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17/01/2024

OMER BENJAKOB
Israël a acheté un système d’influence de masse en ligne pour “contrer l’antisémitisme et le déni des atrocités du Hamas”

Omer Benjakob, Haaretz, 16/1/2024
Traduit par Tlaxcala

 Montage d’Aron Ehrlich à partir de photos de Miriam Elster, Gil Cohen-Magen/AFP, X.

Israël a réagi à sa « défaite évidente » face au Hamas sur le champ de bataille numérique en achetant pour la première fois un système technologique capable de mener des campagnes d’influence de masse en ligne, selon de nombreuses sources ayant connaissance du dossier.

Le système peut, entre autres, créer automatiquement des contenus adaptés à des publics spécifiques. Cette technologie a été achetée dans le cadre d’une tentative plus large des organismes israéliens, tant civils que militaires, de remédier à ce que certaines sources ont qualifié « ’ « échec de la diplomatie publique d’Israël » à la suite du massacre perpétré par le Hamas le 7 octobre et de la guerre qui s’en est suivie.

Selon huit sources différentes actives dans les domaines du renseignement, de la technologie, de l’influence en ligne et de la diplomatie publique, Israël était mal équipé pour faire face à la guerre des médias sociaux qui a éclaté le samedi noir. Il en est résulté une « crise de crédibilité » qui, du point de vue de Jérusalem, a entravé la capacité des forces de défense israéliennes à agir contre le Hamas sur le champ de bataille réel.

Bien qu’il ait été initialement conçu en termes militaires comme une solution aux besoins en matière de renseignement et de guerre psychologique, des sources indiquent que le système est actuellement exploité par un bureau gouvernemental. La raison en est que l’establishment de la défense s’inquiète de l’exploitation d’une technologie « politique ».

Selon des sources bien informées sur les efforts de diplomatie publique d’Israël - la « hasbara »,
comme on l’appelle en hébreu - le système est destiné à contrer ce qu’elles et les chercheurs appellent une « machine à haine » en ligne bien huilée qui diffuse systématiquement de la désinformation anti-israélienne et pro-Hamas, des informations erronées, le négationnisme du 7 octobre, ainsi que des contenus ouvertement antisémites.

Ces messages ont été soutenus par des campagnes technologiques menées par des forces iraniennes et même russes. Selon certaines sources, ces campagnes ont non seulement sapé les efforts déployés par Israël pour rendre compte des atrocités commises par le Hamas, mais elles ont également porté atteinte à la logique de la guerre et à la crédibilité du porte-parole de Tsahal, en particulier auprès des jeunes Occidentaux.

Ce n’est que lundi que le Shin Bet israélien a révélé que l’Iran exploitait au moins quatre faux canaux sur les médias sociaux israéliens dans le cadre de sa guerre psychologique et de ses opérations d’influence visant Israël. Parmi eux, un faux réseau en ligne révélé précédemment par Haaretz, qui a également contribué à amplifier les vidéos du Hamas sur l’attaque du 7 octobre et qui a depuis travaillé à provoquer le public israélien sur des questions liées à la guerre.

La première campagne est déjà lancée. Elle n’a cependant rien à voir avec la guerre et se concentre plutôt sur l’antisémitisme.

Israël, par l’intermédiaire du bureau du Premier ministre, qui contrôle la direction de la diplomatie publique et d’autres organismes, a rejeté toutes les affirmations contenues dans cet article.

Le front PsyOp

La première heure de la guerre a révélé à quel point l’establishment de la défense israélien était désespérément mal préparé à gérer les plateformes de médias sociaux comme Instagram et TikTok, et même les applications de messagerie comme Telegram, car l’internet (et la société israélienne) a été inondé de vidéos filmées par le Hamas documentant ses propres atrocités.

Les travailleurs et les entreprises israéliens du secteur des hautes technologies se sont immédiatement mobilisés pour combler le vide : Dans le cadre d’une « salle de guerre » bénévole, des technologies de cartographie des plateformes de médias sociaux ou même des capacités de reconnaissance faciale ont été développées non pas pour influencer, mais pour aider à identifier les terroristes et à retrouver les otages, pour ne citer que deux exemples.

Cependant, avec le temps et l’intensification de la guerre, ces capacités passives se sont avérées ne représenter que la moitié de la bataille : Israël avait également des besoins actifs et n’avait pas la capacité de diffuser des informations. Selon certaines sources, l’establishment de la défense, et plus particulièrement la communauté du renseignement, a découvert qu’il existait un « besoin national urgent » d’influence pour contrer la guerre de l’information du Hamas, dans un contexte de destruction et de mort généralisées à Gaza.

L’objectif était de contrer ce que les sources ont qualifié d’efforts non authentiques pour délégitimer Israël en ligne : des actions de mauvaise foi qui, selon les chercheurs, ont également bénéficié d’un soutien algorithmique de la part des plateformes de médias sociaux.

Depuis le début de la guerre, il y a 100 jours, le Hamas a mené une campagne de communication publique extrêmement réussie, que des sources décrivent comme une
« PsyOp », c’est-à-dire une opération d’influence « psychologique ». Outre les terroristes qui ont infiltré les communautés israéliennes le 7 octobre, le Hamas a également amené des « reporters » [guillemets de l’auteur, NdT] pour diffuser des émissions en direct depuis les kibboutzim.

Depuis lors, des canaux de communication semi-officiels - dont le plus performant est Gaza Now, qui compte des millions d’abonnés sur Telegram [1 898 890 au 17/1/2024, NdT] - sont devenus la principale source d’informations en provenance de Gaza, documentant les attaques israéliennes depuis le terrain.

L’unité du porte-parole des FDI s’est avérée limitée dans sa capacité à contrer activement ce flux apparemment sans fin de documents visuels diffusés par le Hamas et ses mandataires. En outre, au fil du temps, les Israéliens ont constaté que ces efforts de propagande étaient également amplifiés sur les médias sociaux par divers utilisateurs pro-palestiniens, dont beaucoup agissaient de bonne foi.

Les fonctionnaires israéliens et les chercheurs spécialisés dans les médias sociaux soulignent la distinction entre trois formes de contenu en ligne à cet égard :

1. Les messages anti-israéliens exprimant un soutien politique aux Palestiniens et s’opposant au comportement d’Israël, qui relèvent de la liberté d’expression ;

2. Les contenus faux, trompeurs ou haineux qui vont à l’encontre des politiques internes de confiance et de sécurité des médias sociaux et qui peuvent être supprimés par les équipes de modération s’ils sont signalés ;

3. Les contenus violents, graphiques et pro-terroristes qui sont considérés comme illégaux et peuvent être retirés à la suite d’une demande officielle du ministère israélien de la Justice.

