Vanessa Thorpe, Michael Savage et Toby Helm, The Observer/The
Guardian, 11/3/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala
La chaîne est contrainte de réduire sa couverture télévisuelle, tandis que le président et le directeur général de la BBC sont appelés à démissionner en raison de la crise.
Le 7
mars, Gary Lineker a publié deux tweets.
Le premier
commentait l’annonce de la ministre Suella Braverman* intitulée “Trop c'est
trop. Nous devons arrêter les bateaux” par ces mots : “Ciel, c'est plus
qu'horrible”.
Le deuxième
disait : “Il n'y a pas d'afflux massif. Nous accueillons beaucoup moins de
réfugiés que les autres grands pays européens. Il s'agit juste d'une politique
incommensurablement cruelle dirigée contre les personnes les plus vulnérables
dans un langage qui n'est pas différent de celui utilisé par l'Allemagne dans
les années 30, et je suis à côté de la plaque?”
Le conflit déclenché par la suspension de Gary Lineker de la BBC est devenu incontrôlable samedi soir, menaçant de faire tomber les plus hauts dirigeants de la société et même de faire dérailler certaines parties de la nouvelle politique controversée du gouvernement en matière de droit d'asile.
La crise a atteint de nouveaux sommets lorsque la BBC a été contrainte de réduire considérablement sa couverture sportive à la télévision et à la radio et de mettre à l'antenne son émission Match of the Day - normalement animée par Lineker - sans présentateurs, sans experts et sans les interviews habituelles d'après-match avec les joueurs, dont beaucoup se sont montrés solidaires de Lineker. L'émission, prévue pour 80 minutes, ne sera diffusée que pendant 20 minutes samedi soir.
Samedi soir, le président de la BBC, Richard Sharp, et son directeur général, Tim Davie, ont tous deux fait l'objet de pressions croissantes pour qu'ils démissionnent, après que des personnalités du monde du sport et des médias ont défendu le droit de Lineker de critiquer ce qu'il considère comme un langage raciste utilisé par les ministres pour promouvoir leur politique d'immigration. Samedi soir, Davie a insisté sur le fait qu'il ne démissionnerait pas.
Signe que le gouvernement craignait d'être considéré comme étant à l’origine de la suspension de Lineker, le premier ministre, Rishi Sunak, l'a décrit comme « un grand footballeur et un présentateur talentueux ». Il a déclaré qu'il espérait « que la situation actuelle entre Gary Lineker et la BBC pourra être résolue rapidement, mais c'est à juste titre une question qui relève de la BBC et non du gouvernement ».
Un supporter de Manchester City
avec une pancarte en soutien à Gary Lineker, présentateur de la BBC, avant le
match de Première Division de samedi contre Crystal Palace (gagné par 1 à 0 par
Manchester). Photographie : Tony Obrien/Reuters
Le personnel de la BBC, ancien et actuel, a critiqué la manière dont la société a traité les questions plus larges de liberté d'expression et de neutralité qui sont au cœur de la dispute.
Plusieurs ont comparé l'affaire Lineker à la controverse qui entoure Sharp, qui fait l'objet d'un examen minutieux pour le rôle qu'il a joué dans l'obtention d'un prêt de 800 000 livres sterling par Boris Johnson, lorsqu'il était premier ministre, à un moment où Sharp lui-même postulait pour le poste de président de la BBC.
Samedi, alors que les répercussions se faisaient sentir dans le monde du sport, des médias et de la politique, le manager allemand de Liverpool, Jürgen Klopp, est intervenu pour défendre le droit de Lineker à s'exprimer sur ce qu'il considère comme des questions de droits humains : « C'est un monde très difficile à vivre, mais si je comprends bien, il s'agit d'une opinion sur les droits humains et cela devrait être possible de le dire ».
Lineker a été critiqué par la ministre de l'Intérieur Suella Braverman après avoir comparé le langage utilisé par les ministres pour décrire leurs politiques d'asile à celui des nazis dans l'Allemagne des années 1930. Vendredi soir, la société a demandé à l'ancien attaquant anglais de se retirer de l'émission Match of the Day, le temps de trouver une solution.
