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18/02/2024

GIDEON LEVY
Le monde doit imposer la paix à Israël

Gideon Levy, Haaretz, 18/2/2024
Traduit par  Fausto Giudice, Tlaxcala

Le moment est venu pour les USA et dans leur sillage la communauté internationale, de prendre une décision : le cycle sans fin de la violence entre Israël et les Palestiniens va-t-il se poursuivre ou allons-nous tenter d’y mettre un terme ? Les USA vont-ils continuer à armer Israël et à déplorer ensuite l’usage excessif de ces armements, ou sont-ils enfin prêts à prendre des mesures concrètes, pour la première fois de leur histoire, afin de changer la réalité ? Et surtout, l’attaque israélienne la plus cruelle contre Gaza deviendra-t-elle la plus inutile de toutes, ou l’occasion qui s’est présentée à sa suite ne sera-t-elle pas ratée, pour une fois ?


Il ne sert à rien d’en appeler à Israël. Le gouvernement actuel, et celui qui le remplacera probablement, n’a pas et n’aura jamais l’intention, le courage ou la capacité de générer un changement. Lorsque le Premier ministre répond aux propos usaméricains sur la création d’un État palestinien par des mots indiquant qu’il « s’oppose aux mouvements forcés » ou qu’ « un accord ne sera conclu que par le biais de négociations» tout ce que l’on peut faire, c’est rire et pleurer.

Rire, parce qu’au fil des ans, le Premier ministre Benjamin Netanyahou a fait tout ce qu’il pouvait pour faire échouer les négociations ; pleurer, parce que c’est Israël qui emploie la coercition - la nature de sa politique à l’égard des Palestiniens est une coercition mise en œuvre dans une grande démarche unilatérale, violente, agressive et arrogante. Tout à coup, Israël est contre les actes de coercition ? L’ironie se cache la tête dans la honte.

Il est donc inutile d’attendre du gouvernement israélien actuel qu’il change de caractère. Il est tout aussi vain d’attendre d’un gouvernement dirigé par Benny Gantz, Gadi Eisenkot ou Yair Lapid qu’il le fasse. Aucun d’entre eux ne croit en l’existence d’un État palestinien dont le statut souverain et les droits seraient égaux à ceux d’Israël. Tous les trois, ensemble et chacun séparément, accepteront tout au plus, dans un très bon jour, la création d’un bantoustan sur une partie du territoire. Une véritable solution ne sera pas trouvée ici. Il vaut mieux laisser Israël se complaire dans son refus.

Mais le monde ne peut pas se permettre de laisser passer cette occasion. C’est le monde qui devra bientôt reconstruire, avec ses fonds, les ruines de la bande de Gaza, jusqu’à la prochaine démolition par Israël. C’est le monde dont la stabilité est compromise tant que l’occupation persiste, et qui l’est encore plus chaque fois qu’Israël se lance dans une nouvelle guerre. C’est le monde qui reconnaît que l’occupation est néfaste pour lui, mais qui n’a jamais levé le petit doigt pour y mettre fin. Aujourd’hui, l’occasion de le faire se présente. La faiblesse et la dépendance d’Israël à la suite de cette guerre doivent être exploitées, dans l’intérêt d’Israël également.

Assez de mots. Assez des cycles de négociations futiles organisés par le secrétaire d’État usaméricain Antony Blinken et des mots durs prononcés par le président Joe Biden. Ils ne mènent nulle part. Le dernier président sioniste, peut-être le dernier à se soucier de ce qui se passe dans le monde, doit agir. En guise de prélude, on pourrait s’inspirer des paroles étonnamment simples et vraies du responsable de la politique étrangère de l’Union européenne, Josep Borrell, qui a déclaré : « Eh bien, si vous pensez que trop de gens sont tués, peut-être devriez-vous fournir moins d’armes [à Israël] ».

Toutefois, la question n’est pas seulement de mettre fin à la guerre, mais surtout de savoir ce qui se passera une fois qu’elle sera terminée. Si cela dépendait d’Israël, sous n’importe quel gouvernement, nous retournerions dans le giron chaleureux de l’apartheid et nous reviendrions à la vie par le sabre. Le monde ne peut pas accepter cela plus longtemps et ne peut pas laisser le choix à Israël. Israël a parlé : c’est Non. Le temps est venu de trouver une solution semblable aux accords de Dayton. Il s’agit d’un accord forcé et imparfait conclu en Bosnie-Herzégovine qui a mis fin à l’une des guerres les plus cruelles et qui, contrairement à toutes les prévisions, a tenu pendant 29 ans. L’accord a été imposé par la coercition.

 Un État palestinien n’est peut-être plus une solution viable en raison des centaines de milliers de colons qui ont ruiné les chances d’en créer un. Mais un monde déterminé à trouver une solution doit proposer un choix clair à Israël : des sanctions ou la fin de l’occupation ; des territoires ou des armes ; des colonies ou un soutien international ; un État démocratique ou un État juif ; l’apartheid ou la fin du sionisme. Lorsque le monde se montrera ferme, en posant ces options de cette manière, Israël devra prendre une décision. Le moment est venu de forcer Israël à prendre la décision la plus fatidique de sa vie.

17/02/2024

GIDEON LEVY
Les adolescents palestiniens de Cisjordanie rédigent leurs testaments, et ont de bonnes raisons pour cela

 Gideon Levy & Alex Levac (photos), Haaretz, 17/2/2024
Traduit par  Fausto Giudice, Tlaxcala


Alors qu’Abderrahman Hamad, élève de terminale, rentrait à pied de l’école, un soldat israélien lui a tiré une balle dans l’estomac, le tuant. Après sa mort, une lettre qu’il avait écrite six mois plus tôt à sa famille a été retrouvée. Il fait partie des nombreux adolescents de Cisjordanie qui rédigent leur testament.

Abderrahim Hamad, devant une photo de son défunt fils, Abderrahman. Il a donné des instructions à sa famille : « Ne me mettez pas dans un congélateur, enterrez-moi immédiatement. Allongez-moi sur mon lit, couvrez-moi de couvertures et emmenez-moi à l’enterrement ».