Des volontaires civils israéliens ont tenté de défendre la cause d’Israël en ligne et de signaler les messages qui enfreignent les règles des plate-formes. En théorie, le ministère des Affaires étrangères et la Direction de la diplomatie publique sont censés contribuer aux efforts officiels de hasbara. Cependant, malgré des années de financement généreux et de prestige, qui, selon certains, ont engendré un excès de confiance, ces organismes sont arrivés tardivement dans le jeu et, selon certaines sources, ont été jugés peu pertinents pour répondre aux nouveaux besoins de l’establishment de la défense.

Ne s’attendant pas à bénéficier d’un soutien massif en ligne, les responsables israéliens affirment que le soutien populaire plus large à la cause palestinienne a été détourné avec succès par le Hamas pour affaiblir la position d’Israël d’une manière sans précédent. Les autorités israéliennes affirment que l’ampleur du contenu produit par le Hamas et ses affiliés, ainsi que sa portée organique - en particulier parmi les jeunes Occidentaux - ont pris Israël au dépourvu.

Soutenues par des algorithmes connus depuis longtemps pour donner la priorité aux contenus polarisants, les vidéos de propagande du Hamas et les points de discussion sont devenus viraux encore et encore : Les diffamations scandaleuses à l’encontre de Tsahal et les tentatives infâmes de justifier le déni des crimes du Hamas contre les civils israéliens se sont rapidement transformées en attaques systématiques contre la crédibilité de l’armée [sic].

Malgré les efforts israéliens, notamment les tentatives civiles et officielles de cartographier et de signaler ces contenus, et même les contacts personnels entre les dirigeants locaux du secteur des hautes technologies et les responsables des médias sociaux à l’étranger, un déluge de faux contenus graphiques, violents ou antisémites a inondé l’internet au cours des deux premiers mois et demi de la guerre.

Selon certains chercheurs, environ 30 % des contenus considérés comme les plus graphiques, les plus violents et les plus illégaux restent en ligne.

L’antisémitisme et l’incitation à la haine contre les juifs sont devenus un autre problème majeur en ligne, ont noté les chercheurs et les fonctionnaires - une autre ramification de la façon dont la guerre a pris Israël au dépourvu.

« Il ne s’agit même pas de notre droit à réagir aux événements du 7 octobre comme nous l’avons fait en tant qu’armée, ni même de lutter activement contre le négationnisme en matière de viol ou de contrer des informations manifestement fausses », a expliqué un ancien haut responsable des services de renseignement. « Il s’agit d’une bataille sur la légitimité même d’Israël à exister en tant qu’État doté d’une armée. En ce sens, le Hamas a déjà gagné ».

Une leçon de Ben Laden

Au fil des semaines, les responsables de la défense se sont rendu compte qu’Israël n’avait aucun moyen de répondre activement aux efforts en ligne du Hamas.

« La Hasbara est une chose - c’est quand j’explique pourquoi mon camp est bon et l’autre mauvais. Mais l’influence, c’est autre chose : il s’agit de notre capacité à créer une perception ou une conception qui sert mes intérêts en tant qu’État. L’influence est la capacité à déplacer ou à faire basculer quelqu’un, à le faire passer d’un point A à un point B », explique un ancien haut fonctionnaire de la communauté israélienne du renseignement.

Selon eux et d’autres personnes qui ont parlé à Haaretz, « Israël a été pris complètement au dépourvu le 7 octobre à cet égard ». Les unités de guerre psychologique existantes se concentraient presque exclusivement sur l’arabe et le farsi et n’étaient pas adaptées à cette guerre particulière.

Alors que le Hamas a inondé les médias sociaux d’images brutes et graphiques des combats, les FDI ont répondu par des modèles 3D complexes et des infographies très élaborées montrant l’infrastructure terroriste située sous le site. Au lieu de donner du crédit aux affirmations de l’armée, elles n’ont fait qu’alimenter les accusations de manipulation.

Le premier incident qui a contribué à souligner ce problème a été l’explosion du 17 octobre à l’hôpital Al Ahli Arab dans la ville de Gaza, dans laquelle le ministère de la Santé, contrôlé par le Hamas, a immédiatement déclaré que 500 personnes avaient été tuées. L’attaque a été attribuée à une frappe aérienne israélienne, ce que les FDI ont immédiatement réfuté, diffusant pendant des jours des enregistrements audio et vidéo suggérant qu’il s’agissait d’une roquette palestinienne défectueuse. L’incident est devenu l’une des plus grandes batailles de diplomatie publique de la première phase de la guerre, déclenchant des émeutes dans le monde musulman.

Une semaine plus tard, lorsque des groupes de défense des droits humains ont confirmé qu’une roquette palestinienne mal tirée était vraisemblablement à l’origine du problème, le mal était déjà fait et le scepticisme à l’égard du récit israélien et des responsables des forces de défense israéliennes n’a fait que croître.

Les hôpitaux de Gaza et l’utilisation qu’en fait le Hamas allaient devenir un point de ralliement essentiel pour les efforts d’influence d’Israël - preuve que le Hamas est actif au plus profond des centres civils et un signe clair qu’il utilise des habitants innocents de Gaza comme boucliers humains.

La bataille physique autour de l’hôpital Al-Shifa, également dans la ville de Gaza, a coïncidé avec une autre bataille numérique. Alors que le Hamas a inondé les médias sociaux d’images brutes et graphiques des combats, les FDI ont répondu par des modèles 3D complexes et des infographies très élaborées montrant l’infrastructure terroriste située sous le site. Au lieu de donner du crédit aux affirmations de l’armée, elles n’ont fait qu’alimenter les accusations de manipulation. 

Le « QG terroriste du Hamas » sous l’hôpital Al Shifa, selon une « infographie » qui a provoqué un éclat de rire mondial

Plus les forces israéliennes pénétraient dans les tunnels et les bunkers du Hamas situés sous l’hôpital principal de Gaza, moins ce récit semblait s’imposer dans la perception internationale de la guerre.

« Une lacune majeure a été révélée en termes de capacité à mener une campagne d’influence vis-à-vis de missions spécifiques : l’objectif était de donner à Israël le temps d’agir et de montrer autant que possible les véritables atrocités commises par le Hamas - mais nous n’avions tout simplement pas les moyens nécessaires », déclare un autre ancien responsable des services de renseignement à propos du premier mois de la guerre.

