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05/04/2024

GIDEON LEVY
Pour Israël, le sang de travailleurs humanitaires est plus épais que celui des Palestiniens

Gideon Levy, Haaretz, 3/4/2024
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

L’armée d’Israël s’est comportée comme on l’attendait d’elle. C’est exactement ce qu’on attend d’elle. Le concert d’hypocrisie et de bien-pensance pharisienne internationales qui s’est élevé après l’assassinat de sept travailleurs humanitaires de la World Central Kitchen est une injustice pour les forces de défense israéliennes et une injustice encore plus grande pour les milliers d’autres victimes. Quelle est la différence entre un jour et un autre ? Quelle est la différence entre une personne tuée et la suivante ? Qu’est-ce qui a changé lundi soir avec l’attaque contre les sept travailleurs humanitaires ?


Emad Hajjaj

Même les promesses d’Israël de mener une enquête approfondie sont tout à fait ridicules : Qu’y a-t-il à enquêter ici ? Qui a donné l’ordre ? Qu’est-ce que cela change de savoir qui a donné cet ordre ? N’y a-t-il pas eu d’innombrables ordres de ce genre pendant la guerre ? Des dizaines de milliers d’ordres d’ouvrir le feu pour tuer des journalistes, des équipes médicales, des personnes portant des drapeaux blancs, des gens qui ont été déracinés et qui n’ont rien, et surtout des enfants et des femmes.

Allez-y, faites sauter une université à Gaza, mais suivez la procédure !

Les FDI ont bombardé à trois reprises un convoi d’aide humanitaire de la WCK, visant un membre armé du Hamas qui ne s’y trouvait pas.

Si seulement Israël considérait toutes ses victimes de Gaza comme un désastre en termes de relations publiques.

Des personnes se rassemblent autour du véhicule utilisé par l’organisation humanitaire usaméricaine World Central Kitchen après qu’il a été touché par une frappe israélienne la veille à Deir al-Balah, dans le centre de la bande de Gaza, mardi. Photo AFP

Avez-vous entendu parler des champs de mort et de destruction révélés dans Haaretz par Yaniv Kubovich, le seul correspondant militaire en Israël qui a également révélé les détails de l’attaque contre les travailleurs humanitaires ? Tel est l’esprit de Tsahal dans cette guerre, le seul. Qu’y a-t-il à enquêter ?

Il n’y a aucune différence, aucune, entre l’attaque de l’hôpital Al-Shifa - qui a duré deux semaines et a laissé des centaines de cadavres dans la poussière et un hôpital dont il ne reste plus une pierre sur l’autre - et l’assassinat des sept travailleurs humanitaires dans leur véhicule. Dans les deux cas, l’armée savait qu’elle allait blesser des innocents, dans les deux cas, la justification était les membres du Hamas qui s’y cachaient, dans les deux cas, il s’agissait de cibles humanitaires qu’il est interdit de frapper.

Nous ne saurons jamais combien de personnes ont été tuées à Al Shifa et combien d’entre elles étaient réellement des terroristes, mais il est parfaitement clair que beaucoup des personnes qui ont été tuées étaient des patients et des personnes réfugiées dans l’hôpital. Israël s’en est réjoui et le monde est resté silencieux. Quelle excellente opération chirurgicale, au milieu des décombres de ce qui avait été un centre médical important, le seul de toute la bande de Gaza.

Tout le monde sait également que l’attaque contre les travailleurs humanitaires n’était pas intentionnelle, qu’il s’agissait d’une erreur - après tout, les FDI ne sont pas comme ça, nos soldats ne sont pas comme ça. Même lorsqu’il est absolument clair qu’il n’y a pas eu d’erreur, ni d’écart par rapport aux ordres et aux procédures.

Ce que les soldats ont appris à Al  Shifa, ils l’ont également mis en œuvre à Deir al-Balah. Ceux qui se sont tus à propos d’Al Shifa feraient bien de se taire à propos de la World Central Kitchen. Même les ratios sont similaires : tuer sept personnes pour obtenir la tête d’un terroriste, dont personne ne connaît avec certitude l’identité et le crime. En tout cas, il n’était pas dans la voiture, ni lui ni Yahya Sinwar.


L’aide humanitaire transportée par World Central Kitchen arrive à Gaza le mois dernier. Photo FDI via AP

Le terme “terroriste” est le plus souple du lexique israélien. Dans les zones de combat, il désigne n’importe quel individu. C’est ainsi que le pharisaïsme est arrivé en Israël également. Le premier ministre a regretté l’assassinat des travailleurs humanitaires - pourquoi regrette-t-il soudainement, et à propos de quoi exactement ? Le chef d’état-major de l’armée israélienne déclare qu’une erreur s’est produite - quelle erreur, avec le tir de trois roquettes sur trois voitures parfaitement identifiées ? Et les FDI ont enquêté à la vitesse de la lumière.

En tête de liste, curieusement, la critique gastronomique Ruthie Rousso. Très engagée dans cette guerre, elle a apporté son aide aux Israéliens délogés et aux familles des otages. Mme Rousso a travaillé avec les responsables de la World Central Kitchen, qui opèrent également dans les communautés frontalières de Gaza. « Je suis anéantie », a-t-elle écrit sur X, ce qui, bien sûr, est déchirant.

Mais la Rousso anéantie est la même personne qui a écrit il y a exactement trois ans sur Twitter : « Ils sont tous du Hamas. Personne n’est à l’abri (à part les animaux qui sont là) ».

