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22/06/2021

Le journaliste de Haaretz Gideon Levy reçoit le principal prix de journalisme d'Israël

Ofer Aderet, Haaretz, 14/6/2021

Traduit par Fausto Giudice

Selon le comité du Prix Sokolow, Gideon Levy « remet en question le consensus israélien grâce à un travail courageux sur le terrain qui fait entendre la voix des Palestiniens » de Cisjordanie et de Gaza.

Le journaliste de Haaretz Gideon Levy est l'un des lauréats du prestigieux PrixSokolow 2021, décerné par la ville de Tel Aviv. Levy, 68 ans, qui écrit pour Haaretz depuis 1982, a remporté le prix du journalisme écrit.


Gideon Levy dans le village de Turmus Ayya, en Cisjordanie, lundi. Photo Alex Levac

Cette semaine, Gideon Levy répondra aux questions des auditeurs du podcast Haaretz Weekly. Pour soumettre votre question, envoyez un courriel à weekpod@haaretz.co.il 

Depuis la première Intifada, Gideon Levy écrit une chronique hebdomadaire, « The Twilight Zone » (Entre chien et loup), sur les souffrances des Palestiniens dans les territoires occupés en 1967. Dans ses articles d'opinion publiés dans Haaretz, il évoque l'injustice de l'occupation et n'hésite pas à exprimer des points de vue impopulaires contre la politique d'Israël, qui suscitent souvent de vives critiques de la part des lecteurs et du grand public.

« Le journaliste Gideon Levy remet régulièrement en question le consensus israélien dans un travail courageux sur le terrain qui apporte les témoignages et les histoires de ceux qui ne sont pas suffisamment exposés dans le débat médiatique local - les voix des Palestiniens de Judée, de Samarie et, dans le passé, de la bande de Gaza », ont écrit les juges dans leur décision d'attribuer le prix. Levy « présente des positions originales et indépendantes qui ne s'abandonnent pas aux conventions ou aux codes sociaux et, ce faisant, enrichit sans peur le discours public « .

02/07/2023

GIDEON LEVY
Pour une réalité pacifique, imaginez l’exact opposé d’Israël et vous aurez l’Islande

Gideon Levy, depuis Reykjavík, Haaretz, 2/7/2023

Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Invité en Islande par l’association Islande-Palestine et Ögmundur Jónasson, Gideon Levy relate ses impressions. Une vraie déclaration d’amour.

échelle de Richter. Pendant un moment, il y a eu un risque de nouvelle éruption volcanique. L’information a été donnée à la radio dans le cadre des prévisions météorologiques.

Le contraste est saisissant avec Israël, où la première pluie de la saison est annoncée de manière plus terrifiante. En Islande, la lave descend d’une montagne environ une fois par décennie. En 2010, une éruption de la calotte glaciaire Eyjafjallajokull a créé un nuage de cendres volcaniques qui a perturbé les vols dans le nord-ouest de l’Europe.



Source d’eau chaude à Hrunalaug, Islande

Les Islandais ne sont pas inquiets. Personne ne leur instille de l’anxiété inutile. Personne ne se demande si l’Islande sera encore là dans 50 ans, comme c’est le cas en Israël, même si l’avenir de l’Islande est bien plus sombre, avec ses cendres volcaniques, son déclin démographique et les menaces d’ inondations dues à l’élévation du niveau de la mer.

L’Islande compte 580 000 citoyens, dont 50 000 vivent à l’étranger. Cinquante mille étrangers vivent en Islande, mais on n’en parle pas beaucoup. Personne ne semble s’inquiéter de l’avenir de la nation islandaise, contrairement à Israël, où l’on se préoccupe de l’avenir du peuple juif.

L’Islande est une île verte entourée d’un océan, probablement le joyau le plus beau et le plus fascinant du monde. Quatre fois plus grande qu’Israël, elle est essentiellement vide d’habitants. Ceux qui vivent ici semblent détendus et satisfaits, ce qui est difficile à comprendre pour des Israéliens angoissés, confrontés à des dangers réels ou imaginaires.

Ils ne craignent pas que le sol brûle littéralement sous leurs pieds ou qu’une “menace démographique” pèse sur eux. Personne ne s’inquiète de l’“assimilation” et les “mariages mixtes” ne sont pas un problème ici. L’émigration ne l’est pas non plus. Les liens familiaux et l’attachement à la nature sont plus importants que tout. Il n’y a pas de campagnes d’intimidation contre l’émigration, et encore moins contre les mariages avec des étrangers. Pourquoi diable en serait-il ainsi ?

Les Islandais sont les citoyens de l’un des rares pays sans armée. Cela ne les dérange pas non plus. Dans le port de Reykjavik, un seul navire des garde-côtes était présent cette semaine. C’est leur seule arme. Ils se contentent de leur appartenance à l’OTAN, qui a ses opposants - comme Ögmundur Jónasson, un impressionnant homme de gauche qui, pendant 21 ans, a été député, ministre de la justice, ministre de l’intérieur, ministre de la santé et ministre des communications. Il milite actuellement pour les droits nationaux des Kurdes.