Et puis Oussama ben Laden est réapparu - du moins, en ligne. Le moment décisif pour qu’Israël comprenne l’ampleur du problème est arrivé lorsque la tristement célèbre « Lettre à l’Amérique » du fondateur d’Al-Qaida, datant de 2002, est soudainement devenue virale sur TikTok à la mi-novembre. Dans cette lettre, il justifie les attentats du 11 septembre comme une punition pour le soutien des USA à Israël, tout en utilisant un langage explicitement antisémite et éliminationniste [sic].

Lorsqu’il est devenu évident que les efforts officiels d’Israël en matière de hasbara n’avaient que peu d’effet et qu’Israël avait pratiquement perdu la bataille de l’opinion publique, une course à l’armement pour les ressources numériques s’est engagée pour aider à diffuser des informations et du contenu parallèlement au porte-parole de Tsahal afin de contrer les opérations en ligne du Hamas.

« Tout le monde a reçu des appels, c’était fou », déclare une source active dans les campagnes d’influence politique. « C’était également stupide. Il faut du temps pour mettre en place une bonne opération : on ne peut pas agir comme on le ferait dans une campagne de marketing ».

Les responsables ont contacté des entreprises locales et des prestataires de services actifs à l’étranger, leur proposant de les aider volontairement en publiant en ligne des documents recueillis à partir de caméras de sécurité dans les communautés israéliennes et de caméras GoPro portées par des militants du Hamas, qui ont permis de documenter le massacre du 7 octobre.

Plus tard, certaines de ces vidéos ont effectivement été divulguées en ligne, aux côtés de vidéos filmées par des soldats de l’armée israélienne combattant dans la bande de Gaza. Le mois dernier, Haaretz a révélé que le Département d’influence de la Direction des opérations des FDI, qui est responsable des opérations de guerre psychologique contre l’ennemi et les publics étrangers, gère une chaîne Telegram non attribuée appelée « 72 Virgins – Uncensored » (72 vierges - non censuré). Cette chaîne montre les corps de terroristes du Hamas en promettant de « briser les fantasmes des terroristes ».

South First Responders, un autre groupe Telegram actif en anglais [85 357 abonnés, et quelques centaines en arabe, français et russe, NdT], a également publié des vidéos exclusives de l’attaque du Hamas. La chaîne semble également être la première à publier des vidéos de l’exécution de Joshua Mollel, un ressortissant tanzanien tué lors de l’attaque du Hamas.

La famille de Mollel a été informée de son décès trois jours avant la diffusion des vidéos montrant son assassinat. Elle a été invitée à se rendre en Israël pour voir les preuves, mais entre-temps, des vidéos de son enlèvement et de son meurtre sont apparues « en exclusivité » sur la page, puis sur des comptes de médias sociaux israéliens, y compris du ministère des Affaires étrangères. Elles ont été publiées avec le hashtag « Black lives don’t matter » pour le Hamas. Le père de Mollel a déclaré à Haaretz que leur publication avait porté préjudice à sa famille.

« Du point de vue d’Israël, il s’agissait de diluer la valeur des vidéos diffusées par le Hamas et de permettre à Israël de publier son propre contenu sur le terrain », a expliqué l’une des sources.

Le système est destiné à contrer ce que les chercheurs et eux-mêmes ont appelé une « machine à haine » en ligne bien huilée qui diffuse systématiquement de la désinformation anti-israélienne et pro-Hamas.

Le paradoxe de la hasbara

La question posait un défi de taille du point de vue d’Israël : le Hamas avait réussi à utiliser non seulement la mort et la destruction bien réelles à Gaza, en exploitant la crise humanitaire pour gagner les cœurs et les esprits, mais aussi à utiliser des armes de désinformation contre Israël : le négationnisme du viol, les fausses affirmations concernant le nombre de morts israéliens ou le rôle des tirs amis des FDI dans les pertes civiles au festival de musique Nova, et d’autres encore, ont tous réussi à s’enraciner en dépit du fait qu’ils étaient faux [sic] et malgré les tentatives répétées de les démystifier.

Selon des informations obtenues par Haaretz, quelques semaines après le début de la guerre, Israël a mis en place un « forum de la hasbara » qui se réunit chaque semaine et qui comprend des agences gouvernementales, des bureaux et des ministères, ainsi que des organismes militaires, de défense et de renseignement - dont Tsahal, le service de sécurité Shin Bet et le Conseil national de sécurité -, des entreprises technologiques, des initiatives civiles de bénévolat et même des organisations juives.

Des fonctionnaires de différents organismes, dont la Direction de la diplomatie publique et le ministère des Affaires de la diaspora, chargés de lutter contre l’antisémitisme à l’encontre de la communauté juive mondiale, se sont entretenus avec différentes entreprises et fournisseurs de technologie actifs dans diverses campagnes de masse en ligne. Les ressources sont une chose, explique une source de renseignements, mais il faut aussi un système pour les gérer.

Les systèmes d’influence de masse peuvent souvent causer des ennuis à leurs opérateurs, et leur exposition publique peut gravement nuire à la crédibilité de leurs clients. Chaque trimestre, des plateformes de médias sociaux comme Meta révèlent de telles opérations et sapent leur capacité à continuer à fonctionner efficacement.

L’une des sources a expliqué le dilemme que pose l’achat d’une telle technologie du point de vue d’un organisme de défense : « D’une part, vous voulez que l’échelle vous permette d’amplifier efficacement votre message principal. D’autre part, la sécurité opérationnelle est essentielle ».

Selon d’autres enquêtes publiées dans le passé, le fonctionnement d’un tel système nécessite également une certaine infrastructure.

Israël a donc décidé d’acheter une technologie existante plutôt que de prendre le risque d’en développer une de manière indépendante. Un certain nombre d’outils et de programmes civils développés pour les campagnes commerciales et politiques ont été achetés : un système de cartographie des audiences en ligne, un système capable de créer automatiquement des sites web, entre autres, ainsi que des contenus adaptés à des audiences spécifiques, un système de surveillance des médias sociaux et des plateformes de messagerie, et d’autres encore. Israël espérait ainsi lancer des campagnes qui feraient progresser le message principal d’Israël et amélioreraient la perception globale.

Un système d’influence de masse en ligne a été révélé l’année dernière dans le cadre de l’enquête sur la « Team Jorge » menée par TheMarker et Haaretz, et publiée au niveau international dans le cadre du projet « Story Killers » initié par Forbidden Stories. Dans cette affaire, un groupe d’Israéliens vendait à des clients privés des services de désinformation et d’ingérence électorale, dont certains comprenaient l’utilisation d’un logiciel inédit pour les campagnes d’influence en ligne.

