Affichage des articles dont le libellé est Colons juifs. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Colons juifs. Afficher tous les articles

04/04/2023

RUTH MARGALIT
Itamar Ben-Gvir, ministre israélien du Chaos

Ruth Margalit, The New Yorker, 27/2/2023
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Alors que des troubles agitent le pays, une figure controversée de l’extrême droite aide Benjamin Netanyahou à se maintenir au pouvoir.

À la fin de l’année dernière, alors qu’Israël inaugurait le gouvernement le plus à droite de son histoire, une blague désespérante a circulé en ligne. Une image divisée en carrés ressemblant à un captcha - le test conçu pour vous différencier d’un robot - représentait les membres du cabinet du Premier ministre Benjamin Netanyahou. La légende disait : « Sélectionnez les carrés dans lesquels apparaissent les personnes qui ont été inculpées ». La bonne réponse concernait la moitié d’entre eux. C’était le genre de message qui est devenu typique du centre et de la gauche israéliens ces dernières années : sombre, cynique et finalement résigné.

Quelques semaines plus tard, le cabinet Netanyahou a présenté la première étape d’une refonte judiciaire qui affaiblirait la Cour suprême du pays et rendrait le gouvernement largement imperméable au contrôle. Les députés de droite avaient déjà proposé une mesure similaire, mais elle avait été jugée trop radicale. Ce qui a changé, selon les opposants à Netanyahou, c’est qu’il est désormais accusé d’avoir accordé des faveurs politiques à des magnats en échange de cadeaux personnels et d’une couverture médiatique positive, accusations qu’il nie. En supprimant les contraintes qui pèsent sur le pouvoir exécutif, la refonte menaçait de placer Israël dans les rangs de démocraties peu libérales telles que la Hongrie et la Pologne. Dans un discours extraordinairement brutal, la présidente de la Cour suprême du pays, Esther Hayut, l’a qualifiée de “coup fatal” porté aux institutions démocratiques. Depuis lors, des dizaines de milliers de manifestants se sont déversés dans les rues de Tel-Aviv et d’autres villes chaque samedi. La pancarte d’un manifestant résume le sentiment général : « À vendre : Démocratie. Modèle : 1948. Sans freins ».

Netanyahou dirige le Likoud, un parti qui se définit par des idées conservatrices et populistes. Le Likoud a longtemps adopté des positions dures en matière de sécurité nationale, mais ses dirigeants ont toujours vénéré l’État de droit, maintenu l’équilibre des pouvoirs et défendu la liberté d’expression. Netanyahou avait lui aussi l’habitude de courtiser les électeurs centristes, en tentant de convaincre les indécis. Mais l’échec des négociations de paix avec les Palestiniens et la montée en puissance du nationalisme religieux ont eu pour effet de ratatiner la gauche israélienne et de rendre le parti de Netanyahou plus extrémiste. Récemment, un député du Likoud a présenté une proposition qui interdirait à de nombreux hommes politiques palestiniens de se présenter à la Knesset.

Les manifestants avertissent que les titres des journaux israéliens commencent à ressembler à un manuel pour les futures autocraties, avec des ministres apparemment triés sur le volet pour saper les services qu’ils dirigent. Le nouveau ministre de la Justice a l’intention de priver le système judiciaire de son pouvoir. Le ministre des Communications a menacé de défaire le radiodiffuseur public israélien, espérant apparemment canaliser l’argent vers une chaîne favorable à Netanyahou. Le ministre des Affaires de Jérusalem et des Traditions a qualifié les organisations représentant les juifs réformés de “danger actif” pour l’identité juive.

Ben-Gvir a bâti sa carrière sur la provocation. En tant que ministre de la sécurité nationale, il supervisera ce qu’un fonctionnaire appelle une “armée privée”. Illustration de Yonatan Popper

Cependant, personne n’offense les Israéliens libéraux et centristes autant qu’Itamar Ben-Gvir. Entré à la Knesset en 2021, il dirige un parti d’extrême droite appelé Otzma Yehudit, Pouvoir juif. Son modèle et sa source idéologique sont depuis longtemps Meir Kahane, un rabbin de Brooklyn qui s’est installé en Israël en 1971 et qui, au cours d’un seul mandat à la Knesset, a testé les limites morales du pays. Les hommes politiques israéliens s’efforcent de concilier les identités d’Israël en tant qu’État juif et que démocratie. Kahane a affirmé que « l’idée d’un État juif démocratique est absurde ». Selon lui, les tendances démographiques allaient inévitablement faire des non-Juifs d’Israël une majorité, et la solution idéale était donc « le transfert immédiat des Arabes ». Pour Kahane, les Arabes étaient des “chiens” qui “doivent rester tranquilles ou dégager”. Sa rhétorique était si virulente que les députés des deux bords avaient l’habitude de quitter la Knesset lorsqu’il prenait la parole. Son parti, le Kach (Ainsi), a finalement été exclu du parlement en 1988. Pouvoir Juif est une émanation idéologique du Kach ; Ben-Gvir a été l’un des responsables de la jeunesse du Kach et a qualifié Kahane de “saint”.

Âgé de quarante-six ans, il a été condamné pour au moins huit chefs d’accusation, dont le soutien à une organisation terroriste et l’incitation au racisme. Son casier judiciaire est si long que, lorsqu’il comparaissait devant un juge, « nous devions changer l’encre de l’imprimante », m’a dit Dvir Kariv, un ancien fonctionnaire de l’agence de renseignement Shin Bet. En octobre dernier encore, Netanyahou refusait de partager la scène avec lui, ou même d’être vu avec lui sur des photos. Mais une série d’élections décevantes a convaincu Netanyahou de changer d’avis.

18/02/2023

GIDEON LEVY
Ça a commencé avec un drone. Ça s’est terminé par un raid meurtrier d’une bande de colons armés. Mithqal Rayan en est mort

 Gideon Levy and Alex Levac, (photos), Haaretz, 18/2/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Des colons armés ont envahi un village palestinien et ont ordonné aux maçons d’arrêter de travailler. Un Palestinien a été abattu. Personne n’a encore été interrogé.

