19/03/2023

FAUSTO GIUDICE
20 mars, anniversaire de l'indépendance tunisienne : Souvenirs, souvenirs

par Fausto Giudice

Cet article est paru dans Baraka Hebdo (Paris) n°2 du 20 mars 1986, sous le titre un peu idiot de "Nostalgie"

 «Le 20 mars 1956. Une date facile a retenir: le 21 était l'anniversaire de ma mère. Les Français, ceux "de souche", les juifs, puis les naturalisés commencèrent à partir. Nous les Italiens, on regardait au balcon.»

II y a trente ans la Tunisie accédait à l'indépendance. L'ambiance de l'époque, les anecdotes, et les souvenirs d'un enfant d'origine sicilienne qui a vécu cette période...


 «Taoua Iji Bourguiba» : ce sont les premiers mots arabes que j'ai entendus. L'année 55 touchait à sa fin. Les derniers cochers maltais faisaient claquer leurs fouets, assis sur leurs calèches, place de Londres. Entre les chevaux, les marchands de noix de coco lavaient les tranches blanches, qui semblaient de petites barques dans le caniveau. J'avais six ans en débarquant dans l'hiver doux de Tunis. Tout de suite, je fus confronté à deux, trois, quatre cultures. Aux extrémités, les deux Grandes Cultures : d'un côté «C'est la Mère Michel qui a perdu son chat », le livre de lecture français, de l'autre  «babon, bagraton, kouraton», l'abécédaire arabe. Et au milieu, les marécages sicilien, maltais, juif, grec, espagnol, russe blanc.

Bab El Khadra

Mes tantes descendaient le soir la «zibbola». Mot siculo-tunisien pour désigner la poubelle (toujours renversée par les chats faméliques), dérivé de l'arabe «zebla», déchet. Quand on faisait les fous, mes cousins et moi, on nous traitait de «soufri». Mot tunisois signifiant «voyou», formé à partir du français «les ouvriers»…

Dans le garage d'un de mes oncles, à la Petite Sicile, les ouvriers levaient la tête de sous les capots des 404 pour regarder les camions qui passaient dans un joyeux vacarme de klaxons, de youyous, de darboukas et de battements de mains : «Yahia El Destour, Yahia El Istiqlal». Les partisans du Combattant Suprême montaient du bled sur la capitale. Ils agitaient un drapeau que je crus d'abord reconnaître : il était rouge comme celui des ouvriers romains les premiers mai. Mais celui-ci avait un croissant et une étoile.

La Ville «européenne» avait peur, la Médina bruissait d'inquiétude et d'espoir mêlés. Bab el-Fransa, la Porte de France, était la frontière entre les deux, que nous transgressions seulement pour certaines emplettes. Avenue Jules-Ferry, un soir, un défilé de jeunes gens aux cheveux très courts fit monter la tension. Ils criaient : «Les Français par-tout !».

Des couteaux luisaient dans l'ombre. Les pères ordonnaient aux enfants de rentrer. Ça et là, des petites mains rouges apparaissaient sur les murs. Ce n'était pas es mains de Fatima, c'était le signe de reconnaissance des «vrais Français», de leur mythique organisation secrète.

Ce défilé m'avait laissé une double trace, contradictoire. Ma sympathie était allée naturellement à ceux qui, muets de rage, regardaient le défilé sur les trottoirs. Mais le rythme du slogan, inquiétant et incompréhensible, s'était gravé dans ma tête. Quelques jours plus tard, marchant rue de la Petite-Malte avec un autre oncle, menuisier celui-là, je le sifflotais. Je venais d'apprendre à siffler. Il blanchit – c'était le plus couard de la tribu – et me serra la main en chuchotant : «Tais-toi, è pericoloso».

Mars 1956

20 mars 1956 : une nation naissait, sans trop de souffrances. Elles vinrent plus tard. Une date facile à retenir: le 21 était l'anniversaire de ma mère. Les Français, ceux "de souche", les juifs, puis les naturalisés commencèrent à partir. Nous les Italiens, on regardait au balcon. En face, à un balcon du 2ème étage, une tante de Claudia Cardinale, qui était folle, hurlait et tempêtait en chemise de nuit.