Que dire de plus ? Si personne à Gaza n’est innocent, à part les animaux, c’est bien que les FDI ont aussi tué les amis de Rousso de la WCK. Ou peut-être que leur sang étranger est plus épais que le sang fluide et de second ordre des Palestiniens, et que leur race est supérieure ?



28/03/2024

GIDEON LEVY
Il nous faut l'admettre : Israël veut la guerre à Gaza

Gideon Levy, Haaretz, 27/3/2024
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Israël veut la guerre. Toujours plus de guerre, autant que possible, et peut-être même plus. Les jours de notre enfance sont révolus, quand on nous disait qu'Israël voulait la paix plus que tout. Nous nous considérions comme des pacifistes, un peuple naïf.

Une femme palestinienne avec un garçon blessé après un bombardement israélien dans le centre de la ville de Gaza, la semaine dernière. Photo AFP

 Le temps est révolu où nous nous vantions auprès de tous les visiteurs étrangers que notre salutation courante était “paix” [shalom]. Quelle autre nation dit “paix” partout où elle va ? Il n'y a que nous, les partisans de la paix. C'est ce qu'on nous a dit et c'est ce que nous avons cru. Oups, les Arabes et les musulmans aussi disent salaam. Mais ça, ils n'ont pas pris la peine de nous le dire à l'époque.

Nous sommes les plus grands défenseurs de la paix au monde, et regardez ce que ces méchants nous ont fait. Lorsque nous sommes apparus dans des délégations de jeunes devant les communautés juives des USA, nous avons dansé la hora avec des chemises brodées au son du “Chant pour la paix”- pour quoi d’autre des jeunes Israéliens danseraient-ils ? - et les Juifs enthousiastes ont essuyé une larme.

Quelle nation ! Quelle aspiration à la paix ! Nous sommes les pacifistes, et les Arabes sont des bellicistes. C'est ce qu'ils nous disaient quand nous étions enfants. C'est ce que nous nous sommes dit à nous-mêmes et au monde, qui y a même cru pendant un moment.

Israël veut la guerre. Aujourd'hui, il le dit explicitement, sans faux-semblant et sans blanchiment. Autant de guerre que possible dans les paroles du gouvernement, autant de guerre que possible dans les paroles de l'opposition. Encore plus de guerre même dans la bouche des manifestants sur les places, qui ne réclament certainement pas le contraire. Ils veulent seulement un arrêt de la guerre pour libérer les otages et chasser Benjamin Netanyahou, et ensuite, selon eux, nous pourrons retourner aux champs de la mort pour toujours.

Toujours plus de tueries, toujours plus de destructions. La soif de vengeance et la soif de sang sont enveloppées d'une foule de déguisements, d'excuses et de considérations. Certaines d'entre elles peuvent être comprises depuis le 7 octobre, qui nous a fait sortir du placard.

Le tableau peut être compliqué, mais on ne peut pas estomper le fait écrasant que le monde entier veut mettre fin à cette guerre, à l'exception d'un seul État. La quantité de sang que cet État veut verser n'a pas encore été atteinte. Ce désir, enveloppé dans la cause de la destruction du Hamas, ne sera de toute façon pas accompli. Qu'y a-t-il d'autre à penser qu'Israël veut tuer et détruire à Gaza pour le plaisir de tuer et de détruire ? Tel est l'objectif.

On peut arguer que si nous ne détruisons pas le Hamas, la guerre se poursuivra éternellement et que, de toute façon, il s'agit d'une guerre pour la paix. Mais on ne peut pas croire cela quand il n'y a pas de plan stratégique derrière la soif de guerre. Il ne reste donc que la stricte vérité : Israël veut tout simplement la guerre. La gauche, la droite et le centre aussi. Tout le monde.

Soldats israéliens sur un char dans la bande de Gaza en février. Photo Dylan Martinez/REUTERS

C’est une situation horrible. D'abord, nous avons supprimé la paix en tant que valeur, en tant qu'objectif et vision, et maintenant nous avons fait de la guerre une valeur pour laquelle nous devons nous battre contre le monde entier. Quelques-uns contre beaucoup, nous nous battrons pour notre droit à la guerre. Le petit nombre contre la multitude, nous nous battrons pour notre droit de tuer et de détruire sans discernement.

La plus grande menace qui pèse aujourd'hui sur Israël est d'arrêter la guerre. Où irons-nous ? On a oublié que la guerre est l'invention humaine la plus satanique. Faire la paix, pas la guerre - c'est pour les crédules et les idiots. La poursuite de la guerre est ce qui unit Israël dans un lien étroit. Nous sommes prêts à payer n'importe quel prix pour continuer la guerre, y compris à ruiner les relations avec les USA, qui ne sont pas réputés comme des pacifistes, et qui exigent aussi : Assez.

C'est la soif de guerre, et rien d'autre. Non seulement personne ne nous l'impose, pas même l'horrible 7 octobre, mais, de toutes les nations, c'est nous qui l'avons choisie. Et nous, de toutes les nations, avons choisi de continuer à le faire, sans aucune résistance de la part d'Israël. Nous devons avoir Rafah, puis Baalbek, et nous retournerons ensuite dans le nord de la bande de Gaza parce que nous le devons. Nous devons le faire. Et puis Téhéran sera un must aussi, parce qu'il n'y a pas d'autre choix.

Pourquoi, que suggérez-vous ? La capitulation ? L'anéantissement ? L'holocauste ? Israël veut de plus en plus de cette guerre. Nous pensons que c'est permis et que ça nous fait du bien.        