Un avis de décès pour Mithqal Rayan à Qarawat Bani Hassan cette semaine.

 À peine avons-nous garé notre voiture et commencé à descendre le chemin de terre qui mène à la vallée à travers les oliveraies - en compagnie du chef du conseil local et du chercheur sur le terrain Abdulkarim Sadi, de l’organisation israélienne de défense des droits humains B’Tselem - qu’un drone lancé par des colons se profile dans le ciel. Bourdonnant, impudent et gênant, l’appareil a plané au-dessus de nous, descendant en piqué, s’élançant vers le haut et tournant au-dessus de nous, menaçant notre présence même.

 Big Brother voit tout ici, et ici, Big Brother est particulièrement méchant. Les Palestiniens descendent s’occuper de leurs oliviers et immédiatement les colons envoient leur arme d’intimidation pilotée à distance. Cela terrorise les habitants et est encore plus effrayant lors de notre visite, deux jours seulement après l’incident de samedi dernier. Les événements de ce jour funeste ont également commencé par un drone - et se sont terminés par un mort.

Qarawat Bani Hassan est une ville relativement aisée d’environ 6 000 habitants, dont certains ont entretenu des liens commerciaux importants avec des Israéliens. La ville est située au centre de la Cisjordanie, en face des colonies de Yakir et Havot Yair, la communauté bourgeoise désormais formalisée qui était autrefois un avant-poste illégal. Depuis les bosquets appartenant aux familles qui vivent à Qarawat Bani Hassan, on peut voir les maisons de Yakir s’élever sur la colline d’en face, des structures uniformes aux toits de tuiles rouges. En contrebas, dans la vallée, se trouvent les maisons spacieuses de Havot Yair, avec une promenade sinueuse que les colons ont construite pour eux-mêmes. Entre Yakir et Havot Yair, un complexe de tentes a vu le jour ces derniers mois, Havat Shuvi Eretz. Une voiture grise y était garée lors de notre visite en début de semaine, à côté de l’enclos pour animaux. Pendant ce temps, des bulldozers préparaient le terrain pour d’autres constructions à proximité, à Havot Yair.

 Lors de la dernière fête de Souccot, le tout récent avant-poste a offert aux visiteurs des pita cuites dans un tabun, ainsi que des activités pour les enfants, et des machines à pop-corn et à barbe à papa. Trop mignon. Mais depuis que les tentes sont apparues là, il y a moins d’un an, le calme qui régnait autrefois dans la vallée a été violé, et les attaques contre les bergers et les agriculteurs palestiniens se sont multipliées, ainsi que les vols de moutons et la destruction d’oliviers, pour finalement aboutir au meurtre de samedi.

Les habitants disent qu’ils savent exactement qui a tué Mithqal Rayan, 27 ans, mais cette semaine, la police israélienne n’avait pas encore recueilli le témoignage d’un seul des nombreux témoins oculaires qui se trouvaient sur place. Les résultats de l’enquête finiront probablement par être enterrés définitivement, avec le corps de Rayyan. Il n’est pas difficile, bien sûr, d’imaginer ce qui se serait passé si les rôles avaient été inversés - si un berger palestinien avait abattu un colon.

Le cercle de pierres marquant l’endroit taché de sang où Mithqal Rayan a été abattu, samedi dernier.

Un cercle de pierres, dont certaines portent des taches de sang pas encore sèches, marque l’endroit où Rayyan est tombé. Issu d’une famille pauvre, il travaillait dans une marbrerie de la ville. Lui et sa femme Anuar, 26 ans, ont trois enfants : Jod, 5 ans, Jena, 3 ans, et Suleiman, 1 mois. Un colon qui est maintenant en liberté et qui ne recevra probablement jamais la punition qu’il mérite leur a enlevé leur père pour toujours. L’homme ne s’est probablement jamais tourmenté, ne serait-ce qu’un instant, à propos de son acte. Et peut-être que ce ne sera pas son dernier acte de violence. Les villageois disent que le même colon continue de les menacer et de les intimider, et qu’il essaie également de voler leurs moutons.

22/12/2022

GIDEON LEVY
Portrait du porte-parole de l’armée israélienne en martyr

Comment blanchir des institutions et des organisations qui trahissent leur devoir, ou qui sont ouvertement ou secrètement partenaires de l’occupation ? C’est horriblement simple : tout ce qu’une personne de droite a à faire, c’est d’attaquer l’institution ou l’organisation en question et de la qualifier de gauchiste. Le centre et la gauche prendront immédiatement sa défense, et nous aurons une agence éclairée et progressiste à laquelle on ne peut toucher, de peur que la droite ne la détruise. Une splendide laverie automatique.

Le porte-parole des FDI, Ran Kochav. Photo : Unité du porte-parole des FDI

Il en va de même pour la Cour suprême, l’un des plus grands collaborateurs de l’occupation et des colonies. Une attaque de la droite contre elle a suffi à en faire un phare de la justice pour lequel nous devons nous battre, de peur que la droite ne détruise ce bastion des Lumières. C’est également le cas de l’Administration civile, un mécanisme d’occupation brutal et corrompu. La seule menace de sa prise en charge par Bezalel Smotrich suffit à en faire une forteresse de l’humanisme, comme si Smotrich le Terrible allait la transformer en un mécanisme des ténèbres. De même, la police est soudainement devenue la gardienne de la démocratie, de peur qu’Itamar Ben-Gvir ne lui porte préjudice et ne la transforme, hélas, en une force raciste et violente, comme si elle ne l’avait pas toujours été.