À l'école franco-arabe de la rue Hoche, le mélange se faisait assez bien. Ce n'était ni idyllique ni infernal. De quoi presque donner raison au monument à Jules Ferry, montrant un enfant français, le bras  «fraternellement» passé autour des épaules d'un enfant arabe, tous deux lisant dans le même livre. Sortis de l'école, nous nous séparions. Juifs, Arabes et Siciliens faisaient, à quelques rares exceptions près, bande à part. Nous les Siciliens, on tenait le terrain vague à côté de la voie ferrée, le Terrain Rouge. Luigi, déjà gominé à 14 ans, était notre chef. On faisait griller des sauterelles, on chassait des lézards, dont la queue nous restait entre les doigts, on jouait aux noyaux d'abricots, on élevait fébrilement des vers à soie. Quand on s'insultait, c'était en arabe.

Bientôt, l'écho de la guerre dans le pays voisin et un peu mystérieux, l'Algérie, arriva jusqu'à nos oreilles enfantines, par la radio. Les mâles voix de  «Saout El Arab», du Caire, provoquaient l'enthousiasme des jeunes Arabes, l'inquiétude des familles juives et…ma curiosité.

Dans ce monde colonial qui s'effilochait, le développement séparé des communautés –une apartheid bon enfant mais bien réelle – interdisait les amitiés, les amours, les fusions inter-ghettos. Cette fusion-là, rêve confus de nos enfances, combien sommes-nous, ici, à encore et toujours la rechercher ?

17/03/2023

GIDEON LEVY
Les disciples de Kahane* vivent le rêve de la droite israélienne

Gideon Levy, Haaretz, 16/3/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Il est impossible de ne pas envier la droite israélienne pour sa fuite en avant. Voici un rêve : le centre-gauche remporte les prochaines élections et forme un gouvernement qui inclut la gauche radicale, qui donne le ton. Le nouveau Premier ministre laisse ses partenaires extrémistes dicter sa politique : sans eux, il n'a pas de gouvernement. Le nouveau gouvernement entreprend immédiatement de changer le visage d'Israël, selon des plans élaborés à l'avance. Les lois du coup d'État judiciaire sont abrogées. Rien ne peut arrêter le train en marche si ce n'est la protestation de la droite, qui est incapable de l'arrêter.

Marchandises en vente en 2016 portant le visage du rabbin Meir Kahane et les mots “Kahane avait raison”. Photo Lior Mizrahi

La Knesset adopte des lois visant à séparer la religion de l'État. En l'espace de quelques semaines, les transports publics le jour du shabbat et les mariages civils sont rendus possibles. Les lois sur la cacheroute sont annulées, de même que les allocations spéciales aux yeshivas [écoles religieuses], qui sont désormais financées comme les écoles publiques. La question des demandeurs d'asile est examinée dans le but de naturaliser la plupart d'entre eux : invoquant leur importante contribution économique et sociétale, le gouvernement fixe un quota pour l'admission des réfugiés.

Dans le même temps, le gouvernement annonce qu'il lève le blocus de la bande de Gaza. Le premier ministre se dit prêt à rencontrer les dirigeants du Hamas. Marwan Barghouti est libéré de prison et Israël autorise l'Autorité palestinienne à organiser des élections présidentielles et législatives. La droite proteste, mais le gouvernement est déterminé. La phase 2, encore plus extrême et ambitieuse, commence.

Israël annonce que, dans cinq ans, de véritables élections générales seront organisées, pour la première fois de son histoire. Toute personne possédant des papiers israéliens, qu'ils soient bleus, oranges ou verts, peut participer : une personne, une voix, du Jourdain à la Méditerranée. La ligne verte disparaît, tout comme la loi du retour. Israël adopte une politique d'immigration comme celle de la plupart des pays, basée sur des quotas et des critères transparents et égaux. La construction des colonies est complètement arrêtée jusqu'à ce qu'une politique équitable de planification et de construction soit formulée pour la Cisjordanie.