Abderrahman Hamad a rédigé ses dernières volontés. Un long texte avec des instructions détaillées, d’une graphie scrupuleuse. De plus en plus d’adolescents palestiniens de Cisjordanie occupée rédigent des testaments ces jours-ci, et avec encore plus d’intensité à la suite des événements survenus dans la bande de Gaza. Hamad a demandé à être enterré le plus rapidement possible, et a demandé à sa famille d’utiliser une bonne photo de lui comme photo de profil dans les réseaux sociaux et d’ajouter un verset de prière à côté, et surtout de ne pas pleurer sa mort.

« Ne me mettez pas dans un congélateur, enterrez-moi immédiatement. Posez-moi sur mon lit, couvrez-moi de couvertures et emmenez-moi à l’enterrement. Quand vous me descendrez dans la tombe, restez derrière moi. Mais ne soyez pas triste. Ne vous souvenez que des beaux souvenirs que vous avez de moi et ne vous lamentez pas sur mon sort. Je ne veux pas que quelqu’un soit triste ». Hamad a rédigé son testament le 18 juillet dernier et l’a remis à un ami pour qu’il le conserve. Une photo du texte est stockée dans le téléphone portable du père endeuillé.

Iyad Hadad, chercheur de terrain pour l’organisation israélienne de défense des droits humains B’Tselem, le traduit et le lit pour nous. Soudain, il s’étrangle, avant d’éclater en larmes déchirantes qui ne s’arrêtent pas. Nous n’avons jamais vu Hadad pleurer. Il s’occupe des droits humains dans les territoires depuis 1986, d’abord pour l’organisation palestinienne Al Haq, puis depuis 24 ans pour B’Tselem. Il a tout vu, il a enquêté sur tous les cas de meurtres et autres crimes de l’occupation dans la région de Ramallah, et maintenant il pleure abondamment. Les dernières volontés et le testament de quelqu’un qui n’avait pas encore 18 ans l’ont fait craquer. Le visage du père du défunt, Abderrahim, est bouleversé par le chagrin, mais ses yeux restent secs. Un silence pesant s’installe dans la salle.

Le 29 janvier, nous nous sommes rendus dans le village d’Al-Mazra’a a-Sharqiya pour enquêter sur les circonstances du meurtre de Taoufik Abdeljabbar, un adolescent usaméricain abattu par des soldats ou des colons israéliens - ou les deux. En chemin, nous avons traversé la ville de Silwad. Lorsque nous sommes arrivés à Al-Mazra’a a-Sharqiya, nous avons été informés qu’un autre adolescent avait été tué, cette fois à Silwad, peu de temps après notre départ. Cette semaine, nous sommes retournés à Silwad.

L’endroit où Abderrahman a été tué

Perchée sur une colline, c’est une ville aisée et relativement développée d’environ 6 000 habitants, au nord-est de Ramallah. La construction y est intense, comme nous ne l’avons pas vu dans d’autres villes et villages. C’est aussi un lieu militant, où les Forces de défense israéliennes effectuent fréquemment des raids, provoquant les habitants, dont la ville est proche de la route 60, la principale artère de Cisjordanie, sur laquelle circulent les colons et où des pierres sont jetées. Au cours des cinq dernières années, Silwad a perdu sept de ses fils ; le chef du Hamas, Khaled Meshal, est né ici en 1956 et a grandi dans la ville.

Dimanche dernier, Abderrahman Hamad aurait fêté son 18e  anniversaire. Il ne l’a pas fêté - il était déjà mort depuis deux semaines. Cette semaine, dans une rue où l’on construit de splendides demeures en marbre, à côté de la tour résidentielle Al Hourriya, un camion a déchargé des matériaux de construction dans la cour de l’une de ces demeures. De l’autre côté de la rue, deux fanions palestiniens sortent du sol, et deux cercles faits de morceaux de marbre cassés, sur l’un desquels le nom d’Abderrahman Hamad a été inscrit au crayon. Des ordures volent autour de ce mémorial improvisé. C’est ici que l’adolescent a été tué.

C’était un lundi et Abderrahman rentrait de l’école. Sur les médias sociaux, on annonçait que l’armée israélienne, qui avait envahi la ville peu après 8 heures du matin, avait commencé à se retirer. Mais dans la rue où Abderrahman marchait, apparemment seul, il y avait encore deux véhicules blindés israéliens : une jeep de la police et une voiture de l’armée. La rue est parallèle à l’avenue des maisons en construction, sur la pente de la colline, et il est apparu par la suite qu’entre les squelettes des maisons, qui appartiennent toutes à la famille élargie des Qassam, quelques autres jeunes se cachaient. Ils suivaient les forces de sécurité qui partaient et attendaient l’occasion de leur jeter des pierres.

Soudain, la porte d’un des véhicules garés s’ouvre. Un soldat ou un agent de la police des frontières sort son corps et tire un seul coup de feu, aussi précis que mortel, en plein dans l’estomac d’Abderrahman. La distance entre le sniper et sa victime était d’environ 150 mètres, et le jeune était plus haut dans la rue que le tireur. Immédiatement après, la porte du véhicule blindé s’est refermée et les deux véhicules ont démarré en trombe. Ils ont tiré, ils ont tué, ils ont fui.

Un barrage routier sur la route menant à Silwad. Photo : MARCO LONGARI - AFP

Ils ont avorté la vie d’un jeune et détruit la vie d’une famille, même s’il est peu probable qu’ils y aient songé ne serait-ce qu’une seconde. Même si Abderrahman avait lancé une pierre ou (comme le prétend la police) un cocktail Molotov, il n’aurait jamais pu mettre en danger la vie des soldats et de la police des frontières. À cette distance, il n’avait aucune chance d’atteindre les véhicules blindés. Néanmoins, pourquoi ne pas mettre fin à la vie d’un jeune si vous le pouvez ? Après tout, personne ne s’y intéressera par la suite, à part la famille brisée.