Le dernier tollé concerne l’unité du porte-parole des FDI et son commandant, le général de brigade Ran Kochav. L’un des principaux fonctionnaires des colons, le chef du Conseil régional de Samarie, Yossi Dagan, a accusé Kochav de transformer l’unité en un “parti d’extrême gauche”. Voilà un homme qui fait tout ce qui lui semble bon avec l’armée dans les territoires occupés, qui organise les ridicules et scandaleuses tournées de provocation au soi-disant “Tombeau de Joseph” encore et encore, tandis que les FDI se précipitent pour une raison quelconque pour les protéger et verser davantage de sang palestinien. Cet homme est arrivé à la conclusion que l’unité de propagande de Tsahal se situe à l’extrême gauche. Il sait bien sûr qu’elle n’est pas de gauche, loin de là, mais pourquoi ne pas dire d’extrême gauche ? Les colons ne peuvent que profiter de cette manipulation cynique.

Des soldats anonymes de l’unité ont gazouillé quelque chose de gauchiste, et maintenant le porte-parole des FDI doit prouver qu’il n’a pas de sœur et n’est pas d’extrême gauche. Dagan est en train de rire jusqu’à la colonie de Shavei Shomron. Sa provocation a réussi une fois de plus et le porte-parole des FDI va purger les soldats gauchistes de ses rangs, comme si cela importait.

L’autre camp a déjà lancé une campagne pour blanchir le nom du porte-parole honnête, éclairé et séduisant des FDI. Dans un scénario qui aurait pu être écrit à l’avance, les anciens porte-parole des FDI, dont certains sont encore aujourd’hui des fonctionnaires de l’armée, se sont immédiatement mobilisés. Tous les anciens, à l’exception de l’ancienne porte-parole des FDI Miri Regev, ont défendu la réputation de l’unité. Nous savons tous que l’unité qui légitime et justifie chaque crime de guerre n’est pas de gauche. Elle n’est même pas “politique”, comme si le travail consistant à légitimer ces crimes, à cacher la vérité, à la brouiller et à la faire disparaître, ainsi que les mensonges flagrants occasionnels pour couvrir les FDI à tout prix, n’était pas politique. Comme s’il était possible que la propagande ne soit pas politique.

Il y a aussi eu un soulagement comique. Dans le cadre de la campagne visant à sauver le porte-parole des FDI, l’ancien porte-parole Avi Benayahu a été interviewé sur Canal 14 et s’est vanté de ses escapades. « En tant que porte-parole de Tsahal, j’ai mené une campagne contre Breaking the Silence. J’ai travaillé sur le darknet. J’ai exposé leurs sources de financement, et ils se sont cachés pendant six, sept ans ». C’est ce que fait le porte-parole des FDI : du darknet. Son successeur à ce poste, Ronel Manelis, a continué dans le darknet en tant que directeur général du ministère des Affaires stratégiques. Ce ministère scandaleux, qui a heureusement été fermé, avait l’habitude de persécuter les organisations de défense des droits humains dans le monde comme s’il s’agissait de bandes criminelles organisées.

C’est ainsi qu’ils remuent le couteau dans la plaie, jusqu’à ce que la vérité soit honteusement laissée de côté. Le porte-parole des actes odieux de l’occupation est qualifié de “gauchiste” par Yossi Dagan, un chef des bandes criminelles organisées des colons. Il s’agit d’une inversion cynique de la réalité, après laquelle aucune discussion réelle ne peut avoir lieu sur la performance extrêmement problématique du porte-parole des FDI.

 

08/12/2022

NOA SHPIGEL
Comment Avi Maoz, l'allié anti-LGBTQ de Netanyahou, s’est radicalisé

 Noa Shpigel, Haaretz, 6/12/2022
Liza Rozovsky a contribué à cet article

Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

La transformation du président du parti Noam, Avi Maoz, de jeune idéaliste en politicien religieux et ultraconservateur a surpris beaucoup de ceux qui le connaissaient. Voici l'histoire d'un homme destiné à exercer un grand pouvoir.

Avi Maoz. Photos : Olivier Fitoussi/Bureau du porte-parole de Noam/AP ; Montage : Masha Zur Glozman

À la fin des années 1970, un Avi Maoz ému se tient sur la pelouse de son kibboutz et se marie. C'était un jeune homme idéaliste, membre du groupe qui a fondé le kibboutz Migdal Oz en Cisjordanie. Le mariage de Maoz et de Galit a été célébré par le défunt rabbin Menachem Froman, un militant pacifiste et poète qui s'opposait à l'occupation et prônait un État binational.

Une personne qui vivait à Migdal Oz à l'époque raconte que Maoz et le modéré Froman étaient proches, qu'ils travaillaient ensemble. Des décennies plus tard, Maoz est devenu un adepte de la doctrine de Rabb Zvi Thau, le chef de la yeshiva conservatrice et radicale Har Hamor, dont les opinions étaient à des années-lumière de celles de l'humaniste Froman.

Les personnes qui ont parlé avec Haaretz cette semaine ont eu du mal à expliquer sa radicalisation. Maoz est aujourd'hui président du parti Noam, avec lequel le Premier ministre désigné Benjamin Netanyahou a signé un accord de coalition qui confère à Maoz un grand pouvoir.

Selon cet accord, Maoz sera nommé vice-ministre au sein du cabinet du Premier ministre et dirigera une nouvelle autorité pour « l'identité nationale juive » au sein du bureau du Premier ministre. En outre, Maoz devrait être responsable du Nativ, le bureau qui évalue le droit des personnes originaires des anciens pays soviétiques à immigrer en Israël.

 

Avi Maoz avec un masque facial à la Knesset, en 2021.Photo : Emil Salman

Il pourrait ainsi déterminer que les petits-enfants de Juifs et ceux qui ont subi des conversions non orthodoxes n'ont pas le droit d'immigrer en Israël en vertu de la loi du retour.