Le nouveau gouvernement déclare la libération de milliers de prisonniers palestiniens et examine la possibilité de renouer des relations diplomatiques avec l'Iran en échange de la suspension du programme nucléaire. Israël change, sous les applaudissements du monde entier. La protestation de la droite retombe lentement, après avoir compris que le gouvernement n'a pas l'intention de reculer.

Il est inutile de continuer à rêver, puisque tout cela n'arrivera pas. La gauche et le centre ne seront jamais aussi déterminés : ils n'ont jamais su ce qu'ils voulaient, et surtout ils se sont toujours déplacés vers la droite avant chaque mesure qu'ils prenaient. Leur langage était toujours celui du compromis et du maintien du statu quo. La révolution était au-delà de leurs capacités et surtout de leurs réserves de courage. “Compromis territorial” ou “compromis fonctionnel” qui n'ont jamais abouti, ou “maintien du statu quo” vis-à-vis des Haredim [juifs orthodxes]. Des petits pas mesurés qui ne visaient qu'à maintenir la situation existante qui ne cessait de se dégrader.

16/03/2023

SERGIO RODRIGUEZ GELFENSTEIN
Un vent nouveau souffle depuis la Chine

Sergio Rodríguez Gelfenstein (bio), 16/3/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Le 7 mars, lors d’une conférence de presse tenue dans le cadre de la première session du 14e Congrès national du peuple (CNP) à Pékin, le ministre chinois des Affaires étrangères Qin Gang, récemment nommé, a déclaré : « Si USA ne freinent pas et continuent d’accélérer sur la mauvaise voie, il n’y aura pas de barrière qui puisse empêcher le déraillement et il y aura certainement un conflit et une confrontation ». Il a ajouté que la politique usaméricaine à l’égard de la Chine s’était complètement écartée de la “voie rationnelle et raisonnable”.

Le chercheur de fautes désespéré. Dessin: Liu Rui/Global Times, Chine

Ce langage, très éloigné de la tradition diplomatique chinoise de retenue et d’autocontrôle, est l’expression de changements qui se manifestent non seulement dans la rhétorique et le discours, mais surtout dans la pratique et la proposition. À un moment donné, Deng Xiaoping a déclaré que la diplomatie chinoise devait se caractériser par le fait de « dissimuler sa force et d’attendre son heure ». C’est manifestement du passé. Les mois qui se sont écoulés en 2023 ont vu non seulement une transformation de la rhétorique, mais aussi une activité diplomatique intense de la part de la Chine, qui semble vouloir prendre la place qui lui revient dans le système international en tant qu’acteur majeur et protagoniste du processus de transformation qu’elle est manifestement en train d’initier.


Qin Gang, qui aura 57 ans le 19 mars, fait partie d’une nouvelle génération : il avait 10 ans à la mort de Mao Zedong et de Chou Enlai et 12 au début de la politique de réforme et d’ouverture en 1978. Il est totalement étranger à cette époque. À 26 ans, il est entré au service des affaires étrangères et avait 46 ans lorsque Xi Jinping a été élu secrétaire général du Parti communiste chinois pour la première fois en 2012. À l’époque, il était directeur général adjoint du département de l’information du ministère des Affaires étrangères. En l’espace de 12 ans, il a accédé à la plus haute fonction du ministère des Affaires étrangères de son pays.

Cette nouvelle génération, qui se caractérise par une activité intense sur les réseaux sociaux, ne laisse passer aucun affront à son pays et répond durement à chaque fois, tout en faisant connaître ses propositions et ses projets aux quatre coins du monde. Avec un langage qui n’épargne ni le sarcasme, ni l’ironie, ni la dérision, la jeune diplomatie chinoise a été surnommée “Loups guerriers” par les médias transnationaux occidentaux. Ce nom fait référence aux membres des forces spéciales chinoises qui affrontent avec succès des mercenaires usaméricains dans une série télévisée qui a immobilisé le pays pendant deux saisons en 2015 et 2017.

