Gideon Levy, Haaretz, 7/10/2021
Traduit par Fausto Giudice,
Tlaxcala
La chasse insensée au corps de l’aviateur israélien Ron Arad, disparu au cours d’une mission de bombardement au Liban en 1986, ne peut être décrite que comme une nécrophilie parrainée par l'État. Cette recherche n'est pas le seul symptôme de nécrophilie dans le comportement d'Israël, surtout ces dernières années, mais c'est le plus grave.
L’aviateur Ron Arad, dans une image publiée en 2008. Photo : AFP
Israël a recherché la montre d'Eli Cohen, un espion exécuté à Damas en 1965, la salopette et les chaussures de Zachary Baumel [tankiste capturé en Syrie en 1982, NdT], revenu drapé dans le drapeau national lors d'une cérémonie morbide dans le bureau du président russe, et encore les restes des deux soldats tués à Gaza.
Un pays qui méprise la vie humaine quand il s'agit des autres sanctifie les corps de ses propres morts. C'est toujours fait soi-disant au nom de valeurs, toujours la moitié du monde y participe, orchestré par les entités obscures d'Israël, qui peuvent ainsi démontrer une fois de plus le secret de leur gloire. Et cela soulève toujours des questions quant à la rationalité et à la santé mentale de ceux qui sont derrière ces opérations malsaines.
Comme si cela ne suffisait pas, Israël fait également du commerce et tire profit des corps. Ses réfrigérateurs en sont remplis ; il détient des dizaines de corps de Palestiniens comme "monnaie d'échange". Si ce n'est pas de la nécrophilie, qu'est-ce que c'est ?
Tout le monde est satisfait. Les familles endeuillées, les seules que l'affaire concerne, aspirent à en savoir le plus possible sur leurs proches ; les médias gonflent les histoires jusqu'à des proportions grotesques dans un but purement lucratif - les histoires de douleur et d'héroïsme font vendre - et bien sûr, les entités des ténèbres qui obtiennent une nouvelle occasion d'ajouter à leur halo de mystère et à leurs budgets. Ouvrez une tombe au Liban, enlevez un général iranien en Syrie et faites les gros titres.
Et les premiers ministres l'adorent aussi : L'ancien Premier ministre Benjamin Netanyahou en face de Vladimir Poutine avec les chaussures de Baumel ; le Premier ministre Naftali Bennett est nouveau, mais il a déjà révélé un scoop à la Knesset. L'opération Arad a encore échoué, mais le quotidien hébreu Yedioth Ahronoth a titré : "Le bras long d'Israël", comme ils aiment, comme leurs lecteurs aiment. Un responsable de la sécurité a déclaré que l'opération avait "fait progresser Israël" (vers où ?) et "concentré les efforts" (sur quoi ?). Un texte obligatoire dans toute leçon d'acrobatie linguistique.
Qu'y a-t-il de si mal, en apparence ? L'État s'occupe de ses soldats, vivants et morts. Cela pourrait être émouvant, mais aussi répugnant, exaspérant et dangereux. Lorsque la nécrophilie devient l'élément principal, que des vies sont mises en danger pour cela, que des sommes considérables sont investies et que des mesures sont prises qu'un pays respectueux de la loi ne devrait pas prendre, nous ne pouvons pas nous réjouir de la pyrotechnie.
Pourquoi Israël est-il autorisé à enlever des généraux et les emmener en Afrique pour leur soutirer des informations ? Serait-il légitime d'enlever des généraux israéliens et de les conduire en Afrique pour leur soutirer des informations sur un soldat égyptien mort ? Était-il légitime de détenir des personnes enlevées au Liban dans une prison israélienne et de les torturer pendant des années, juste pour obtenir des informations qu'elles n'avaient pas sur un aviateur mort ?
Il doit y avoir un moment où un pays met fin à la folie et dit : "Occupons-nous des vivants". Mais c'est un pays d'agents secrets. Le James Bond du cimetière d'al-Nabi Shayth au Liban arrive en salles près de chez vous. Nos yeux brillent, personne n'est meilleur que nous. Mais les jeux d'agents secrets ne mènent jamais vraiment à rien, tout comme les assassinats ciblés, dont le pouvoir réside principalement dans les histoires à dormir debout qui les accompagnent. Ce n'est pas seulement une façon de se vanter - nous avons le Mossad, qui enlève des gens et ouvre des tombes partout - c'est une autre façon de détourner l'attention des questions importantes. La seule discussion en cours est de savoir si l'opération a échoué, ou si elle n'a tout simplement pas réussi. Personne ne se demande quel en était le but.
Quel est le but des bombardements, des assassinats ciblés, des sabotages, des incendies et des incidents mystérieux en Syrie et en Iran, si à la fin l'Iran est à un jet de pierre d'une bombe nucléaire ? Qu'en est-il ressorti, si ce n'est la gloire des agences des ténèbres ?
Et qu'ont donné les assassinats ciblés de Palestiniens au fil des ans, si ce n'est la satisfaction des pulsions de leurs auteurs ? Il fut un temps où toutes ces opérations pouvaient être drapées dans des considérations de sécurité. La folie d'Arad pouvait se draper dans des discussions sur le "patrimoine". Mais en fin de compte, la question que nous ne pouvons éviter se pose : quand serons-nous sevrés et grandirons-nous ?
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