des immigrés et des réfugiés au plus haut niveau pourraient contribuer à les sortir de leur situation actuelle, souvent extrême. Rien qu'en termes d'emploi, ils sont tenus - c'est bien connu - d'effectuer un travail essentiellement flexible, informel, précaire, sous-payé et déréglementé, ainsi qu'un travail à faible reconnaissance sociale, alors qu'ils sont indispensables à l'économie italienne.
La grève des travailleurs agricoles en mai 2020. Photo Sfruttazero
On pense notamment aux ouvriers agricoles et aux mauvaises conditions de travail et de logement auxquelles sont contraints les ouvriers immigrés, y compris les demandeurs d'asile. Parmi les victimes du travail forcé, celles qui ont un niveau d'éducation élevé et une conscience de classe ne sont pas rares.
On pense à Jerry Essan Masslo, tué le 20 septembre 1989 par une bande de jeunes braqueurs racistes. Instruit et engagé politiquement, sans asile (à l'époque, il ne pouvait être accordé qu'aux personnes originaires des pays d'Europe de l'Est), il avait été contraint de travailler dans des conditions quasi esclavagistes en cueillant des tomates dans la campagne de Villa Literno afin de survivre.
Ce meurtre a été suivi de la première grève des migrants contre le "caporalato" [de caporali : intermédiaires criminels entre patrons et travailleurs sans papiers, NdT] et - comme on le sait - d'une manifestation nationale qui a rassemblé plus de deux cent mille personnes - une analogie singulière avec aujourd'hui - et a inauguré le mouvement antiraciste italien.
Septembre 1989 : première grève de migrants contre le caporalato en Italie au nom de Jerry Masslo. Photo Cgil Campania
Il ne fait aucun doute que ce sont avant tout les lois sur l'immigration, de plus en plus scélérates, punitives et discriminatoires, qui contribuent de manière décisive à la marginalisation des immigrés et des réfugiés.
À cet égard, la notion de racisme institutionnel - élaborée dans les milieux afro-usaméricains (Carmichael et Hamilton, 1967) - suggère que la discrimination, l'inégalité structurelle, l'exposition au racisme, mais aussi à l'exploitation extrême, des immigrés et des réfugiés, ainsi que de certaines minorités, n'est pas seulement le résultat de préjugés, de xénophobie, de répulsion de la part des "autochtones", mais qu'elle est avant tout le résultat de lois, de normes, de procédures et de pratiques routinières mises en œuvre par les institutions.
Quant à ce que l'on appelle le discours de haine, que l'on identifie souvent au racisme tout court, il suffit de dire qu'en Italie, les insultes et les déclarations racistes, prodiguées quotidiennement par les médias, les hommes politiques et autres personnalités publiques, voire par les hautes fonctions de l'État, ne donnent généralement lieu à aucune affaire, contrairement à ce qui se passe dans d'autres pays de l'UE.
Il y a aussi ceux qui oublient ou sous-estiment le fait que la Méditerranée est devenue un vaste cimetière marin et que le canal de Sicile a gagné la sinistre distinction d'être la frontière la plus mortelle du monde. L'Union européenne y contribue de manière significative : dans le sillage de Michel Foucault (2009), nous pourrions définir le travail de la plupart de ses institutions et de ses États membres comme thanatopolitique.
Pour en revenir à l'énorme manifestation du 16 octobre et au manque de présence et de visibilité des immigrés ou des réfugiés dans les interventions de la scène, peut-être aurait-il été efficace que certain·es des participant·es aient eu l'idée de déployer un drapeau ou une banderole à l'effigie de Florin Damian. Qui est-il ou qui était-il ? vous demanderez-vous. Il s'agissait d'un citoyen roumain, résidant à Pinerolo, ancien employé d'une importante entreprise de transport du Trentin, qu'il accusait publiquement de l'avoir soumis à des horaires de travail intolérables, à la discrimination, au harcèlement moral et finalement au licenciement.
C'est pourquoi il a entrepris une longue action de protestation devant le Parlement européen et la Cour européenne de Strasbourg, le consulat et l'ambassade de Roumanie, et s'est adressé directement au président de la République, Giorgio Napolitano. Et c'est là, sur la place du Quirinal, que le 18 octobre 2012, il a fait un acte de protestation extrême, qui avait été annoncé à l'avance : il est devenu une torche humaine, enveloppée dans un drapeau de la CGIL. Il a été secouru et hospitalisé dans un état très grave, mais son geste, bien que dramatique, n'a eu que peu de pertinence publique ou politique.
Ce n’était pas le premier cas d'auto-immolation par un immigraé. Le 16 mars 2011, un ouvrier agricole albanais de 33 ans, Georg Semir, marié et père de deux enfants, avait tenté de se suicider de la même manière terrible et publique sur une place de Vittoria, dans la province de Ragusa (Sicile). Il a été rapidement secouru et hospitalisé dans un état critique. Même dans son cas, l'acte désespéré de protestation a eu très peu d'écho.
Ouvrir une nouvelle phase de protagonisme syndical, pour citer encore Landini, implique, à mon avis, parmi les nombreuses conditions aussi celle de syndiquer, valoriser et donner de la dignité aux travailleur·ses immigré·es, surtout ceux et celles réduit·es à la condition de plèbe surexploitée, humiliée, méprisée, voire déshumanisée.
Références
Foucault M., 2009 (1997), Bisogna difendere la società (édité par M.Bertani et A. Fontana), Feltrinelli, Milan.
Carmichael S., Hamilton C.V., (1967), Le Black Power, Rivages & Payot, 2009
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