Les sources soulignent que ce n’est pas le cas d’Israël aujourd’hui. Alors que ces campagnes étaient politiques, agissaient de mauvaise foi et utilisaient de fausses informations pour tromper les gens, l’objectif ici est d’amplifier les vraies informations [sic] face à la désinformation bénéficiant d’un soutien non authentique.

Tout au long de ce processus, les sources affirment que les risques liés à l’achat ou à l’exploitation d’un tel système étaient clairs, tant pour les responsables civils que pour ceux de la défense. Ces risques s’accompagnaient également de craintes d’ingérence politique de la part du cabinet du Premier ministre qui, outre la Direction de la diplomatie publique, supervise également d’autres organismes ayant examiné la possibilité d’acheter des technologies d’influence. La télévision israélienne a rapporté le mois dernier qu’un « organe de sécurité important » censé diriger les opérations d’influence d’Israël s’est inquiété d’une éventuelle utilisation abusive ou d’interventions politiques.

En fin de compte, les systèmes sélectionnés ont été achetés par des intermédiaires. Selon des sources qui ont parlé à Haaretz, il a également été décidé qu’un ministère gouvernemental, et non un organisme de défense, serait chargé de l’utilisation du système.

Outre le ministère des Affaires de la diaspora et la Direction de la diplomatie publique, le ministère des Affaires étrangères et même le ministère des Affaires stratégiques, qui a été créé pour lutter contre les efforts de délégitimation - dont le plus célèbre est le projet d’influence anti-BDS Kela Shlomo (La fronde de Salomon), qui a échoué - s’occupent tous théoriquement de la hasbara.

La première campagne créée par le système est déjà en ligne. Cette campagne n’est pas en hébreu et ne porte pas du tout sur la guerre, mais plutôt sur l’antisémitisme et la lutte contre les récits antisionistes.

Le bureau du Premier ministre a démenti le rapport et a déclaré en réponse : « Israël mène ouvertement ses importants efforts de hasbara au niveau international ». Les affirmations soulevées dans ce rapport, a déclaré un porte-parole, « nous sont totalement inconnues et n’ont jamais eu lieu ».

Le ministère israélien des Affaires de la diaspora a déclaré qu’il finançait certaines campagnes civiles, mais, comme la Direction de la diplomatie publique, il a nié l’utilisation d’un tel système.

Néanmoins, des sources continuent d’exprimer leur inquiétude à ce sujet. On ignore quel organisme israélien supervisera l’utilisation du système au fil du temps, et ce qu’il adviendra finalement de ce système et des diverses ressources numériques achetées ou créées pendant la guerre.

« L’influence est devenue une question stratégique, mais elle n’a pas encore été prise en compte - ni au niveau national, ni au niveau militaire, ni même parmi les volontaires civils », a déclaré une source bien informée. « Tout le monde doit être synchronisé, mais au lieu d’une seule voix, nous avons trois voix différentes qui tirent dans des directions différentes », a-t-elle ajouté, déplorant le triple désordre des ministères dirigés par des politiciens, des organismes de défense et des initiatives privées de citoyens et d’entreprises technologiques.

« Les premières semaines de la guerre ont été chaotiques : les organes gouvernementaux se sont chamaillés entre eux pour des questions de crédit et de territoire. Les civils, en particulier les travailleurs des entreprises de haute technologie et de relations publiques actifs dans les “salles de guerre volontaires”, les ont vraiment couverts. »

Après des mois d’efforts bénévoles, y compris l’investissement massif de ressources par des entreprises locales de technologie et de publicité, le ministère des Affaires de la diaspora a, selon certaines sources, finalement commencé à financer des projets civils et l’effort bénévole est en train de se réduire, la Direction de la diplomatie publique intervenant pour tenter de synchroniser tous les projets non militaires.

« C’est comme si Israël avait découvert l’internet pour la première fois ce samedi d’octobre », explique une source des services de renseignement. « Israël n’a jamais vraiment considéré qu’il s’agissait d’un domaine dans lequel il devait être actif. Cela prend du temps. Mais il n’y a pas de planification à long terme, tout comme pour l’éducation : aucun investissement. »


 

14/01/2024

GIDEON LEVY
Si ce n’est pas un génocide à Gaza, alors c’est quoi ?

Gideon Levy, Haaretz, , 14/1/2024
Traduit par Fausto Giudice
, Tlaxcala 

Supposons que la position d’Israël à La Haye soit juste et équitable et qu’Israël n’ait pas commis de génocide ou quoi que ce soit qui s’en rapproche. Qu’en est-il alors ? Comment appelez-vous les massacres, qui se poursuivent alors même que ces lignes sont écrites, sans discrimination, sans retenue, à une échelle difficilement imaginable ?

Place Nelson Mandela, Ramallah, Cisjordanie occupée, 10 janvier 2024

 Comment appeler les enfants mourant par terre dans les hôpitaux, dont certains n’ont plus personne au monde, et les civils âgés et affamés qui fuient pour leur vie la menace incessante des bombes omniprésentes ? La définition juridique changera-t-elle leur sort ? Israël poussera un soupir de soulagement si le tribunal rejette l’accusation. En ce qui le concerne, s’il ne s’agit pas d’un génocide, sa conscience sera à nouveau tranquille. Si La Haye dit “pas de génocide”, nous serons à nouveau les plus moraux du monde.

Ce week-end, les médias israéliens et les réseaux sociaux ont fait assaut d’admiration et d’éloges à l’égard de l’équipe de juristes qui nous a représentés à La Haye. Quel anglais élégant et quels arguments convaincants ! La veille, les médias ont à peine rapporté la position de l’Afrique du Sud, qui était présentée dans un anglais encore meilleur que celui des Israéliens et qui était bien plus ancrée dans les faits et moins dans la propagande, prouvant une fois de plus que dans cette guerre, les médias israéliens ont atteint un nadir inégalé. Ils considèrent qu’il est de leur devoir de renforcer la position israélienne et d’annuler la position du “bras juridique du Hamas”. Regardez l’honneur juridique que ces experts nous ont apporté.

Supposons que nous parlions d’un pays jugé pour les violations les plus graves du droit international. Ceux qui portent des robes noires et des perruques blanches et ceux qui n’en ont pas ont présenté les arguments habituels d’Israël, dont certains sont justes, comme les descriptions de l’atrocité du 7 octobre.

