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07/02/2024

Réponse préliminaire du Hamas à la proposition d'“Accord-cadre” entre les parties

Original:

Ci-dessous le texte intégral de la réponse à la proposition des 4 chefs des services de renseignement (Égypte, Qatar, Israël, USA) réunis à Paris, remise par le Hamas aux médiateurs qatari et égyptien hier, mardi 6 février. Les parties usaméricaine et israélienne ont reçu une copie de la réponse, qui comprend des amendements à la proposition d'“accord-cadre”, ainsi qu'une annexe spéciale de garanties et d'exigences visant à mettre fin à l'agression et à remédier à ses effets.-Tlaxcala


Réponse du Hamas

Cet accord vise à mettre fin aux opérations militaires mutuelles entre les parties, à parvenir à un calme complet et durable, à échanger des prisonniers entre les deux parties, à mettre fin au blocus de Gaza, à reconstruire, à assurer le retour des résidents et des personnes déplacées dans leurs foyers et à fournir un abri et des secours à tous les résidents dans toutes les zones de la bande de Gaza, selon les étapes suivantes :

 

Première étape (45 jours) :

Cette étape humanitaire vise à libérer tous les détenus israéliens, y compris les femmes et les enfants (de moins de 19 ans, non enrôlés), les personnes âgées et les malades, en échange d'un nombre déterminé de prisonniers palestiniens, ainsi qu'à intensifier l'aide humanitaire, à redéployer les forces hors des zones peuplées, à permettre le début de la reconstruction des hôpitaux, des maisons et des installations dans toutes les zones de la bande de Gaza, à autoriser les Nations unies et leurs agences à fournir des services humanitaires et à établir des camps d'hébergement pour la population, selon les modalités suivantes :

- Arrêt temporaire des opérations militaires, arrêt de la reconnaissance aérienne et redéploiement des forces israéliennes hors des zones peuplées de la bande de Gaza, afin de les aligner sur la ligne de démarcation, ce qui permettra aux parties d'achever l'échange de détenus et de prisonniers.

- Les deux parties libéreront les détenus israéliens, y compris les femmes et les enfants (de moins de 19 ans, non enrôlés), les personnes âgées et les malades, en échange d'un certain nombre de prisonniers palestiniens, en garantissant la libération de toutes les personnes dont les noms ont été convenus à l'avance au cours de cette étape.

- Intensification de l'afflux quotidien des quantités nécessaires et suffisantes pour les besoins de la population (à déterminer) d'aide humanitaire et de carburant, permettant à des quantités adéquates d'aide humanitaire d'atteindre toutes les zones de la bande de Gaza, y compris le nord de la bande, et le retour des personnes déplacées à leurs domiciles dans toutes les zones de la bande.

- Reconstruction des hôpitaux dans toute la bande et mise en place de ce qui est nécessaire pour établir des camps/tentes pour loger la population, et reprise de tous les services humanitaires fournis à la population par l'ONU et ses agences.

- Début des négociations (indirectes) sur les conditions nécessaires au rétablissement du calme.

- L'annexe ci-jointe contenant les détails de la première phase fait partie intégrante du présent accord, les détails des deuxième et troisième phases étant convenus pendant la mise en œuvre de la première phase.

 

Deuxième étape (45 jours) :

Avant la mise en œuvre de la deuxième phase, l'achèvement des négociations (indirectes) sur les conditions nécessaires à la poursuite de la cessation des opérations militaires mutuelles et au retour à un état de calme complet doit être annoncé.

Cette étape vise à libérer tous les détenus masculins (civils et conscrits), en échange d'un nombre déterminé de prisonniers palestiniens, à poursuivre les mesures humanitaires de la première étape, à retirer les forces israéliennes hors des frontières de toutes les zones de la bande de Gaza et à entamer la reconstruction complète des maisons, installations et infrastructures détruites dans toutes les zones de la bande de Gaza, selon des mécanismes spécifiques garantissant leur mise en œuvre et la fin complète du siège de la bande de Gaza, comme convenu lors de la première étape.