Paolo Lombardi


 

 

23/03/2024

GIDEON LEVY
Ofer, le Guantanamo israélien : Munther Amira témoigne

 Gideon Levy &  Alex Levac (photos), Haaretz, 23/3/2024
Traduit par Fausto Giudice
, Tlaxcala

Violences, humiliations, surpopulation effroyable, cellules froides et stériles, entraves pendant des jours. Un Palestinien qui a passé trois mois en détention administrative israélienne pendant la guerre de Gaza décrit son expérience de la prison d’Ofer.

Munther Amira, chez lui dans le camp d’Aida cette semaine, après sa libération de la prison d’Ofer. « J’avais déjà été à Ofer, mais ça n’avait jamais été comme ça ».

Munther Amira a été libéré de “Guantanamo”. Il avait déjà été arrêté à plusieurs reprises par le passé, mais ce qu’il a vécu lors de son incarcération dans une prison israélienne pendant la guerre de Gaza ne ressemble à rien de ce qu’il a pu vivre auparavant. Un ami qui a passé 10 ans dans une prison israélienne lui a dit que l’impact de sa propre incarcération au cours des trois derniers mois équivalait à 10 ans de prison en temps “normal”.

Le témoignage détaillé qu’Amira nous a livré cette semaine dans sa maison du camp de réfugiés d’Aida, à Bethléem, était choquant. Il a exprimé son calvaire avec son corps, s’agenouillant à plusieurs reprises sur le sol, décrivant les choses dans les moindres détails, sans aucun sentiment, jusqu’à ce que les mots deviennent insupportables. Il était impossible de continuer à écouter ces descriptions atroces.

Mais il semblait avoir attendu l’occasion de raconter ce qu’il avait enduré dans une prison israélienne au cours des derniers mois. Les descriptions se succédaient sans interruption - horreur sur horreur, humiliation sur humiliation - à mesure qu’il décrivait l’enfer qu’il avait vécu, dans un anglais courant entrecoupé de termes hébraïques relatifs à la prison. En trois mois, il a perdu 33 kilos.

Deux grandes photos trônent dans son salon. L’une représente son ami Nasser Abu Srour, emprisonné depuis 32 ans pour le meurtre d’un agent du service de sécurité du Shin Bet ; l’autre le représente le jour de sa libération, il y a exactement deux semaines. Cette semaine, Amira est apparu physiquement et mentalement résilient, semblant être une personne différente de celle qu’il était le jour de sa sortie de prison.

Amira chez lui cette semaine. Ce qu’il a vécu lors de son incarcération dans une prison israélienne pendant la guerre dans la bande de Gaza est différent de tout ce qu’il a connu dans le passé.

Amira a 53 ans, il est marié et père de cinq enfants. Il est né dans ce camp de réfugiés, dont la population comprend les descendants des habitants de 27 villages palestiniens détruits. Il a conçu la grande clé du retour qui est accrochée à la porte d’entrée du camp et qui porte l’inscription « Pas à vendre ». Amira est un militant politique qui croit en la lutte non violente, un principe qu’il défend toujours, même après le nombre considérable de morts à Gaza pendant la guerre, souligne-t-il. Membre du Fatah, il travaille au Bureau des colonies et de la clôture de l’Autorité palestinienne et est diplômé de la faculté des sciences sociales de l’université de Bethléem.

18 décembre 2023, 1 heure du matin. Bruits sourds. Amira regarde par la fenêtre et voit des soldats israéliens frapper son jeune frère Karim, âgé de 40 ans. Les soldats traînent Karim au deuxième étage, dans l’appartement d’Amira, et le jettent à terre au milieu du salon. Amira affirme que son frère s’est évanoui. Karim est le directeur administratif du service de cardiologie de l’hôpital Al-Jumaya al-Arabiya de Bethléem, et il n’est pas habitué à ce genre de violence.

16/03/2024

GIDEON LEVY
Message aux Israéliens de gôche : sortez du choc du 7 octobre et ouvrez les yeux sur Gaza !

Gideon Levy, Haaretz, 13/3/2024
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Chers amis et anciens amis : Il est temps de dessoûler de votre dessoûlement.

C’était infondé au départ, mais aujourd’hui, près de six mois après que vos « yeux se sont ouverts », il est temps de revenir à la réalité. Il est temps de revenir à une vision d’ensemble, de réactiver la conscience et le sens moral qui ont été éteints et archivés le 7 octobre, et de voir ce qui nous est arrivé depuis lors, à nous et, oui, aux Palestiniens.

Le camp de réfugiés de Jabaliya à Gaza. Photo : Mahmoud Essa / AP

Il est temps d’enlever les bandeaux que vous vous êtes mis sur les yeux, ne voulant pas voir et ne voulant pas savoir ce que nous faisons à Gaza, parce que vous avez dit que Gaza le méritait et que ses catastrophes ne vous intéressent plus.

Vous étiez en colère, vous vous êtes sentis humiliés, vous avez été stupéfaits, vous avez été terrifiés, vous avez été choqués et vous avez eu du chagrin le 7 octobre. C’était tout à fait justifié. Ce fut un choc énorme pour tout le monde.

Mais les conclusions que vous avez tirées de ce choc n’étaient pas seulement erronées, elles étaient à l’opposé des conclusions qu’il aurait fallu tirer de la catastrophe.