Maoz vit à Jérusalem-Est, dans le quartier à prédominance arabe de Silwan, connu sous le nom d'Ir David par certains Israéliens juifs. Il est né Avi Fischheimer dans une famille qu'il a un jour décrite comme « une famille Hapoel Mizrachi ordinaire » - un parti travailliste sioniste religieux. Il grandit dans le quartier de Kiryat Shmuel à Haïfa, fréquente un lycée religieux et s'engage dans la brigade Nahal. Après sa libération de l'armée, il a rejoint le groupe qui a créé Migdal Oz dans le Bloc de colonies Gush Etzion.

Hadassah, la femme de Froman, qui a rencontré Maoz à Migdal Oz, raconte qu'il « était le membre dirigeant de Migdal Oz. Il était très idéaliste, avec un cœur ouvert et beaucoup de lumière intérieure. Nous avions un lien très étroit. Il était très enthousiaste à l'égard des idées de Menachem - créer des assemblées spéciales, mettre des rassemblements à l'ordre du jour - Maoz était vraiment son partenaire. C'était une période très agréable ».

Plus tard, dit-elle, il y a eu une scission. « Lorsque nous avons approfondi le mouvement de colonisation, Menachem a considéré le conflit israélo-palestinien en des termes plus nets, plus définis ; au début, il n'était pas comme ça », dit Froman.

Des protestataires manifestent devant la Knesset contre Benjamin Netanyahou et Avi Maoz, suite au précédent tour des élections de 2021, qui a vu Maoz devenir le seul représentant du parti Noam à la Knesset.Photo : Ohad Zwigenberg

« Il a compris que ce que nous devions faire était d'aller avec eux et non contre eux. Et plus la gauche et la droite s'éloignaient l'une de l'autre, plus le fossé se creusait, et une polarisation interne au sein de la communauté des colons se développait. Lorsque le clivage s'est renforcé, nous n'étions plus à Migdal Oz. Je ne peux pas dire ce qui est arrivé à Maoz. Il est allé jusqu'à l'extrême ».

06/11/2022

GIDEON LEVY
L'armée de Ben-Gvir en Cisjordanie

 Gideon Levy, Haaretz, 6/11/2022
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Deux soldats sur 10 ont voté pour Sionisme religieux, la liste qui comprend le parti Otzma Yehudit d'Itamar Ben-Gvir. Deux soldats sur 10 sont kahanistes. Deux soldats sur 10 sont en faveur du transfert, de l'annexion, de la mort aux terroristes, de la mort aux Arabes.

Soldats du bataillon haredi Netzah Yehuda priant dans une synagogue près de Jénine, en Cisjordanie, en 2014.Photo : Gil Cohen-Magen

Deux soldats sur 10 pensent qu'ils appartiennent à une nation supérieure et que les Palestiniens n'ont aucun droit ici. Ils pensent également que tout est permis aux soldats ; qu'ils sont toujours autorisés à tirer pour tuer, que les Arabes ne comprennent que la force et l'humiliation, qu'ils ne sont pas des êtres humains. Deux soldats sur dix sont kahanistes, mais parmi les soldats servant en Cisjordanie, ce nombre est beaucoup plus élevé.

Dans la brigade Kfir, et en particulier dans son bataillon Netzah Yehuda (“Éternité de Juda”), il y a certainement plus de kahanistes que dans la police aux frontières, l'unité 8200 du renseignement militaire ou le 140e     escadron (“Aigle doré”) de l'armée de l'air israélienne. Il n'est pas déraisonnable de penser qu'environ la moitié des soldats servant dans l'occupation ont voté pour Otzma Yehudit en votant pour Sionisme religieux. Pour eux, la décision n'est pas seulement théorique. Non seulement ils croient en Ben-Gvir, mais ils pratiquent ce qu'il prêche. C'est ce qui rend leur choix si horrible.

Des soldats israéliens arrêtent violemment un manifestant palestinien, dans le camp de réfugiés de Jalazoun, près de la ville de Ramallah en Cisjordanie, en 2015. Photo : Mohamad Torokman / REUTERS

L'avantage, cependant, du succès électoral de Ben-Gvir est qu'il fait remonter la vérité à la surface. Fini le temps des histoires de soldats tourmentés par leurs actes. Tout ce que nous avons toujours soupçonné sur le comportement brutal, parfois barbare, des soldats des FDI et des membres de la police aux frontières et de la police israélienne a été confirmé par le décompte des voix. Les électeurs de Ben-Gvir dans les FDI constituent l'une de ses plus grandes sources de soutien.

Quiconque voit le comportement des soldats dans les territoires ne peut qu'être surpris qu'Otzma Yehudit n'ait pas recueilli 100 % de leurs votes. Ben-Gvir les exhorte à être des stormtroopers [membres des Sturmtruppen, les troupes d’assaut allemande, NdT] et ils l'en remercient dans les urnes. Ils n'ont pas besoin d'entraînement, ils ne voient rien de mal à être des stormtroopers, surtout lorsque les réactions de leurs commandants à leurs actes vont de l'indifférence à l'encouragement. Ne vous y trompez pas : Les soldats du rang ne sont pas les seuls à avoir voté pour Ben-Gvir, certains de leurs commandants l'ont fait aussi. La tentative de prétendre que les soldats ont voté contre leurs commandants (Yoav Limor, Israel Hayom, 4 novembre) est un autre effort désespéré pour embellir et de tailler un uniforme d’apparat au magnifique haut commandement éclairé.

Prenez, par exemple, le commandant de la brigade régionale Menashe, le colonel Arik Moyal, un colon de Tapuah, qui a appelé à foutre son poing dans la gueule des “voyous” du camp de réfugiés de Jénine : pour quel parti a-t-il voté ? Et l'ancien commandant de la brigade régionale de Samarie, le colonel Roi Zweig, qui a déclaré aux étudiants de la Yeshiva Alon Moreh que le mouvement de colonisation et l'armée sont “une seule et même chose” ? Peu importe la façon dont ils ont voté, l'esprit est celui de Ben-Gvir ; l'heure, comme le disait son slogan de campagne, est l'heure de Ben-Gvir, parmi toutes les unités de Tsahal dans les territoires.