 

Troisième phase (45 jours) :

Cette phase vise à échanger les corps et les dépouilles des personnes décédées entre les deux parties après leur identification et la poursuite des mesures humanitaires des première et deuxième phases, comme convenu lors des première et deuxième phases.

 

Annexe à l’Accord-cadre : détails de la première phase

- Arrêt complet des opérations militaires par les deux parties et arrêt de toutes les activités aériennes, y compris la reconnaissance, tout au long de cette phase.

- Redéploiement des forces israéliennes hors des zones peuplées de la bande de Gaza, afin de s'aligner sur la ligne de démarcation à l'est et au nord, ce qui permettra aux parties d'achever l'échange de détenus et de prisonniers.

- Les deux parties libéreront les détenus israéliens, y compris les femmes et les enfants (de moins de 19 ans, non enrôlés), les personnes âgées et les malades, en échange de tous les prisonniers des prisons de l'occupation, y compris les femmes, les enfants, les personnes âgées (plus de 50 ans) et les malades qui ont été détenus jusqu'à la date de signature de cet accord, sans exception, en plus de 1 500 prisonniers palestiniens, dont le Hamas désignera 500 personnes condamnées à la prison à vie ou à de lourdes peines.

- Achèvement des procédures juridiques nécessaires pour garantir que les prisonniers palestiniens et arabes libérés ne soient pas arrêtés à nouveau pour les mêmes motifs que ceux pour lesquels ils ont été arrêtés.

- Libération mutuelle et simultanée d'une manière qui garantisse la libération de tous ceux qui figurent sur les listes convenues à l'avance au cours de cette phase, les noms et les listes étant échangés avant la mise en œuvre.

- Améliorer les conditions de détention dans les prisons de l'occupation et lever les mesures et les sanctions imposées après le 7 octobre 2023.

- Mettre fin aux incursions et aux agressions des colons israéliens dans la mosquée d'Al-Aqsa et ramener la situation dans la mosquée d'Al-Aqsa à ce qu'elle était avant 2002.

- Intensifier l'entrée des quantités nécessaires et suffisantes pour les besoins des résidents (au moins 500 camions) d'aide humanitaire et de carburant sur une base quotidienne, permettant à des quantités adéquates d'aide humanitaire d'atteindre toutes les zones de la bande, en particulier le nord de la bande de Gaza.

- Le retour des personnes déplacées à leur domicile dans toutes les zones de la bande de Gaza, en assurant la liberté de mouvement des résidents et des citoyens par tous les moyens de transport sans entrave dans toutes les zones de la bande de Gaza, en particulier du sud au nord.

- Assurer l'ouverture de tous les points de passage avec la bande de Gaza, la reprise du commerce et permettre la libre circulation des personnes et des biens sans entrave.

- Lever toutes les restrictions israéliennes à la circulation des voyageurs, des patients et des blessés par le point de passage de Rafah.

- Veiller à ce que tous les blessés, hommes, femmes et enfants, puissent être soignés à l'étranger sans restriction.

- L'Égypte et le Qatar mèneront les efforts avec toutes les parties nécessaires pour gérer et contrôler l'assurance, la réalisation et l'achèvement des questions suivantes :

   1. Fournir et mettre en place l'équipement lourd nécessaire à l'enlèvement des débris et des épaves.

   2. Fournir des équipements de défense civile et répondre aux besoins du ministère de la Santé.

   3. Le processus de reconstruction des hôpitaux et des boulangeries dans toute la bande de Gaza et l'introduction de ce qui est nécessaire pour établir des camps de tentes pour loger la population.

   4. Introduire pas moins de 60 000 unités de logement temporaires (caravanes/conteneurs), de sorte que 15 000 unités de logement entrent dans la bande de Gaza chaque semaine à partir du début de cette phase, en plus de 200 000 tentes, à raison de 50 000 tentes par semaine, pour loger les personnes dont les maisons ont été détruites par l'occupation pendant la guerre.