Pendant que tout cela se passait, un témoin oculaire, dont l’identité est en possession de Hadad, l’enquêteur de terrain, était assis sur le balcon de sa maison, en face des deux véhicules de sécurité, et observait les événements. Il venait d’échanger des messages avec sa femme, qui réside en Jordanie. Elle lui a demandé comment il allait et il l’a informée qu’une invasion de l’armée israélienne était en cours et que les soldats avaient recouvert le centre de la ville de gaz lacrymogènes. À Silwad, on estime que l’invasion des FDI et de la police des frontières ce jour-là n’était rien d’autre qu’une démonstration de force orchestrée par le nouveau commandant de zone du service de sécurité Shin Bet, dont le nom de code est “Omri”.

Quoi qu’il en soit, la femme de l’homme lui a demandé de filmer les événements pour elle, ce qu’il a fait. Les images qu’il a prises du haut d’un olivier dans la cour montrent une rue étonnamment calme et tranquille, sans pierres ni cocktails Molotov volant dans les airs. Soudain, le silence est rompu par le bruit d’un tir provenant de l’un des véhicules blindés. Immédiatement après, des ambulanciers, venus d’une ambulance garée à proximité, courent vers la victime, tandis que les deux véhicules israéliens repartent rapidement dans la direction opposée. Les héros ont fait leur travail de la journée - il est temps de partir.

Le chauffeur de l’ambulance palestinienne, qui attendait au bout de la rue, comme c’est l’usage lorsque les forces de sécurité envahissent les lieux, a vu Abderrahman s’effondrer au sol. Lui et son équipe l’ont emmené d’urgence au service de soins de la clinique locale. Le jeune homme est dans un état critique. La balle a pénétré dans sa hanche et est ressortie par la poitrine - il était apparemment en train de se pencher lorsqu’il a été touché. Les tentatives de réanimation sont restées vaines.


Le père d’Abderrahman, Abderrahim Hamad

L’unité du porte-parole des FDI a renvoyé Haaretz à la police des frontières. Un porte-parole de la police israélienne (dont dépend la police des frontières) a déclaré cette semaine en réponse à la demande de commentaire de Haaretz : « Pendant l’intervention des forces de sécurité, le suspect a lancé un cocktail Molotov sur les combattants et a mis leur vie en danger. En réponse, un combattant lui a tiré dessus et a neutralisé le danger ».

Abderrahman était le fils aîné d’Abderrahim, 44 ans, et de sa femme, Inam Ayad, 42 ans. Il était élève en 12e année, dans la filière scientifique. Son ambition étant d’étudier la médecine, il a travaillé dur avant les examens d’entrée à l’école, non seulement pour être admis à l’école de médecine, mais aussi dans l’espoir d’obtenir une bourse d’études. Des photographies le montrent prenant la parole lors d’assemblées scolaires et de fêtes de fin d’année. Grand et beau, il se distinguait de ses camarades. Il jouait dans l’équipe de football de Silwad, mais ces derniers mois, il consacrait tout son temps à ses études, comme il l’a fait la dernière nuit de sa vie.

Le matin du 29 janvier, alors que son père s’apprêtait à partir travailler (dans la construction) dans le village voisin d’Aïn Sinya, il a remarqué que son fils dormait encore. Il a décidé de ne pas le réveiller, car il savait qu’Abderrahman avait étudié jusque tard dans la nuit. Son père a quitté la maison à 6h30, et la mère du jeune homme l’a réveillé environ une heure plus tard et l’a conduit à l’école dans sa voiture. À 11h30, elle a appelé son mari pour lui dire que l’armée avait envahi Silwad. Elle lui a demandé d’appeler leur fils cadet, Sliman, 15 ans, qui travaille dans le bâtiment dans la ville, pour s’assurer qu’il allait bien. Ils ne se sont pas inquiétés pour Abderrahman, sachant qu’il était à l’école. Sliman allait bien, les forces de sécurité n’étaient pas allées sur son lieu de travail.

À 12 heures, Abderrahim appelle sa femme. On lui répond que le centre de la ville est recouvert d’un nuage de gaz lacrymogène qui pénètre dans les maisons. Tant que les enfants vont bien, se dit le père. À 12h30, alors qu’il prenait un petit-déjeuner tardif avec les ouvriers, il a reçu un appel anonyme, qui s’est déconnecté sans que personne ne dise rien. Quelques minutes plus tard, son frère l’a appelé pour lui dire de rentrer rapidement à la maison. Pourquoi ? « Oubeida [surnom d’Abderrahman] était blessé », Le père dit qu’il est tombé en état de choc.


Des fillettes de la famille d’Abderrahman assistent à ses funérailles. Photo : JAAFAR ASHTIYEH - AFP

« Je ne savais pas quoi faire », se souvient-il. «  Ma main s’est portée sur le numéro de téléphone d’Oubeida et je l’ai appelé ». C’est un ambulancier palestinien qui a répondu. Il a demandé comment allait son fils et le chauffeur a répondu : « Il va bien. Je te tiendrai au courant bientôt ».

Désemparé, Abderrahim attend une minute ou deux et appelle à nouveau. Cette fois, le chauffeur lui dit : « On espère qu’il s’en sortira ». Abdel Rahman était déjà mort, mais son père ne le savait pas encore et était certain que son fils serait transporté d’urgence de la clinique de Silwad à l’hôpital gouvernemental de Ramallah. Il a demandé au chauffeur de le prendre en route - son lieu de travail se trouve sur la route principale menant à Ramallah. Un peu plus tard, son frère l’a appelé et lui a répété : « Reviens en ville, et vite ».

Il comprend alors que son fils est mort. Encore étourdi, il s’est rendu à la première clinique, où on lui a dit que son fils était à l’hôpital. Arrivé sur place, il est sorti de la voiture et s’est évanoui, s’effondrant sur le sol. Il ne se souvient pas des minutes qui ont suivi.

Les photos des jeunes morts sont accrochées au mur de l’élégant salon. L’une d’entre elles est composée des portraits des trois membres de la famille qui ont été tués par les troupes israéliennes au fil des ans : Abderrahman au centre, flanqué de ses deux oncles décédés. Son oncle Jihad Iyad, le frère de sa mère, a été tué par des soldats israéliens en 1998, alors qu’il avait 17 ans ; l’autre oncle, le frère de son père, Mohammed Hamad, a été tué par des soldats en 2004, à l’âge de 21 ans. Abderrahman ne connaissait ni l’un ni l’autre. Son père ajoute à voix basse que son propre oncle a lui aussi été tué, en 1989, et un silence oppressant s’installe à nouveau dans la pièce.