Reykjavik, Premier Mai 2023

En Israël, aucun politicien ne travaille pour les droits des autres nations, même après avoir pris sa retraite. Lorsque les chefs des pays européens se sont réunis ici il y a quelques semaines, la police s’est empressée de s’équiper de 100 nouveaux fusils. Parfois, il se passe des années sans qu’aucun meurtre ne soit commis ici.

Le nombre annuel de meurtres est inférieur au nombre de meurtres commis dans les communautés arabes d’Israël au cours d’une mauvaise journée. Le pays occupe une position stratégique au milieu de l’océan Atlantique. Les Islandais ne craignent personne. La Suède, la grande sœur, craint beaucoup plus la Russie. Les Islandais ont fait de leur faiblesse une force et de leur petit nombre un avantage. Leur modestie et leur simplicité sont également une force. Il n’y a pratiquement pas de voitures de luxe monstrueuses comme en Israël ; l’auteure-compositrice-interprète Björk vit dans une modeste maison jaune au bord de la mer.

Pensez à Israël, puis imaginez son opposé. C’est l’Islande. Il est difficile de trouver deux contrastes plus grands, même en excluant les clichés sur le comportement sur les routes du pays, le niveau de propreté, le calme et la connaissance de l’anglais. Sa nature époustouflante, difficile à décrire, fait paraître les réserves naturelles d’Israël dérisoires. Le tourisme continue de frapper à la porte de la nation insulaire. Les chiffres augmentent de façon alarmante et les habitants s’inquiètent d’être inondés comme d’autres endroits ruinés et enlaidis par des hordes de touristes.

Un pays sans armée et sans inquiétude quant aux menaces malicieusement semées dans l’esprit de sa population, occupée à vivre sa vie et à profiter de la nature, de la mer et des moutons. Un pays avec 150 000 chevaux dans une mer verte sans fin, sans qu’aucun cheval n’ait été introduit de l’étranger au cours des 1000 dernières années ; un pays où l’eau chaude des robinets provient du sous-sol ; un pays sans Itamar Ben-Gvir. Imaginez ça.

Conférence de Gideon Levy à Reykjavik (aller à 13 :28)


Interview de Gideon Levy sur Rauður veruleiki (Réalité rouge) 

 

01/06/2023

GIDEON LEVY
À 70 ans, personne en Cisjordanie ne me soupçonne d'être un agent du Shin Bet

Gideon Levy, Haaretz, 1/6/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala


Gideon Levy, par Gil Cohen Magen, AFP/Getty Images

Lorsque mon grand-père a eu 70 ans, ses amis ont fêté son anniversaire. Dans le salon du petit appartement de la rue Rozenbaum à Tel Aviv, qui se transformait la nuit en chambre à coucher de ma grand-mère, des amis du vieux pays [les grands-parents venaient de Saaz/Žatec, dans les Sudètes, en Bohême du Nord, Tchécoslovaquie, NdT], dont je me souviens encore des noms, se sont réunis : Franzi, Ilsa, Pepi, Artur, Binka, Irma, Josef, Netka. Il y avait peut-être aussi Mme Korf, peut-être Mme Knopfelmacher, peut-être M. Gronich, l'avocat de la famille, peut-être Mme Simon, l'agent d'assurance.

L'une des amies, probablement Elsa Aufricht, mais je n'en suis pas certain, a récité un long maqama - un genre de récit en prose rimé d'origine arabe, remis au goût du jour en Israël vers 1960 par l'écrivain Haim Hefer - en allemand, en l'honneur de celui qui fêtait son anniversaire. J'avais 10 ans. C'était l'Europe centrale à Tel Aviv. Il y avait des petits fours, des gespritzten (panaché de vin blanc et de limonade), un gâteau au chocolat avec de la crème fouettée appelé “gav hatzvi” (épaule de cerf), ou encore pischinger ou malakoff, que ma grand-mère Trude préparait. Les dames portaient encore les fourrures qu'elles avaient apportées de “là-bas”, ou des tailleurs en jersey d'Iwanir ou des ensembles tricotés d'Aled avec une broche au revers ; elles fumaient des Dubek 10 dans un porte-cigarette. Mon grand-père ne quittait jamais la maison autrement qu'en costume, généralement avec un nœud papillon.  Nous étions des sabras, des nouveaux juifs, sains et robustes, qui allions bientôt écouter Pink Floyd et entrer dans l'armée, et eux, c'étaient des déplacés qui s'accrochaient de toutes leurs forces aux restes d'Europe qu'ils s'étaient conservés ici, loin du Levant, qu'ils ne pouvaient supporter. Ils ne s'intègreraient jamais ici, alors ils nous semblaient encore plus âgés. L'allemand qu'ils parlaient, que je considérais comme une langue réservée aux vieux, n'était pas la seule raison pour laquelle j'avais l'impression qu'il s'agissait d'un événement pour les personnes âgées. À l'époque, les septuagénaires étaient considérés comme très vieux.