L'ancien soldat israélien Elor Azaria accueilli chez lui après avoir purgé neuf mois de prison militaire pour avoir tué un Palestinien blessé et invalide, en 2018.Photo : Ilan Assayag.

Les soldats qui assistent passivement aux pogroms et qui aident même les auteurs de ces actes sont la preuve de l'esprit de Tsahal. Le fait que le haut commandement accepte calmement les événements de ces derniers mois, y compris les meurtres de dizaines d'adolescents et de jeunes enfants, se contentant des mensonges et des dissimulations de l'unité du porte-parole de Tsahal, ne fait que prouver que Ben-Gvir est le véritable visage de Tsahal en Cisjordanie. Les élections l'ont confirmé.

Ces élections devraient mettre fin au mensonge selon lequel les FDI sont une armée morale. Les soldats et les commandants qui votent massivement pour un parti qui, en Europe, serait considéré comme néo-nazi, définissent l'image de l'armée. Depuis que les colons ont pris le contrôle des postes de commandement de l'armée, principalement en Cisjordanie, les FDI, qui ont toujours été politiques, sont devenues plus droitières que jamais.

Le fait que ceux qui sont au sommet n'aient pas levé le petit doigt pendant toutes ces années - et encore moins après l'affaire Elor Azaria, le dernier soldat à être poursuivi dans les FDI pour homicide involontaire - ne les exonère pas de leur responsabilité dans ce glissement vers la droite. Lorsque les soldats ne sont pas poursuivis pour homicide, même lorsque les preuves le réclament à cor et à cri, et lorsque les règles d'engagement ne sont pas seulement assouplies mais en pratique complètement annulées - lorsque tuer est autorisé et même souhaitable – c’est l'esprit de Meir Kahane qui est encouragé. Le chef d'état-major Aviv Kochavi et le reste du haut commandement peuvent détourner le regard et réciter de nobles déclarations sur les principes, mais ils sont responsables de l'établissement d'une nouvelle armée dans les territoires, l'armée de Ben-Gvir, la plus dangereuse des armées.

 Itamar Ben-Gvir vu par Carlos Latuff: "Épuration ethnique maintenant: demandez-moi comment !"

 

 

01/10/2022

GIDEON LEVY
Ahmad essayait de protéger les passants contre des colons violents : il a été tabassé et emprisonné par des flics israéliens

Gideon Levy & Alex Levac (photos), Haaretz, 1/10/2022
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Des colons juifs commettent des dégâts dans une ville palestinienne, lançant des pierres, brisant des fenêtres. La police et les soldats israéliens regardent, mais ne font rien pour retenir les colons. Les Palestiniens qui tentent de se défendre sont tabassés et arrêtés. C’est l'histoire d'Ahmad Shaaweet

Ahmad Shaaweet, cette semaine. Il est allé chercher le petit déjeuner pour ses collègues et a essayé de défendre les passants palestiniens. Il a été tabassé et arrêté.

Tout a commencé à cause d'un drapeau. Un drapeau palestinien a été accroché à un poteau électrique sur la rue principale d'Hawara, une ville au sud de Naplouse. La route 60 se trouve également être la principale route nord-sud en Cisjordanie, tant pour les Palestiniens que pour les colons. Le drapeau n’a pas plu à un groupe de colons qui voyageaient sur la route, alors ils l'ont déchiré et jeté.

Dans une région occupée, où la plupart des habitants voit le drapeau de Palestine comme leur drapeau national et où il n'y a aucune restriction légale à le faire flotter, mais où les drapeaux de l'État occupant sont omniprésents et presque tous les panneaux routiers portent le nom de colonies juives – dans cette région, chaque bâtard est roi, comme le dit le proverbe, et chaque colon est seigneur de la terre.

Les incidents ont commencé à la mi-mai. Lorsque les jeunes d'Hawara ont découvert que les colons avaient enlevé leur drapeau de la route, ils ont décidé de lancer leur propre protestation. Le lendemain, la rue principale de leur ville a été décorée de drapeaux palestiniens. Alors la guerre du drapeau à Hawara a commencé. Les jeunes hissent leurs drapeaux, les colons les déchirent et font des défâts dans toute la ville afin de punir les habitants rebelles qui n'obéissent pas aux ordres des seigneurs du pays. Pendant ce temps, la police et l'armée restent inactives et ne font que défouler ensuite leur rage contre les Palestiniens, qui tentent simplement de défendre leurs biens. Les soldats israéliens sont également mobilisés pour l'opération de nettoyage et ont commencé à descendre les drapeaux, sans aucun motif légal pour le faire, bien sûr. La police, pour sa part, n'hésite pas à procéder à des arrestations, mais seulement parmi les citadins palestiniens, victimes de la violence. Les policiers et les soldats sont également réputés avoir tabassé occasionnellement des locaux. Après tout, l'ordre public doit être préservé.

Cela dure depuis plus de quatre mois, presque sans arrêt, avec des épisodes fréquents, presque quotidiens, de violence. Ce n'est que cette semaine, pendant les vacances de Rosh Hashanah, quand les colons se tenaient à l'écart de la ville, que le calme est revenu – quoique momentanément. L'histoire d'Ahmad Shaaweet raconte tout.


Cette semaine, nous n'avons pas vu de drapeaux dans la rue principale d'Hawara. Peut-être que les Palestiniens ont cédé ici aussi. Dans la grande mais vide salle du conseil de Hawara, nous avons rencontré Shaaweet, une victime de violence policière. Marié et père de deux filles, Shaaweet, 39 ans, travaille dans un atelier de pièces détachées automobiles dans la rue principale de la ville. Son bras gauche est dans le plâtre. En mai dernier, un habitant de la région a photographié un policier en train d'asperger ses yeux de gaz poivré à bout portant, lors d'un des premiers raids de colons après un hissage de drapeaux. L'image parle d'elle-même : des policiers projettent du gaz dans les yeux d'un résident qui ne semble pas du tout les mettre en danger.