15/02/2024

GIDEON LEVY
Con la “perfecta” operación de rescate de rehenes argentino-israelíes, la deshumanización israelí de los palestinos en Gaza alcanzó un nuevo umbral

 Gideon Levy, Haaretz, 14-2-2024
Traducido por Fausto Giudice, Tlaxcala

Como en los buenos viejos tiempos, Israel vuelve a rendir culto a su ejército. La redada que liberó a Luis Norberto Har y Fernando Marman desató un crescendo de alegría junto con un resurgimiento del orgullo nacional. Los videoclips “permitidos para su publicación” nos devuelven a la época en que el ejército era como una producción de Hollywood, y todo el mundo competía para ver quién podía colmar de elogios a la unidad antiterrorista Yaman y al servicio de seguridad Shin Bet. Fue una operación perfecta, decían todos los expertos en inteligencia, con cero bajas.

Fernando Simón Marman, de 60 años, y Norberto Luis Har, de 70, tras su liberación
Algunas víctimas “colaterales” anónimas

Fue, en efecto, una operación impresionante y motivo de alegría, pero no fue perfecta y desde luego no hubo “cero bajas”. El hecho de que al menos 74 palestinos, incluidos mujeres y niños, murieran durante la operación apenas se mencionó en Israel. Quizás esas muertes eran inevitables. Quizás incluso si el número de muertes palestinas hubiera sido siete veces mayor no habría empañado la celebración. Dos argentino-israelíes muy simpáticos fueron liberados y todo lo demás no importa.

Las imágenes que vi de los hospitales de Rafah el día del rescate fueron de las más horribles que he visto en esta guerra. Niños despedazados, convulsionando, contemplando impotentes su muerte. El horror. No es necesario entrar en el dilema moral de si la liberación de dos rehenes justifica la muerte de 74 personas -esa pregunta es superflua en una guerra tan cruel- para señalar el absoluto desprecio de Israel por las muertes colaterales. El día de la operación, Israel mató a 133 personas en toda Gaza, la mayoría de ellas, como es habitual en esta guerra, civiles inocentes, entre ellos muchos niños.

Todos nos alegramos de que fueran liberados, y la operación en sí misma fue moral y estuvo plenamente justificada. Pero el desprecio por la muerte de decenas de personas como si no fueran humanas es un ultraje. Liberar más y más rehenes, tantos como sea posible. Maravíllense, regocíjense y siéntanse orgullosos, pero mencionen al menos el terrible precio pagado por los gazatíes por esta justa operación. Los niños despedazados no participaron en la toma de los rehenes. Han sido destinados a pagar el cruel precio de lo que hizo Hamás. Junto a nuestra alegría, uno no puede evitar pensar en ellos y en su destino. Una operación no puede ser perfecta si ese es su precio.

El desprecio por 74 personas muertas en una operación justa y recta no debería sorprender a nadie. La deshumanización de los gazatíes en esta guerra se ha hundido a un nivel que no habíamos conocido antes, incluso después de décadas de deshumanización de los palestinos bajo la ocupación.

La vergonzosa falta de cobertura del sufrimiento de Gaza por parte de la mayoría de los medios de comunicación israelíes será recordada eternamente con vergüenza, al menos eso espero. Como resultado, los palestinos son vistos por la mayoría de los israelíes como no humanos e incluso no animales. En Israel, las más de 28.000 víctimas mortales de Gaza se consideran un mero número, nada más. El desarraigo y desplazamiento de millones de personas trasladadas de un lugar a otro como si fueran un rebaño de ovejas y la increíble y descarada presentación de esto como una “medida humanitaria” ha deshumanizado aún más a los gazatíes. Si uno cree que son seres humanos, seguramente no se puede tratar a la gente así. No se puede maltratar a la gente durante tanto tiempo si se cree que son humanos.

El primer ministro Benjamín Netanyahu no es el político más tempestuoso de su gobierno: ni siquiera la Corte Internacional de Justicia de La Haya ha podido dar con una sola declaración genocida suya (a diferencia de lo que ocurrió con el presidente Herzog). Sin embargo, expresó esta deshumanización de una forma especialmente pintoresca cuando comparó la guerra de Israel contra Hamás con un vaso de cristal que ya habíamos roto; ahora, dijo, quedan los fragmentos y los estamos pisando hasta que no quede nada.

Netanyahu hablaba de Hamás, pero al fin y al cabo, todo el mundo sabe que Gaza es Hamás. Rompimos el vaso de Gaza, ahora pisamos sus fragmentos hasta que se convierten en granos de arena, aire, nada: polvo humano, polvo subhumano.

 

GIDEON LEVY
Avec l’opération “parfaite” de sauvetage d’otages, la déshumanisation par Israël des Palestiniens de Gaza a atteint un nouveau sommet

Gideon Levy, Haaretz, 14/2/2024
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Comme au bon vieux temps, Israël vénère à nouveau son armée. Le raid qui a permis de libérer Luis Norberto Har et Fernando Marman a déclenché un crescendo de joie doublé d’une résurgence de la fierté nationale. Les clips vidéo “autorisés à la publication” nous ramènent à l’époque où l’armée ressemblait à une production hollywoodienne et où tout le monde rivalisait d’éloges à l’égard de l’unité antiterroriste de Yaman et du service de sécurité du Shin Bet. C’était une opération parfaite, disaient tous les experts du renseignement, avec zéro victime.

Fernando Simon Marman, 60 ans, et Norberto Luis Har, 70 ans, après leur libération
Quelques victimes “collatérales” anonymes

Il s’agit en effet d’une opération impressionnante et d’un motif de joie, mais elle n’était pas parfaite et il n’y a certainement pas eu “zéro victime”. Le fait qu’au moins 74 Palestiniens, dont des femmes et des enfants, aient été tués au cours de l’opération a été à peine mentionné en Israël. Peut-être ces morts étaient-elles inévitables. Peut-être que même si le nombre de morts palestiniens avait été sept fois plus élevé, cela n’aurait pas atténué la célébration. Deux Argentino-israéliens très sympathiques ont été libérés et tout le reste n’a pas d’importance.

