14/01/2024

GIDEON LEVY
Si ce n’est pas un génocide à Gaza, alors c’est quoi ?

Gideon Levy, Haaretz, , 14/1/2024
Traduit par Fausto Giudice
, Tlaxcala 

Supposons que la position d’Israël à La Haye soit juste et équitable et qu’Israël n’ait pas commis de génocide ou quoi que ce soit qui s’en rapproche. Qu’en est-il alors ? Comment appelez-vous les massacres, qui se poursuivent alors même que ces lignes sont écrites, sans discrimination, sans retenue, à une échelle difficilement imaginable ?

Place Nelson Mandela, Ramallah, Cisjordanie occupée, 10 janvier 2024

 Comment appeler les enfants mourant par terre dans les hôpitaux, dont certains n’ont plus personne au monde, et les civils âgés et affamés qui fuient pour leur vie la menace incessante des bombes omniprésentes ? La définition juridique changera-t-elle leur sort ? Israël poussera un soupir de soulagement si le tribunal rejette l’accusation. En ce qui le concerne, s’il ne s’agit pas d’un génocide, sa conscience sera à nouveau tranquille. Si La Haye dit “pas de génocide”, nous serons à nouveau les plus moraux du monde.

Ce week-end, les médias israéliens et les réseaux sociaux ont fait assaut d’admiration et d’éloges à l’égard de l’équipe de juristes qui nous a représentés à La Haye. Quel anglais élégant et quels arguments convaincants ! La veille, les médias ont à peine rapporté la position de l’Afrique du Sud, qui était présentée dans un anglais encore meilleur que celui des Israéliens et qui était bien plus ancrée dans les faits et moins dans la propagande, prouvant une fois de plus que dans cette guerre, les médias israéliens ont atteint un nadir inégalé. Ils considèrent qu’il est de leur devoir de renforcer la position israélienne et d’annuler la position du “bras juridique du Hamas”. Regardez l’honneur juridique que ces experts nous ont apporté.

Supposons que nous parlions d’un pays jugé pour les violations les plus graves du droit international. Ceux qui portent des robes noires et des perruques blanches et ceux qui n’en ont pas ont présenté les arguments habituels d’Israël, dont certains sont justes, comme les descriptions de l’atrocité du 7 octobre.

À d’autres moments, il était difficile de savoir s’il fallait rire ou pleurer. Comme l’argument selon lequel le Hamas est le seul responsable de la situation à Gaza. Israël n’y est pour rien. Dire cela à une institution internationale prestigieuse, c’est mettre en doute et insulter l’intelligence de ses juges.

Et que penser des propos du chef de l’équipe de défense israélienne, le professeur Malcolm Shaw : « Les actions d’Israël sont proportionnées et ne visent que des forces armées » ? Mais qu’en est-il de la vérité ? Proportionnées à une telle destruction ? Si c’est à cela que ressemble la proportionnalité, à quoi ressemble la disproportion ? À Hiroshima ?

“Uniquement contre des forces armées”, avec des multitudes d’enfants morts ? De quoi parle-t-il ? « Passer des appels téléphoniques pour évacuer les personnes non impliquées » ; qui a encore un téléphone en état de marche à Gaza et où exactement sont-ils censés évacuer dans cet enfer où il ne reste plus une seule parcelle de terrain sûr ? Et le comble : « Même si les soldats ont violé les lois régissant la guerre, cela sera entendu par le système juridique israélien. »

Shaw n’a apparemment pas entendu parler du système juridique israélien et encore moins de ce qu’on appelle le système juridique militaire. Il n’a pas entendu dire qu’après l’opération “Plomb durci”, le conflit de 2008-2009 avec Gaza, seuls quatre soldats ont été inculpés pour des infractions pénales et qu’un seul d’entre eux a été envoyé en prison pour le délit de vol d’une carte de crédit ( !). Tous les autres qui ont lancé des obus et des bombes sur des innocents ne seront jamais inculpés.

Et que dire des remarques de la Dre Galit Rejwan, la découverte du week-end qui sera sans aucun doute choisie pour allumer la torche de cette année lors de la cérémonie du Jour de l’Indépendance sur le Mont Herzl : « L’armée israélienne déplace les hôpitaux vers un endroit plus sûr ». Al Shifa sera-t-il déplacé à Sheba ? Rantisi à Soroka ? De quels lieux sûrs à Gaza parle-t-elle et quels hôpitaux Tsahal déplacera-t-il ?

Bien entendu, rien de tout cela ne prouve qu’Israël a commis un génocide. Le tribunal en décidera. Mais se sentir bien devant de tels arguments pour la défense ? Se sentir bien après La Haye ? Se sentir bien après Gaza ?

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