Ben Samuels, Haaretz,
Washington, 28/1/2024
Traduit par Fausto
Giudice, Tlaxcala
Avant le 7 octobre, les USA et Israël donnaient la priorité à la normalisation israélo-saoudienne. Aujourd’hui, l’administration Biden tente de libérer les otages détenus par le Hamas, d’empêcher une guerre avec le Hezbollah et d’amortir les coups portés à la position diplomatique d’Israël dans un contexte de guerre et de catastrophe humanitaire à Gaza. Ci-dessous les responsables usaméricains chargés d’une liste de tâches de plus en plus longue
Les personnages chargés de gérer les tensions au Proche-Orient : Bill Burns, Antony Blinken, Joe Biden, Brett McGurk, Linda Thomas-Greenfield. Photos : Susan Walsh, Evan Vucci, Mary Altaffer, Tom Williams/AP, montage d’Anastasia Shub
WASHINGTON - La réaction du président Biden à l’attaque du Hamas du 7 octobre et à la guerre d’Israël contre Gaza qui s’en est suivie définira en grande partie l’héritage qu’il laissera en matière de politique étrangère, après que son administration eut accordé la priorité au conflit israélo-palestinien et mis l’accent sur l’intégration régionale d’Israël et la normalisation potentielle avec l’Arabie saoudite.
L’engagement de hauts fonctionnaires usaméricains visait initialement à fournir une expertise et une expérience de première main, ainsi qu’à « poser les questions difficiles », comme on l’a souvent dit. Cela faisait partie de la stratégie du « bear hug » [câlin d’ours, étreinte de soumission] de Biden : utiliser le soutien de l’opinion publique pour exercer la pression publique. Alors que la guerre se poursuit sans relâche et que les points de vue des USA sont ignorés, ces fonctionnaires ont été de plus en plus chargés de gérer les relations alors que les tensions s’envenimaient.
Les responsables usaméricains - qu’ils soient impliqués dans les négociations sur les otages, qu’ils empêchent la guerre de Gaza de s’étendre au Liban et à l’ensemble du Moyen-Orient, qu’ils veillent à ce que la crise humanitaire à Gaza ne s’aggrave pas, qu’ils maintiennent la position diplomatique d’Israël (au Moyen-Orient et sur la scène internationale) ou qu’ils cherchent à revitaliser l’Autorité palestinienne sur la voie d’une solution à deux États pour l’après-guerre - sont confrontés à une liste de plus en plus longue de casse-têtes.
Cette situation ne fera que s’accentuer à mesure que les USA feront pression pour qu’Israël passe à une phase de guerre de moindre intensité et que l’opinion nationale sur la conduite d’Israël s’aggravera à quelques mois de l’élection présidentielle.
Le premier cercle
Le secrétaire d’État Antony Blinken, le plus haut diplomate des USA, a effectivement servi de baromètre public pour la réponse de l’administration. Au cours des nombreuses navettes diplomatiques qu’il a effectuées dans les mois qui ont suivi l’attaque, les discours de Blinken ont présenté le point de vue des USA sur les faits observés sur le terrain, faisant régulièrement état de préoccupations croissantes concernant la crise humanitaire de Gaza et l’incapacité d’Israël à réduire le nombre de victimes civiles.
Le discours qu’il a prononcé à Tokyo le 8 novembre, détaillant les « cinq non », est souvent cité comme ayant défini les principes des USA sur la guerre de Gaza et l’avenir du conflit israélo-palestinien : « Pas de déplacement forcé des Palestiniens de Gaza - ni maintenant, ni après la guerre. Pas d’utilisation de Gaza comme plateforme pour le terrorisme ou d’autres attaques violentes. Pas de réoccupation de Gaza après la fin du conflit. Aucune tentative de blocus ou d’assiégement de Gaza. Aucune réduction du territoire de Gaza. Nous devons également veiller à ce qu’aucune menace terroriste ne puisse émaner de la Cisjordanie ».
Le conseiller à la sécurité nationale Jake Sullivan, en particulier par l’intermédiaire de son principal adjoint Jon Finer et du conseiller principal pour le Proche-Orient Brett McGurk, sont les voix les plus proches de l’oreille de Joe Biden pour tout ce qui concerne la politique étrangère. Avant le 7 octobre, ils étaient parmi les plus fervents défenseurs de la redéfinition des priorités en matière d’intégration régionale d’Israël, jusqu’à ce que l’attaque du Hamas vienne bouleverser cette approche. Depuis, ils ont publiquement et en privé intensifié leurs efforts pour encourager la normalisation israélo-saoudienne en tant que voie vers une solution à deux États.