En ce qui concerne les relations de la Chine avec la Russie, un aspect cardinal de la politique étrangère de son pays à l’heure actuelle, Qin Gang a déclaré que si les deux pays “travaillent ensemble, le monde aura la force motrice de la multipolarité et de la démocratie dans les relations internationales et l’équilibre stratégique mondial sera mieux garanti”, exposant ainsi de manière précise et stratégique les liens entre les deux pays. On ne peut ignorer que dans cette définition, en un seul paragraphe, le nouveau ministre chinois des Affaires étrangères a posé les trois catégories qui définissent le futur champ d’action de la diplomatie chinoise : la multipolarité, la démocratie et l’équilibre stratégique global.

15/03/2023

FAUSTO GIUDICE
The MQ9-Reaper, a U2 of the 21st century


We are in room #20, on the 2nd floor of the Central Museum of the Armed Forces in Moscow. The picture shows the remains of the CIA U2 spy plane, shot down on May 1, 1960 over Sverdlovsk (Yekaterinenburg) by a S-75 Dvina surface-to-air missile strike. Its pilot, Francis Gary Powers, far from swallowing the cyanide capsule he had been given and destroying the plane, preferred to parachute out. The missiles also shot down a Mig-19 that had been chasing the U2, so Powers was initially mistaken for a Soviet pilot, but the misunderstanding was cleared up. He was sentenced to 10 years in prison and then exchanged in 1962 for William Fischer, a KGB spy who had remained as silent as a grave in interrogations.

Convinced that Powers was dead, the White House, the CIA, NASA and the entire Yankee machine covered themselves in ridicule in this case, claiming that the U2 was a weather reconnaissance plane (which was also believed by the pilot's family, who did not know that he had been recruited by the CIA) and that its pilot had had "oxygen problems" over Turkey. NASA even went so far as to stage a media event at Edwards Air Force Base, showing a "similar" U2 with fictitious NASA markings and serial numbers. Unfortunately, Powers was alive and well and Moscow was able to expose the Yankee lies.

We are in the 21st century. Nowadays, Powers are artificial and there is no need to equip them with cyanide, a bundle of rubles and women’s jewelry (which Captain Powers had on him). The remains of the MQ9-Reaper combat and spy drone intercepted (or shot down?) by the Russian air force over the Black Sea (over Ukrainian, Russian, or international territorial waters? - we don't know) have their place in the room n° 20 of the Tsentral'nyy muzey Vooruzhennykh Sil. And Putin, repeating Khrushchev's generous gesture, can always send a piece or the Reaper to Uncle Joe.

sinann, Singapore, 2015

FAUSTO GIUDICE
Le MQ9-Reaper, un U2 du XXIème siècle


Nous sommes dans la salle n° 20, au 2ème étage du Musée central des Forces armées de Moscou. Sur la photo, on voit les restes de l’avion-espion U2 de la CIA, abattu le 1er mai 1960 au-dessus de Sverdlovsk (Iekaterinenburg) par un tir de missiles sol-air S-75 Dvina. Son pilote, Francis Gary Powers, loin d’avaler la capsule de cyanure qu’on lui avait fourni et de détruire l’avion, a préféré sauter en parachute. Les missiles ayant aussi abattu un Mig-19 qui avait pris l’U2 en chasse, on a d’abord pris Powers pour un pilote soviétique, puis le malentendu s’est dissipé. Il a été condamné à 10 ans de prison puis échangé en 1962 contre William Fischer, un espion du KGB qui était resté muet comme une tombe dans les interrogatoires.