Les images que j’ai vues des hôpitaux de Rafah le jour du sauvetage sont parmi les plus horribles que j’ai vues dans cette guerre. Des enfants déchiquetés, convulsant, regardant leur mort avec impuissance. L’horreur. Il n’est pas nécessaire d’entrer dans le dilemme moral de savoir si la libération de deux otages justifie la mort de 74 personnes - cette question est superflue dans une guerre aussi cruelle - pour souligner le mépris total d’Israël pour les morts collatérales. Le jour de l’opération, Israël a tué 133 personnes à Gaza, dont la plupart, comme c’est la norme dans cette guerre, étaient des civils innocents, parmi lesquels de nombreux enfants.

Nous étions tous heureux qu’ils soient libérés, et l’opération en elle-même était morale et pleinement justifiée. Mais le mépris pour la mort de dizaines de personnes, comme si elles n’étaient pas humaines, est un scandale. Libérez de plus en plus d’otages, le plus possible. Émerveillez-vous, réjouissez-vous et soyez fiers - mais mentionnez au moins le terrible prix payé par les habitants de Gaza pour cette opération juste. Les enfants déchiquetés n’ont joué aucun rôle dans la prise des otages. Ils sont destinés à payer le prix cruel de l’action du Hamas. En même temps que notre joie, on ne peut s’empêcher de penser à eux et à leur sort. Une opération ne peut être parfaite si c’est son prix.

Le mépris pour 74 personnes tuées dans le cadre d’une opération juste et équitable ne devrait surprendre personne. La déshumanisation des habitants de Gaza dans cette guerre a atteint un niveau que nous n’avions jamais connu auparavant, même après des décennies de déshumanisation des Palestiniens sous l’occupation.

L’absence scandaleuse de couverture des souffrances de Gaza par la plupart des médias israéliens restera à jamais dans les mémoires, du moins je l’espère. En conséquence, la plupart des Israéliens considèrent les Palestiniens comme des non-humains, voire des non-animaux. En Israël, les plus de 28 000 morts de Gaza sont considérés comme un simple chiffre, rien de plus. Le déracinement et le déplacement de millions de personnes déplacées d’un endroit à l’autre comme s’il s’agissait d’un troupeau de moutons et l’incroyable présentation effrontée de cette situation comme une “mesure humanitaire” ont déshumanisé encore davantage les habitants de Gaza. Si l’on croit qu’il s’agit d’êtres humains, on ne peut certainement pas les traiter de la sorte. On ne peut pas maltraiter les gens aussi longtemps si on croit qu’ils sont des êtres humains.

Le Premier ministre Benjamin Netanyahou n’est pas l’homme politique le plus tempétueux de son gouvernement - même la Cour internationale de justice de La Haye n’a pas réussi à trouver une seule déclaration génocidaire de sa part (contrairement à ce qui s’est passé avec le président Herzog). Cependant, il a exprimé cette déshumanisation d’une manière particulièrement pittoresque lorsqu’il a comparé la guerre d’Israël contre le Hamas à une coupe de verre que nous avions déjà brisée ; maintenant, a-t-il dit, les fragments restent et nous les piétinons jusqu’à ce qu’il n’en reste plus rien.

Netanyahou parlait du Hamas, mais après tout, tout le monde sait que Gaza, c’est le Hamas. Nous avons brisé le verre de Gaza, maintenant nous marchons sur ses fragments jusqu’à ce qu’ils se transforment en grains de sable, en air, en rien - en poussière humaine, en poussière sous-humaine.

12/02/2024

GIDEON LEVY
Une incursion israélienne à Rafah, dans la bande de Gaza, entraînera une catastrophe humanitaire sans précédent

Gideon Levy, Haaretz, 11/2/2024
Traduit par  Fausto Giudice, Tlaxcala

Tout ce que nous pouvons faire maintenant, c’est demander, supplier, crier : « N’entrez pas dans Rafah ». Une incursion israélienne à Rafah sera une attaque contre le plus grand camp de personnes déplacées au monde. Elle entraînera l’armée israélienne dans des crimes de guerre d’une gravité que même elle n’a pas encore commis. Il est impossible d’envahir Rafah aujourd’hui sans commettre de crimes de guerre. Si les forces de défense israéliennes envahissent Rafah, la ville deviendra un charnier.

Environ 1,4 million de personnes déplacées se trouvent actuellement à Rafah, s’abritant parfois sous des sacs en plastique transformés en tentes. L’administration usaméricaine, gardienne supposée de la loi et de la conscience israéliennes, a conditionné l’invasion de Rafah à un plan israélien d’évacuation de la ville. Un tel plan n’existe pas et ne peut pas exister, même si Israël parvient à élaborer quelque chose.

Il est impossible de transporter un million de personnes totalement démunies, dont certaines ont déjà été déplacées deux ou trois fois, d’un lieu “sûr” à un autre, qui se transforment toujours en champs de bataille. Il est impossible de transporter des millions de personnes comme s’il s’agissait de veaux destinés à être expédiés. Même les veaux ne peuvent être transportés avec une telle cruauté.

Il n’y a pas non plus d’endroit où évacuer ces millions de personnes. Dans la bande de Gaza dévastée, il n’y a plus d’endroit où aller. Si les réfugiés de Rafah sont déplacés à Al-Mawasi, comme le propose Tsahal dans son plan humanitaire, Al-Mawasi deviendra le théâtre d’une catastrophe humanitaire sans précédent dans la bande de Gaza.

Yarden Michaeli et Avi Scharf rapportent que l’ensemble de la population de la bande de Gaza, soit 2,3 millions de personnes, est censée être évacuée dans une zone de 16 kilomètres carrés, soit environ la taille de l’aéroport international Ben-Gourion. Toute la bande de Gaza dans la zone de l’aéroport, imaginez un peu.

Amira Hass a calculé que si un million de personnes seulement se rendent à Al-Mawasi, la densité de population y sera de 62 500 personnes par kilomètre carré. Il n’y a rien à Al-Mawasi : pas d’infrastructure, pas d’eau, pas d’électricité, pas de maisons. Seulement du sable et encore du sable, pour absorber le sang, les eaux usées et les épidémies. Cette idée n’est pas seulement à glacer le sang, elle montre aussi le niveau de déshumanisation qu’Israël a atteint dans sa planification.