Le porte-parole du Conseil national de sécurité, John Kirby, a été le responsable le plus en vue de l’administration sur la guerre, s’attirant les louanges des milieux pro-israéliens et juifs usaméricains pour avoir défendu le droit d’Israël à l’autodéfense et rejeté les accusations de génocide.
Hauts fonctionnaires
Au cours des derniers mois, la vice-présidente Kamala Harris a été utilisée à dessein dans le domaine de la politique étrangère. Fréquemment en contact avec le président israélien Isaac Herzog, le discours qu’elle a prononcé en décembre lors de la COP28, exhortant Israël à faire davantage pour protéger les civils, a conduit de nombreux observateurs à penser qu’elle était déployée en tant que « méchant flic ».
Son mari Doug Emhoff (le premier conjoint juif d’un·e président·e ou d’un·e vice-président·e des USA) a entre-temps servi à l’administration de tête de console dans la lutte contre “la montée de l’antisémitisme intérieur” résultant de la guerre.
L’ambassadrice des USA auprès des Nations unies, Linda Thomas-Greenfield, a été confrontée à l’isolement croissant des USA sur la scène internationale, alors que la plus grande partie du monde exige qu’Israël change de cap à Gaza afin de mieux protéger les civils et d’augmenter considérablement l’aide humanitaire. Sous sa direction, les USA ont été le seul membre du Conseil de sécurité des Nations unies à opposer son veto à une résolution appelant à un cessez-le-feu. Elle a également supervisé les négociations visant à modifier considérablement la formulation d’une rare résolution du Conseil de sécurité des Nations unies destinée à accroître l’aide, qui a été adoptée.
L’ambassadeur des USA en Israël, Jack Lew, dont la nomination a été accélérée dans les semaines qui ont suivi le 7 octobre, a été un interlocuteur clé sur le terrain entre les gouvernements US et israélien, notamment en ce qui concerne la distribution de l’aide humanitaire à Gaza, ainsi que les efforts visant à maintenir la solvabilité de l’Autorité palestinienne en Cisjordanie face à la violence des colons et à la rétention continue par le gouvernement israélien des recettes fiscales palestiniennes.
Négociations sur l’échange de captifs
Bien que McGurk soit impliqué dans pratiquement toutes les questions relatives au conflit, il est de plus en plus mis à contribution dans les efforts de négociation sur les captifs, notamment en tant que clé de la fin de la guerre et de la transition vers les efforts de normalisation et de solution à deux États.
Roger Carstens, qui travaille au département d’État en tant qu’envoyé présidentiel spécial des USA pour les affaires d’otages, et son adjoint Steven Gillen, qui s’est rendu en Israël aux côtés de Blinken immédiatement après le 7 octobre et y est resté pour travailler avec les familles de captifs israéliens, soutiennent les efforts de Burns.
Tensions régionales
Le secrétaire à la Défense Lloyd Austin, a été en communication constante avec ses homologues israéliens, le ministre de la Défense Yoav Gallant et le chef d’état-major de Tsahal Herzl Halevi, recevant des mises à jour tactiques sur les opérations militaires d’Israël et offrant ses propres expériences et leçons sur la guerre urbaine [il a “fait” l’Irak, l’Afghanistan, la Syrie et le Yémen, NdT]. Il a également insisté sur la nécessité de renforcer le dispositif militaire usaméricain au Moyen-Orient afin de dissuader l’Iran et ses affidés régionaux. Au fur et à mesure de l’évolution de la guerre et de l’aggravation des tensions à la frontière libanaise et avec les Houthis en mer Rouge, il a été chargé de relayer le mécontentement des USA à l’égard des tactiques israéliennes tout en essayant d’amortir les retombées régionales.
Le commandant du CENTCOM, le général Michael “Erik” Kurilla [invasion de Panamá, Première Guerre du Golfe, Bosnie, Kosovo, Haïti, Irak etc., NdT] est responsable des communications directes entre militaires avec Israël, et son théâtre d’opérations n’a attiré l’attention que depuis les attaques des Houthis contre la navigation internationale en mer Rouge - et les frappes usaméricaines subséquentes contre les Houthis au Yémen - et les attaques par des affidés de l’Iran contre les forces des USA et de la coalition en Irak et en Syrie.