Persuadées que Powers était mort, la Maison Blanche, la CIA, la NASA et toute la machine yankee s’étaient couvertes de ridicule dans cette affaire, prétendant que l’U2 était un avion de reconnaissance météo (ce que croyait aussi la famille du pilote, qui ignorait qu’il avait été recruté par la CIA) et que son pilote avait eu des « problèmes d’oxygène » au-dessus de la Turquie. La NASA alla même jusqu’à monter une mise en scène pour les médias sur la base d’Edwards en montrant un U2 “similaire” avec des marques et numéros de série fictifs de la NASA. Manque de pot, Powers était bien vivant et Moscou put démonter les mensonges yankees.

Nous sommes au XXIème siècle. Désormais, les Powers sont artificiels et il n’y a plus besoin de les doter de cyanure, ni d’une liasse de roubles, ni de bijoux féminins (ce qu’avait le capitaine Powers sur lui). Les restes du drone de combat et d’espionnage MQ9-Reaper (= la Faucheuse) intercepté (ou abattu ?) par l’aviation russe au-dessus de la mer Noire (au-dessus des eaux territoriales ukrainiennes ? russes ? internationales ? – on ne le sait pas) ont toute leur place dans la salle n° 20 du Tsentral'nyy muzey Vooruzhennykh Sil. Et Poutine, répétant le geste généreux de Kroutchchev, pourra toujours en envoyer un morceau à Uncle Joe.

 

 
sinann, Singapour, 2015

LUIS HERNANDEZ NAVARRO
Camarade Gilberto, 80 ans
Hommage à Gilberto López y Rivas (*6 mars 1943)

 Luis Hernández Navarro, La Jornada, 14/3/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Un an avant l’assaut de la caserne Madera dans le Chihuahua [23 septembre 1965), le dirigeant syndical des enseignants Othón Salazar et d’autres enseignants ont tenté de donner vie à un mouvement de guérilla d’orientation socialiste. Ils n’étaient pas seuls, ils étaient accompagnés dans leur rêve par les survivants du mouvement jaramillista*, les noyaux ouvriers du Frente Obrero Comunista Mexicano maoïste, dirigé par l’avocat Juan Ortega Arenas, ainsi que des médecins, des avocats, des étudiants et des intellectuels.

 « En 1964, personne ne pouvait m’ôter de la tête que le moment tactique pour le Mexique était le mouvement de guérilla. J’ai pris un médecin, une infirmière, des munitions et des armes. Nous avons passé quinze jours à nous entraîner dans une communauté appelée Jaulillas, près de Tehuitzingo, à Puebla ; l’influence que la révolution cubaine a exercée sur un groupe d’entre nous, et sur moi en particulier, a été très grande. Il m’a semblé, avec une conviction totale, qu’il n’y avait pas d’autre issue pour le Mexique que le mouvement de guérilla », a déclaré Othón Salazar à Amparo Ruiz del Castillo.


 L’un des participants à ce projet politico-militaire était un jeune étudiant en anthropologie qui venait d’abandonner ses études d’économie, dépassé par ses cours de comptabilité : Gilberto López y Rivas. Militant des Jeunesses communistes, dont il avait été exclu pour déviations petites-bourgeoises, il consacrait une partie de son temps à l’entraînement à l’autodéfense, étudiant les tactiques de guérilla, s’entraînant au maniement des armes et apprenant à fabriquer des grenades artisanales à l’efficacité douteuse.

La nouvelle organisation ne s’est pas opposée militairement au gouvernement, bien qu’elle ait eu des pertes et des prisonniers au niveau régional. Des témoins affirment qu’elle n’avait pas de nom, d’autres l’identifient comme le Movimiento 23 de Mayo. Ils ont étudié la contre-insurrection britannique en Malaisie et celle des Français en Algérie. La guerre de guérilla** du Che devient leur bible. Ils analysent les conditions d’établissement d’un foyer de guérilla et la possibilité d’une guérilla itinérante. À l’intérieur, Gilberto s’occupe des cellules ouvrières dans les quartiers de la brasserie Modelo et de l’usine de cuisinières Acros, collecte des produits pharmaceutiques et collabore avec les Jaramillistas, en soutenant le commandant Félix Serdán, alias Rogelio (1917-2015), dans son travail de conspirateur.