Le sang sera versé à Al-Mawasi, comme il l’a été récemment à Rafah, l’avant-dernier refuge offert par Israël. Le service de sécurité Shin Bet trouvera un cadre du Hamas qu’il faudra éliminer en larguant une bombe d’une tonne sur le nouveau camp de tentes. Vingt passants, pour la plupart des enfants, seront tués. Les correspondants militaires nous parleront, les yeux brillants, du merveilleux travail accompli par Tsahal pour liquider le haut commandement du Hamas. La victoire totale est proche, les Israéliens seront à nouveau rassasiés.

Mais malgré ce gavage, le public israélien doit se réveiller, et avec lui l’administration Biden. Il s’agit d’une situation d’urgence plus grave que n’importe quelle autre durant cette guerre. Les USAméricains doivent bloquer l’invasion de Rafah par des actes et non par des mots. Ils sont les seuls à pouvoir arrêter Israël.

Le secteur consciencieux du public israélien cherche des sources d’information autres que les stations de « gâteaux pour soldats » qui s’autoproclament chaînes d’information. Regardez les images de Rafah sur n’importe quelle chaîne étrangère - vous ne verrez rien en Israël - et vous comprendrez pourquoi on ne peut pas l’évacuer. Imaginez Al-Mawasi avec les deux millions de personnes déplacées, et vous comprendrez les crimes de guerre qui sévissent ici.


Samedi, le corps de Hind Rajab Hamada, âgée de six ans, a été retrouvé. La fillette était devenue célèbre dans le monde entier après les moments de terreur qu’elle et sa famille avaient vécus le 29 janvier face à un char israélien - moments qui avaient été enregistrés lors d’un appel téléphonique avec le Croissant-Rouge palestinien, jusqu’à ce que les cris de terreur de sa tante s’arrêtent. Sept membres de la famille ont été tués ; seule la petite Hind avait survécu, et son sort était resté mystérieux depuis lors.

Hind a été retrouvée morte dans la voiture brûlée de sa tante, dans une station-service de Khan Younès. Blessée, recouverte par les sept corps de ses proches, elle s’est vidée de son sang avant d’avoir pu s’extraire du véhicule. Hind et sa famille avaient répondu à l’appel « humanitaire » d’Israël à évacuer. Ceux qui veulent des milliers d’autres Hind devraient envahir Rafah, dont la population sera évacuée vers Al-Mawasi.



palestinianyouthmovement

08/02/2024

GIDEON LEVY
Israël sera atteint dans sa dignité, le Hamas sera couronné vainqueur, mais la guerre prendra fin

Gideon Levy, Haaretz, 7/2/2024
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Les termes de l’accord qui se dessine avec le Hamas sont présentés par Israël comme impliquant un « prix douloureux ». Cela repose sur l’hypothèse que tout ce qui est bon pour le Hamas doit être mauvais pour Israël et que tout ce qui est mauvais pour les Palestiniens est bon pour nous : un jeu à somme nulle.


Simon Regis, Tanzanie

Israël s’est convaincu qu’il ne devait pas signer un accord qui profiterait au Hamas de quelque manière que ce soit ; cet accord ne peut être que néfaste pour Israël et ne peut qu’entraîner un prix douloureux.

Nous ne devrions pas accepter ces hypothèses. Certains éléments de l’accord sont bons à la fois pour Israël et pour le Hamas. Le « prix » n’est pas toujours vraiment un prix. Il n’est pas toujours aussi douloureux qu’on veut nous le faire croire.

La libération des prisonniers de sécurité palestiniens et la cessation des combats profiteront au Hamas. Peut-être profitera-t-elle aussi à Israël. Quoi qu’il en soit, l’alternative sera bien pire pour Israël. Le Hamas ne libérera pas ses captifs sans condition, tout comme Israël ne libère pas les siens prisonniers sans obtenir quelque chose en retour, et il en a des milliers à l’heure actuelle.

Israël a appris aux Palestiniens qu’ils ne peuvent obtenir la libération rapide de leurs prisonniers détenus par Israël qu’en les échangeant contre des otages. D’ailleurs, les deux camps ont des otages : de nombreux détenus palestiniens ont été arrachés à leur lit et n’ont jamais été jugés.

Les prisons israéliennes regorgent de prisonniers de sécurité qui, contrairement à la présentation qui en est faite dans la propagande médiatique, ne sont pas tous des « terroristes avec du sang sur les mains ».

Parmi eux se trouvent de nombreux prisonniers politiques d’un régime qui interdit aux Palestiniens toute forme d’activité organisationnelle. Beaucoup d’autres ont été reconnus coupables de délits mineurs et condamnés à des peines draconiennes. S’il fallait encore prouver l’existence de l’apartheid israélien, ce serait par les systèmes judiciaires distincts pour les Juifs et les Palestiniens.

Dans les prisons israéliennes, il y a aussi d’ignobles meurtriers palestiniens. Mais nombre d’entre eux ont purgé leur peine et méritent d’être un jour libérés, tout comme leurs compagnons d’infortune juifs. La libération de vétérans âgés de la lutte armée palestinienne ne fera aucun mal à Israël.

Il y en a même dont la libération profitera à Israël, en premier lieu Marwan Barghouti, mais pas seulement lui. Si Israël est sérieusement intéressé à trouver un partenaire pour changer la réalité des guerres sans fin, il peut être trouvé derrière les barreaux israéliens. La prochaine génération de dirigeants palestiniens est détenue dans les prisons israéliennes, de Megiddo à Nafha.

Les luttes de libération à travers l’histoire, y compris celle du peuple juif, ont produit des dirigeants courageux qui sont sortis des prisons de leurs conquérants. Il y aura des familles juives endeuillées qui ont perdu leurs proches il y a des années et qui ne veulent pas voir les assassins libérés. C’est compréhensible, mais on ne peut certainement pas leur permettre de dicter ce qui est dans l’intérêt d’Israël.

