09/03/2023

AVNER GVARYAHU
À Huwara, nous avons vu notre vrai visage

Avner Gvaryahu, Haaretz, 6/3/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Avner Gvaryahu est le co-directeur exécutif de Shovrim Shtika/ Breaking the Silence (Briser le silence), une ONG de vétérans de l’armée israélienne ayant servi dans les territoires occupés depuis 1967. Né de parents sionistes religieux à Rehovot, il a un diplôme en travail social de ‘l’Université de Tel-Aviv et une maîtrise en droits humains de l’Université Columbia (USA). Il a fait son service militaire de 2004 à 2007, dans les parachutistes (comme son père), comme sergent d’une unité d’opérations spéciales de snipers, principalement autour de Naplouse et de Jénine, après quoi il a rejoint Breaking the Silence, constatant que « le problème n’était pas le soldat individuel mais l’ensemble du système d’occupation ». Le groupe fasciste étudiant Im Tirtzu l’a qualifié d’“agent étranger”. @AGvaryahu FB

Il y a une semaine, quelque 400 colons sont entrés dans le village de Huwara, en Cisjordanie, ont mis le feu à des maisons avec leurs occupants à l’intérieur, ont tiré sur des journalistes et ont apparemment abattu un Palestinien de 37 ans. David Ben-Gourion a dit un jour que lorsque nous aurons un voleur juif, une prostituée juive et un meurtrier juif, nous saurons que nous avons un pays.

 Soldats et colons à ‘Huwara le lendemain du pogrom, la semaine dernière. Photo : Moti Milrod

Et voilà. Nous avons même des pogromchiks* juifs, et ils bénéficient du soutien total des députés, des ministres, des maires et des journalistes. Personne ne paie le prix - ni les auteurs, ni ceux qui les soutiennent. Avant que vous ne vous en rendiez compte, nous n’en parlerons plus. Nous parlerons d’une déclaration d’un politicien quelconque. Comment le sais-je ? Parce que c’est arrivé tant de fois auparavant.

 

Amog Cohen, désormais député de Force juive, a un passé très lourd : membre de l’unité Yoav de la police "anti-émeutes" qui terrorise les Bédouins du Néguev, il se vante ouvertement de ses méfaits, comme ci-dessous, contre la famille Al Touri, qui a porté plainte (sans suite). Il a aussi créé une milice armée pour « pour sauver le Néguev israélien », financée par une collecte organisée par le même groupe qui a recueilli des fonds pour soutenir les frais de justice de Netanyahou


Vous vous souvenez du député d’Otzma Yehudit, Almog Cohen ? Il venait à peine de déclarer que le député de Yesh Atid, Merav Ben-Ari, avait une voix de femme de ménage et qu’il fallait parler aux Arabes comme on parle à des moutons, et il a été oublié à cause de la loi interdisant les aliments au levain dans les hôpitaux pendant la Pâque. Il s’est cependant excusé. Mais seulement à Ben-Ari, parce qu’avec les Arabes, c’est le « langage qu’ils comprennent parfaitement », a-t-il dit, mais ne chipotons pas.

Nous avons consacré un claquement de langue entier à Cohen. Mais c’est comme ça ici. La vie continue. La vie continue aussi après qu’il s’est vanté d’une photo le liant à la maltraitance d’une famille bédouine en 2013. Selon la famille, les policiers figurant sur la photo les ont agressés, battus, ont sauté sur eux et, alors qu’ils étaient menottés, leur ont donné un coup de pied dans l’aine et l’un d’entre eux a uriné sur le visage du père. C’était en octobre. Nous sommes passés à autre chose. Combien de journalistes l’ont interrogé à ce sujet ? Bien sûr. Évidemment, il a nié, et il n’y a donc pas eu d’histoire à ce sujet.

Nous avons tendance à demander comment les choses sonnent en allemand. Il n’est pas nécessaire d’aller aussi loin ; il suffit de demander comment les choses sonnent en arabe. Un député arabe qui a appelé à brûler une colonie juive avec ses habitants, par exemple ; un député arabe qui a expliqué que les Juifs ne comprennent que les bruits d’animaux, un député arabe, disons, qui organise des célébrations sur la tombe d’un terroriste. Un Bezalel Smotrich arabe, disons, qui fantasme à voix haute sur un pays où les Juifs n’ont pas le droit de vote, qui explique que brûler vive une famille juive n’est pas de la terreur.

Imaginez, par exemple, que Hanamel Dorfman** n’était pas un assistant d’Itamar Ben-Gvir mais d’un député de Balad qui a enregistré une ONG, selon une enquête des médias, non pas pour collecter de l’argent pour Yigal Amir (assassin d'Itzhak Rabin, NdT], Amiram Ben-Uliel [auteur de l’attaque incendiaire contre la famille Dawabsheh à Douma, qui a fait 3 morts dont un bébé et un enfant blessé grave, NdT] et Yishai Schlissel [assassin de Shira Banki à la Gay Pride de Jérusalem, condamné à la perpétuité, NdT], mais plutôt pour les terroristes arabes. Dorfman ne cesserait de le harceler, lui et son parti.