 Rozenbaum 6

Mon grand-père Viktor utilisait déjà une canne depuis quelques années, une habitude qui avait commencé, soi-disant, pour que les gens lui laissent leur place dans le bus, ou du moins c'est ce qu'il disait, mais en fait il en avait de plus en plus besoin. Le bandage herniaire qu'il portait le gênait également dans ses mouvements. À l'époque, il n'y avait pas beaucoup de personnes plus âgées que mon grand-père. Il m'entraînait dans ses fréquents déplacements vers les cabinets d'avocats poussiéreux d'Allenby Street, afin d'obtenir des réparations de la part de l'Allemagne pour des amis. Il m'emmenait dans deux de ses cafés habituels, un petit et un grand, et commandait des taxis place HaBima en utilisant les deux seuls mots qu'il connaissait en hébreu : “Rozenbaum shesh” [six]. Il m'attendait sur le balcon de son appartement avec les livres de politique et de philosophie en allemand qu'il avait commandés à Robinson Books dans la rue Nahalat Binyamin, après avoir marqué au crayon les passages qu'il me lirait, et mes yeux se fermaient d'ennui. Il me destinait à la grandeur, en vain.

Lorsque l'accord de cessez-le-feu de la guerre d'usure a été signé le 7 août 1970, il m'a envoyé un télégramme de félicitations. J'étais en Amérique, dans le cadre d'une mission de jeunesse auprès des communautés juives de la côte Est. Nous avons dansé la hora pour eux, vêtus de chemises brodées, au son de “Shir La'shalom”. Mon grand-père pensait que la paix était revenue et il a envoyé un télégramme à son petit-fils. Même à l'époque, je trouvais que c'était une chose bizarre à faire.

La vie a filé à toute allure et j'aurai 70 ans ce vendredi 2 juin. Ce mot roule sur la langue plus facilement qu'à 60 ans, l'année de la véritable crise de la vieillesse, du moins pour moi. La tentation est grande de croire que mon grand-père était un vieux 70 ans et que je suis un jeune de 70 ans. De recourir au cliché selon lequel les septuagénaires sont les nouveaux cinquantenaires. Il est assez facile d'affirmer que cet âge a ses avantages : j'ai déjà vu des gens me céder leur place dans le bus. Mais c'était tellement humiliant. Lorsque cela s'est reproduit, j'ai pensé qu'il valait mieux mourir.

Mais le fait est que chaque fois que je descends du bus, je m'accroche à tous les poteaux possibles pour ne pas trébucher, et je me plains en silence des jeunes qui mettent leurs pieds sur les sièges. Ce n'est qu'en voyageant en Cisjordanie que l'ignominie de la vieillesse devient un avantage : plus personne ne nous soupçonne, le photographe Alex Levac et moi, d'être des agents du Shin Bet, des commandos infiltrés de l’unité Douvdevan ou même des colons. Ceux-là sont tous plus jeunes que nous. Jusqu'à présent, seul Levac a été appelé hadj par des Palestiniens.

Je pensais que ce serait plus dur que ça d'avoir 70 ans.

NdT : Bon anniversaire, Gideon ! 



28/10/2021

GIDEON LEVY
Si seulement tous les bus israéliens étaient comme ce bus public de rêve !

Gideon Levy, Haaretz, 27/10/2021
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

NdT : les transports publics ne fonctionnent pratiquement pas en Israël -sauf à Haïfa - pendant le shabbat (du vendredi 18 minutes avant le coucher du soleil au samedi 40 minutes après le coucher du soleil). Gideon Levy salue l’initiative prise par la municipalité de Tel Aviv en 2019 : six lignes de bus gratuits circulent maintenant pendant le shabbat entre Tel-Aviv et les villes satellites de Ramat Gan, Ramat Hasharon, Givatayim, ’Holon et Kiryat Ono. Une proposition de loi de Tamar Zandberg (Meretz) visant à autoriser les transports publics pendant le shabbat a été rejetée par la Knesset en juin 2020. Le membre de la Knesst Uri Maklev, ultra-orthodoxe, avait alors déclaré : « Pourquoi sommes-nous un État juif ? Quel est notre lien avec la terre d'Israël, à part manger du falafel ? C'est notre identité juive. Les valeurs passent avant les loisirs. » Selon un sondage en 2018, 72% des Israéliens interrogés s’étaient déclaré favorables à une levée de l’interdiction.

Pendant une heure environ, c'est un autre pays, celui qui aurait pu être, celui qui aurait dû être. C'est pourquoi j'aime tant ce voyage. C'est un voyage de souhaits réalisés et d'illusions.

 


Un bus gratuit mis en place par la municipalité de Tel Aviv le jour du shabbat

Chaque week-end, il existe un service de bus dans l'agglomération de Tel Aviv que peu de gens connaissent. Il existe sept lignes entre six villes, 600 trajets chaque week-end, transportant 18 000 passagers. Le timing est comme une montre suisse, la politesse scandinave. De beaux bus, avec des chauffeurs arabes israéliens, le service est gratuit. Quelque chose dans ce bus de shabbat me remplit d'un rare sentiment de normalité et de gratitude ; presque tous les passagers qui montent ou descendent remercient le chauffeur, ce qui est presque inédit en Israël.