“Israël tue x 000 Palestiniens : c’est la faute au Hamas”
Peter Sully, Australie

La ligne de conduite la plus sage qu’Israël aurait dû adopter il y a longtemps était de libérer volontairement les prisonniers de sécurité, en guise de geste et pas seulement de concession dans le cadre des négociations. Mais il n’y a aucune chance que cela se produise - c’est trop intelligent. Libérer 1 500 prisonniers, comme le demande le Hamas, n’est ni un désastre ni une souffrance. Cela permettra aux otages de rentrer chez eux. Le désastre et la douleur ne se produiront que s’ils ne sont pas sauvés.

Il ne serait pas non plus désastreux ou douloureux de mettre fin à cette guerre maudite, au cours de laquelle Israël a perdu son humanité sans atteindre ses objectifs grâce à des tueries et des destructions aveugles, comme on n’en voit que dans les guerres les plus brutales.

La dignité d’Israël sera en effet atteinte, le Hamas sera couronné vainqueur de la guerre - un vainqueur douteux mais un vainqueur quand même (même s’il s’était déjà couronné lui-même le 7 octobre). Même si la « victoire totale" de Benjamin Netanyahou était obtenue, ce qui n’arrivera évidemment jamais, le Hamas a gagné la guerre. Il vaut donc mieux y mettre fin.

Nous devons mettre de côté les clichés et les slogans éculés dont les Israéliens ont été abreuvés et examiner calmement les questions importantes : L’accord est-il vraiment si mauvais ? En quoi ? Existe-t-il un meilleur accord ?

Emad Hajjaj, Jordanie

 

06/02/2024

GIDEON LEVY
11 500 enfants ont été tués à Gaza. Une horreur d'une telle ampleur ne s'explique pas

Gideon Levy, Haaretz  4 /2/2024
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Deux cent soixante noms de bébés dont l’âge était de 0. Des noms de bébés qui n’ont pas pu fêter leur premier anniversaire et qui ne fêteront jamais rien d’autre. Voici quelques-uns de leurs noms : Abdul Jawad Hussu, Abdul Khaleq Baba, Abdul Rahim Awad, Abdul Rauf al-Fara, Murad Abu Saifan, Nabil al-Eidi, Najwa Radwan, Nisreen al-Najar, Oday al-Sultan, Zayd al-Bahbani, Zeyn al-Jarusha, Zayne Shatat. Quels rêves leurs parents avaient-ils pour eux ? Puis il y a des centaines de noms d’enfants d’un ou deux ans, de bambins de trois ou quatre ans, d’enfants de cinq, six, sept ou huit ans, jusqu’aux jeunes qui avaient 17 ans lorsqu’ils sont morts.


Un enfant palestinien déplacé s’abrite dans une école de l’UNRWA à Rafah, dans le sud de la bande de Gaza, jeudi. Photo Ibraheem Abu Mustafa/Reuters

Des milliers de noms, l’un après l’autre, sur les 11 500 enfants tués par les forces de défense israéliennes à Gaza au cours des quatre derniers mois. La liste défile comme le générique de fin d’un long film, sur fond de musique de deuil (voir ici). La chaîne Al-Jazeera a publié ce week-end la liste des noms dont elle a connaissance, soit la moitié des 11 500 enfants tués, selon le ministère de la Santé de Gaza. Un enfant tué toutes les 15 minutes, soit un enfant sur 100 à Gaza.

Autour d’eux, les enfants qui ont assisté à la mort de leurs proches, les parents qui ont enterré leurs bébés, les personnes qui ont extirpé leurs corps du feu et des décombres, des milliers d’enfants estropiés et des dizaines de milliers d’autres en état de choc permanent. Selon les chiffres de l’ONU, 10 000 enfants ont perdu leurs deux parents dans cette guerre où deux mères meurent toutes les heures.

Aucune explication, aucune justification ou excuse ne pourra jamais couvrir cette horreur. Il serait préférable que la machine de propagande israélienne n’essaie même pas de le faire. Pas d’histoires du type « le Hamas est responsable de tout cela », ni d’excuses indiquant que le Hamas se cache parmi les civils. Une horreur d’une telle ampleur n’a pas d’autre explication que l’existence d’une armée et d’un gouvernement dépourvus de toute limite fixée par la loi ou la morale.

Pensez à ces bébés qui sont morts dans leur berceau et dans leur couche, à ces enfants qui ont tenté en vain de s’enfuir pour sauver leur vie. Fermez les yeux un instant et imaginez les 10 000 petits corps allongés les uns à côté des autres ; ouvrez-les et voyez les charniers, les salles d’urgence surchargées, les ambulances crachant de plus en plus d’enfants que l’on fait entrer en urgence, sans que l’on sache s’ils sont morts ou vivants.

Cela se passe, même aujourd’hui, à un peu plus d’une heure de route de Tel-Aviv. Cela se passe sans qu’il en soit fait état en Israël, sans qu’il y ait de débat public sur le déchaînement de violence qu’Israël s’est permis de mener à Gaza cette fois-ci, plus que jamais auparavant. Cela se passe également sans que personne en Israël ne réfléchisse à ce qui résultera de ce massacre, à ce qu’Israël pourrait en tirer et au prix qu’il devra payer pour cela. Ne nous dérangez pas, nous tuons des enfants.



Une petite fille utilise une poussette pour transporter de l’eau potable sous la pluie dans un camp de tentes improvisé à Rafah, dans le sud de la bande de Gaza, vendredi. Photo Mohammed Abed/AFP

Les clichés sont éculés et pathétiques : « Ils ont commencé », « il n’y a pas d’autre choix », « que voulez-vous que nous fassions ? », « L’armée israélienne fait tout ce qu’elle peut pour éviter de tuer des innocents ». La vérité, c’est qu’Israël s’en moque, il ne s’y intéresse même pas. Après tout, les Palestiniens n’aiment pas leurs enfants, et de toute façon, ils n’auraient fait que grandir pour devenir des terroristes.