Ben-Gvir et Smotrich n’exerceraient pas le pouvoir qu’ils ont sans la généreuse indulgence des gens d’ici envers la terreur juive, et si la suprématie juive n’était pas l’eau dans laquelle nous nageons - claire, naturelle, considérée comme allant de soi.

Cohen, Smotrich et Ben-Gvir font partie de la coalition de Netanyahou. Ce sac de nœuds est évidene pour tout le monde, mais cela n’a pas empêché Netanyahou de leur confier la responsabilité de nos vies, tout comme il n’avait aucun problème à essayer d’établir une coalition avec la Liste arabe unie une minute plus tôt. Sauver sa peau est plus important pour lui. L’opposition, quant à elle, parle de “sauver la démocratie”, mais ce combat n’est pas assez important pour qu’elle accepte d’être photographiée aux côtés d’Arabes.

Le jour de Pourim 1994, Baruch Goldstein, l’idole de Ben-Gvir, a massacré 29 fidèles au Tombeau des Patriarches [Haram El Khalil, Sanctuaire d’Abraham/Ibrahim, NdT]. Le titre du Yedioth Ahronoth résume notre politique à Hébron depuis lors : « Choqués par le massacre d’Hébron, nous avons imposé le bouclage des territoires ». Aujourd’hui, on peut voir ces gros titres sur Huwara. Des Juifs mettent le feu à une ville et l’armée réagit en fermant les magasins palestiniens. Ce titre est une description de notre société, sans masque et sans langue de bois. Oui, la terreur juive est terrible, et c’est pourquoi nous ne laisserons pas les Arabes marcher dans les rues qui leur appartiennent. Oui, la terreur juive est terrible, même notre ministre de la Sécurité nationale y est opposé, en principe.

C’est la raison pour laquelle il est difficile de blâmer les dirigeants de l’opposition, dont la lâcheté repose sur une évaluation objective de la réalité. Ils savent que le prix à payer pour se ranger du côté des Palestiniens pourrait être bien plus élevé que les mille et un pogroms et Almog Cohen que la coalition peut inventer. Mais cela signifie qu’il n’y a personne en Israël qui fera en sorte que la terreur juive ait un prix. Pas pour le racisme infantile d’Almog Cohen, pas pour la collecte de fonds pour le meurtrier d’une jeune fille de 16 ans lors de la Parade des fiertés, pas pour la promotion d’un apartheid juif fier et intègre. Netanyahou continuera d’embrasser les partisans de la terreur et les manifestants juiufs anti-Netanyahou continueront de craindre quelques manifestants arborant des drapeaux palestiniens.

L’égalité n’est pas une carotte que l’on agite devant les Arabes pour qu’ils aient la gentillesse de participer à votre manifestation. L’égalité est une valeur. On y croit ou on n’y croit pas. Et quand vous n’y croyez pas, nous le voyons. Quand un camp en Israël est prêt à s’allier avec le plus bas des êtres humains, le camp adverse, avec toutes ses contestations, doit construire sa propre alliance et cesser de chercher l’approbation de Netanyahou.

Je n’attends pas grand-chose des leaders de l’opposition à la Knesset, mais les centaines de milliers de personnes qui descendent dans la rue chaque semaine sont assurément une source d’espoir. Si des milliers de manifestants trouvent le courage de briser plus de cercles et de voir à travers l’écran de fumée que l’objectif du coup d’État juridique est avant tout de nuire aux Arabes et à leurs représentants politiques, si chaque manifestant ose opposer la valeur de l’égalité au régime de la suprématie, ce sera un pas en avant spectaculaire pour chacun d’entre nous. C’est le seul moyen de remporter la victoire.

NdT

*Pogromchiks : petits pogromistes, qu’on pourrait traduire par pogromaille. Les suffixes diminutifs du russe [3e langue la plus parlée en Israël]  -nik et -chik sont entrés dans l’hébreu israélien (p. ex. Likoudnik, refuznik, kibbutznik)

 **Hanamel Dorfman : colon ultra-violent, longtemps interdit de séjour en Cisjordanie par le Shin Bet, bras droit d'Itamar Ben-Gvir dans son cabinet d'avocats, il est maintenant son chef de cabinet au ministère de la Sécurité nationale. Auteur d'une phrase mémorable lorsqu'à 17 ans, il faisant la chasse aux demandeurs d'asile africains à Tel-Aviv: “Le seul problème avec les nazis, c'est que j'étais dans le camp des perdants”.

Aucun commentaire: