Gideon Levy et Alex Levac (photos), Haaretz, 25/3/2023
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala
Un adolescent se précipite dans la rue en pleine nuit pour jeter des pierres sur les soldats israéliens qui ont envahi son camp de réfugiés. Une jeep blindée s’arrête et un soldat l’abat. Hamza Al Ashqar est le cinquième habitant du camp d’Askar à être tué au cours de l’année écoulée.
Amjad et Liana al-Ashqar, les parents de Hamza
Son père nous montre le clip vidéo sur les derniers instants de son fils. Du sang coule de son nez et de sa bouche. Il essaie, impuissant, de dire quelque chose, jusqu’à ce qu’il s’évanouisse dans l’oubli, sa tête tombant sur le côté. Puis il y a l’image du corps sur le téléphone portable du père, le visage couvert de sang. Le père attire notre attention sur le fait que le garçon lève le doigt. Les musulmans sur le point de mourir ont l’habitude de pointer leur index vers le ciel lorsqu’ils récitent le verset “Il n’y a de Dieu qu’Allah” avant de passer dans l’autre monde. Le doigt est resté pointé après la mort de Hamza Al Ashqar.
C’était un jeune réfugié de 16 ans, originaire du “nouveau" camp” d’Askar - fondé en 1965 sur l’ancien camp des Nations unies situé à cet endroit - au nord-est de la ville de Naplouse, un endroit densément peuplé et sillonné de ruelles étroites. Sur le chemin du camp, nous avons traversé la ville d’ouest en est. C’est une ville animée, encombrée par la circulation, qui a été frappée par les récentes incursions violentes de l’armée israélienne et par l’activité de la milice locale Tanière des Lions. Cette ville et le camp de réfugiés de Jénine, au nord, sont aujourd’hui les bastions de la résistance palestinienne en Cisjordanie.
Des fraises de la bande de Gaza sont en vente sur le marché de Naplouse, la ville voisine de Huwara est à nouveau soumise à une forme de couvre-feu, le camp de Balata se trouve à proximité et l’avenue Amman nous mène au camp d’Askar.
Les ruelles étroites du camp sont ornées d’une mer de panneaux commémoratifs pour ceux qui ont été tués : cinq habitants au cours de la seule année écoulée. Abdelaziz Ashqar, un employé de 61 ans de l’UNRWA, l’agence humanitaire des Nations unies, a été tué fin février, deux semaines après Hamza ; Alaa Zaghal, l’ami de Hamza, a été tué quelques mois avant lui.
La bague d’Amjad Al Ashqar, portant l’image de son fils Hamza, aujourd’hui décédé. Un détenu palestinien a entendu le soldat qui a tiré se vanter d’avoir tué un "Arabe noir".
Des escaliers étroits et détrempés par la pluie mènent au logement de la famille de Hamza, située au deuxième étage. La porte s’ouvre sur un petit salon aussi bien entretenu que le permettent les maigres ressources de la famille, avec des canapés à rayures et un grand poster bien dessiné de leur fils décédé accroché au mur. Buchi, le chat persan de la famille, à la fourrure claire, épaisse et douce, est blotti dans les bras de Sadeel, la sœur endeuillée, qui est en cinquième. Elle porte un collier avec un pendentif à l’effigie de son frère décédé.
Les parents, Liana et Amjad, tous deux âgés de 45 ans, sont assis sous le poster de leur fils. L’image du fils a également été gravée sur la bague gris argent d’Amjad. Ils ont deux autres fils et quatre filles. Le père travaille pour la police palestinienne, après avoir été employé pendant des années par un fabricant d’éclairage à Holon. La famille est originaire de Yazur, aujourd’hui la ville israélienne d’Azur, près de la zone industrielle de Holon où travaillait Amjad.
Hamza a quitté l’école il y a environ un an et a commencé à travailler tous les jours dans l’entrepôt de dattes de l’une des colonies de la vallée du Jourdain, près du pont Adam [Damiyah], qui servait autrefois de point de passage entre la Jordanie et Israël. Il partait de chez lui à 5 heures du matin et revenait à 15 heures, gagnant 90 shekels (environ 23 €) pour une journée de travail. Ses parents disent qu’il aimait ce travail, qu’il a obtenu grâce à un entrepreneur palestinien qui a également choisi d’autres jeunes du camp. Auparavant, Hamza n’avait travaillé à l’usine d’emballage que pendant les vacances scolaires. Le 6 février, il s’est senti fatigué et n’est pas allé travailler.
En ce dernier jour de sa vie, Hamza se lève à midi et récite ses prières. Ses parents lui ont offert un petit-déjeuner, mais il s’est contenté d’un café et leur a demandé de garder la nourriture pour plus tard. Il a quitté la maison vers 13 heures. Le soir, il n’était toujours pas rentré. À 23 heures, Amjad se lève pour aller aux toilettes et constate avec stupeur que son fils n’est toujours pas rentré. Il a demandé à son fils aîné, Youssouf, 22 ans, qui était assis dans le salon, d’appeler Hamza et de lui dire de rentrer immédiatement. Quelques minutes plus tard, Amjad a entendu Hamza parler à son frère dans le salon et il est retourné se coucher, calme et rassuré. « J’étais sûr qu’après son retour, il ne sortirait plus », raconte Amjad.