À d’autres moments, il était difficile de savoir s’il fallait rire ou pleurer. Comme l’argument selon lequel le Hamas est le seul responsable de la situation à Gaza. Israël n’y est pour rien. Dire cela à une institution internationale prestigieuse, c’est mettre en doute et insulter l’intelligence de ses juges.

Et que penser des propos du chef de l’équipe de défense israélienne, le professeur Malcolm Shaw : « Les actions d’Israël sont proportionnées et ne visent que des forces armées » ? Mais qu’en est-il de la vérité ? Proportionnées à une telle destruction ? Si c’est à cela que ressemble la proportionnalité, à quoi ressemble la disproportion ? À Hiroshima ?

“Uniquement contre des forces armées”, avec des multitudes d’enfants morts ? De quoi parle-t-il ? « Passer des appels téléphoniques pour évacuer les personnes non impliquées » ; qui a encore un téléphone en état de marche à Gaza et où exactement sont-ils censés évacuer dans cet enfer où il ne reste plus une seule parcelle de terrain sûr ? Et le comble : « Même si les soldats ont violé les lois régissant la guerre, cela sera entendu par le système juridique israélien. »

Shaw n’a apparemment pas entendu parler du système juridique israélien et encore moins de ce qu’on appelle le système juridique militaire. Il n’a pas entendu dire qu’après l’opération “Plomb durci”, le conflit de 2008-2009 avec Gaza, seuls quatre soldats ont été inculpés pour des infractions pénales et qu’un seul d’entre eux a été envoyé en prison pour le délit de vol d’une carte de crédit ( !). Tous les autres qui ont lancé des obus et des bombes sur des innocents ne seront jamais inculpés.

Et que dire des remarques de la Dre Galit Rejwan, la découverte du week-end qui sera sans aucun doute choisie pour allumer la torche de cette année lors de la cérémonie du Jour de l’Indépendance sur le Mont Herzl : « L’armée israélienne déplace les hôpitaux vers un endroit plus sûr ». Al Shifa sera-t-il déplacé à Sheba ? Rantisi à Soroka ? De quels lieux sûrs à Gaza parle-t-elle et quels hôpitaux Tsahal déplacera-t-il ?

Bien entendu, rien de tout cela ne prouve qu’Israël a commis un génocide. Le tribunal en décidera. Mais se sentir bien devant de tels arguments pour la défense ? Se sentir bien après La Haye ? Se sentir bien après Gaza ?

30/12/2023

GIDEON LEVY
Il n’y a pas moyen d’“expliquer” le degré de mort et de destruction à Gaza

Gideon Levy, Haaretz, 28/12/2023
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Il n’y a pas moyen d’“expliquer” la conduite d’Israël dans la bande de Gaza. La destruction, le massacre, la famine et le siège dans des dimensions aussi monstrueuses ne peuvent plus être expliqués ou justifiés, même par une machine de propagande efficace comme la diplomatie publique israélienne (hasbara).


Des drapeaux israéliens flottent à côté des décombres de bâtiments détruits à Gaza, vus depuis le sud d’Israël, Samedi dernier. Photo : Violeta Santos Moura / Reuters

Le mal ne peut plus être caché par la propagande. Même la combinaison gagnante israélienne de victimisation, de Yiddishkeit, de peuple élu et d’Holocauste ne peut plus brouiller l’image. Personne n’a oublié les horribles événements du 7 octobre, mais ils ne peuvent justifier ce à quoi nous assistons à Gaza. Le propagandiste qui pourrait expliquer l’assassinat de 162 enfants en un jour - un chiffre rapporté par les médias sociaux cette semaine - n’est pas encore né, sans parler de l’assassinat de quelque 10 000 enfants en deux mois.

Israël est déjà en train de mettre en place son nouveau “Yad Vashem”. Des centaines de fonctionnaires juifs des USA sont acheminés par navette aérienne vers les kibboutzim incendiés du sud. Natan Sharansky s’est également rendu à Kfar Azza cette semaine, pour voir et montrer à ces antisémites ce qu’ils nous ont fait.

Désormais, aucun invité officiel ne pourra atterrir en Israël sans être contraint de passer par le kibboutz Be’eri. Et par la suite, s’il ose tourner son regard vers la bande de Gaza, il sera taxé d’antisémitisme. Attendre les bus de Birthright avec un soldat surveillant chacun d’entre eux, fusil tchèque dégainé. Eux aussi sont déjà en route pour Nir Oz.

Il est très douteux que cela serve à quelque chose. La hasbara est désormais une machine immorale. Quiconque se contente d’être choqué par ce qui nous a été fait tout en ignorant ce que nous avons fait depuis n’a ni intégrité ni conscience. On ne peut pas ignorer Gaza et n’être choqué que par Kfar Azza. Bien sûr, il est obligatoire de dire et de montrer au monde ce que le Hamas nous a fait. Mais l’histoire ne fait que commencer. Elle ne s’arrête pas là. Ne pas raconter sa suite est un acte méprisable.

À côté des terribles souffrances israéliennes, qu’il ne faut pas sous-estimer, la bande de Gaza connaît aujourd’hui des souffrances bien plus grandes. Elles sont d’une ampleur énorme et provoque le désespoir. Elles n’ont pas d’explication et n’en ont pas besoin. Il suffit de lire les rapports provenant de Gaza et diffusés dans le monde entier, à l’exception d’un minuscule État dont les yeux sont fermés et le cœur scellé.


Des Palestiniens prient devant les corps de personnes tuées lors de bombardements israéliens avant de les enterrer dans une fosse commune dans la ville de Khan Younès, dans le sud de la bande de Gaza, le mois dernier. Photo Mohammed Dahman / AP

La hasbara israélienne est une mystification. Elle raconte une histoire qui n’est pas toute la vérité. En cachant plus de la moitié de la vérité, la hasbara aurait dû être considérée comme une activité honteuse. Mais ce n’est pas le cas. En Israël, une figure grotesque comme Noa Tishbi [“hasbariste” de choc, ex-“envoyée spéciale chargée de combattre l’antisémitisme et la délégitimation d’Israël” du gouvernement Lapid-Gantz, NdT] est devenue l’héroïne du moment. L’attaque ridicule contre Benny Gantz, qui a assisté à une fête en son honneur dans la maison du père endeuillé Eyal Waldman et a été photographié souriant, un verre dans une main et Tishbi dans l’autre, n’a pas compris l’essentiel.