En apparence, c'est à cause de la gratuité du service et de l'ambiance du week-end, mais c'est plus que cela. Tout est apparemment évident, et rien ne l'est. Transports publics le jour du shabbat, service métropolitain gratuit, calme dans le bus, courtoisie et générosité. Le fait que les chauffeurs soient arabes et que quelques passagers le soient aussi crée la douce illusion d'un pays sain et équilibré. Bien sûr, il faut plus de Juifs pour conduire des Arabes et non l'inverse, sur le long chemin qui mène au rêve d'égalité, mais même ce petit trajet binational n'est pas un voyage vers nulle part. Peu de gens remarquent que les conducteurs sont des Arabes. Personne n'en fait tout un plat. Les voyous juifs ne les attaqueront jamais violemment comme à Jérusalem et dans d'autres villes, et ce n'est pas non plus quelque chose à prendre pour acquis. Les transports publics le jour du shabbat, sans cris de "Shabbès !" [shabbat en yiddish, crié par les orthodoxes pour tancer les violations d’interdits ce jour-là, NdT] et sans jets de pierres ne sont pas non plus une mince affaire. 

13/10/2021

ODEH BISHARAT
Un prix Nobel de la vérité pour Gideon Levy

Odeh Bisharat, Haaretz, 12/10/2021
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Odeh Bisharat est né en 1958 dans une famille originaire de Ma'alul, un village palestinien détruit en 1948, et vit aujourd'hui à Yafiah, en Galilée, avec sa femme et leurs trois enfants. Il a été impliqué dans des activités politiques et sociales toute sa vie, d'abord en tant que responsable du Comité national des lycéens arabes israéliens, puis en tant que responsable de l'Organisation des étudiants arabes à l'université de Haïfa. Il a également été actif dans divers mouvements judéo-arabes et a travaillé comme rédacteur en chef du journal pour jeunes Al-Jad. Au début des années 2000, Bisharat a été secrétaire général du parti politique Hadash (Front démocratique pour la paix et l'égalité). Actuellement, il est chroniqueur d'opinion pour les journaux Haaretz et Al-Atikhad. Il a publié trois romans en arabe : The Streets of Zatunia (traduit en hébreu et en finnois), Donia (traduit en hébreu) et The Late Tammam Mekehoul. @OdehBisharat

S'il y avait un prix Nobel pour l'incitation [à la haine, NdT], il y aurait certainement de la place pour l'appel du journaliste Akiva Novik à attribuer un prix Nobel de la paix à l'ancien Premier ministre Benjamin Netanyahou pour les accords d'Abraham. L'ancien président usaméricain Donald Trump (à qui Novik voulait également accorder un prix de la paix pour les Accords) peut se voir offrir un prix Nobel de la malhonnêteté. Vraiment, quel rapport y a-t-il entre Netanyahou, "l'ange de la destruction" selon le défunt Premier ministre Yitzhak Shamir, et ce prix humain ?

Et maintenant, le point principal : cette année, les responsables du prix ont pensé autrement. Ils sont partis du principe qu'il existe un lien étroit entre "paix" et "vérité", sinon ils n'auraient pas accordé le prestigieux prix à deux journalistes, Maria Ressa des Philippines et Dmitry Muratov de Russie, car les journalistes ne s'occupent pas directement de promouvoir des relations pacifiques entre les pays et les nations, ils s'occupent d'extraire la vérité des mâchoires mensongères du gouvernement - presque chaque gouvernement. 

À cette occasion, je peux proposer deux explications à cette décision. La première : la paix et la vérité sont du côté du bien, de la vie, alors que la guerre et le mensonge sont du côté du mal. Aussi, afin de renforcer la fraternité du bien, le comité a jugé bon d'honorer la vérité dans les rangs du royaume de la paix. Pas mal. Je suis d'accord. 

Et une autre explication qui me vient à l'esprit : il est vrai que les lauréats ne sont pas les premiers journalistes à recevoir le prix Nobel de la paix - auparavant, deux journalistes ont reçu le prix, en 1907 [Ernesto Teodoro Moneta, pacifiste italien] et en 1935 [Carl von Ossietzky, alors emprisonné par les nazis] - mais la guerre entre les mensonges, la désinformation et la manipulation des faits, d'une part, et un reportage équilibré et véridique, d'autre part, est aujourd'hui le principal champ de bataille dans notre monde turbulent. Les mots ont remplacé les coups de feu, les enquêtes ont remplacé l'artillerie et les images ont remplacé les bombes. 

Aujourd'hui, il est difficile d'entrer dans les médias sociaux sans être frappé par les éclats de l'incitation. Si on la compare à un tir réel, on peut compter de nombreuses victimes. Il est vrai que l'incitation ne laisse pas de morts et de blessés derrière elle, mais son impact psychologique négatif sur le comportement humain est énorme, surtout lorsque ce champ de bataille est géré par des géants tels que Facebook qui, selon les enquêtes, enflamme les éléments négatifs de notre discours. Nous pouvons certainement considérer la décision actuelle du comité du prix Nobel comme une sorte d'expression d'aversion pour le discours superficiel des médias sociaux. 

Je suis donc impressionné par le fait que ce prix important ait été décerné à des journalistes. À l'époque actuelle, ils sont les leaders de la diffusion de la vérité dans le monde. Sans la vérité, tout est fragile et sur le point de s'effondrer. D'autre part, on ne peut rien construire sur des mensonges, on ne peut que détruire, et à mon avis, le moment est venu d'offrir un nouveau prix, qui ne soit pas une annexe du prix de la paix ou un invité d'honneur - un prix Nobel de la vérité. La vérité mérite un prix, car souvent, ceux qui la révèlent le paient cher : atteinte à leurs moyens de subsistance, marginalisation, menaces et parfois, comme dans les pays des lauréats actuels, des choses bien plus terribles. 