À 3h30 du matin, le téléphone d’Amjad sonne. L’appelant est son frère Majdi, peintre en bâtiment. Il s’est mis à crier : « Amjad, Hamza ! Amjad, Hamza ! » « Dans mon esprit, je pensais que Hamza avait été tué », dit Amjad. Majdi, qui vit près de la place où Hamza a été abattu et qui savait que son neveu était mort, a seulement dit au père que Hamza avait été blessé. Amjad a refusé de le croire. Il espérait toujours que son fils dormait sur le canapé du salon - après tout, il l’avait entendu rentrer à la maison à 11 heures.
Le camp d’Askar à Naplouse. Hamza Al Ashqar est le cinquième habitant du camp à être tué au cours de l’année écoulée.
Mais Hamza n’était pas chez lui. Vers 2 heures du matin, il a lu sur les médias sociaux du camp que l’armée israélienne avait envahi le camp de réfugiés et procédait à des arrestations, qui ressemblaient plutôt à des enlèvements. Hamza est apparemment descendu en courant et a marché un peu pour accueillir les soldats avec des pierres. Les soldats l’ont abattu.
Après avoir reçu la nouvelle de Majdi, Amjad a réveillé sa femme et ils se sont précipités à l’hôpital Rafadiya, où leur fils avait été transporté. Il était déjà mort lorsqu’ils sont arrivés, ayant rendu le dernier soupir dans la voiture privée qui l’avait transporté à l’hôpital. Dans un enregistrement vocal de ses amis dans la voiture, on les entend crier : « Hamza, ne meurs pas, ne meurs pas ! » L’un d’eux lui dit de réciter le verset spécial du Coran, puis on entend un gémissement, le râle d’agonie de Hamza.
La balle s’est logée dans son flanc gauche et a remonté vers la gorge de l’adolescent, où elle s’est logée. L’enquête menée par Sala a-Deb’i, chercheuse de terrain pour l’organisation israélienne de défense des droits humains B’Tselem, qui nous a accompagnés au camp avec son collègue Abdulkarim Sadi, a révélé que Hamza s’était rendu avec des amis sur une place d’un quartier de Naplouse proche du camp.
Les soldats des Forces de défense israéliennes parcouraient les rues avec leur butin : trois ou quatre détenus, dont l’un au moins a été libéré depuis. Une dizaine de jeunes se trouvaient sur la place et lançaient des pierres. Deb’i a découvert que Hamza avait également lancé une barre de fer sur un véhicule militaire. La jeep s’est arrêtée et un soldat à l’intérieur a tiré trois ou quatre balles sur Hamza, dont une l’a atteint. Un détenu à l’intérieur de la jeep, qui appartient à la famille Al Shubaqi de Naplouse, a dit par la suite au père de Hamza qu’immédiatement après, il avait entendu le soldat qui avait tiré appeler sa mère ou peut-être sa petite amie, pour se vanter d’avoir tué un “Arabe noir”. Le soldat se trouvait à environ 15 mètres de Hamza. Selon l’enquête de Deb’i, la jeep a attendu quelques minutes pour s’assurer que le jeune avait bien été touché, puis elle est repartie en trombe.
Amjad et LianaAl Ashqar, les parents de Hamza, avec Bushi. Amjad a refusé d’y croire lorsqu’il a appris que son fils avait été tué. Il espérait que son fils dormait sur le canapé du salon - après tout, il l’avait entendu rentrer à la maison.
Un cercle de pierres marque l’endroit où Hamza est tombé. Il est situé sur une grande place que les habitants surnomment “Place Frosty”, du nom du magasin à la porte rose qui y vend des milk-shakes glacés. Le stand de légumes au centre de la place a été recouvert cette semaine d’une énorme affiche de la Banque d’escompte israélienne.
L’unité du porte-parole des FDI a déclaré cette semaine, en réponse à une question de Haaretz : « Pendant l’activité des FDI à Naplouse, des suspects ont jeté des pierres, des engins [explosifs] et des cocktails Molotov sur les soldats. En outre, des personnes armées ont commencé à tirer sur les forces, qui ont répondu par des tirs. Une personne armée a été identifiée comme ayant été touchée, et sa mort a été signalée par la suite ».
Deux photos ont été jointes à la déclaration écrite de l’armée, montrant Hamza tenant un fusil dans une pose de pistolero. L’une des photos a probablement été prise dans un studio de photographie - de nombreux jeunes Palestiniens se font imprimer des images d’eux-mêmes dans une attitude fanfaronne ; la seconde est l’image figurant sur l’affiche commémorative, avec la mosquée Al Aqsa de Jérusalem à l’arrière-plan.
« Sois heureux, Hamza. Alaa
t’attend au paradis », ont crié les masses de jeunes gens armés et non
armés qui escortaient la civière portant le corps de Hamza lors de ses
funérailles, qui ont eu lieu le lendemain dans le camp de réfugiés. Ils
faisaient référence à Alaa, l’ami de Hamza, tué quatre mois avant lui.
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