Ramzy Baroud,
Middle
East Monitor, 24/9/2022
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala
L'introduction
d'une agente du Mossad israélien comme personnage du prochain film de Marvel dépasse
les bornes, même du point de vue des normes morales médiocres d'Hollywood.
Cependant, la super-héroïne israélienne, Sabra, doit être comprise dans le contexte
de la progression logique de l'israélisation d'Hollywood, un phénomène
étonnamment nouveau.
Sabra est un
personnage relativement ancien, datant
du comic Marvel The Incredible Hulk
en 1980. Le 10 septembre, cependant, il a été annoncé
que le personnage israélien serait inclus dans un prochain film de Marvel, Captain America : New World Order.
La nouvelle Sabra de Marvel...
...sera interprétée par l’actrice israélienne Shira Haas (Shtisel, Unorthodox) dans le film prévu pour 2024
Comme on pouvait
s’y attendre, de nombreux militants pro-palestiniens aux USA et dans le monde sont
furax. C'est une chose d'introduire un personnage israélien ordinaire dans le
seul but de normaliser Israël, un État d'apartheid implacable, aux yeux du
jeune public impressionnable de Marvel. Mais il est beaucoup plus sinistre de
normaliser une agence de renseignement d'État, le Mossad, connue pour ses nombreux assassinats sanglants, sabotages
et tortures.
En ajoutant
Sabra à son casting de super-héros, Marvel Studios a montré son mépris total pour
la campagne massive menée par des millions de fans à travers le monde qui, en
2017, ont protesté contre l'inclusion de l'ancienne soldate
israélienne Gal Gadot en tant que Wonder
Woman de Marvel. Gadot est une fervente partisane du gouvernement et de l'armée israéliens.
En réponse à
cette info, beaucoup de personnes ont souligné à juste titre le parti pris
inhérent à Hollywood, à commencer par le film Exodus d'Otto Preminger dans les années 1960, avec Paul Newman
comme acteur principal. Le film fournissait une justification pseudo-historique
de la colonisation de la Palestine par les sionistes. Depuis, Israël a été
élevé, célébré et inclus dans un contexte toujours positif par Hollywood,
tandis que les musulmans, les Arabes et les Palestiniens continuent d'être vilipendés.
Bien qu'Israël
ait été représenté de manière positive par des cinéastes hollywoodiens, les
Israéliens eux-mêmes ont été assez marginaux dans le processus de création de
contenu. Jusqu'à récemment, la construction israélienne était principalement fabriquée
pour le compte d'Israël, et non par Israël lui-même. « Les choses ont
commencé à changer en 1997 », a écrit Brian
Schaefer dans Moment Magazine. C'est
alors que la division du divertissement de la Fédération de Los Angeles et
l'Agence juive ont lancé le projet, la Master Class, qui : « Pendant
près de 15 ans... a amené d'innombrables acteurs, réalisateurs, producteurs,
agents, gestionnaires et cadres supérieurs des studios et des réseaux en
Israël, en introduisant beaucoup d'entre eux dans le pays pour la première
fois, et a enseigné aux Israéliens comment présenter leurs projets. »
L'endoctrinement
des acteurs et cinéastes usaméricains à travers ces visites et l'introduction
de nombreux acteurs et cinéastes israéliens à Hollywood ont donné des
dividendes, conduisant à un changement majeur dans le récit sur Israël. Au lieu
de simplement communiquer Israël à des publics usaméricains et internationaux
en utilisant des références à la victimisation historique, à l'association
positive ou même à l'humour, les Israéliens ont commencé à faire valoir leur
cause directement à Hollywood. Et, à la différence du caractère bordélique des
messages passés – bon Israël, méchants Arabes – les nouveaux messages sont
beaucoup plus sophistiqués, adaptés autour d'idées spécifiques et conçus en
pleine conscience de la politique de chaque époque.