Le fait est que les imposteurs, ici, sont transformés en héros. La navigation sur le compte X de Tishbi vous fera vomir. Une autre Nataly Dadon [mannequin, influenceuse, NdT], mais avec de la poussière d’Hollywood, du new age, des embrassades, des larmes et des sourires Colgate, du kitsch et de la mort en provenance directe de la zone proche de la frontière gazaouie. La nation juive est le peuple indigène d’Israël, nous sommes d’ici, dit la femme qui a émigré loin d’ici. Dès qu’elle a atterri à l’aéroport Ben Gourion, elle a dû courir se mettre à l’abri, en se filmant bien sûr pour faire trembler le cœur de tous les “amis d’Israël” et les faire pleurer.

Et les bijoux, oh les bijoux sur Tishbi : deux étoiles de David, pas une, juste pour être sûr ; un collier Chai et une carte du fleuve à la mer, le tout en or. Un quart de million d’adeptes. Hanoukka est une fête sioniste. Tel Aviv est une ville attaquée. « Il faut imaginer à quoi ressemblera le Moyen-Orient une fois le Hamas vaincu », dit-elle à Piers Morgan de TalkTV.

Vous voulez savoir à quoi ressemblera le Moyen-Orient ? Gaza détruite, deux millions de sans-abri et en face d’eux, également couvert de cicatrices et battu, un État d’apartheid dont Tishbi n’a même pas entendu parler.

 

01/11/2023

CONTRIBUTEUR ANONYME
Une lettre au philosophe le plus dangereux d’Occident
Un Palestinien répond à Slavoj Žižek

 Contributeur anonyme, Mondoweiss, 31/10/2023
Traduit par Fausto GiudiceTlaxcala

Cette lettre ouverte a été rédigée par un critique culturel, écrivain et artiste palestinien qui a choisi de publier sous le couvert de l’anonymat par crainte de représailles de la part du régime israélien, qui soumet les voix palestiniennes à une campagne brutale de répression et d’arrestations depuis le 7 octobre.

Cher Slavoj Žižek,

Il y a environ deux semaines, vous avez publié un article [en anglais, néerlandais et allemand] affirmant que “la véritable ligne de démarcation en Israël-Palestine” se situe entre les “fondamentalistes” des deux côtés et tous ceux qui recherchent réellement la “paix”, ce par quoi vous appelez à une position qui ne choisisse pas entre une “faction dure” et l’autre. Bien que vous mettiez les deux sur un pied d’égalité en principe, vous commencez et terminez votre article par une condamnation sans appel de la conduite du Hamas, sans jamais condamner explicitement l’autre “faction dure” pour la même conduite, qu’elle a menée lentement et quotidiennement au cours des 75 dernières années. Je commence ma réponse par une question fondamentale : en tant que quoi parlez-vous ?

Des Palestiniens brandissent des drapeaux du Hamas et du Jihad islamique lors d’une marche à Hébron pour exprimer leur solidarité avec Gaza, le 27 octobre 2023. (Photo : Mamoun Wazwaz/APA Images)

Parlez-vous en tant que philosophe strictement occidental engagé dans un projet occidental, tristement célèbre pour sa tradition séculaire de colonialisme “moralement négligé” qui n’a pas encore pris fin, pour l’histoire usée du civil et du barbare ? Si c’est le cas, j’accepte votre position et je n’ai rien d’autre à vous dire. Vous avez choisi votre camp. Mais si vous vous exprimez en tant que philosophe, je m’attends à un minimum de pensée critique dans votre position - surtout, à l’égard du canon politique sur lequel vous fondez votre évaluation, votre vision et votre appel à l’action. Je n’en attendais pas moins de la star de la “critique de l’idéologie”, qui est indubitablement rompue à la détection de l’autorité brutale et étendue de la manipulation idéologique - en particulier vu que les perspectives géopolitiques occidentales les plus courantes sur le Moyen-Orient ont souvent été altérées par de telles manipulations.

Votre principale réflexion sur l’idéologie était qu’elle fonctionne comme telle ; nous n’y croyons pas, mais nous la pratiquons, comme l’illustre le moment culminant du film They Live [Invasion Los Angeles, John Carpenter, 1986], où, sous tous ces titres audacieux et sensationnalistes, se cache une conception plus profonde et plus dérangeante du sujet. C’est ce que l’on peut voir dans les titres des panneaux d’affichage virtuels et physiques des médias occidentaux après le 7 octobre et ses atrocités présumées - viols, bébés décapités et autres massacres si innommables que toute personne en prenant connaissance sera affectée sur le plan humain.

Ces actions sont présentées comme violentes et apolitiques alors qu’elles sont le fait d’une faction politique qui mène une guerre pour la justice et la libération. Certaines de ces affirmations brutales, comme le mythe des “bébés décapités, ont été réfutées par de nombreuses personnes, y compris les Israéliens et le président usaméricain Biden. Pendant ce temps, d’autres affirmations ont été au moins contestées, et beaucoup ont été réfutées par les témoignages d’otages israéliens libérés. Certains d’entre eux ont audacieusement déclaré que les participants au festival de musique, par exemple, n’avaient pas été exécutés par le Hamas, mais qu’ils avaient été tués au cours d’un échange de tirs, suggérant qu’il s’agissait de tirs amis israéliens, qui ne semblaient pas s’inquiéter de la présence de civils sur leur chemin. Avec de telles contradictions et l’occultation de tous les médias, la vérité sur les événements de cette journée reste inconnue.

Pourtant, on insiste lourdement pour assimiler une faction de la résistance palestinienne née dans le contexte évident de l’occupation militaire à Daech, en dépit de leurs histoires conflictuelles et de leurs objectifs et idéologies différents. Cette tentative, qui remonte à la guerre de 2014 contre Gaza, a été faite par Netanyahou pour la campagne électorale de son parti de droite, et a déjà été rejetée par des universitaires israéliens comme une distorsion de la réalité destinée à éluder les négociations. D’un point de vue critique, la résurgence de cette affirmation dans le climat politique actuel se présente comme un abus de plus d’une atmosphère croissante d’islamophobie en Occident pour s’assurer un soutien inconditionnel à Israël.

Ce postulat soulève des doutes non seulement sur l’intégrité des médias, mais aussi sur l’ensemble de l’appareil politique occidental, car il s’appuie sur un rejet unilatéral des factions de résistance comme étant du pur terrorisme au nom de l’Islam, tout en insistant sur un récit rival de “légitime défense” politiquement justifiée. Si ces doutes doivent être pris en considération - et ils devraient l’être - les positions politiques, les histoires et les contextes ont une grande importance. Si vous rejetez le Hamas (et d’autres mouvements de résistance) comme étant du terrorisme, ne risquez-vous pas de rejeter toute l’histoire de la lutte armée palestinienne contre une occupation armée ?