L’engagement de hauts fonctionnaires usaméricains visait initialement à fournir une expertise et une expérience de première main. Alors que la guerre se poursuit sans relâche et que les idées usaméricaines sont ignorées, ces fonctionnaires ont été chargés de gérer les relations alors que les tensions s’apaisent
L’envoyé spécial de Joe Biden, Amos Hochstein, a été chargé de la question du Liban, qui a frôlé l’ébullition ces dernières semaines en raison de l’aggravation des escarmouches entre Israël et le Hezbollah et de l’assassinat d’un haut responsable du Hamas à Beyrouth. Des responsables israéliens ont averti Hochstein que le temps était compté pour parvenir à une solution diplomatique en vue d’un accord potentiel créant une zone tampon de facto et d’une avancée vers un accord frontalier à long terme.
Hochstein avait notamment négocié l’accord sur les frontières maritimes entre les deux pays en 2022, que Biden avait alors considéré comme une initiative diplomatique clé de sa présidence.
Crise humanitaire
Si Biden n’a pas nommé d’envoyé spécial pour superviser le conflit israélo-palestinien, il a désigné David Satterfield comme envoyé spécial pour la crise humanitaire à Gaza quelques jours après la guerre. Satterfield a été amené à travailler avec un gouvernement israélien réticent à étendre l’aide humanitaire à Gaza malgré les risques croissants de famine et de maladie, tout en plaidant en faveur de la liberté de mouvement des Palestiniens à Gaza et de la nécessité de nouveaux mécanismes de “deconfliction” [réduction des risques de tirs amis, NdT].
L’administratrice de l’Agence américaine pour le développement international, Samantha Power, a joué un rôle important depuis Washington dans la coordination des efforts des USA pour fournir une aide humanitaire aux Palestiniens. Elle s’est rendue en Égypte et a supervisé la livraison de 250 tonnes d’aide alimentaire, de dizaines de millions de dollars d’aide supplémentaire, la mise en place d’un hôpital de campagne et l’extension de l’aide à des produits autres qu’alimentaires.
Malgré les progrès réalisés au cours des dernières semaines - notamment les pressions exercées sur Israël pour qu’il autorise le transport de farine par le port d’Ashdod, la rationalisation de l’acheminement de l’aide par le point de passage de Kerem Shalom et l’autorisation donnée à une mission des Nations unies de se rendre dans le nord de Gaza afin d’évaluer les possibilités de retour des Palestiniens déplacés - les hauts fonctionnaires usaméricains reconnaissent que leurs efforts pour compenser la crise humanitaire se heurtent à des obstacles considérables.
Les Palestiniens
Lors d‘une réunion en décembre avec le président palestinien Mahmoud Abbas, Sullivan a directement évoqué la nécessité de réformes au sein de l’Autorité palestinienne, notamment les mesures à prendre pour revitaliser le leadership dans ses rangs et la nécessité pour les forces de sécurité de l’Autorité palestinienne de contribuer au maintien de l’ordre en Cisjordanie et de jouer un rôle potentiel dans la bande de Gaza d’après-guerre.
Les hauts fonctionnaires du département d’État s’efforcent quant à eux de maintenir les relations avec l’AP, dont le rôle actuel et futur en tant qu’organe dirigeant des Palestiniens est devenu un point de discorde entre les USA et Israël.
D’autres hauts fonctionnaires du département d’État - notamment le secrétaire adjoint principal Henry Wooster, la diplomate en chef pour le Moyen-Orient Barbara Leaf, le conseiller Derek Chollet, le coordinateur de la sécurité usaméricaine, le général de corps d’armée Michael Fenzel, et le secrétaire adjoint pour les Affaires israélo-palestiniennes Andrew Miller - ont joué un rôle dans la communication avec les responsables israéliens, palestiniens et jordaniens sur la nécessité d’une réforme interne de l’Autorité palestinienne ainsi que sur les dangers de la violence des colons.
Leaf assure l’interface de communication avec les alliés arabes concernant les plans de reconstruction et de gestion de l’après-Gaza, y compris le lien entre les plans de succession de l’AP et la normalisation israélo-saoudienne.
Deux des principaux conseillers de Kamala Harris, Philip Gordon et Ilan Goldenberg, jouent un rôle de premier plan au sein du gouvernement usaméricain dans la planification de la gouvernance de Gaza après la guerre. [ça promet, NdT]
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