The Observer croit savoir que Lineker s'est vu signifier qu'il n'avait pas d'autre choix après avoir refusé une offre visant à régler l'affaire par des excuses. Plus tôt dans la semaine, il avait reçu l'assurance qu'aucune mesure ne serait prise à son encontre, ce qui a amené certains à soupçonner que les pressions exercées par le gouvernement ont fait changer d'avis la BBC à son égard.
Immédiatement après l'annonce de sa suspension, d'autres présentateurs et experts ont manifesté leur solidarité, notamment Ian Wright, Alan Shearer et Jermaine Jenas, des habitués de Match of the Day. Alex Scott, présentatrice de Football Focus, s'est retirée de son émission, tandis qu'une grande partie des reportages sportifs de BBC Radio 5 Live ont été remplacés par du contenu enregistré.
Alors que des signes indiquent que la querelle pourrait changer la perception du public sur la politique du gouvernement, il y avait des signes d'un profond malaise parmi les principaux Tories [Conservateurs] sur la nouvelle approche de la crise des petites embarcations [small boats crisis, expression médiatique en usage au Royaume-Uni, NdT]. Selon la nouvelle politique, les réfugiés arrivant au Royaume-Uni seront détenus et expulsés « dans les semaines qui suivent », soit vers leur propre pays s'il est sûr, soit vers un pays tiers [en l’occurrence, le Rwanda, NdT].
Plusieurs députés conservateurs de haut rang, dont Priti Patel, elle-même partisane d'une ligne dure en matière d'immigration lorsqu'elle était en charge du ministère de l'intérieur, devraient faire part de leurs inquiétudes quant aux conséquences du projet de loi, qui sera examiné en deuxième lecture aux Communes lundi, sur le traitement des enfants qui arrivent au Royaume-Uni avec leurs parents. D'autres députés conservateurs craignent qu'il n'enfreigne le droit international et les obligations du Royaume-Uni en matière de traités internationaux.
Tobias Ellwood, président conservateur de la commission parlementaire de la défense, a déclaré qu'il avait besoin d'être rassuré sur l'existence d'itinéraires praticables permettant aux véritables demandeurs d'asile d'atteindre le Royaume-Uni « afin que cela soit perçu comme une véritable tentative de sauver des vies ... et pas seulement comme une rhétorique grandiloquente qui a mis en colère des gens comme Gary Lineker ».
Cette querelle a éclipsé un mini-sommet bilatéral entre Sunak et Macron vendredi, qui était censé “réinitialiser” les relations anglo-françaises et tracer une voie à suivre concernant les bateaux transportant des demandeurs d'asile traversant la Manche.
La BBC s'est excusée pour les changements apportés au programme sportif du week-end et a déclaré qu'elle « travaillait dur pour résoudre la situation et espérait le faire bientôt ».
Le leader travailliste Sir Keir Starmer a accusé la BBC de “céder” aux députés conservateurs, déclarant qu'un tel comportement était “le contraire de l'impartialité”. « La BBC s'est gravement trompée dans cette affaire et elle est maintenant très, très exposée », a déclaré Starmer. « Car au cœur de cette affaire se trouve l'échec du gouvernement en matière de système d'asile. Et plutôt que d'assumer la responsabilité du gâchis qu'il a provoqué, le gouvernement cherche à blâmer n'importe qui d'autre - Gary Lineker, la BBC, les fonctionnaires, le “blob**” ».
Ed Davey, le chef de file des libéraux-démocrates, a appelé Sharp à démissionner. « Nous avons besoin d'une direction à la BBC qui défende nos fières valeurs britanniques et qui puisse résister à la politique constamment turbulente d'aujourd'hui et aux tactiques d'intimidation des conservateurs.
« Malheureusement, sous la direction de Richard Sharp, ce n'est pas le cas : sa nomination et sa position sont désormais totalement intenables et il doit démissionner ».
Roger Mosey, ancien directeur de l'information de la BBC et ancien directeur des sports, a également appelé Sharp à démissionner : « Richard Sharp doit partir. Il nuit à la crédibilité de la BBC. Idéalement, Lineker devrait rester dans le cadre de lignes directrices claires et convenues. Et la BBC devrait envoyer ses dirigeants se faire interviewer et expliquer comment ils comptent résoudre cette crise ».