Enfant, López y Rivas a vécu dans un logement précaire à Santa María la Ribera, à Mexico. Il a ensuite vécu à Veracruz, où il a appris l’invasion usaméricaine du port (1914) par Luz María Llorente veuve Posadas, son instit de la 4ème à la 6ème année d’école primaire Elle avait vécu sous l’occupation yankee. Les USAméricains la dégoûtaient, la seule expérience qu’elle avait, et la seule qu’elle voulait, c’était qu’ils s’en aillent, a-t-elle dit à Gilberto. L’anti-impérialisme l’a donc habité dès son plus jeune âge. Sa thèse de doctorat à l’université de l’Utah, publiée plus tard sous forme de livre en espagnol en 1976, s’intitulait La guerra del 47 y la resistencia popular a la ocupación (La guerre de 47 [USA-Mexique, 1846-1848] et la résistance populaire à l’occupation).

13/03/2023

GIDEON LEVY
C’est l’occupation qui a mis en déroute l’État d’Israël

Gideon Levy, Haaretz, 12/3/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Note du traducteur : quand l’auteur parle d’occupation, il désigne celle des territoires palestiniens (Cisjordanie, Gaza, Jérusalem-Est) initiée pendant la Guerre des Six Jours de juin 1967 (sans oublier les hauteurs du Golan syrien), mais pas la Palestine de 1948 appelée Israël, qui n’a pas de frontières officielles et est donc le seul pays “élastique” au monde. Encore une fois, répétons-le, la seule solution est un seul État démocratique de la mer au Jourdain, fondé sur le principe “Une personne, une voix”.

Jeudi dernier dans la soirée, en un seul instant, tout a fusionné en une seule image. Un homme armé a commencé à tirer sur les passants de la rue Dizengoff à Tel-Aviv, alors que les derniers manifestants de la journée contre le coup d’État judiciaire se dispersaient pour rentrer chez eux. Les premiers rapports étaient confus, comme à l’accoutumée : s’agissait-il d’une attaque terroriste, d’un incident criminel ou peut-être d’une tentative d’assassinat politique ? Pendant un moment, la protestation contre le gouvernement a été liée à l’occupation.

Des manifestants brandissent des drapeaux israéliens et palestiniens lors d’une manifestation à Tel Aviv contre la réforme judiciaire du gouvernement, la semaine dernière. Photo : Fadi Amun

La situation s’est rapidement éclaircie. L’attentat n’avait rien à voir avec la manifestation, mais il n’est plus possible de continuer à occulter le lien : l’occupation est à l’origine de la plupart des maux contre lesquels les Israéliens manifestent aujourd’hui, même s’ils ne veulent pas l’admettre. Elle est à l’origine de tous les maux. Sans elle, Israël serait un meilleur endroit ; sans elle, de nombreuses forces de destruction ne seraient pas aussi puissantes. C’est pourquoi il est temps d’admettre que l’occupation et les colonies ont vaincu l’État d’Israël. Elles ont gagné, et l’État s’effondre sous elles. Ce qui a commencé avec la guerre des six jours de juin 1967 et le seder de la Pâque d’avril 1968 au Park Hotel d’Hébron* a atteint le cœur même du pays, s’y est installé, l’a rongé de l’intérieur et l’a fait pourrir. Le processus a pris plus de temps que prévu, mais il se déroule maintenant sous nos yeux blasés à une vitesse alarmante. Le sort en est jeté. Il est dommage que les protestataires et les manifestants n’en voient pas l’origine.