Lundi dernier, le 19 septembre, Shaaweet a quitté la boutique lors d'un autre pogrom, pour aller chercher le petit déjeuner pour ses collègues, comme il le faisait tous les jours. Il a vu des colons jeter divers objets, y compris des chaises et des tables, jeter des pierres sur des voitures palestiniennes sur la route, stopper de force la circulation et briser des vitrines.

Il se souvient d'avoir vu un groupe de colons dans la rue lancer des objets sur des voitures et une dizaine de véhicules de la police et de l'armée stationnés à proximité. Les habitants ont commencé à se rassembler ; les forces de sécurité ont tiré des grenades lacrymogènes pour les disperser. Un certain nombre de colons pulvérisaient du poivre sur les Palestiniens, tandis que d'autres se rendaient au restaurant où Shaaweet se dirigeait, le Fast Meal, et commençaient à jeter par terre des saladiers placés sur le comptoir et à jeter des tables et des chaises sur les passants.

Shaaweet a demandé aux soldats de disperser les émeutiers qui agressaient les locaux. Un Palestinien handicapé à proximité a photographié les événements avec son téléphone portable. Un colon les a attaqués et a poussé Shaaweet et l'homme handicapé. Puis certains soldats se sont joints et ont également commencé à attaquer les gens, se souvient-il. Un colon l'a attaqué. Alors que Shaaweet essayait de le repousser, il a vu des policiers approcher. Il était sûr qu'ils contiendraient les colons et aideraient à mettre fin aux agressions. « Je suis avec vous, mais méfiez-vous des colons », dit-il à un officier en hébreu cassé.

En réponse, cependant, l'agent lui a ordonné de dégager vers une place voisine, où il a commencé à tabasser Shaaweet. D'autres policiers se sont joints à lui, traînant Shaaweet derrière leur véhicule, où ils lui ont ordonné de s'asseoir par terre, apparemment pour qu'ils puissent le menotter. Pendant ce temps, les colons s'approchaient. Shaaweet avait peur de rester là, immobilisé – les colons étaient susceptibles de le frapper. Il a dit aux officiers : « Si vous avez peur de moi, alors menottez-moi, mais je ne vais pas rester  assis par terre. »

Un policier a pulvérisé du poivre dans les yeux d'Ahmad Shaaweet lors d'une des premières attaques de colons à Hawara, en mai. Photo fournie par Ahmad Shaaweet

Enragés, les officiers lui ont saisi le bras droit, le tordant avec force et le liant derrière son dos. La douleur a été intense. Les officiers ont alors commencé à le frapper sur tout le corps avec leurs crosses de fusil. Quand il a baissé la tête pour se protéger, ils l’ont frappé là aussi. La force du coup l'a jeté au sol.

Les policiers, remarquant apparemment que son bras gauche était grièvement blessé à ce moment-là, lui ont menotté les mains par devant. Ils lui ont aussi entravé les jambes. Cette personne qui est allée chercher le petit déjeuner pour ses collègues et qui a essayé de défendre les passants palestiniens, s'est retrouvée en état d'arrestation. Pendant ce temps, les colons ont continué leur déchaînement, brisant la devanture du restaurant KFC en bas de la rue et les fenêtres de quelques voitures. Personne ne les a arrêtés. Shaaweet était assis, enchaîné et souffrant, par terre.

Il a ensuite été emmené au poste de police dans la colonie urbaine d'Ariel, où il a été amené à s'asseoir devant un climatiseur glacial. Sa douleur a augmenté. Il avait de la difficulté à respirer parce que ses côtes étaient cassées. Ce n'est qu'au bout de deux heures qu'un officier de la police israélienne s'est approché de lui. Shaaweet demanda, et reçut, un verre d'eau mais ne put le tenir dans sa main à cause de la douleur. Il se pencha, posa le verre sur son genou et le sirota. (Il nous montre comment il l'a fait mais demande à ne pas être photographié, parce qu'il pense que c'est humiliant.)

Shaaweet a demandé un médecin et on lui a dit qu'il devrait d'abord subir un interrogatoire. Il a été emmené dans une cellule de détention et a eu un déjeuner, qu'il n'est pas parvenu à manger à cause de la douleur. Il y avait deux lits dans la cellule, mais quatre détenus palestiniens. Les autres l'ont aidé à s'allonger sur l'un des lits et l'ont couvert. Ses vêtements étaient déchirés et sales de la violence qu'il avait endurée.

Vers 16 heures, il a été conduit à la salle d'interrogatoire. Au début, Shaaweet a dit qu'il n'accompagnerait pas l'officier qui était venu le prendre s’il ne recevait pas de soins médicaux, mais il a finalement changé d’avis après avoir reçu la promesse qu'une ambulance était en route. Dans la salle d'interrogatoire, les ambulanciers du service médical d'urgence de Magen David Adom l'ont examiné. Il raconte qu'ils lui ont dit que s'ils l'évacuaient à l'hôpital, il devrait payer pour ça.

Les colons à Hawara en mai. Photo : JAAFAR ASHTIYEH / AFP

« Vous m'avez frappé et m'avez amené ici, et vous voulez que je paie ? » a-t-il dit aux policiers. « Je révélerai demain au tribunal tout ce qui m'est arrivé. »

Après quelques tractatives, il a été libéré sous caution de 2 000 shekels (570€ ) et a reçu l'ordre d'appeler ses proches pour qu’ils apportent l'argent. On lui a dit qu'il était soupçonné d'avoir agressé des policiers de service, qui l'ont accusé d'avoir agressé l'un d'eux avec son coude. « Qu’est-ce que vous portez ? », leur a-t-il demandé « Vous portez un gilet et un équipement de protection du corps et [vous avez] un fusil. Si j’avais attaqué un officier avec mon coude, vous verriez des marques sur le coude. » Il a suggéré qu'ils vérifient son coude pour des bleus.