On ne s’en prend pas aux gens dans leur douleur, et certainement pas aux sionistes de gauche dont la douleur est leur art, mais il est temps de se défaire du choc et de se réveiller. Vous pensiez que ce qui s’est passé le 7 octobre justifiait quoi que ce soit ? Eh bien, ce n’est pas le cas. Vous pensiez qu’il fallait à tout prix détruire le Hamas ? Eh bien, non. Il ne s’agit pas seulement de justice, mais aussi de reconnaître les limites de la force.

Ce n’est pas que vous soyez mauvais et sadiques, ou racistes et messianiques, comme la droite. Vous avez seulement pensé que le 7 octobre a soudainement prouvé ce que la droite a toujours dit : qu’il n’y a pas de partenaire parce que les Palestiniens sont des sauvages.

Cinq mois devraient suffire pour vous permettre de surmonter non seulement votre réaction instinctive, mais aussi vos conclusions. Le 7 octobre n’aurait pas dû changer vos principes moraux ou votre humanité. Mais il les a bouleversés, ce qui constitue un sérieux motif d’inquiétude quant à la solidité de vos principes moraux.

L’attaque vicieuse et barbare du Hamas contre Israël ne change pas la situation fondamentale dans laquelle nous vivons : celle d’un peuple qui harcèle et tyrannise un autre peuple de différentes manières et avec une intensité variable depuis plus d’un siècle maintenant.

Gaza n’a pas changé le 7 octobre. C’était l’un des endroits les plus misérables de la planète avant le 7 octobre et il l’est devenu encore plus après.

La responsabilité d’Israël dans le sort de Gaza et sa culpabilité n’ont pas changé en ce jour terrible. Il n’est pas le seul coupable et ne porte pas l’entière responsabilité, mais il joue un rôle décisif dans le destin de Gaza.

La gauche ne peut se soustraire à cette responsabilité et à cette culpabilité. Après le choc, la colère et le chagrin, il est temps maintenant de dessoûler et de regarder non seulement ce qui nous a été fait, comme les médias israéliens nous ordonnent de le faire jour et nuit, mais aussi ce que nous faisons à Gaza et à la Cisjordanie depuis le 7 octobre.

Non, notre catastrophe ne compense pas cela, rien au monde ne peut compenser cela. La droite célèbre la souffrance palestinienne, s’en délecte et en redemande, tandis que la gauche détourne le regard et garde un silence effroyable. Elle est encore en train de « dessoûler ». Il est temps d’y mettre fin.

Ce que le monde entier voit et comprend devrait également être compris par une partie au moins de ce qui fut le camp de la conscience et de l’humanité. Nous ne reviendrons pas sur le rôle de la gauche sioniste dans l’occupation et l’apartheid, ni sur son hypocrisie.

Mais comment un peuple entier peut-il détourner les yeux des horreurs qu’il commet dans son arrière-cour, sans qu’il reste un camp pour les dénoncer ? Comment une guerre aussi brutale peut-elle se poursuivre sans qu’aucune opposition ne se manifeste au sein de la société israélienne ?

La gauche sioniste, qui veut toujours se sentir bien dans sa peau et se considérer comme éclairée, démocratique et libérale, doit se rappeler qu’un jour elle se posera la question, ou se la fera poser par d’autres : Où étiez-vous lorsque tout cela s’est produit ? Où étiez-vous ? Vous étiez encore en train de dessoûler ? Il est temps que cela cesse, car il se fait déjà tard. Très tard.

 

11/03/2024

27 otages gazaouis sont morts en captivité dans des installations militaires israéliennes depuis le début de la guerre

 Une information de la correspondante du Haaretz en Cisjordanie, passée sous silence par les médias dominants, suivie d’un commentaire empreint d’ironie amère de Gideon Levy.  Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

27 otages gazaouis sont morts en captivité dans des installations militaires israéliennes depuis le début de la guerre

 Hagar Shezaf, Haaretz, 7/3/2024

Les détenus qui ont été renvoyés à Gaza ont témoigné des mauvais traitements qu’ils ont subis, notamment des coups et des sévices infligés par des soldats et au cours des interrogatoires. Le porte-parole des FDI déclare que l’armée a ouvert une enquête sur les décès.

 

Détenus dans le centre de Sde Teiman

Selon les chiffres obtenus par Haaretz, 27 détenus de Gaza sont morts en détention dans des installations militaires israéliennes depuis le début de la guerre.

Les détenus sont décédés dans les installations de Sde Teiman et d’Anatot ou lors d’interrogatoires en territoire israélien. Le bureau du porte-parole des FDI a déclaré que la Police militaire d’investigation avait ouvert une enquête sur ces décès. Les FDI n’ont pas détaillé les circonstances des décès, mais ont indiqué que certains d’entre eux souffraient de problèmes de santé antérieurs ou avaient été blessés pendant la guerre.

Des soldats des FDI conduisent des détenus palestiniens aux yeux bandés dans un camion, en décembre. Photo Motti Milrod

Depuis le début de la guerre, l’armée a détenu des habitants de Gaza dans des camps de prisonniers temporaires sur la base de Sde Teiman. Les détenus de Sde Teiman ont été interrogés par l’unité 504. En vertu d’un amendement à la loi adopté pendant la guerre, les détenus peuvent être gardés jusqu’à 75 jours sans voir un juge.

