13/03/2023

SAGI COHEN/CORIN DEGANI
Un week-end noir pour la haute technologie israélienne après l'effondrement de la SVB

Sagi Cohen & Corin Degani, Haaretz, 12/3/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

 Un certain nombre d'entreprises israéliennes de haute technologie se sont précipitées pour retirer leur argent de la Silicon Valley Bank en faillite, mais tout le monde n'y est pas parvenu

 

Les entreprises high-tech et les startups israéliennes ont vécu un week-end d'angoisse et de panique après la chute de la Silicon Valley Bank. Plusieurs entreprises israéliennes se sont précipitées pour retirer leur argent de la SVB et le transférer dans d'autres banques aux USA et en Israël. Selon LeumiTech [branche du groupe Leumi, spécialisée dans les services bancaires aux entreprises de haute technologie, NdT], ses équipes ont aidé ses clients à transférer environ 1 milliard de dollars en Israël.

Les professionnels du secteur ont déclaré à la fin de la semaine que bon nombre d'entreprises israéliennes avaient pu retirer leur argent à temps, mais que ce n'était manifestement pas le cas pour tout le monde. En fait, la situation réelle dans le secteur de la haute technologie du pays n'est pas claire, car les entreprises dont les dépôts sont maintenant bloqués chercheront à le cacher, craignant que toute rumeur ne fasse fuir les clients, les fournisseurs et les employés.

Une personnalité du secteur a déclaré qu'une startup avait des dizaines de millions de dollars de dépôts à la SVB, soit environ 90 % de son argent. « Ils ont quelques millions de dollars en Israël », a-t-il déclaré. « Dans ces conditions, il faut être prêt à licencier toute l'entreprise en quelques mois. Il y a aussi des entreprises qui ont 100 % de leurs dépôts à la SVB ».

« Je n'ai jamais connu une telle situation », a déclaré le PDG d'une start-up israélienne qui possède environ 1 million de dollars à la SVB, ce qui représente une part faible mais significative de son capital. Jeudi après-midi, il a remarqué une chute brutale des actions de la banque. Quelques heures plus tard, il a commencé à recevoir des messages WhatsApp et des appels téléphoniques de l'un des membres du conseil d'administration, qui lui demandait de retirer l'argent immédiatement.

« J'ai dit [aux employés] de tout laisser tomber et de sortir l'argent. L'ordre a été donné à 20 heures, puis nous avons commencé à devenir fous parce que l'ordre n'était pas passé. Les heures ont passé, les nouvelles se sont accumulées ». L'entrepreneur milliardaire et investisseur en capital-risque Peter Thiel a dit de sortir l'argent, a-t-il ajouté.

« Soudain », poursuit le PDG, la banque a été prise d'assaut. « C'est quelque chose que vous lisez dans les livres, mais non seulement c'est quelque chose que je n'ai jamais vécu, mais je n'ai jamais pensé dans un million d'années que c'était possible avec SVB, une banque avec une forte réputation et une marque, considérée comme la banque numéro un pour les startups. Sur quoi pouvez-vous compter ? De l'argent à la banque. Et soudain, même ce que vous pensez être le fondement le plus élémentaire de votre travail est ébranlé ».

Entrepreneur de haute technologie

Le PDG décrit ses efforts pour “sauver l'argent” après la faillite de SVB : « Toute la nuit, je suis devenu fou, le conseil d'administration me mettait la pression. Nous avons retiré l'argent en une heure, mais le virement n'a pas eu lieu. Je crie sur tout le monde, sur les représentants de la banque, sur le comptable, sur tous ceux qui sont dans le coup ; ils me disent que tout va bien, que l'argent est sorti. Mais il n'est pas sorti ».

Puis, vendredi, poursuit le PDG, les autorités de régulation ont fermé la banque. « Maintenant, je n'ai aucune confirmation que l'argent est sorti. Je suppose que ce n'est pas le cas, même si les personnes qui ont retiré leur argent après nous ont réussi. Pour une raison ou pour une autre, n’y a un problème que pour nous ».

Cet entrepreneur n'est pas le seul, c'est déjà clair. Le guide des entreprises de haute technologie publié dimanche par la société de haute technologie et de capital-risque Gross & Co. indique que jeudi et vendredi, de nombreux clients ont demandé à ce que les liquidités de leurs comptes à la SVB soient transférées vers d'autres banques ou institutions financières.

L'entreprise note que plusieurs de ces transferts n'ont pas encore été effectués et précise qu'en général, la validité de ces transferts effectués à la veille de l'effondrement de la banque est incertaine. Selon Gross & Co, il y avait un risque que les transferts soient considérés comme nuls ou ne soient pas honorés.

« Ce montant équivaut à 4 ou 5 mois d'activité de votre startup », dit le PDG. « Je suis responsable de cette somme et elle a disparu, et ce n'est pas parce que j'ai fait une erreur. On dit qu'une partie de l'argent sera restituée. Cela ne me rassure pas. Le niveau de certitude est nul. Diriger une startup est difficile. Il y a toujours de l'incertitude et il se passe des choses que vous n'avez pas anticipées. Le marché bouge et la technologie évolue ».