Il est vrai que le chemin de la vérité est difficile et plein de déceptions, alors que le mensonge a de nombreux consommateurs et applaudisseurs, mais un monde sans vérité est un monde cruel, désolé et déprimant. Bien que le journaliste, après avoir révélé la vérité, ne puisse rien faire de plus, même sans changer la réalité, nous pouvons au moins trouver une consolation dans le fait que le mal ne marchera pas droit. 

La caméra de Basel al-Adra n'a pas changé la réalité à Khirbet al-Mufkara dans les collines du sud d'Hébron, mais a exposé l'armée et les émeutiers dans leur disgrâce. La vérité érode la confiance en soi des oppresseurs et donne espoir et confiance aux opprimés. Ce n'est pas une mince affaire. 

En Israël, il y a un certain nombre de journalistes qui révèlent la vérité, et qui paient un prix élevé pour cela. Nous devons leur en être reconnaissants, mais le problème est que, malgré cela, la plupart des Israéliens ne remarquent même pas le monstre dans la pièce - l'occupation. Par conséquent, je pense que nous devrions également décerner le prix Nobel de la vérité au journaliste Gideon Levy, qui, semaine après semaine, nous montre la laideur du monstre invisible.

 

22/08/2021

GIDEON LEVY
Pour les soldats israéliens, un Arabe n’est qu’un Arabe, même s’il est vice-président de la Knesset


Gideon Levy, Haaretz, 22/8/2021
Traduit par Fausto Giudice

Trois membres de la Knesset de la Liste Unifiée, majoritairement arabe, ont effectué une visite à Hébron la semaine dernière. À l'un des barrages routiers, un soldat de la brigade Golani a bloqué le député (et vice-président de la Knesset) Ahmad Tibi et lui a aboyé dessus : « Tu te prends pour qui ? Avec moi, tout le monde y passe ».

Les FDI ont soutenu le soldat, Channel 12 a grondé Tibi, le président de la Knesset et député de Yesh Atid Mickey Levy a soutenu Tibi avec un courage inhabituel, le père du soldat a déposé une plainte contre Tibi et Tibi a déposé une plainte contre le soldat. Et voilà, une carte d'Israël 2021. À l'exception de Levy, dont on n'aurait pas pu s'attendre à ce qu'il soutienne Tibi - après tout, ce dernier est un député arabe et, de surcroît, de la Liste Unifiée - chacun a rempli son rôle.

Tibi et ses collègues ont visité un lieu que la plupart des députés travaillistes et de Yesh Atid n'ont jamais visité. On ne peut pas être un membre sérieux de la Knesset sans visiter au moins une fois ce bastion de l'apartheid israélien. La plupart des Israéliens n'y sont jamais allés non plus. Vous ne pouvez pas être un citoyen honnête sans exploser de colère face à ce qui s'y passe.

24/07/2022

GIDEON LEVY
Allez Israël, encore un effort pour devenir un pays normal !

Gideon Levy, Haaretz, 24/7/2022
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Le ministère russe de la Justice a demandé la liquidation de la branche russe de l'Agence juive pour Israël [ha-Sokhnut ha-Yehudit le-Eretz-Israel], une organisation à but non lucratif qui promeut l'immigration en Israël, selon un tribunal de Moscou. Le site Internet du tribunal de district de Basmanny indique que le ministère a déposé la demande le 15 juillet et qu'elle sera examinée le 28 juillet. Voici le commentaire de Gideon Levy sur ce sujet -Tlaxcala

Être un pays normal : ça aussi, c’est une option. Nous pourrions commencer, par exemple, par une politique d'immigration normale, comme il est d'usage dans tout pays normal. Les critiques à l'encontre du président russe Vladimir Poutine pour son intention de mettre un terme aux activités subversives d'Israël contre son pays - intentions qui sont incommensurablement justifiées - montrent que le chemin vers la normalité est encore long et ardu. Tant qu'Israël conservera la mentalité selon laquelle "tout nous est permis" et "nous ne sommes pas comme les autres pays", le chemin vers la normalité sera infiniment plus long.

Et voici une autre preuve qu'il n'y a pas de différence entre un gouvernement israélien et le suivant : une question qui est intouchable quel que soit le gouvernement au pouvoir est le caractère sacré de la politique d'immigration d'Israël. Et si l'on accorde à la Loi du retour la primauté parmi les lois, la politique d'immigration est la dernière des questions qui serait débattue.

En cherchant à mettre un terme aux opérations de l'Agence juive pour Israël dans son pays, Poutine a cherché à mettre un terme à l'intervention d'un pays étranger dans les affaires intérieures de la Russie. Il n'est pas difficile de deviner ce qui se serait passé si Varsovie avait ouvertement tenté d'envoyer des émissaires de l'establishment polonais en Israël pour encourager les anciens Juifs polonais et leurs descendants à retourner en Pologne. Mais lorsqu'il s'agit des efforts d'Israël, tout va bien.