Certains détenus ont été libérés et sont retournés à Gaza. En outre, les travailleurs gazaouis titulaires d’un permis qui se trouvaient en Israël au début de la guerre ont été détenus au
camp de détention d’Anatot jusqu’à ce que la plupart d’entre eux soient libérés et retournent dans la bande. Une source a déclaré à Haaretz qu’au moins l’un d’entre eux, un diabétique, y est décédé faute de traitement médical. En décembre, Haaretz a révélé que les détenus de Sde Teiman étaient menottés et avaient les yeux bandés toute la journée.

Des photos publiées ultérieurement par Haaretz ont révélé à quoi ressemblait  l’endroit où les détenus étaient gardés, et une source sur place a déclaré que les soldats avaient tendance à punir et à battre les détenus, ce qui correspond aux témoignages de Palestiniens qui ont été renvoyés à Gaza par la suite.

Soldats israéliens arrêtant des Palestiniens dans la bande de Gaza, en décembre 2023. Photo Tsahal

Ils ont témoigné des coups et des abus infligés par les soldats et au cours des interrogatoires. Des photos de détenus libérés montrent des ecchymoses et des marques sur leurs poignets dues à un menottage prolongé. Selon un rapport de l’UNRWA publié mardi par le New York Times, les détenus libérés à Gaza ont déclaré avoir été battus, volés, déshabillés, agressés sexuellement et empêchés de consulter des médecins et des avocats.

Fin février, Azzadin Al Bana, un homme de 40 ans originaire de Gaza qui souffrait d’une grave maladie avant son arrestation, est décédé dans une clinique de l’administration pénitentiaire. La commission des affaires pénitentiaires a déclaré qu’Al Bana avait été arrêté à son domicile dans la bande de Gaza il y a environ deux mois. Haaretz a appris qu’Al Banna avait d’abord été amené à la base de Sde Teiman, où il avait été placé en détention normale, et qu’il n’avait été transféré à l’établissement médical de Sde Teiman que deux semaines plus tard. Il y a environ un mois, il a été transféré dans une clinique de l’administration pénitentiaire.

La base de Sde Teiman où sont détenus les habitants de Gaza. Photo : Eliyahu Hershkovitz

Un avocat qui a récemment visité la clinique a déclaré que les prisonniers qui s’y trouvaient disaient qu’il souffrait de paralysie et qu’il avait de graves plaies de pression. Selon l’avocat, l’un des prisonniers a déclaré qu’Al Bana était devenu jaune et qu’il émettait des râles, mais qu’il n’avait pas reçu de traitement approprié. Les données de l’administration pénitentiaire transmises au Centre HaMoked pour la défense de l’individu montrent qu’au 1er mars, 793 habitants de Gaza étaient détenus dans des prisons administrées par l’administration pénitentiaire sous le statut de combattants illégaux. Ce chiffre s’ajoute à un nombre inconnu de Gazaouis détenus dans des centres de détention militaires.

Le bureau du porte-parole des FDI a répondu : « Depuis le début de la guerre, les FDI gèrent un certain nombre de centres de détention où se trouvent des détenus arrêtés lors de l’assaut du Hamas le 7 octobre ou lors de la campagne terrestre dans la bande de Gaza. Les détenus ont été amenés dans les centres de détention et interrogés. Toute personne n’ayant aucun lien avec des opérations terroristes a été relâchée dans la bande de Gaza.

Depuis le début de la guerre, il y a eu un certain nombre de cas de décès de détenus dans les établissements pénitentiaires, y compris des détenus qui sont arrivés en détention blessés ou souffrant de conditions médicales complexes. Chaque cas de décès fait l’objet d’une enquête de la police militaire d’investigation et les conclusions sont transmises à l’avocat général des armées à l’issue de l’enquête ».


 
Quand Israël devient comme le Hamas

Gideon Levy, Haaretz , 10/3/2024

Terrible nouvelle : vingt-sept autres captifs sont morts dans les tunnels du mal, certains de maladies et de blessures non soignées, d’autres de coups et des conditions horribles dans lesquelles ils ont été détenus. Pendant des mois, ils ont été enfermés dans des cages, les yeux bandés et menottés, 24 heures sur 24. Certains sont âgés, beaucoup sont des travailleurs manuels. L’un d’entre eux était paralysé et, selon des témoins, il n’a reçu aucun soin médical, même lorsque le râle de la mort a commencé.

Les représentants du Comité international de la Croix-Rouge n’ont pas été autorisés à leur rendre visite, ne serait-ce qu’une fois, et leurs ravisseurs n’ont pas divulgué leurs noms afin que leurs familles puissent être informées. Ces dernières ne savent rien de leur sort ; peut-être ont-elles perdu espoir. Leur nombre exact est inconnu ; leurs ravisseurs ne fournissent aucune information à leur sujet. On estime qu’il y a entre 1 000 et 1 500 détenus, si ce n’est plus. Parmi eux, 27 sont morts et ils ne seront pas les derniers à mourir dans leurs cages.

Personne ne manifeste pour leur libération, le monde ne s’intéresse pas à eux. Ils sont détenus dans des conditions inhumaines et leur sort est considéré comme sans importance. Il s’agit des captifs de Gaza détenus par Israël depuis le début de la guerre. Certains sont innocents, d’autres sont des terroristes brutaux. Hagar Shezaf, qui a révélé la mort de tant de détenus, a rapporté que la plupart d’entre eux sont détenus par l’armée sur la base militaire de Sde Teiman, où les soldats les battent et les maltraitent régulièrement. Des centaines de Gazaouis qui travaillaient en Israël avec des permis ont été arrêtés le 7 octobre sans raison, et sont détenus dans des cages depuis lors.

