Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala
La plus grande menace qui pèse sur Israël est la menace démocratique. Il n’y a pas de plus grand danger pour le régime israélien que sa transformation en démocratie. Aucune société ne s’oppose à la démocratie comme la société israélienne. Il existe de nombreux régimes opposés à la démocratie, mais pas de société libre. En Israël, le peuple, le souverain, s’oppose à la démocratie. C’est pourquoi la lutte actuelle, qui prétend être une lutte pour la démocratie, est une mascarade. Elle est destinée à maintenir un simulacre de démocratie.
Theodor Herzl, le fondateur du sionisme, fut enterré à sa mort en 1904 au cimetière de Döbling, dans le XIXème arrondissement de Vienne, selon ses dernières volontés ("Je souhaite être enterré dans un cercueil en métal près de mon père et y reposer jusqu'à ce que le peuple juif transfère mon corps sur la terre d'Israël.") En 1949, ses restes furent transférés à Jérusalem et enterrés au sommet du "Mont Herzl" (Har Hazikaron, Mont de la Mémoire), un cimetière créé par les sionistes pour enterrer leurs héros et héroïnes. Ses deux enfants ont été déterrés de France pour y être aussi transférés, ainsi que son petit-fils, mort aux USA.
Pour la plupart des Israéliens, une véritable démocratie équivaut à “la destruction d’Israël”. Ils ont raison. La véritable démocratie mettra fin au suprémacisme juif qu’ils appellent sionisme et à l’État qu’ils appellent juif et démocratique. Par conséquent, la menace de la démocratie est la menace existentielle contre laquelle tous les Israéliens juifs s’unissent : si la démocratie est instaurée pour tous les résidents de l’État, cela mettra fin à la prétendue démocratie.
C’est pourquoi les dirigeants de la protestation veillent à éviter tout contact véritable avec la démocratie, sous peine de voir l’ensemble s’effondrer comme un château de cartes. Ce n’est pas par racisme ou par haine des Arabes qu’ils ne veulent pas de drapeaux ou de manifestants palestiniens - ce sont des gens bien, après tout - mais seulement parce qu’ils ont compris que soulever la question de l’apartheid rendrait leur combat ridicule.
La simple évocation de l’idée d’un seul État démocratique, dans lequel une personne équivaut à une voix et où tous sont égaux, suscite une réaction instantanée et hostile chez les Israéliens libéraux et conservateurs : « Qu’est-ce que cela a à voir avec quoi que ce soit ? », suivi de « ça n’a jamais fonctionné nulle part », pour finir par « la destruction d’Israël ». Rien de moins. Il n’existe aucun autre pays dont les citoyens considèrent que devenir une démocratie équivaut à la destruction. Il n’y a pas d’autre combat pour la démocratie qui ignore totalement la tyrannie de l’État dans son propre jardin.
Alors que j’écris ces mots, tôt mercredi matin, les cris des manifestants devant le musée d’Eretz Israel résonnent en arrière-plan : “Démocratie, démocratie”. Comme l’a écrit un jour le légendaire leader de gauche Moshe Sneh*, dans ses notes pour son propre discours : « Ici, élever la voix, car l’argument est faible ». Élevez la voix, camarades. Même si toutes vos demandes - aussi justifiées les unes que les autres - sont pleinement satisfaites, Israël ne deviendra pas une démocratie.
Quand la démocratie est criée avec pathos par des gorges enrouées, alors qu’à une demi-heure de route de la manifestation, des soldats arrachent nuit après nuit des civils à leur lit sans mandat judiciaire, qu’une ville est sous couvre-feu parce qu’elle a été victime d’un pogrom, qu’un millier de personnes sont en prison sans jugement et que des adolescents lanceurs de pierres sont systématiquement abattus, l’hypocrisie est impossible à digérer.
Les articles les plus terribles du plan du ministre de la justice Yariv Levin sont de glorieux monuments à la démocratie comparés au régime d’occupation. Même si le comité central du Likoud devait choisir tous les juges de la Cour suprême, un pour chaque circonscription électorale du Likoud, cette nouvelle cour serait un phare de la justice mondiale par rapport aux tribunaux militaires. Et comment peut-on ignorer les tribunaux militaires lorsqu’on se bat pour le système judiciaire israélien ? Ne font-ils pas partie du système judiciaire ? S’agit-il d’une externalisation ? Une légion étrangère ? Ne sont-ils pas le lieu où de nombreux juges israéliens font leurs premiers pas ? Ou devons-nous répéter les mensonges sur la situation d’urgence et l’état temporaire des choses ?
Continuez à protester vigoureusement, faites tout ce que vous pouvez pour renverser ce mauvais gouvernement, mais ne prononcez pas le nom de la démocratie en vain. Vous ne vous battez pas pour la démocratie. Vous vous battez pour un meilleur gouvernement à vos yeux. C’est important, c’est légitime et c’est impressionnant. Mais si vous aviez été des démocrates, vous vous seriez battus pour un État démocratique, ce qu’Israël n’est pas - et ce que vous n’êtes pas.
Vous vous battez contre un gouvernement horrible, qui doit être combattu parce qu’il détruit le tissu social à une vitesse terrifiante. Il démolit nos bonnes vies, notre économie florissante, la science, la culture, le système judiciaire et aussi l’armée la plus sophistiquée du monde. Honte, honte, honte. Il faut le combattre ; et quand vous en aurez le temps, battez-vous pour la démocratie.
NdT
* Moshe Sneh, né Mosze Klaynboym en Pologne en 1909, arriva en Palestine en 1940 et fut le chef d’état-major de la Haganah de 1941 à 1946. D’abord membre des Sionistes généraux (ancêtres du Likoud), il co-fonde avec Ben-Gourion le MAPAM (sociaux-démocrates , qu’il quitte en 1953 lorsque le parti décide ne plus soutenir l’URSS et rejoint le MAKI (Parti communiste d’Eretz Israel), dont il sera le seul et dernier député jusqu’à sa mort en 1972.
1 commentaire:
Comme toujours, Gideon LEVY, trouve l'origine de mal et comment le combattre.
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