Il est clair que Poutine devra revenir sur sa demande, car l'establishment juif est plus fort, mais nous n'avons pas besoin de Poutine pour demander non seulement de quel droit mais aussi dans quel but Israël poursuit ses activités là-bas. Pourquoi Israël doit-il s'ingérer dans d'autres pays pour tenter de recruter, d'amadouer, de soudoyer ou de convaincre des Juifs, des demi-Juifs ou des quarts de Juifs d'immigrer ici ?

Quel est le but de tout ce réseau hypertrophié d'émissaires dans le monde ? À quoi servent tous ces ridicules programmes Birthright et Masa alors qu'il est clair qu'il n'y a plus de place ici ?

06/07/2023

GIDEON LEVY
Les enfants de Jénine n'oublieront jamais
Les petits-enfants et les arrière-petits enfants d'Arna

Gideon Levy, Haaretz, 6/7/2023
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Un garçon d'environ trois ans a quitté sa maison mercredi matin, pour la première fois depuis deux jours, avec sa mère et sa grand-mère. La main de sa mère dans une main, un pistolet dans l'autre. La rue était encore presque vide, seuls quelques habitants avaient osé sortir, et ceux qui l'avaient fait semblaient en état de choc. Un silence terrible planait sur la rue à moitié détruite, le silence que l'on entend toujours après le bruit. Le bambin jette un regard vide sur le tas de décombres au bord de ce qui fut une rue pavée et qui n'est plus qu'un chemin de terre. Il était silencieux, tout comme sa mère. Cette scène a été diffusée mercredi sur Al-Jazeera, qui émet en continu depuis le camp de réfugiés de Jénine.

Des enfants palestiniens brûlent des pneus après le raid militaire israélien à Jénine, mardi. Photo : JAAFAR ASHTIYEH – AFP

L'ancien soldat israélien Dubi Kurdi* n'a pas transformé le camp en stade Teddy de Jérusalem avec son bulldozer cette fois-ci, comme il s'en était vanté lors de la précédente opération en 2002. Plus de 500 maisons n'ont pas été détruites, comme cela avait été le cas lors de l'opération “Bouclier défensif”, et le nombre de morts a été relativement faible. Mais l'enfant est sorti, dans la rue, en tenant la main de sa mère, et son visage en disait long. Il s'agit peut-être du garçon de la vidéo filmée la veille dans l'une des maisons du camp : dans une scène horrible qui pourrait provenir d'une [autre] période sombre de l'histoire, des soldats armés et blindés envahissent une petite maison. Tout le monde reçoit l'ordre de lever les mains en l'air. Un soldat pointe son fusil sur les femmes et les enfants, et un cri de terreur perce l'air. Coupure. La vidéo se termine, mais les enfants n'oublieront pas. Ils n'oublieront jamais ce qu'ils ont enduré cette semaine.

Ces enfants sont déjà les petits-enfants et arrière-petits-enfants d'Arna. Lorsque le merveilleux film de Juliano Mer-Khamis, Les enfants d'Arna, sur les enfants du camp que sa mère a élevés dans le cadre de son projet théâtral, est sorti, son réalisateur était encore en vie. Juliano a été assassiné, mais son film est resté. Il doit être projeté avant et après chaque “opération” militaire israélienne dans le camp de Jénine, avant et après l'insupportable déluge de louanges qu'une légion de généraux et d'analystes déversent sur l'action, toujours différente, plus chirurgicale et plus réussie que toutes celles qui l'ont précédée.

Trois garçons ont joué dans le documentaire : Ala, Youssef et Ashraf. Pendant une dizaine d'années, Mer a suivi les enfants avec lesquels sa mère travaillait. Il a filmé le petit Ala assis, abasourdi, sur les ruines de sa maison, son regard se déplaçant ici et là, comme s'il cherchait un réconfort et un abri. Ala el-Sabagr deviendra plus tard le commandant des Brigades des martyrs d'Al-Aqsa dans le camp. En novembre 2002, deux semaines après la naissance de son premier fils, les soldats israéliens l'ont tué, et une photo de son corps carbonisé apparaît dans le film.

Le petit Ashraf rêvait de jouer Roméo. Dans le film, on le voit fouiller les décombres de la maison d'Ala pour tenter de récupérer des objets encore intacts. Dans le film, Ala raconte l'histoire de l'assassinat de son ami Ashraf, quelques semaines avant de mourir lui-même dans la bataille de Jénine. Le troisième garçon, Youssef, était en classe lorsqu'un obus israélien est tombé dans la salle. Il a transporté le corps d'une des filles décédées ; à l'âge adulte, il a participé à une fusillade terroriste dans la ville israélienne de Hadera et a été tué. Parmi les enfants d'Arna, Zakaria Zubeidi est le seul garçon à avoir survécu. Il est incarcéré en Israël depuis de nombreuses années.

Mercredi, les petits-enfants et arrière-petits-enfants d'Arna sont sortis dans la rue en ruine. Le camp de Jénine est un camp de réfugiés, dont les habitants ont été contraints de fuir leurs maisons cette semaine sans savoir quand ou s'ils reviendraient, réfugiés momentanés pour la troisième ou quatrième fois.