Pendant ce temps, Israël efface des générations à Gaza et ses soldats tuent des enfants dans des proportions comparables à celles des guerres les plus cruelles. Cela ne sera pas et ne pourra pas être oublié. Comment un peuple peut-il oublier ceux qui ont tué ses enfants de cette manière ? Comment les personnes de conscience du monde entier peuvent-elles rester silencieuses face à un tel massacre d’enfants ? Le fait qu’Israël ne délibère pas sur cette question en interne, sans larmes ni conscience, désirant seulement poursuivre cette guerre jusqu’à la « victoire finale », n’engage pas le monde. Le monde voit et est choqué.

La vérité, c’est qu’il est impossible de rester silencieux. Même Israël, si absorbé par son chagrin et sa préoccupation pour le sort des otages, Israël, qui a lui-même subi des horreurs le 7 octobre, ne peut ignorer ce qui se passe à Gaza. Il faut sept minutes pour afficher la liste des milliers d’enfants morts, qui passe à la même vitesse que leurs vies misérables. À la fin, il est impossible de rester silencieux ; ce sont sept minutes qui vous laissent pantois, bouleversés et profondément honteux.

03/02/2024

GIDEON LEVY
Dans cette “zone folle” de Cisjordanie, ils tirent aussi sur des USAméricains


Gideon Levy & Alex Levac (photos), Haaretz, 3/2/2024
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Des colons israéliens et/ou des forces de sécurité ont tiré sur une voiture en Cisjordanie, tuant un jeune USAméricain d'origine palestinienne qui était sur le point de commencer des études d'ingénieur dans sa ville natale, la Nouvelle-Orléans, et qui rêvait de travailler à la NASA.

Hafeth Abdeljabbar avec la photo de son fils, Taoufik, cette semaine. « D'autres générations grandiront et se battront pour la liberté. Je veux que votre gouvernement le sache »

Taoufik Abdeljabbar rêvait d'étudier l'ingénierie aéronautique dans une université de Louisiane, où il était né. Il y a neuf mois, sa famille a décidé de retourner en Palestine et s'est installée à Al-Mazra’a ash-Sharqiya, la ville natale du père, au nord-est de Ramallah, pour permettre à ses enfants de connaître leur culture et leurs racines palestiniennes. La maison familiale du village, où les ancêtres du jeune défunt sont nés il y a plus de quatre générations, a été construite en 1870. Aujourd'hui, la vieille structure en pierre est abandonnée, mais la famille envisage de la rénover et de la transformer en maison d'hôtes.

Taoufik était un garçon usaméricain, sa langue maternelle était l'anglais, mais il parlait aussi l'arabe, la langue de ses ancêtres. Son père, Hafeth Abdeljabbar, et le frère de Hafeth, Rami, l'oncle de Taoufik, possèdent une chaîne de magasins de chaussures de sport en Louisiane ; les deux hommes font constamment la liaison Al-Mazra’a ash-Sharqiya-Nouvelle-Orléans. Au printemps 2023, le père a laissé l'un de ses fils gérer l'entreprise familiale et s'est installé avec sa femme et leurs quatre autres fils dans le village de ses ancêtres en Cisjordanie. Personne n'imaginait que la décision de retourner en Palestine coûterait la vie à l'un de leurs fils.

Al-Mazra’a ash-Sharqiya - dont certains des 10 000 originaires sont dispersés aux USA et en Amérique du Sud - est un village aisé d'environ 4 500 habitants, avec de belles et spacieuses maisons en pierre. Elles se dressent au sommet d'une colline qui domine la route 60, le principal axe de circulation de Cisjordanie, et offrent une vue splendide.

En contrebas, accessible par un sentier serpentin escarpé qui descend du village, se trouve l'endroit que la population locale appelle Wadi al-Baqar (la vallée du bétail) - l'endroit d'où, au fil des ans, trois jeunes hommes de la région ne sont jamais revenus vivants. Le 13 mai 2010, Aysar al-Zaban, 15 ans, a été abattu par des colons ; le 5 novembre 2022, Musab Nafal, 18 ans, a été tué et son ami grièvement blessé par des soldats en embuscade qui ont ouvert le feu sur eux ; et le 19 janvier 2024, il y a deux semaines, Taoufik Abdeljabbar - un adolescent à lunettes, un gentil garçon de l'État du Bayou - est devenu la dernière victime en date. Des colons et des soldats étaient présents sur les lieux, et l'on ne sait pas exactement qui a tiré au moins 10 balles sur la voiture qui passait. Selon un témoin oculaire, c'était les deux.

Lundi dernier, alors que nous nous rendions à Al-Mazra’a ash-Sharqiya, peu après avoir traversé Silwad, nous avons appris que les soldats d'un convoi qui passait juste après nous, avaient abattu un adolescent qui avait peut-être jeté des pierres sur les véhicules. Cet après-midi-là, lorsque nous sommes repassés par Silwad pour retourner à Tel Aviv, tous les magasins étaient fermés en signe de deuil et de protestation. Le même jour, cinq jeunes Palestiniens ont été tués de la même manière en Cisjordanie, dans des incidents qui n'ont pratiquement pas été couverts par les médias israéliens.

La maison de la famille à Al-Mazra’a ash-Sharqiya

De retour dans la maison endeuillée des Abdeljabbar, Hafeth, 41 ans, et son frère Rami, 47 ans, parlent couramment l'anglais usaméricain. Rami a été le premier à quitter la Cisjordanie pour s'installer aux USA y a 30 ans. Deux ans plus tard, ses deux frères et leurs familles l'ont rejoint. Hafeth et Rami ont ouvert leur chaîne de magasins et ont prospéré. Tous les deux ou trois ans, Hafeth et sa femme ramenaient leurs cinq enfants au pays, à Al-Mazra’a ash-Sharqiya,. En mai dernier, ils ont décidé de rentrer pour de bon. « Je voulais donner à mes fils ce que j'ai : des racines », explique le père.

Hafeth avait d'abord espéré que Taoufik resterait à la Nouvelle-Orléans pour y terminer ses études secondaires, mais le jeune homme, qui avait eu 17 ans en août, a insisté pour rentrer avec le reste de la famille. Le moment venu, a-t-il dit, il irait à l'université aux USA : son rêve était de travailler à la NASA. En attendant, il prévoyait de suivre des cours d'ingénierie à l'université voisine de Bir Zeit, afin de découvrir la vie en Palestine. Il poursuivrait ensuite ses études à la Nouvelle-Orléans.