Vous commencez par revendiquer une voie à suivre au moyen d’un contexte historique, mais votre réflexion historique semble exclure la part dans laquelle la résistance palestinienne est formée et façonnée à l’échelon national. Rejeter la résistance en tant que terrorisme revient à la décontextualiser politiquement et à priver les Palestiniens du droit fondamental à l’organisation et à l’aspiration politiques. Cela rend le sujet palestinien nihiliste et conduit à des interprétations erronées telles que votre description de l’Intifada de Jérusalem de 2015, appelée “Intifada des couteaux”, comme une expression violente du désespoir. Une telle approche sociologique de la politique doit être sérieusement révisée.

29/08/2023

LUIS E. SABINI FERNÁNDEZ
USA-Israël : une solidarité “à l’épreuve des balles” quelque peu mise à mal

Luis E. Sabini Fernández, Revista Futuros, 27-8-2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

La “réaction morale” des sionistes indignés par les nouvelles exigences de l’administration Biden à l’égard de l’État d’Israël en ce qui concerne les “droits des Palestiniens” vaut son pesant de hoummous.

 
Derniers sondages : humeur anti-israëlienne aux USA
Danziger, The Rutland Herald

Nous craignons que Biden lui-même ne soit choqué. Mais c’est une expression de l’époque, si démocratique, si pluraliste, si antiraciste, si attachée au politiquement correct ; cet air du temps a mis Biden et son équipe “progressiste” dans un sacré pétrin idéologique et tactique.

Nous n’avons plus de Teddy Roosevelt qui a choisi la politique du bâton pour redresser la ligne des nations satellites, nous n’avons plus de Winston Churchill qui se vantait de gazer les “nègres cabochards” ou de bombarder leurs villages ; nous n’avons plus (du moins dans l’arène politique), de WASP pur jus proclamant sur des bases éthiques, religieuses et scientifiques que la race blanche a été chargée par Dieu de guider et/ou de domestiquer les autres races (ou de les écarter du chemin, si elles dérangent plus que de raison).

Caroline, indignée, ne mâche pas ses mots : « Le rapport du département d’État nie fermement que l’État juif ait le droit d’imposer ses lois aux citoyens arabes ». [1]

Caroline poursuit : « Prenons, par exemple, la section du rapport sur les efforts d’Israël pour lutter contre l’occupation illégale des terres par les Bédouins dans le sud d’Israël. Selon l’ONG israélienne Regavim, qui documente les constructions arabes illégales, la minorité bédouine d’Israël a occupé dans le Néguev des terres plus vastes que Jérusalem, Tel Aviv et Beersheba réunis... Quelque 82 000 Bédouins - moins de 1 % de la population israélienne - ont occupé quelque 60 000 ha. Les 99 % restants d’Israël résident sur quelque 232 000 acres [un peu moins de 100 000 ha] ». Caroline utilise la comparaison de Regavim mais ne dit pas que ce que les Bédouins habitent est un désert dans lequel les humains survivent avec un minimum de moyens, et que les autres millions d’habitants d’Israël le font dans d’autres conditions, radicalement différentes, urbaines et industrielles.

Selon Hashomer Hadahash, une autre ONG israélienne, « qui protège les terres rurales israéliennes contre le terrorisme agricole arabe [sic], les Bédouins sont devenus des bandits qui exigent une rémunération pour leur protection ».

Caroline est déterminée à inverser le discours sur ce qui s’est réellement passé. Si ce n’était pas historiquement méprisable, on pourrait applaudir la construction d’un tel livret.

Récapitulons : Caroline voit « les efforts d’Israël pour lutter contre les empiètements illégaux des Bédouins dans le sud d’Israël ». Cependant, les Bédouins ont habité cette région - le désert du Néguev - pendant des siècles avant que les sionistes ne décident, au XXe siècle, de s’approprier ce territoire. Caroline parle de prise de terre “illégale” parce que les Bédouins n’ont pas utilisé le droit de l’occupant ; sans doute, le bon sens ancestral ne leur aurait jamais conseillé d’utiliser ce droit, car le droit de l’occupant n’est pas fait pour être exercé par l’occupé : les Bédouins occupent parce qu’ils savent pertinemment, ou par leur propre expérience du colonialisme, que les revendications juridiques des “originaires” n’existent pas ; si elles existent, elles ne sont pas reconnues.

Les Palestiniens en général, bédouins ou non, n’ont donc aucune protection juridique en Israël ; c’est pourquoi les Palestiniens dont les terres ont été prises (et généralement beaucoup plus) ne se sont vu reconnaître aucun droit en Israël, malgré toutes les dispositions “internationales” en faveur des réfugiés, qui obligent les États à verser diverses réparations, ce qu’Israël n’a jamais respecté.

Même le quotidien israélien Haaretz a rapporté dès 2016 que « 95 % de l’eau disponible dans la bande de Gaza serait imbuvable et mélangée aux eaux usées et aux pesticides ».[2]

On n’a pas tout vu, Sancho ! Mentionner si souvent le “terrorisme arabe” sans indiquer les éléments déclencheurs : ce que le sionisme a fait au fil des décennies et maintenant depuis des siècles, c’est - précisément - exercer le terrorisme sur la population arabe palestinienne, afin de continuer à la déposséder de ses terres. Déraciner les orangers, les vignes et les oliviers, dont certains sont centenaires ; déverser les eaux usées de leurs localités sur les terres côtières où vit, par exemple, la population de la bande de Gaza ; empêcher les agriculteurs et les villageois palestiniens de stocker l’eau de pluie qui se raréfie et appliquer ainsi des “garrots”. L’invasion de leurs villages, que les Palestiniens entretiennent en s’en tenant à leurs petites cultures soigneusement entretenues, si éloignées des projets agro-industriels promus dans l’Israël moderne, chargés de produits agrochimiques toxiques.

Cette curieuse invocation des droits de l’homme par des violateurs systématiques et de longue date montre à quel point il est difficile de parvenir à des accords qui soient équitables et dignes.[3]

Qu’est-ce qui a déclenché cette vague de plaintes, d’avertissements et de contre-plaintes ? Une simple remarque du président Biden sur le comportement d’Israël à l’égard des Bédouins, par exemple, « le fait d’ignorer leur mode de vie semi-nomade ».[4]

Il existe cependant d’autres points d’achoppement qui pourraient expliquer tant de malaise.