Le groupe de correspondants militaires reconnus par l'IDF que l'armée a fait venir pour visionner son travail n'a pas vu de Palestiniens dans les allées. En Israël, ils n'ont pas mentionné les 20 000 résidents du camp qui ont enduré des difficultés sans précédent causées par Israël, comme leurs parents et grands-parents avant eux. En Israël, ils n'ont pas dit que le camp de Jénine abrite des dizaines de milliers de personnes dont la juste lutte crie vers le ciel, exactement comme le fait leur souffrance. Et une fois de plus, les FDI ont traité cette maison comme un champ de bataille.

C'est ici que les enfants d'Arna ont grandi et sont devenus des combattants de la liberté, des “terroristes” dans le langage de la propagande israélienne, et c'est ici que les petits-enfants et arrière-petits-enfants d'Arna vont maintenant grandir vers le même avenir, le même destin.

NdT

*Dans Scènes de décombres (Haaretz, 23/10/2002), Gideon Levy écrivait : « Les bulldozers sont de nouveau à l'œuvre dans le camp de réfugiés de Jénine, plongeant leurs pelles dans les ruines. Cette fois, ce sont des machines palestiniennes, peintes en jaune, et leur objectif est la réhabilitation. La dernière fois, les bulldozers étaient bruns et appartenaient aux FDI ; l'objectif des terrifiants D-9 était la démolition. Leurs opérateurs ont semé la destruction et ont été décorés pour leurs efforts.  L'un d'eux, un réserviste, Moshe Nissim, que ses camarades appellent affectueusement “Dubi Kurdi”, s'est vanté dans le quotidien à grand tirage Yedioth Ahronoth : « Pendant trois jours, je n'ai fait que raser et raser » (des bâtiments) et il a ajouté qu'il mangeait des graines de tournesol et buvait du whisky pendant qu'il travaillait. »


Après l'opération “Maison et jardin”. Photo Zena Al Tahhan/Al Jazeera. Voir plus de photos

14/08/2022

GIDEON LEVY
La condescendance de la gauche israélienne

 

Gideon Levy, Haaretz, 13/8/2022
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Quiconque a une alternative idéologique à offrir doit combattre la droite jusqu'au bout. Quiconque a un meilleur leadership à offrir doit faire tout son possible pour se retrouver au pouvoir. Le centre-gauche israélien, malheureusement, n'a ni l'une ni l'autre. Et pourtant, il mène une guerre contre la droite dirigée par le Likoud. Cette guerre est légitime, mais elle est en grande partie fondée sur la condescendance. C'est la seule munition qui reste lorsque le carquois est vide. C'est comme ça quand il n'y a pas d'alternative idéologique ou de leadership. La condescendance est l'arme des bidonneur·ses.

Les députés du parti travailliste entourent la cheffe du parti, Merav Michaeli, après les élections primaires du parti, mardi 9 août. Photo : Moti Milrod

 Le bloc de centre-gauche n'a aucune raison, et aucune justification, pour faire preuve de condescendance envers le Likoud, de se moquer de ses représentants et de ridiculiser ses électeurs. La qualité de la liste du Likoud à la Knesset, en moyenne, n'est pas inférieure à la qualité moyenne des listes de la plupart des autres partis. Le mécanisme qui sélectionne la composition de la liste est certainement le plus impressionnant de tous les partis par son ampleur et son caractère démocratique.

La condescendance envers le Likoud est non seulement infondée, mais elle contribue également à unir et à renforcer la droite. Il n'y a rien de tel que des sentiments d'infériorité et un sentiment d'humiliation pour remplir tout un camp politique d'une juste colère contre ceux qui suscitent ces émotions.

Les insultes ouvertes et cachées qu'une grande partie des médias continue de proférer à l'encontre des Bibi-istes, des babouins ou des Likoudniks de jardin sont un combustible dont le feu ne s'éteindra pas facilement. Ils n'oublieront pas ces humiliations, tout comme ils n'ont pas oublié les humiliations du Mapai dans les années 50 et 60. La droite est au pouvoir depuis une génération, mais la lutte contre elle est toujours celle de ceux qui se considèrent supérieurs à leurs propres yeux et des gens qu'ils considèrent inférieurs à eux.

Le Likoud a organisé une primaire. Elle a été aussi correcte, populaire et démocratique qu'il est possible de le faire dans un État d'apartheid et compte tenu des marchandages politiques qui ont cours en Israël. Avant même que les votes ne soient comptés, le refrain a commencé : le parti d'un seul homme, une mauvaise liste remplie de béni-oui-oui. Il est inutile de mentionner comment les candidats sont choisis à Yesh Atid, Nouvel Espoir, Blanc-Bleu ou Yisrael Beiteinu. On peut d’ailleurs se demander comment il se fait que la règle du règne d'une seule personne de ces partis, qui a également des éléments d'un culte de la personnalité, ne suscite guère de critiques de la part des fervents de la démocratie vantée d'Israël.

Il y a autant de béni-oui-oui dans ces partis que dans le Likoud, et toute personne qui sort du rang est renvoyée sommairement. Le régime du Mapai, avec ses infâmes comités d'arrangements, était un modèle de démocratie comparé à la méthode soi-disant démocratique de sélection des candidats de Yair Lapid, Avigdor Liberman, Benny Gantz ou Gideon Sa'ar, ces guerriers déterminés contre Benjamin Netanyahou au nom du souci de la démocratie.