Le film de
Steven Spielberg Munich (2005) est
sorti dans le contexte culturel de l'invasion usaméricaine de l'Irak dans le
cadre de la soi-disant « guerre contre le terrorisme » de Washington, où les droits
humains ont été violés à l'échelle mondiale. Munich était un récit "historique" sélectif des choix
soi-disant difficiles qu'Israël, à savoir le Mossad, devait faire pour mener sa
propre “guerre contre le terrorisme”. C'était l'époque où Tel-Aviv soulignait
inlassablement son affinité avec Washington, maintenant que les deux pays étaient
prétendument victimes des « extrémistes islamiques ».
À la différence
de Munich, la populaire série
télévisée Homeland n'était pas
seulement un argumentaire pro-israélien qui justifiait les guerres et la
violence israéliennes. La série elle-même, l'une des émissions islamophobes les plus racistes à la télévision, était
entièrement calquée sur la série israélienne HaTufim. L'écrivain et réalisateur de la série israélienne, Gideon
Raff, a été intégré dans la version usaméricaine, servant de producteur
exécutif.
Le changement
de propriétaire du récit peut sembler superficiel – car la propagande
pro-israélienne d'Hollywood est remplacée par la propagande israélienne
organique. Néanmoins, cela n’est pas le cas.
L'agenda
pro-israélien du passé – la romantisation qui a suivi la création d'Israël en
1948 – n'a pas duré longtemps. La défaite
des armées arabes par Israël en 1967 – grâce au soutien militaire massif des USA à Tel-Aviv – a remplacé
l'image d'Israël naissant et vulnérable par celle de l'armée israélienne
courageuse, capable de vaincre plusieurs armées ennemies à la fois. C'est alors
que les soldats israéliens ont visité les collèges et les écoles usaméricaines,
parlant de leur héroïsme sur le champ de bataille. L'invasion
israélienne du Liban et les massacres qui ont suivi, comme ceux de Sabra et de Shatila,
ont forcé à repenser les choses.
Tout au long
des années 1980 et 1990, Israël a largement existé à Hollywood comme un exutoire
comique, à partir de spectacles comme Friends,
Frasier et, plus récemment, The Big
Bang Theory. Les références à Israël sont souvent suivies de rires – un
moyen intelligent et efficace de lier Israël à des associations positives et
heureuses.
La
« guerre contre le terrorisme », à partir de 2001, associée à la
création du projet Master Class, a permis à Israël de revenir dans l'univers
hollywoodien, non pas comme une référence occasionnelle, mais comme un élément
de base, avec des séries israéliennes ou des productions conjointes USA-Israël,
définissant un tout nouveau genre : celui des choix difficiles à faire
pour lutter contre le terrorisme et finalement sauver le monde.
L'exploitation
des femmes israéliennes sur les couvertures de magazines, par exemple, Maxim, était un tout autre business louche,
visant un public différent. Les filles à moitié nues de l'armée israélienne ont
réussi, dans l'esprit de beaucoup, à justifier la guerre par des images
sexuelles. Ce genre est devenu particulièrement populaire après les guerres
sanglantes d'Israël contre Gaza, qui ont fait des milliers de morts.
L'influence
croissante d'Israël sur les films Marvel est une combinaison de tous ces
éléments : la sexualisation de la femme soi-disant forte et autonomisée,
la normalisation de ceux qui commettent des crimes israéliens – Gadot, la
soldate, Sabra, l'agente du Mossad – et l'injection directe des priorités
israéliennes dans la réalité usaméricaine quotidienne.
Il y a un côté
positif à cela. Pendant des décennies, Israël s'est caché derrière de fausses
notions historiques romantisées, faisant valoir son point de vue auprès des USaméricains
et d'autres publics occidentaux, souvent indirectement. Les guerres à Gaza, la
croissance exponentielle du mouvement palestinien de boycott et la prolifération
des médias sociaux ont cependant forcé Israël à se cacher.
Le nouvel Israël
hollywoodien est maintenant un guerrier, souvent contraint de faire des choix
moraux difficiles, mais il est, comme son homologue usaméricain, en fin de
compte une force pour le bien. La capacité d'Israël à maintenir cette image
dépendra de plusieurs facteurs, notamment de la capacité des communautés propalestiniennes
à contrer cette supercherie et cette hasbara [propagande, NdT].