Tellement de messages que mon WhatsApp s'est crashé

D'autres entrepreneurs ont raconté des histoires similaires. « Tout s'est passé très vite », dit l'un d’eux. Il y avait de légers murmures sur la situation de la banque et vendredi, le déclin rapide a commencé. Soudain, mon WhatsApp s'est crashé sous l'effet d'une multitude de messages : les investisseurs, mes avocats, tout le monde voulait savoir ce qui se passait et ce qu'il advenait de notre argent.

« Nous avons plus d'un million de dollars auprès de la SVB, mais il s'agissait d'un prêt de la banque elle-même, un prêt que nous allions rembourser parce que nous avions vu que nous pouvions nous en passer. Mais ce n'est évidemment pas une raison pour s'enfuir et retirer l'argent. Mais cela ne signifie pas non plus que nous sommes à l'abri des dommages, si un effet domino se produit à la suite de cet effondrement, il nous atteindra également - clients, investisseurs, etc. ».

Selon l'entrepreneur, « L'expertise de SVB se situe dans le domaine des start-ups, et ici cette banque est considérée comme le nec plus ultra pour les start-ups israéliennes. C'est la première banque usaméricaine vers laquelle elles se tournent. Des collègues m'ont dit que des centaines de millions de dollars avaient été gelés. Certains ont réussi à retirer leur fric, mais ceux qui n'y sont pas parvenus sont en difficulté.

« Nous sommes presque le 15 du mois et les salaires sont dus [aux USA, les salaires sont payés 2 fois par mois, le 1er et le 15, NdT]. Bien sûr, certaines entreprises pourront passer le cap du 15 parce que leurs investisseurs les soutiendront ou parce qu'elles ont de l'argent dans d'autres banques. Mais d'autres ne le pourront pas, celles qui ont placé la majeure partie de leur argent à la SVB et qui ne peuvent rien faire maintenant. Certaines comptaient aussi sur un prêt de la SVB ».

Un autre entrepreneur exposé à cause de la SVB ajoute : « Nous avons réussi à retirer une partie de notre argent de la SVB avant que la FDIC [Federal Deposit Insurance Corporation / Société fédérale d'assurance des dépôts] ne reprenne ses actifs, mais il en reste encore pas mal.

« Heureusement pour nous, nous avons beaucoup d'argent sur d'autres comptes, de sorte qu'il n'y a pas d'impact immédiat sur l'activité de l'entreprise et, d'après ce que nous entendons, nous sommes optimistes quant à la restitution de l'argent d'ici quelques mois. Bien sûr, c'est un coup dur pour l'entreprise et le secteur dans une période qui n'est pas du tout facile, même avant que cela ne se produise ».

Incertitude

L'incertitude des entrepreneurs quant à leurs fonds restants à la SVB persistera au moins pendant les prochains jours, jusqu'à ce que la situation s'éclaircisse. Selon les informations disponibles, tous les déposants devraient recevoir 250 000 dollars lundi. Qu'en est-il au-delà de cette somme ?

Selon le guide Gross & Co., dans les prochains jours, la FDIC ou son représentant désigné examinera le rapport entre les dépôts et les dettes de la banque et ordonnera alors qu'un dividende soit distribué à chaque déposant. Une autre possibilité est qu'un tiers rachète les actifs de la banque, y compris ses dettes, et dans ce cas, les dépôts pourraient être payés par cette entité.

Entre-temps, les banques israéliennes Leumi, Hapoalim et Discount ont annoncé un certain nombre d'actions visant à fournir des solutions immédiates aux entreprises en difficulté, telles que des lignes de crédit et des prêts relais. Le gouvernement envisage également d'intervenir.

Le ministre des finances, Bezalel Smotrich, a gazouillé samedi : « Suite à l'effondrement de la SVB aux USA et à l'impact possible sur les entreprises israéliennes de haute technologie, j'ai décidé de mettre en place une équipe dédiée au suivi de cette question. Cette équipe sera dirigée par le directeur général du ministère des Finances, Shlomi Heisler, et sera composée de représentants du ministère des finances, de la Banque d'Israël, de l'Autorité israélienne des valeurs mobilières et de l'Autorité de l'innovation.

« L'équipe sera en contact avec l'industrie locale de haute technologie, les fonds et les institutions en Israël et aux USA pour obtenir des données et des analyses sur l'impact possible sur l'économie israélienne et, le cas échéant, pour formuler une solution pour les entreprises israéliennes ». [Ouf, on est rassurés, NdT]        

NdT

Les déposants de la SVB “auront accès à la totalité de leur argent à partir du lundi 13 mars”, a déclaré le gouvernement de Washington dans un communiqué, s'engageant à ce que les contribuables ne soient pas responsables des pertes liées à la fermeture de  la SVB.

« Je suis fermement résolu à faire en sorte que les responsables de ce gâchis répondent pleinement de leurs actes et à poursuivre nos efforts pour renforcer la surveillance et la réglementation des grandes banques afin que nous ne nous retrouvions plus dans une telle situation », a déclaré Oncle Joe dimanche.

« Le peuple américain et les entreprises américaines peuvent avoir confiance dans le fait que leurs dépôts bancaires seront là lorsqu'ils en auront besoin », a ajouté le président. [nous voilà encore plus rassurés]


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