Le centre-gauche n'a pas non plus matière à condescendance envers le Likoud en termes d'élus. La qualité des politiciens israéliens est faible, et souvent honteuse, mais le Likoud n'a pas à rougir de la comparaison avec les autres listes. Amir Ohana est-il une figure moins impressionnante que Nitzan Horowitz ? Galit Distal Atbaryan est-elle vraiment une députée aussi ridicule qu'elle est souvent dépeinte ? En quoi est-elle pire qu'Efrat Rayten ? Et David Amsalem, en quoi est-il pire que Mickey Levy ? Et Danny Danon que Meir Cohen ? Merav Ben Ari est-elle meilleure, à tous points de vue, que Gila Gamliel ?

Si seulement nous avions des candidats plus impressionnants, sérieux et courageux sur les listes - tel est le visage de la politique israélienne - mais penser que nous avons une liste de Bibi-istes face à une liste de réformateurs, de babouins contre des démocrates, d'invertébrés contre des vertébrés est ridicule et exaspérant.

Les prochaines élections ne sont porteuses d'aucune promesse, quels que soient leurs résultats. Israël continuera sur sa lancée. Il n'y a pas lieu de prêter beaucoup d'attention aux campagnes d'épouvante anti-Likoud. Le ciel ne tombera pas. Il n'y a pas non plus de raison d'aspirer à un régime centriste. Aucune nouvelle aube ne se lèvera. Mais lorsqu'un camp est condescendant envers un autre, sans raison apparente, il dit en fait : je n'ai rien à t'offrir, à part de la condescendance. 

 

 

09/01/2022

GIDEON LEVY
C’est peut-être dur de les qualifier de « sous-humains », mais comment appeler autrement les crimes des colons juifs?

 Gideon Levy, Haaretz, 8/1/2022
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Le vice-ministre de l'Économie Yair Golan, du parti Meretz, a suscité une tempête d’indignation en Israël après avoir qualifié les colons de l'avant-poste de Homesh, en Cisjordanie, de « sous-hommes », le jeudi 6 janvier, en réponse aux profanations de pierres tombales par des colons juifs dans le cimetière du village palestinien voisin de Burqa.

Golan a déclaré dans une interview à la chaîne de télévision de la Knesset : « Nous, membres du peuple juif, qui a subi des pogroms tout au long de l'histoire, venons perpétrer un pogrom sur d'autres. Ce ne sont pas des personnes. Ce sont des sous-hommes ».

Le député du Meretz a également demandé que les colons soient évacués du site par la force, et que « la loi et l'ordre » soient rétablis dans la région. « Ce comportement sauvage, extrémiste et nationaliste, va nous apporter une catastrophe » a-t-il déclaré, qualifiant les colons de « dysfonctionnement du peuple juif ». Ci-dessous le commentaire de Gideon Levy.-NdT

Ils sont la lie de la terre. Quiconque enlève un adolescent palestinien, le maltraite pendant des heures, le bat et lui donne des coups de pied, l'attache sous le capot d’une voiture pour finalement le pendre à un arbre et lui brûler la plante des pieds avec un briquet est un sous-homme. Comment est-il possible de dire ça autrement ?

Celui qui expulse les propriétaires légaux des terres qu'il a volées en les menaçant de les abattre, détruit leurs pierres tombales, réduit leurs récoltes en poussière, vandalise leurs voitures et brûle leurs champs est un sous-homme. Quoi d’autre ?

Colons juifs et manifestants palestiniens s'affrontant dans le village d'Asira al-Qibliya, en Cisjordanie, en septembre. Photo : Majdi Mohammed/AP

Quiconque attaque des bergers âgés avec des bâtons et des pierres est un sous-homme. Quiconque coupe des milliers d'oliviers chaque année est un sous-homme. Les nazis utilisaient ce terme ? Eh bien, ils appelaient aussi les tomates « tomates », et pourtant nous avons toujours le droit d'utiliser ce mot.

« Sous-homme » est un mot dur, mais il n'est pas rare. Il y a tout juste sept ans, le chroniqueur du Haaretz Yossi Verter l'a utilisé pour décrire les partisans de Benjamin Netanyahou, alors Premier ministre. À leur sujet, d'ailleurs, il est permis de tout dire.

Mais le tollé provoqué chez les colons et leurs complices par l'utilisation de ce terme par Yair Golan a également un sous-texte délibéré qui ne doit pas être négligé. Si « sous-homme » est une expression nazie utilisée contre les Juifs pendant l'Holocauste, alors lorsque quelqu'un l'utilise contre les colons, ils deviennent instantanément les victimes involontaires d'un autre Holocauste. Et s'ils sont des victimes, alors bien sûr ils sont autorisés à faire n'importe quoi - abuser, voler et brûler.

Le vice-ministre Yair Golan lors d'une manifestation devant la Knesset, la semaine dernière. Photo : Ohad Zwigenberg

Une fois de plus, les agresseurs sont devenus les victimes, cette fois parce qu'un vice-ministre a dit quelque chose de méchant à leur sujet. C'est un nouveau pas en avant dans l'amélioration de leur image. D'abord, ils étaient des pionniers ; maintenant, ils sont aussi des victimes. C'est déchirant de voir à quel point ils sont sensibles à ce que les autres disent d'eux.