Il n’a jamais été juste de tout relier à l’occupation. Ceux qui l’ont fait ont choisi la facilité. Israël est confronté à une foule d’autres défis et maux qui n’ont rien à voir avec elle. Mais l’occupation éclipse tout. Sa malédiction pèse également sur le coup d’État judiciaire. La plupart des forces qui motivent le coup d’État ont germé dans les serres des colons ou de leurs champions et complices. S’il n’y a pas d’occupation, il n’y a pas de colonies - et s’il n’y a pas de colonies, il n’y a pas de Bezalel Smotrich, pas d’Itamar Ben-Gvir et pas de Simcha Rothman. C’est aussi simple que cela. S’il n’y a pas d’occupation, il n’y a pas autant de porteurs de kippa dans toutes les sphères du pouvoir. S’il n’y a pas de désir d’annexion et d’avidité pour les territoires, il n’y a pas de Yariv Levin. S’il n’y avait pas d’occupation, il y aurait toujours du racisme, mais moins. Peut-être même que Benjamin Netanyahou aurait été différent. Toute la politique israélienne aurait été différente si le maintien de l’occupation n’était pas devenu son principal objectif.

L’occupation a donné naissance à la nouvelle figure générique de l’Israélien : un tyran qui n’a de comptes à rendre à personne. Agressif, généralement ignorant. Il ne respecte pas la loi et l’ordre, ni le monde. Tout est permis, y compris le mensonge, au nom de la terre d’Israël. La corruption est également née là, entre la vallée de Dotan [Sahl Arraba] et les collines du sud d’Hébron [janub jabal alkhalil]. Ce n’est pas qu’il n’y avait pas de voleurs et d’assassins avant le Conseil des colonies de Yesha, mais le pourrissement judiciaire, la tromperie comme norme, le vol comme politiquement correct et, bien sûr, la violence comme phénomène légitime et même vénéré - tout cela a prospéré dans l’occupation. Si c’est permis là-bas, pourquoi pas ici ? Ceux qui ont été formés à brûler et à tirer à Huwara comme option première et préférée n’abandonneront pas facilement cette idée à quelques kilomètres à l’ouest. Je le répète : l’occupation n’est pas responsable de tout, mais elle l’est bien plus qu’Israël ne l’admet. Il est très triste que la majorité du camp protestataire ne l’ait pas encore reconnu.

SAGI COHEN/CORIN DEGANI
Un week-end noir pour la haute technologie israélienne après l'effondrement de la SVB

Sagi Cohen & Corin Degani, Haaretz, 12/3/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

 Un certain nombre d'entreprises israéliennes de haute technologie se sont précipitées pour retirer leur argent de la Silicon Valley Bank en faillite, mais tout le monde n'y est pas parvenu

 

Les entreprises high-tech et les startups israéliennes ont vécu un week-end d'angoisse et de panique après la chute de la Silicon Valley Bank. Plusieurs entreprises israéliennes se sont précipitées pour retirer leur argent de la SVB et le transférer dans d'autres banques aux USA et en Israël. Selon LeumiTech [branche du groupe Leumi, spécialisée dans les services bancaires aux entreprises de haute technologie, NdT], ses équipes ont aidé ses clients à transférer environ 1 milliard de dollars en Israël.

Les professionnels du secteur ont déclaré à la fin de la semaine que bon nombre d'entreprises israéliennes avaient pu retirer leur argent à temps, mais que ce n'était manifestement pas le cas pour tout le monde. En fait, la situation réelle dans le secteur de la haute technologie du pays n'est pas claire, car les entreprises dont les dépôts sont maintenant bloqués chercheront à le cacher, craignant que toute rumeur ne fasse fuir les clients, les fournisseurs et les employés.

Une personnalité du secteur a déclaré qu'une startup avait des dizaines de millions de dollars de dépôts à la SVB, soit environ 90 % de son argent. « Ils ont quelques millions de dollars en Israël », a-t-il déclaré. « Dans ces conditions, il faut être prêt à licencier toute l'entreprise en quelques mois. Il y a aussi des entreprises qui ont 100 % de leurs dépôts à la SVB ».