Le lundi 9 octobre, deux jours après le massacre, j’ai vu l’une de ces personnes dans la cour d’un centre communautaire de Sderot qui avait été transformé en poste militaire : un homme très âgé, assis sur un tabouret dans la cour où tout le monde pouvait le voir toute la journée, des menottes à fermeture éclair autour des poignets et un bandeau sur les yeux. Je n’oublierai jamais ce spectacle. C’était un ouvrier qui avait été arrêté ; il est peut-être encore entravé, ou peut-être est-il mort.

La nouvelle de cette mort, de ce massacre en prison, n’a suscité aucun intérêt en Israël. Autrefois, le sol tremblait lorsqu’un détenu mourait en prison ; aujourd’hui, 27 détenus sont morts - la plupart, sinon tous, à cause d’Israël - et il n’y a rien. Chaque décès en détention soulève le soupçon d’un acte criminel, la mort de 27 détenus soulève le soupçon d’une politique délibérée. Personne, bien sûr, ne sera poursuivi pour leur mort. Il est même douteux que quelqu’un enquête sur les causes de ces décès.

Ce rapport aurait également dû susciter l’inquiétude d’Israël quant au sort de ses propres captifs. Que penseront et feront les geôliers du Hamas lorsqu’ils apprendront comment sont traités leurs camarades et compatriotes ? Les familles des otages auraient dû être les premières à s’élever contre le traitement des prisonniers palestiniens, au moins parce qu’elles s’inquiètent du sort de leurs proches, sinon parce qu’elles savent qu’un État qui traite les captifs de cette manière perd la base morale de ses exigences en matière de traitement humain de ses propres captifs aux mains de l’ennemi.

Les Israéliens auraient dû être choqués pour d’autres raisons. Il n’y a pas de démocratie lorsque des dizaines de détenus meurent en détention. Il n’y a pas de démocratie lorsque l’État retient des personnes pendant 75 jours sans les faire comparaître devant un juge et refuse de prodiguer des soins médicaux aux malades et aux blessés, même lorsqu’ils sont en train de mourir. Seuls les régimes les plus rétrogrades maintiennent des personnes attachées et les yeux bandés pendant des mois, et Israël commence à leur ressembler à un rythme alarmant. En outre, aucune démocratie ne fait tout cela sans transparence, notamment en publiant des informations sur le nombre, l’identité et l’état de santé des personnes détenues.

Comme il est commode d’être choqué par la cruauté du Hamas, de présenter ses actions au monde entier et de traiter ses membres de monstres. Rien de tout cela ne donne à Israël le droit d’agir de la même manière. Lorsque j’ai déclaré dans une interview, il y a quelques mois, que le traitement réservé par Israël aux prisonniers palestiniens n’était pas meilleur que celui réservé par le Hamas aux nôtres, et peut-être même pire, j’ai été dénoncé et renvoyé de l’émission d’actualité la plus éclairée de la télévision israélienne. Après le rapport de Shezaf, le tableau est encore plus clair : Nous sommes devenus comme le Hamas.

09/03/2024

GIDEON LEVY
Des soldats israéliens ont exécuté deux des frères Shawamra, en ont blessé un troisième et arrêté un quatrième
Scènes de la survie quotidienne en Cisjordanie occupée

Gideon Levy &Alex Levac (photos), Haaretz,  8/3/2024
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Trois frères de Cisjordanie qui, comme tous les Palestiniens, n’ont plus le droit de travailler en Israël, franchissent la barrière de séparation pour récolter des plantes afin de subvenir aux besoins de leur famille. Sur le chemin du retour, les soldats ouvrent le feu sur eux

Suleiman Shawamra tient son fils Noureddine , qui a survécu : « Regardez-nous. Est-ce que vous voyez de la haine ? »

La chasse à l’homme. Il n’y a pas d’autre façon de décrire ce que les soldats des forces de défense israéliennes faisaient jeudi dernier à la barrière de séparation  [mur de la honte, mur d’annexion ou mur de l’apartheid, officiellement appelé clôture de sécurité, “Geder Habitahon”, NdT], dans le sud de la Cisjordanie. Repérant un jeune homme qui escaladait le mur à l’aide d’une échelle de corde, et d’autres qui attendaient leur tour, des tireurs embusqués ont ouvert le feu sur eux, atteignant deux d’entre eux dans le dos, l’un après l’autre. Ils sont tombés au sol l’un sur l’autre, ensanglantés.

Les soldats auraient pu facilement arrêter les hommes, les interpeller, tirer des coups de semonce en l’air ou les ignorer et les laisser rentrer chez eux, comme ils le font souvent dans de telles situations. Mais cette fois-ci, ils ont apparemment préféré tirer avec l’intention de tuer, d’abattre des jeunes hommes dont le seul péché était de se faufiler en Israël pour trouver un moyen de subvenir aux besoins de leur famille, de cueillir une espèce de chardon comestible appelé akkoub dans le sol rocailleux et de rentrer chez eux sains et saufs.

Les deux hommes abattus étaient des frères qui avaient des permis de travail en Israël, tout comme leur père ; tous les membres de la famille parlent un excellent hébreu. Mais depuis le 7 octobre, les Palestiniens n’ont plus le droit d’entrer en Israël pour y travailler. Ensemble, trois frères et un ami se sont mis en route pour les champs d’akkoub, dont certains appartiennent en fait à leur famille - la barrière de sécurité a en fait annexé une partie des terres de leur village à Israël - mais sont devenus des champs de la mort.