« Qui dit la vérité ? Moi ou les officiers ? », a-t-il demandé, ce à quoi les officiers ont rétorqué qu'il était un menteur.

Nous avons demandé à la police israélienne : pourquoi Shaaweet a-t-il été arrêté, battu et privé de soins médicaux ? Combien de colons ont été arrêtés pendant le pogrom ? L'unité du porte-parole de la police, ignorant certaines des questions, a répondu : « À la suite de troubles dans le village d'Hawara, les FDI et les forces de police sont arrivées sur les lieux. Lors de la dispersion des émeutiers, un suspect a été arrêté. Arrivé au poste de police, il s'est plaint de ne pas se sentir bien et a été emmené par Magen David Adom à l'hôpital pour y être soigné. L'enquête sur l'événement est en cours. Naturellement, nous ne donnons pas de détails sur les enquêtes en cours, mais nous continuerons à enquêter pour obtenir la vérité sur la question. »

Contrairement à la déclaration de la police, le MDA n'a pas emmené Shaaweet à l'hôpital pour un traitement médical.

Ahmad Shaaweet se souvient comment il a été attaqué

À 19 H15, Shaaweet a appelé son beau-frère et lui a demandé d'apporter l'argent de la caution et de le ramener à la maison. Le beau-frère l'a emmené à l'hôpital Rafidia de Naplouse, où sa tête, sa poitrine et son bras gauche ont été radiographiés. On a constaté qu'il souffrait d'une commotion cérébrale, d'ecchymoses autour de ses côtes et d'une fracture du bras. Dans deux semaines, une décision sera prise quant à savoir s'il aura besoin d'une intervention chirurgicale sur le bras gauche qui impliquerait l'implantation d'une tige de platine.

Shaaweet n'est pas encore retourné au travail. Le lendemain de l'incident, les colons se sont à nouveau enfuis au même endroit. Dimanche aussi, la veille de Rosh Hashanah, ils ont attaqué un camionneur à Hawara.

Salma a-Deb'I, chercheuse sur le terrain pour l'organisation de défense des droits humains B’Tselem, a documenté toutes les attaques à Hawara depuis le 17 mai, date à laquelle la guerre du drapeau a apparemment commencé.

À Hawara, ils attendent le 12 octobre, le premier jour de la récolte des olives, avec une certaine inquiétude. Les habitants savent exactement à quoi s'attendre dans leurs oliveraies. Là non plus, il n'y aura personne pour les protéger.

28/09/2022

BETHAN McKERNAN
Masafer Yatta : « Chaque jour est pire que celui d'avant »
Une communauté palestinienne se bat pour sa survie

Bethan McKernan et Quique Kierszenbaum (photos), The Guardian, 28/9/2022
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala


Bethan McKernan est correspondante du Guardian à Jérusalem. @mck_beth 

L'une des plus grandes décisions d'expulsion depuis le début de l'occupation israélienne des territoires palestiniens en 1967 met toute une communauté en danger

La nouvelle année scolaire a commencé et la saison des récoltes approche, mais certains des hommes et des garçons de Masafer Yatta sont occupés à travailler sur un projet différent – emménager dans une grotte.

Zaynab Mohammed Ayoub joue à côté des décombres de sa maison démolie

 À Khribet Al Fakhiet, un village reculé au cœur de la Cisjordanie occupée, les habitants utilisaient un treuil improvisé monté sur une camionnette pour aider à dégager une caverne abritant des moutons et des chèvres. Des seaux descendus par l'entrée et par un trou dans le plafond de la grotte sont ressortis remplis de paille et de fumier ; l'intérieur poussiéreux et chaud était éclairé par des lampes alimentées par un générateur. Face à la démolition de leur maison, de leurs enclos à bétail et d'autres structures, une famille se prépare à se réinstaller dans la grotte avant l'hiver.

Mohammed Ayoub, 46 ans

« Nous n'avons pas le choix », dit Mohammed Ayoub, le chef d'une famille élargie de 17 personnes. « Nous dormons dans le dispensaire du village depuis que notre maison a été détruite, mais nous devons trouver une alternative. »

Le Guardian a rencontré la famille en mai, juste après la décision de la Cour suprême israélienne qui a bouleversé la vie des quelque 1 000 Palestiniens vivant dans la série de hameaux de Masafer Yatta. La maison d'Ayoub a été démolie par des bulldozers lors d'une opération supervisée par les Forces de défense israéliennes quelques semaines après le jugement, les laissant dans une tente tout l'été.

Israël a désigné cette zone de 3 000 ha des collines arides du sud d'Hébron comme zone d'entraînement militaire – zone de tir 918 – dans les années 80. Après des décennies de batailles juridiques, cependant, il y a quatre mois, la Cour suprême a finalement accepté l'argument des FDI selon lequel les habitants de Masafer Yatta ne pouvaient pas prouver qu'ils étaient résidents avant la création de la zone de tir.

Cette décision, qui est contraire au droit international, a été l'une des plus importantes depuis le début de l'occupation israélienne des territoires palestiniens en 1967. Maintenant, les foyers et les moyens de subsistance de toute la communauté sont en danger, et l'armée, avec les colons israéliens illégaux, augmente la pression pour essayer de forcer les Palestiniens à partir.

La vie à Masafer Yatta était déjà difficile : la région est située dans la zone C, les 60% peu peuplés de la Cisjordanie sous plein contrôle israélien et sous la menace d'une annexion. Les citernes d'eau, les panneaux solaires, les routes et les bâtiments palestiniens sont souvent démolis au motif qu'ils n'ont pas de permis de construire, qui sont presque impossibles à obtenir, alors que les colonies israéliennes illégales environnantes fleurissent. La communauté est principalement constituée d’éleveurs, élevant des chèvres et des moutons tout au long des étés torrides et des hivers glacés.