   5. Commencer la reconstruction et la réparation des infrastructures dans toutes les zones de la bande de Gaza et remettre en état les réseaux d'électricité, de télécommunications et d'eau.

   6. Approuver un plan de reconstruction des logements, des installations économiques et des services publics détruits par l'agression, en programmant le processus de reconstruction dans un délai n'excédant pas trois ans.

 

- Reprise de tous les services humanitaires fournis à la population dans toutes les zones de la bande de Gaza, par l'ONU, ses agences, en particulier l'UNRWA, et toutes les organisations internationales opérant dans toutes les zones de la bande de Gaza avant le 7 octobre 2023.

- Réapprovisionner la bande de Gaza avec le carburant nécessaire pour reprendre le fonctionnement de la centrale électrique et de tous les secteurs.

- Engagement de l'occupation à fournir à Gaza l'électricité et l'eau dont elle a besoin.

- Entamer des négociations (indirectes) sur les conditions nécessaires à la poursuite de la cessation des opérations militaires mutuelles et au retour à un état de calme total et mutuel.

- Le processus d'échange est étroitement lié au degré d'engagement mentionné et convenu pour l'entrée d’aides, de secours et d’abris suffisants.

Garants de l'accord : Égypte, Qatar, Turquie, Russie, ONU

23/01/2024

ANSHEL PFEFFER
Pourquoi Israël ne parviendra jamais à détruire tous les tunnels du Hamas à Gaza

Anshel Pfeffer, Haaretz, 21/1/2024
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

 Les tunnels sous Gaza ont précédé la création du Hamas en 1987 et sa prise de pouvoir en 2007. Aujourd’hui, après des mois d’efforts, l’armée israélienne pourrait être amenée à admettre que la destruction de ces kilomètres de passages souterrains ressemblant à un labyrinthe n’a jamais été une perspective réaliste.

Un soldat israélien sécurise un tunnel sous l’hôpital Al Shifa dans la ville de Gaza, dans la bande de Gaza en novembre. Photo : Ronen Zvulun/Reuters

Les Forces de défense israéliennes ne détruiront pas tous les tunnels du Hamas et du Djihad islamique sous Gaza. Il est probable qu’elles ne détruiront même pas la plupart d’entre eux.

Cette évaluation, qui n’a pas encore été exprimée publiquement, est partagée à tous les niveaux de l’armée israélienne. Des généraux, qui tentent de planifier ce qu’ils appellent une « année de guerre » en 2024, aux commandants de brigade et de bataillon qui passent des semaines entières sur le terrain pour détruire une seule section du système de tunnels, en passant par les troupes de génie de combat, qui commencent maintenant à sortir de Gaza après trois mois de combat avec des sentiments mitigés. D’une part, ils ont effectué un nombre sans précédent de missions de démolition de tunnels. D’autre part, ils savent que de nombreux autres tunnels restent intacts.

Les Forces de défense israéliennes réduisent leurs effectifs dans la ville de Gaza, sachant pertinemment que de nombreux tunnels ont été négligés. Cela ne devrait pas être une surprise. Les tunnels sous la bande de Gaza existaient déjà avant la création du Hamas en 1987 et il semble qu’ils existeront encore après cette guerre.

Divers groupes de résistance ont utilisé des tunnels pour cacher des combattants et des armes dès les premières années de l’occupation israélienne de la bande de Gaza après la guerre des Six Jours en 1967, mais les premiers creusements importants ont eu lieu au début des années 1980. Après la signature des accords de Camp David entre Israël et l’Égypte, les quartiers de Rafah ont été divisés par une frontière entre l’Égypte et la bande de Gaza, qui est restée sous contrôle israélien.

