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28/10/2021

GIDEON LEVY
Si seulement tous les bus israéliens étaient comme ce bus public de rêve !

Gideon Levy, Haaretz, 27/10/2021
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

NdT : les transports publics ne fonctionnent pratiquement pas en Israël -sauf à Haïfa - pendant le shabbat (du vendredi 18 minutes avant le coucher du soleil au samedi 40 minutes après le coucher du soleil). Gideon Levy salue l’initiative prise par la municipalité de Tel Aviv en 2019 : six lignes de bus gratuits circulent maintenant pendant le shabbat entre Tel-Aviv et les villes satellites de Ramat Gan, Ramat Hasharon, Givatayim, ’Holon et Kiryat Ono. Une proposition de loi de Tamar Zandberg (Meretz) visant à autoriser les transports publics pendant le shabbat a été rejetée par la Knesset en juin 2020. Le membre de la Knesst Uri Maklev, ultra-orthodoxe, avait alors déclaré : « Pourquoi sommes-nous un État juif ? Quel est notre lien avec la terre d'Israël, à part manger du falafel ? C'est notre identité juive. Les valeurs passent avant les loisirs. » Selon un sondage en 2018, 72% des Israéliens interrogés s’étaient déclaré favorables à une levée de l’interdiction.

Pendant une heure environ, c'est un autre pays, celui qui aurait pu être, celui qui aurait dû être. C'est pourquoi j'aime tant ce voyage. C'est un voyage de souhaits réalisés et d'illusions.

 


Un bus gratuit mis en place par la municipalité de Tel Aviv le jour du shabbat

Chaque week-end, il existe un service de bus dans l'agglomération de Tel Aviv que peu de gens connaissent. Il existe sept lignes entre six villes, 600 trajets chaque week-end, transportant 18 000 passagers. Le timing est comme une montre suisse, la politesse scandinave. De beaux bus, avec des chauffeurs arabes israéliens, le service est gratuit. Quelque chose dans ce bus de shabbat me remplit d'un rare sentiment de normalité et de gratitude ; presque tous les passagers qui montent ou descendent remercient le chauffeur, ce qui est presque inédit en Israël.

En apparence, c'est à cause de la gratuité du service et de l'ambiance du week-end, mais c'est plus que cela. Tout est apparemment évident, et rien ne l'est. Transports publics le jour du shabbat, service métropolitain gratuit, calme dans le bus, courtoisie et générosité. Le fait que les chauffeurs soient arabes et que quelques passagers le soient aussi crée la douce illusion d'un pays sain et équilibré. Bien sûr, il faut plus de Juifs pour conduire des Arabes et non l'inverse, sur le long chemin qui mène au rêve d'égalité, mais même ce petit trajet binational n'est pas un voyage vers nulle part. Peu de gens remarquent que les conducteurs sont des Arabes. Personne n'en fait tout un plat. Les voyous juifs ne les attaqueront jamais violemment comme à Jérusalem et dans d'autres villes, et ce n'est pas non plus quelque chose à prendre pour acquis. Les transports publics le jour du shabbat, sans cris de "Shabbès !" [shabbat en yiddish, crié par les orthodoxes pour tancer les violations d’interdits ce jour-là, NdT] et sans jets de pierres ne sont pas non plus une mince affaire. 
La municipalité de Tel Aviv, ainsi que plusieurs villes satellites, investissent 16 millions de shekels (4,3 millions d’€) par an dans ce projet porteur d'espoir, qui fête son deuxième anniversaire. Chaque week-end, ces bus sillonnent la ville avec leurs panneaux de fortune accrochés à l'avant, et le vendredi soir ou le samedi matin, on peut profiter d'une réalité alternative de normalité. J'adore ça. Même si, bien sûr, ce n'est qu'une bulle.

Le fait que rien de tout cela ne soit évident et que la normalité soit si rare et si palpitante est la leçon importante à retenir. Les transports publics le jour du shabbat - quoi de plus ordinaire ? "Un ascenseur pour le shabbat qui se déplace horizontalement", telle est la phrase utilisée par le maire de Tel Aviv, Ron Huldai, lorsqu'il a promis, dans une interview au Yedioth Ahronoth, que le futur métro de la ville fonctionnerait le shabbat. Il faut tellement de créativité et de sauts d'imagination pour promettre quelque chose qui devrait être une évidence et qui n'arrivera probablement jamais - puisque la plupart des Israéliens veulent un "État juif".

"Pourquoi devrions-nous être meilleurs que les Arabes qui vivaient ici avant nous, si nous n'avons pas shabbat ?", a demandé le membre de la Knesset Moshe Gafni cette semaine pour protester contre le projet de faire fonctionner le métro léger le shabbat, et a ainsi révélé la vilaine vérité : la prémisse fausse et raciste que les Juifs sont préférables aux Arabes, et la folie d'un État juif dont le caractère est déterminé par ses services de transport.

Le fait que peu de personnes utilisent ce service pourrait indiquer que les Israéliens ne veulent pas vraiment de transports publics le jour du shabbat. Un porte-parole de la municipalité de Tel Aviv, Eitan Schwartz, affirme cependant que les données montrent que ce service est un grand succès. Je suis sûr qu'il a raison, mais les bus dans lesquels je suis monté étaient à moitié vides - ce qui est une chose de plus à savourer. Ne pas être écrasé et poussé. C'est un autre Israël, même si ce n'est que pour un bref instant.

Les joies que l'on peut trouver ces jours-ci sont rares, mais c'est exactement l'Israël que j'aimerais voir, celui qui existe dans ce bus : laïque, égalitaire, binational, courtois et tolérant. Certes, c'est une portée historique, une chimère, de mettre tout cela sur une ligne de bus, mais où est-il possible de tisser ici un tel rêve de laïcité, de binationalité et d'égalité ? Et où est-il possible de goûter à tout cela, ne serait-ce qu'un seul instant enivrant, si ce n'est dans le bus de la compagnie Mariana Tours d’Umm al-Fahm, qui parcourt tranquillement les rues de la première ville hébraïque le vendredi soir ?

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