Deux frères ont été tués, un troisième a été légèrement blessé par une balle qui l’a miraculeusement manqué, et un quatrième a été placé en détention. Sa famille éplorée ne sait toujours pas où il se trouve, et il ne sait probablement même pas que deux de ses frères ont été tués. Israël n’envisage même pas de libérer ce quatrième frère, qui a tenté d’escalader le mur avec d’autres membres de sa famille après l’incident pour voir ce qui s’était passé. Les autorités n’ont pas fait preuve d’un iota d’humanité ou de compassion à l’égard de cette famille doublement endeuillée. Aucune compassion ou humanité à l’égard des Palestiniens ne doit être manifestée ici - et c’est un ordre.

La tente de deuil dans le petit village de Deir al-Asal, avec les posters des frères. À gauche, Salaheddine, et à droite, Nazemeddine.

Dura est une petite ville située au sud-ouest d’Hébron. La plupart des routes d’accès qui y mènent, comme dans pratiquement toutes les villes et tous les villages de Cisjordanie, ont été bloquées par l’armée depuis le début de la guerre à Gaza. La principale voie d’accès à Dura passe aujourd’hui par les rues encombrées d’Hébron. Pour notre part, en nous rendant à Dura, nous avons assisté à un phénomène dont nous n’avions jamais été témoins auparavant : la résistance dans toute sa splendeur.

02/03/2024

GIDEON LEVY
Une jeep de l’armée israélienne percute deux adolescents palestiniens à vélo, puis l’un d’eux est abattu à bout portant

Gideon Levy & Alex Levac (photos), Haaretz, 2/3/2024
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Une jeep de l’armée israélienne, à la poursuite de deux adolescents palestiniens circulant sur un vélo électrique, les percute et ils sont jetés à terre. Un soldat place son fusil sur le cou de l’un d’eux et appuie sur la gâchette. Imru Swidan, 17 ans, est toujours dans un état critique et paralysé.

Imru Swidan avant d’être abattu

Cette fois-ci, il n’y a pas de place pour le doute, ni pour les questions, les excuses ou les mensonges de l’unité du porte-parole des forces de défense israéliennes : les vidéos témoignent de ce qui s’est passé. Elles montrent une jeep blindée à la poursuite de deux jeunes qui roulent sur une bicyclette électrique. Le côté de la jeep heurte violemment les cyclistes, les faisant tomber du vélo. L’un d’eux parvient à s’échapper, l’autre est couché sur le ventre, face contre terre. L’un des soldats qui sort de la jeep place le canon de son fusil sur le cou du garçon. L’image est floue, mais un agrandissement permet de comprendre ce qui s’est passé ensuite : une balle pénètre dans le cou du jeune homme, brisant la partie supérieure de sa colonne vertébrale. Paralysé et placé sous respirateur, il se trouve actuellement dans l’unité de soins intensifs d’un hôpital de Naplouse.

L’événement rappelle l’incident impliquant Elor Azaria, le « tireur d’Hébron », qui, en 2016, avait abattu un « terroriste » palestinien qui avait déjà été abattu et maîtrisé, mais dans un format plus sinistre. Dans ce cas, le jeune n’est pas mort sur la route, et on ne sait pas exactement ce que les deux cyclistes - 17 et 15 ans - avaient fait pour justifier la poursuite par la jeep, ni ce qui a déclenché la fureur des soldats, qui ont décidé d’essayer d’exécuter l’un des jeunes en lui tirant une balle dans le cou à bout portant.

Ces questions troublantes resteront à jamais sans réponse. Cette semaine, l’unité du porte-parole des FDI n’a pas perdu de temps pour blanchir, truquer et dissimuler la vérité, se contentant de la réponse habituelle, générique, évasive et fictive, à la question de Haaretz : « Un certain nombre de terroristes ont lancé des engins explosifs sur une unité des FDI qui opérait près du village d’Azzun dans le [territoire de la] brigade Ephraim le 13 février 2024. Une unité des FDI qui se trouvait sur le site a pris des mesures pour les arrêter et, dans ce cadre, a tiré sur l’un d’entre eux ».

Les mots manquent. Deux adolescents sur un vélo deviennent « un certain nombre de terroristes », leur transgression n’étant pas claire ; « a pris des mesures pour les arrêter » est la façon dont l’armée décrit le tir à bout portant sur un jeune désarmé et sans défense qui était allongé face contre terre sur la route, ce qui ressemble plus à une tentative d’exécution qu’à toute autre chose. « A pris des mesures pour l’arrêter » ? Les soldats auraient pu très facilement arrêter le jeune prostré sur la route, mais ils ont préféré lui tirer dessus alors qu’il était blessé et immobile. Après la fusillade, les soldats sont partis sans arrêter personne.

Vidéo de l’incident

Un acte à la Elora Azaria, mais les temps ont changé de manière méconnaissable. Personne ne sera jugé pour avoir procédé à des exécutions en uniforme, pas après l’épisode Azaria et encore moins après la guerre dans la bande de Gaza. Personne n’a même l’intention d’enquêter sur cet incident ; l’unité du porte-parole de l’armée israélienne ne s’est pas intéressée à la vidéo qui documente l’acte. La jeep dont les soldats ont fait cela portait un drapeau israélien sur un mât imposant. C’est au nom de ce drapeau qu’ils ont abattu l’adolescent blessé sur la route, alors qu’ils auraient pu facilement le placer en détention.