« Je n'ai jamais connu une telle situation », a déclaré le PDG d'une start-up israélienne qui possède environ 1 million de dollars à la SVB, ce qui représente une part faible mais significative de son capital. Jeudi après-midi, il a remarqué une chute brutale des actions de la banque. Quelques heures plus tard, il a commencé à recevoir des messages WhatsApp et des appels téléphoniques de l'un des membres du conseil d'administration, qui lui demandait de retirer l'argent immédiatement.

« J'ai dit [aux employés] de tout laisser tomber et de sortir l'argent. L'ordre a été donné à 20 heures, puis nous avons commencé à devenir fous parce que l'ordre n'était pas passé. Les heures ont passé, les nouvelles se sont accumulées ». L'entrepreneur milliardaire et investisseur en capital-risque Peter Thiel a dit de sortir l'argent, a-t-il ajouté.

« Soudain », poursuit le PDG, la banque a été prise d'assaut. « C'est quelque chose que vous lisez dans les livres, mais non seulement c'est quelque chose que je n'ai jamais vécu, mais je n'ai jamais pensé dans un million d'années que c'était possible avec SVB, une banque avec une forte réputation et une marque, considérée comme la banque numéro un pour les startups. Sur quoi pouvez-vous compter ? De l'argent à la banque. Et soudain, même ce que vous pensez être le fondement le plus élémentaire de votre travail est ébranlé ».

12/03/2023

MUHAMAMD MUSLIH
La politique arabe et la montée du nationalisme palestinien avant 1948

Muhammad Muslih, Journal of Palestine Studies, Vol. 16, N° 4 (été 1987), pp. 77-94
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Cet article est basé sur un chapitre du livre The Origins of Palestinian Nationalism (Columbia University Press et Institute for Palestine Studies, 1988).


Muhammad Muslih enseigne les sciences politiques au C.W. Post College de l’université de Long Island (USA). Il est l’auteur de nombreux ouvrages sur la politique arabe et la politique étrangère syrienne. Au moment où il a publié ce livre, il enseignait au département des langues et cultures du Moyen-Orient à l’université Columbia.


Dans le passé, les analyses du développement du nationalisme palestinien ont eu tendance à surestimer le rôle joué par le sionisme et à sous-estimer les facteurs arabes internes qui ont conduit à la montée, non seulement du nationalisme palestinien, mais aussi d’autres nationalismes arabes locaux. Dans le cas des écrivains arabes, ceux qui ont embrassé le nationalisme - qu’il soit local (wataniyyah) ou panarabe (qawmiyyah) - étaient enclins à imputer les problèmes et les contradictions des mouvements nationaux arabes aux forces de l’impérialisme européen. Ils avaient tendance à considérer les forces politiques qui ont émergé dans les pays arabes à l’est de Suez après le démembrement de l’Empire ottoman comme le résultat d’une lutte avec une puissance ou un mouvement étranger. D’autre part, les écrivains sionistes, préoccupés par la scène palestinienne locale, ont souvent négligé l’arène arabe plus large dans laquelle la politique palestinienne évoluait.1

Ces interprétations ne résistent pas à un examen approfondi des documents.

 Les entités politiques qui ont lutté pour l’indépendance dans les territoires à l’est de Suez après la Première Guerre mondiale étaient de nouvelles créations, façonnées à partir des débris de l’Empire ottoman par les hommes d’État des puissances coloniales étrangères. Après la défaite finale de l’Empire ottoman, l’ancien ordre d’allégeance politique au souverain dynastique de l’État islamique a été progressivement remplacé par un ordre d’allégeance au pays dans lequel on vivait. En d’autres termes, les nationalismes locaux ont commencé à prendre racine en Palestine, en Syrie et en Irak et se sont progressivement imposés. C’est à l’examen des premières étapes de ce processus en Palestine que cet essai est consacré. Pour démêler l’ensemble des facteurs impliqués dans ce processus, il est utile de penser en termes de deux cadres : le cadre idéologique, la transformation de la loyauté politique d’un ensemble d’idées à un autre ; et le cadre institutionnel, les élites politiques dans les rangs desquelles les idées ont pris forme.

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