Pramila Jayapal, membre de la Chambre des représentants des USA, a provoqué un court-circuit en jouant le rôle du petit garçon qui demande à haute voix lors du défilé : « pourquoi le roi est nu ? » Alors, la vérité est devenue incontournable, incontrôlable.

La démocrate basanée d’origine indienne Jayapal a dit un mot : qu’Israël était “raciste”. Rien que ça.

Dans la même chambre, une foule d’autres démocrates sont venus démentir une telle affirmation, et ils ont déclaré publiquement qu’ils passaient la main sur le dos de l’entité non plus mythique mais biblique qu’ils ont parrainée et protégée (inversant les relations habituelles, cette entité biblique a nourri la grande majorité des membres du Congrès usaméricain sous la forme d’aumônes toujours généreuses).

Il y a quelques années, un quatuor de femmes critiques à l’égard de la conduite d’Israël a été formé au sein du caucus démocrate, qui s’est récemment élargi à huit membres (aujourd’hui mixtes), surnommés “l’Escouade”. Mais n’oublions pas que les membres démocrates du Congrès usaméricain sont actuellement au nombre de 212 (ils sont en minorité) et que, par une simple règle de trois, nous constatons que l’“Escouade” ne constitue même pas 4 % de ce corps législatif...

 

Patrick Chappatte, Le Temps, Lausanne

Mais l’indignation de Caroline Glick ne connaît pas de limites et porte le discours d’inversion de la vérité à de nouveaux sommets.

Elle affirme : « Biden s’est ingéré dans les querelles internes israéliennes sur les procédures judiciaires d’une manière dont le gouvernement usaméricain ne l’a jamais fait auparavant ». [1]

L’affirmation de Glick est vraisemblablement vraie ; ce qui est frappant, c’est l’aveuglement militant de la commentatrice qui ne veut même pas voir que les Israéliens se sont ingérés dans les querelles intérieures usaméricaines sur un nombre immense de questions : la violence dans les pays musulmans, les rapports qui se sont révélés faux sur l’armement de pays “inamicaux”, les assassinats par l’armée israélienne de citoyens usaméricains tels que Rachel Corrie ou la journaliste palestino-usaméricaine Shireen Abu Akleh ; l’expansion territoriale israélienne pendant les visites présidentielles usaméricaines, le contrôle de la frontière usaméricano-mexicaine par des entreprises israéliennes, avec l’“assistance"” par exemple, du Groupe Golan, ne sont que quelques exemples de l’influence israélienne sur la vie et les décisions des USA et de leur population.

Certains chercheurs vont beaucoup plus loin et parlent d’une véritable dépendance ou soumission usaméricaine aux décideurs israéliens. Voir, par exemple, l’approche de Gilad Atzmon, lui-même juif[2] : « Les USA sont prêts à sacrifier leurs jeunes soldats, leurs intérêts nationaux et même leur économie pour Israël. Les groupes de pression israéliens semblent croire qu’ils sont en fait plus puissants et certainement plus importants que la constitution américaine. » [3]

Deux intellectuels usaméricains, John J. Mearsheimer et Stephen M. Walt, posent la question suivante et y répondent : « Pourquoi les USA sont-ils prêts à mettre leur propre sécurité de côté dans l’intérêt d’un autre État ? Nous pourrions supposer que le lien entre les deux pays repose sur des intérêts stratégiques communs ou sur des impératifs moraux impérieux. […] Toutefois, aucune de ces deux explications ne justifie l’important soutien matériel et diplomatique que les USA apportent à Israël. Au contraire, l’orientation de la politique usaméricaine dans la région est presque entièrement due à la politique intérieure des USA, en particulier aux activités du “lobby israélien” ». [4]

Le boucher Ariel Sharon a dit la même chose d’une autre manière : « Nous, les Juifs, contrôlons l’Amérique et les Américains le savent ». Il n’avait pas tort, même si une telle franchise est dégoûtante.

Nous vivons une époque de sensibilité accrue à l’escamotage des libertés démocratiques... les nôtres.

Ainsi, Weinthal nous rappelle douloureusement que « l’ingérence présumée de Biden dans les affaires intérieures d’Israël a été une source d’angoisse pour certains Israéliens et pour plusieurs candidats républicains à l’élection présidentielle ». (ibid.)

Biden ne peut supporter tant de douleur et de vexation israéliennes : « Il a dit à Herzog de transmettre à Netanyahou la conviction que l’engagement de l’Amérique envers Israël est ferme et à l’épreuve des balles ». (ibid.)

Et pour parfaire la réconciliation, Joe Biden a promis un “plan national contre l’antisémitisme”.[5]

La Double alliance (qui est en fait une triple alliance avec le Royaume-Uni) reste intacte.

Notes

[1]   Caroline Glick, ”The Biden Adminstration Sinister Turn Against Israel”, Newsweek,  24 marzo 2023.

[3]  La violence terroriste en Palestine est attestée par les assassinats des commandos sionistes depuis au moins la deuxième décennie du XXe siècle ; les premiers attentats perpétrés par des organisations palestiniennes datent de la septième décennie du même siècle : pendant un demi-siècle, les Palestiniens , en matière de “terrorisme”, n'en ont été que des victimes..

[4]  Glick, ibid.

[5]   Weinthal, Benjamin. "Biden criticism of Netanyahu govt sparks anger as Israeli president set to address Congress", Fox News, 2023 07 19.

[6]   Non seulement juif, mais sioniste d'origine et croyant en son grand-père, organisateur de la violence contre les Palestiniens. En tant que conscrit, il avoue avoir eu le choc de sa vie, car il a découvert, sous les rires de ses pairs, les cages - qu'il avait prises pour des chenils - dans lesquelles étaient enfermés les Palestiniens les plus dignes ou les plus rebelles ; des cages où l'on ne peut ni s'allonger, ni se lever. Et en même temps, il a rencontré personnellement des Palestiniens emprisonnés et très dignes. La secousse psychique fut si forte qu'il quitta d'abord l'armée, puis le sionisme et enfin le pays et la tribu. Aujourd'hui, il n'a qu'une seule citoyenneté : britanniques.

Ça vient du Premier ministre Netanyahou:
"SVP, respectez le droit à l'existence de l'État d'Israël.
Nous apprécions votre coopération pendant que nous le construisons sur votre dos.
XO (Câlins et bisous),
Bibi
"
Dessin de Christofer Weyant, The Boston Globe