Imru Swidan est un jeune homme de 17 ans originaire de la ville d’Azzun, à l’est de la ville cisjordanienne de Qalqilyah, de l’autre côté de la frontière de Kfar Sava. Depuis 2003, l’entrée orientale de la ville est bloquée et, depuis le 7 octobre, son entrée principale, au sud, est également fermée par une grille en fer. Seule une entrée reste ouverte, par l’ouest, via le village voisin de Khirbet Nabi Elias, où de fréquents barrages surprise de l’armée bloquent pendant de longues heures la circulation en direction et en provenance de la ville. Peu avant notre arrivée à Azzun cette semaine, les soldats étaient encore là, harcelant les habitants ; heureusement pour nous, nous sommes arrivés après leur départ.

La famille Swidan vit dans le complexe résidentiel familial au centre de la ville. Dans le salon où nous avons été reçus, deux guitares sont accrochées au mur et, à côté, du matériel de sonorisation appartenant au cousin d’Imru. Imru est dans un hôpital privé de Naplouse, complètement paralysé. Sur les photos prises sur place, on peut voir qu’un tube respiratoire lui a été inséré dans la gorge, qu’une attelle maintient son cou, que son visage est d’un blanc effroyable. Il est difficile de savoir s’il est conscient. Il murmure parfois quelque chose, dit sa mère. Elle pense qu’il demande qu’on lui récite des versets du Coran, car sa mort est proche.

Son père, Mohammed, 42 ans, est à ses côtés, et sa mère, Arwa, 33 ans, lui rend également visite, bien entendu. Le couple a quatre fils et deux filles - Imru est l’aîné, sa mère n’avait pas encore 17 ans lorsqu’elle l’a eu. Les déplacements des parents à Naplouse pour voir leur fils sont extrêmement difficiles. En raison des nombreux points de contrôle autour de Naplouse - la ville est presque assiégée depuis le début de la guerre - le voyage dure des heures, bien que la distance soit relativement courte. Voilà à quoi ressemble aujourd’hui la vie dans toute la Cisjordanie.

Arwa Swidan, mère d’Imru

C’était le 13 février, un mardi, il y a deux semaines. Les FDI font de fréquentes incursions à Azzun, comme c’était le cas ce midi-là. La mère d’Imru raconte que lorsqu’il s’est levé ce matin-là, vers 10 heures, comme d’habitude, elle l’a envoyé au marché pour acheter des légumes. Comme son vélo électrique était hors d’usage, il s’est rendu chez un voisin, un lycéen de 15 ans qui est son ami depuis l’enfance et qu’il rencontre tous les jours (et qui a demandé à ce que son nom ne soit pas mentionné). Avec le vélo de son ami, il a fait les courses pour sa mère. Mais il a oublié d’acheter de la pita, et elle l’a renvoyé. Cette fois, il ne reviendra pas. Il a été abattu à quelques centaines de mètres de chez lui, sur la rue principale de la ville.

Les soldats ont envahi la ville par l’entrée Est, qui est fermée. Imru pédale, son ami se tient sur le vélo. Nous n’avons aucune information sur ce qu’ils ont fait en chemin, jusqu’à ce que la vidéo montre la jeep les poursuivant puis les renversant. Une ambulance palestinienne appelée sur le site a été bloquée pendant dix minutes, selon le témoignage recueilli par Abd al-Karim Sa’adi, chercheur de terrain pour l’organisation israélienne de défense des droits humains B’Tselem. Ce n’est qu’après le départ des soldats que les ambulanciers ont pu accéder au jeune blessé.

Il a été transporté à l’hôpital Omar al-Qassem d’Azzun, puis à l’hôpital Darwish Nazzal de Qalqilyah, et comme il était dans un état critique, il a été transféré à Naplouse. Là, selon les habitants d’Azzun, il a eu la chance d’être soigné par un habitant de sa ville, le Dr Abdallah Harawi, un chirurgien réputé. La mère du chirurgien est décédée le jour même, mais il a opéré Imru. Une radiographie montre les dégâts considérables causés à la moelle épinière par la balle.

Imru Swidan avant d’être abattu

Selon sa mère, Imru a quitté l’école pendant la pandémie de COVID, alors qu’il était en dixième année, et depuis lors, il est resté chez lui, désœuvré. Son père est ouvrier d’entretien dans des hôpitaux israéliens. L’année dernière, il travaillait à l’hôpital Meir, à Kfar Sava, mais depuis la guerre, un bouclage a été imposé en Cisjordanie, si bien qu’il est hors de question de se rendre à son ancien travail. De nombreux membres de la famille élargie ont travaillé en Israël et parlent l’hébreu.

Vers midi, après qu’Imru est retourné chercher le pain, des amis ont appelé sa mère pour lui dire qu’il avait été blessé. Stupéfaite, elle a téléphoné à son mari, qui avait commencé un nouveau travail dans un atelier de couture dans le village voisin de Jayous. Il s’est immédiatement rendu à l’hôpital de Naplouse, tout comme sa femme et d’autres membres de la famille.

À leur arrivée, Imru sortait d’un scanner et sa mère s’est évanouie à sa vue. Elle est rentrée chez elle le soir, dans une maison remplie de voisins et de membres de sa famille. Aujourd’hui, elle prie Dieu tous les jours pour que l’état de son fils s’améliore. Pour l’instant, rien ne laisse présager une telle amélioration.