Haut du formulaire

Bas du formulaiLe président égyptien Anouar el-Sadate, à gauche, serre la main du Premier ministre israélien Menahem Begin sous le regard du président Jimmy Carter (au centre), septembre 1978. Photo : AP

Plusieurs groupes ont creusé les tunnels sous Rafah et les résidents locaux, les tribus bédouines, les gangs criminels et les organisations de résistance ont tous participé à la contrebande qui s’en est suivie, y compris, après 1993, les fonctionnaires de l’Autorité palestinienne. Toutes sortes d’armes et de produits civils ont transité par les tunnels, y compris un lion, qui devait être utilisé comme symbole de statut par l’un des clans de Gaza.

Au cours des premières années du blocus imposé par Israël et l’Égypte après la prise du pouvoir par le Hamas  en 2007, des centaines de tunnels étaient en service. Certains d’entre eux étaient suffisamment larges pour permettre le passage de voitures qui étaient ensuite vendues à Gaza. Vous pouviez commander un repas chez KFC dans la ville égyptienne d’El-Arish, et le poulet était encore chaud lorsqu’il arrivait du côté palestinien. Des milliers d’habitants de Gaza ont investi leurs économies dans des entreprises locales qui proposaient des investissements dans de nouveaux tunnels.

Lors d’une visite de reportage à Rafah, en Égypte, en 2005, les tunnels étaient facilement identifiables. Ils se trouvaient dans les villas et les enceintes murées qui avaient poussé tout autour des bidonvilles des deux côtés de la frontière. Quatre ans plus tard, lors d’une nouvelle visite juste après l’opération « Plomb durci », les villas du côté palestinien avaient été détruites par les frappes aériennes israéliennes et l’armée égyptienne était occupée à démolir celles de son côté.

18/01/2024

MKHAIMAR ABUSADA
L’homme le plus fort de Gaza : dans la tête du chef du Hamas, Yahya Sinwar

Mkhaimar Abusada, Haaretz, 17/1/2024
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala 

Mkhaimar Abusada est professeur de sciences politiques à l’Université al-Azhar de Gaza, détruite par les bombes israéliennes en novembre 2024, et actuellement déplacé au Caire

Lorsque j’ai rencontré Yahya Sinwar en 2018, il se voulait pragmatique. Mais il a ensuite inversé le scénario, en orchestrant l’attaque du 7 octobre qui a choqué Israël et le monde entier, avec des répercussions catastrophiques pour les habitants de Gaza. Qu’est-ce qui alimente sa réflexion et quel est son objectif final - pour lui-même, pour Israël et pour les Palestiniens ?

Je n’ai rencontré Yahya Sinwar qu’une seule fois. C’était en août 2018, dans son bureau de la ville de Gaza. Il venait d’être élu président du Bureau politique du Hamas à Gaza. Son attitude était détendue alors qu’il était assis avec un groupe de commentateurs politiques, d’universitaires et de journalistes, tous originaires de Gaza.

Photos John Minchillo/AP, Mohammed Salem/Reuters photoshoppées par Anastasia Shub

Il m’a dit qu’il avait suivi mes commentaires politiques sur Al-Jazeera depuis la prison israélienne, où il avait passé 22 ans pour avoir tué des « collaborateurs » palestiniens. C’est en prison qu’il a appris à parler couramment l’hébreu et, comme il aime à s’enorgueillir, à connaître la société israélienne.

Si son équipe nous avait convoqués, c’était pour faire le point sur la « Marche du retour », ces manifestations hebdomadaires qui rassemblaient alors des dizaines de milliers de personnes le long de la barrière frontalière entre Israël et Gaza, dans le but de briser le siège économique israélien de la bande de Gaza.

Il a déclaré que les manifestations se poursuivraient jusqu’à ce que le siège de Gaza soit levé. À l’époque, il tenait des propos qui donnaient l’impression qu’il pouvait être considéré comme un personnage pragmatique, favorable à des trêves et désireux de gouverner.