L'ancien directeur de l'information de la BBC, Phil Harding, a déclaré qu'il pensait que la querelle avait été en grande partie “inventée” par les politiciens et que la décision de couvrir l'histoire de manière aussi complète après le tweet critique de Lineker “était insensée”.
Mark Damazer, ancien membre du BBC Trust et ancien contrôleur de Radio 4, a déclaré que Davie ne devait pas démissionner, car le directeur général devait appliquer les directives en vigueur. « Il n'y avait pas de bonne option pour Tim. Il devait soit agir, soit ignorer les directives. Et Gary est certainement déjà passé par là. Il est au moins aussi brillant que les gens le disent, mais cela ne veut pas dire qu'il est au-dessus des directives. Toutefois, le fait d'accorder une telle priorité à l'histoire originale est un phénomène classique de la BBC, qui craint tellement de ne pas paraître couvrir ses propres problèmes. Je comprends parfaitement pourquoi ils ont pris cette direction ».
La colère du personnel de la BBC se concentre en grande partie sur la nomination de Sharp au poste de président. Même ceux qui soutiennent les tentatives de la BBC de maîtriser les commentaires politiques de Lineker affirment que Sharp, dont les actions font toujours l'objet d'une enquête parce qu'il n'a pas mentionné l'aide qu'il a apportée à Johnson lorsqu'il a été interviewé pour le poste, a déjà gravement endommagé l'image du radiodiffuseur de service public.
Nihal Arthanayake, présentateur de BBC 5 Live, a déclaré : « Le directeur général a été très clair sur le fait que l'impartialité était sa priorité et j'ai vu cela se manifester avec une attention que je n'avais jamais vue auparavant. L'une des nombreuses questions soulevées par Gary et ses tweets est la suivante : alors qu'on lui a demandé de “prendre du recul”, pourquoi un homme qui aurait fait un don de 400 000 livres au parti conservateur est-il toujours président de la BBC ?
« Cette question m'a été posée à de nombreuses reprises. Si la perception est importante, comment la BBC va-t-elle traiter cette question ? J'ai eu du mal à publier ce post parce que j'avais peur de le faire. Mais je me suis rendu compte qu'il s'agissait d'une question légitime qui serait abordée dans mon émission. Je suis triste d'avoir peur. Je crois passionnément en la BBC, mais la cohérence est importante ».
Damazer a déclaré qu'il voyait une voie possible vers la paix : « Cela pourrait fonctionner si la BBC accepte de consulter sur les lignes directrices et de demander si elles doivent être redéfinies, après consultation des téléspectateurs et des présentateurs - et si Gary accepte de s'abstenir de commenter les nouvelles entre-temps. Il faut dire que si Richard Sharp restait et que Lineker partait, ça aurait l'air bizarre ».
NdT
*Suella Braverman (nom de baptême Sue-Ellen, en l’honneur
de l’arriviste ambitieuse de la série Dallas) est née en 1980 d’un père Indien né à
Goa (Fernandes) et réfugié du Kenya en Angleterre, et d’une mère indienne de l’île
Maurice. Elle a déclaré qu’elle craignait qu’un accord de libre-échange avec l’Inde
n’augmente l’immigration vers le Royaume-Uni, vu que les Indiens représentent
déjà le groupe le plus important de personnes qui dépassent la durée de
validité de leur visa. Elle est mariée à Rael Braverman, manager de
Mercedes-Benz, “un membre très fier de la communauté juive”. Elle est convertie
au bouddhisme. Un profil parfait pour combattre le “Grand Remplacement” et se réincarner dans sa prochaine vie en cafard.
**Le Blob, une créature alien dévorant les humains, protagoniste d'un film de SF de 1958, objet d'un remake en 1988, est un terme utilisé par la droite anglophone pour désigner tout ce qu'elle combat. Lancé par un ministre de Reagan pour désigner la bureaucratie d'État, il a été utilisé par les Brexiteurs pour désigner les Remainers (partisans du maintien du royaume dans l'UE)
« Gary Lineker a raison » : appel à
manifester contre la « Loi sur l’immigration illégale » le 18 mars à
Glasgow
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