Depuis que le vide juridique a pris fin en mai, la situation a rapidement empiré. Les démolitions se sont accélérées, les 80 personnes vivant à Khallet Athaba’ devant perdre leurs maisons lorsque les bulldozers arriveront jeudi 29 septembre. L'armée mène également davantage d'exercices de tir réel, endommageant parfois des bâtiments palestiniens ou laissant derrière elle des douilles et des débris dont les habitants craignent que ça soit des munitions non explosées.

Les bergers disent qu'on leur dit régulièrement de quitter les pâturages, qui sont ensuite repris par les colons. Les livraisons d'eau et d'aliments pour le bétail, ainsi que les visiteurs d'organisations caritatives et de militants qui aidaient à dissuader les colons de commettre des actes de violence, ont été arrêtés sur le périmètre de la zone de tir et renvoyés faute de permis de voyage.

De nouveaux postes de contrôle ont complètement isolé des villages tels que Janba, rendant difficile le départ des résidents : les Palestiniens sont parfois arrêtés et interrogés par des soldats pendant des heures, et une soixantaine de voitures sans permis ont été confisquées.

Pour éviter les FDI, les résidents font maintenant appel à d'autres villages pour essayer de comprendre le mouvement des véhicules blindés de transport de troupes, avant de se déplacer sur des routes non pavées.

De nombreuses familles ont recommencé à utiliser des ânes, plutôt que des voitures, pour se déplacer. Le Guardian a voyagé dans l'un des rares véhicules appartenant à des Palestiniens pour traverser la zone – et même à ce moment-là, personne n’osiat emprunter les routes avec des postes de contrôle de l'armée.

Les FDI ont répondu à une demande de commentaires : « La zone de tir 918 est une zone militaire fermée. Toute entrée dans la zone sans l'autorisation des FDI constitue une infraction pénale et met en danger des vies humaines. En conséquence, des soldats des FDI sont stationnés à l'entrée de la zone de tir afin d'empêcher toute entrée non autorisée dans la zone. En outre, les FDI opèrent afin de permettre à tous les civils de la région de mener une vie quotidienne normale. »

Le sentiment, comme l'a dit la famille Abu Aram, est d'être poursuivi en permanence. En dehors de leur maison à Markaz, un hameau sur un plateau venteux, Mina et Mohammed Abu Aram ont décrit la dernière fois qu'ils ont essayé d'emmener leur fils de trois ans, Ammar, pour un rendez-vous à l'hôpital dans la ville d'Hébron.

Mina Abu Aram, 35 ans, avec son fils Ammar, qui a une maladie cardiaque

« Ammar est né avec une maladie cardiaque. Il a besoin de médicaments tous les jours, et doit aller souvent à l'hôpital. La semaine dernière, nous avons été arrêtés par des soldats, et ils ont pris la voiture, ils ont pris [Mohammed] à la base, et nous ont laissés, Ammar et moi, sur le bord de la route », raconte Mina.

« Nous leur avons dit qu'Ammar avait un rendez-vous médical, mais ils s'en fichaient. Il a fallu deux heures à mon mari pour revenir. »

La communauté de Masafer Yatta n’a pas  seulement à faire avec l'armée, mais avec un nombre croissant de colons israéliens autour d'eux – dont certains sont notoirement violents.

« Les soldats poussent de l'ouest, et les colons de l'est, nous serrant dans toutes les directions », dit Nidal Younes, le chef du conseil du village de Masafer Yatta.

Dans le cadre de cette campagne d’usure, certaines personnes ont été forcées de partir pour la ville voisine de Yatta. L'effet est peut-être le plus perceptible dans la seule école secondaire de la région : les élèves sont maintenant en moyenne en retard d’ une heure chaque matin après avoir franchi les nouveaux points de contrôle, raconte le directeur, et le personnel venant de la ville de Yatta a été refoulé, arrêté ou s’est vu confisquer sa voiture.

Les FDI ont déclaré que lors d'un « cas particulier, spécifique dans lequel des étudiants ont été retardés, les directives ont été clarifiées sur la question afin d'éviter tout retard futur pour les étudiants », mais les résidents disent que cela se produit presque tous les jours. Les parents d'une vingtaine d'enfants ont déjà décidé de les déplacer dans une école à Yatta, où ils restent avec des parents pendant la semaine.

Bisan, 17 ans : « C'est une situation dangereuse et j'ai pensé à quitter l'école, mais je ne le ferai pas. C'est ce qu'ils veulent. »

 « Chaque jour est pire que celui d'avant », dit Bisan, une étudiante de 17 ans. « C'est une situation dangereuse et j'ai pensé à quitter l'école, mais je ne le ferai pas. C'est ce qu'ils veulent. »

Alors que les avocats des droits humains introduisent des injonctions provisoires pour essayer d'arrêter les exercices de tirs réels et de blouer les ordres d'évacuation, les voies légales en Israël pour sauver Masafer Yatta semblent être presque épuisées.

L'UE a adopté une position ferme contre la décision de la Cour suprême : son envoyé auprès des Palestiniens, Sven Kühn von Burgsdorff, a accusé les juges de ne pas respecter le droit international et de prendre une « décision politique, pas juridique du tout ». Il a également appelé la communauté internationale à faire pression sur Israël pour qu'il assume ses responsabilités à l'égard du peuple palestinien en tant que puissance occupante.

« Les choses allaient mal avant la décision du tribunal », dit Mohammed Ayoub, le fermier déplacé. « J'ai été berger toute ma vie. Je ne suis jamais allé en Israël, mais peut-être que je devrai vendre mes chèvres et demander un permis de travail là-bas. »

Sur le site où se trouvait autrefois le jardin des Ayoub un vieux bidon d'huile protège un olivier de la menace des bulldozers.

« C'est notre terre, c'est ma maison. Quoi qu'il arrive, nous ne partirons pas », dit Mohammed Ayoub.