Mais un discours qu’il avait prononcé plus tôt, en mars 2018, semble aujourd’hui préfigurer le 7 octobre. Il aurait alors déclaré que la Marche du retour ne s’arrêterait pas « tant que nous n’aurons pas supprimé cette frontière éphémère », faisant vraisemblablement référence à la clôture entre la bande de Gaza et Israël. (Il a fait des commentaires similaires sur la frontière « à éradiquer » dans un autre discours). Les marches ont marqué, selon lui, « le début d’une nouvelle phase de la lutte nationale palestinienne sur la voie de la libération et du retour ».

Dans un discours prononcé en 2022, Sinwar a également mis en garde contre une guerre de religion si la mosquée al-Aqsa était menacée, menaçant de déclencher une bataille majeure.

Sinwar, âgé d’environ 62 ans, est considéré comme l’un des rares responsables du Hamas à avoir eu connaissance du plan ultrasecret d’invasion d’Israël. Ce plan, qui concrétisait sa vision d’un franchissement de la frontière, a abouti à la mort de quelque 1 200 Israéliens, pour la plupart des civils, et à la prise en otages de quelque 250 personnes vers Gaza. L’enregistrement et même la diffusion en direct de l’attaque massive contre les Israéliens étaient destinés à susciter la peur et la perte de sécurité au-delà des personnes physiquement touchées, mais aussi dans la psyché israélienne dans son ensemble.

Aujourd’hui, bien sûr, Sinwar est l’homme le plus recherché d’Israël. On pense qu’il se cache dans les profondeurs de Gaza, quelque part dans le labyrinthe des tunnels du Hamas. Selon certaines informations, il pourrait se trouver dans les tunnels entourant le camp de réfugiés de Khan Younès, son lieu de naissance et le site de certains des combats les plus violents de ces dernières semaines, alors que la chasse à l’homme s’intensifie.

La stratégie du Hamas, qui a consisté à capturer un grand nombre d’otages, indique qu’il souhaitait disposer de la monnaie d’échange la plus forte possible pour mettre fin à la guerre à Gaza au moment où il le souhaite, et pas seulement pour obtenir un accord d’échange d’otages contre des prisonniers. L’insistance du Hamas sur le fait qu’il n’y aura pas d’autres négociations sur l’échange de prisonniers sans la fin de la guerre signifie qu’il utilise les otages israéliens comme une carte pour arrêter la guerre et sauver le Hamas de l’anéantissement israélien.


Saleh Al-Arouri, le chef adjoint du Hamas, qui a depuis été assassiné à Beyrouth, avait accordé une interview à Al-Jazira le 7 octobre.

Il a déclaré : « Nous avons un objectif principal : notre liberté et la liberté de nos lieux saints ». Il a également déclaré que le grand nombre d’otages capturés conduirait à la libération de prisonniers palestiniens : « Ce que nous avons entre les mains permettra de libérer tous nos prisonniers. Plus les combats se poursuivront, plus le nombre de prisonniers augmentera ».

Si l’objectif de l’attaque était également de remettre la cause palestinienne sur le devant de la scène, c’est certainement ce qui s’est produit à la suite de la guerre et de l’indignation suscitée par le nombre catastrophique de Palestiniens tués par les bombardements israéliens - un piège que Sinwar aurait tendu à dessein. Il savait exactement ce qu’une attaque du type de celle du 7 octobre provoquerait de la part d’Israël.

Le Hamas a frappé au moment où le monde s’attendait à une normalisation entre Israël et l’Arabie saoudite et il a retourné le scénario, cela n’intéresse plus personne. Au lieu de cela, il a fait du conflit israélo-palestinien la question centrale, après des années pendant lesquelles les Israéliens ont essayé d’éviter de l’affronter de front.

Pour comprendre les objectifs de Sinwar aujourd’hui, il faut comprendre les forces qui l’ont façonné dans son enfance. Il est né au début des années 1960. Comme la plupart des gens de sa génération, il a grandi dans un des camps de réfugiés disséminés dans la bande de Gaza. Soixante-dix pour cent de la population est constituée de réfugiés et de leurs descendants.

Sa famille est arrivée à Gaza en provenance de la ville palestinienne côtière d’Al-Majdal Asqalan, qui est aujourd’hui la ville israélienne d’Ashkelon. C’est la ville la plus visée par les barrages de roquettes du Hamas au cours de cette guerre.


Yahya Sinwar s’exprime lors d’un rassemblement à Gaza en avril 2023.Photo: IBRAHEEM ABU MUSTAFA/ REUTERS

À Khan Younès, comme dans d’autres camps, les conditions de vie étaient désastreuses, les services de santé et d’éducation étant médiocres. Les maisons des réfugiés, dont beaucoup n’étaient que des tas de décombres après les bombardements israéliens, étaient généralement des structures de 50 à 60 mètres carrés sur un seul étage, recouvertes de tôle et de plastique : il y faisait un froid glacial en hiver et extrêmement chaud en été.

Ce n’est qu’après la création de l’Autorité palestinienne en 1994 qu’elles ont été transformées en bâtiments à plusieurs étages. Lorsque Sinwar était enfant, l’eau était stockée dans de grands tonneaux noirs en plastique sur le toit, car elle était très rare. L’occupation israélienne a commencé à Gaza après la guerre du Proche-Orient de 1967, alors que Sinwar avait environ cinq ans. Le régime israélien a privé les Palestiniens de leurs droits fondamentaux et a imposé une surveillance étroite de leur vie politique.

Depuis Khan Younès, il pouvait voir comment les colons juifs du bloc de colonies voisin, le Gush Katif, avaient pris le contrôle de sa plage et l’avaient rendue interdite à lui et à ses jeunes camarades Palestiniens.

La politique de feu Yitzhak Rabin, qui consistait à « briser les os des Palestiniens » pendant la première Intifada, qui a éclaté alors qu’il avait environ 25 ans, l’a probablement radicalisé davantage.

À cette époque, un nombre croissant de Palestiniens perdent espoir dans la capacité de l’OLP à mettre fin à l’occupation israélienne. Expulsée de Beyrouth en 1982, l’OLP n’est plus que l’ombre d’elle-même après la dispersion de ses principaux dirigeants et militants dans des pays arabes lointains comme le Yémen, le Soudan, la Tunisie et l’Algérie. Ce vide dans la lutte palestinienne contre l’occupation a permis à un autre mouvement de voir le jour.

Sinwar a participé dès le début à la création de cette nouvelle organisation, le Hamas. Il a rejoint son aile militaire, les Brigades al-Qassam, et a été à l’origine de la création du service de sécurité al-Majd, chargé de torturer et de tuer les Palestiniens qui collaboraient avec Israël. Il a été surnommé [par qui ?, NdT]« le boucher de Khan Younès » pour sa brutalité.

Il s’est fait connaître pour son rôle dans l’arrestation, l’exécution et l’étranglement de collaborateurs présumés. Il a déclaré à ses interrogateurs israéliens qu’il avait tué au moins quatre hommes et enterré l’un d’entre eux vivant.

Dans la prison israélienne, Sinwar lisait des livres sur le sionisme et Israël. Il se considère comme un expert de la pensée israélienne.


Yahya Sinwar au moment de son arrestation en 1989

Avant d’être libéré dans le cadre de l’accord d’échange contre Gilad Shalit en 2011, il a promis à ses codétenus du Hamas de les faire sortir.

Il ne lui a pas fallu longtemps pour se hisser au sommet du Hamas à Gaza. Il a fait de la lutte contre la corruption au sein du Hamas une stratégie clé. Le fait qu’il ait réussi à évincer certains fonctionnaires corrompus a renforcé sa propre popularité.

Sinwar a travaillé sans relâche à la conclusion d’un autre accord d’échange de prisonniers avec les corps de deux soldats israéliens tués à Gaza en 2014, et de deux autres Israéliens, Hisham al-Sayed et Avera Mengistu.

Mais les dirigeants israéliens se sont retirés des négociations, estimant que le prix était trop élevé et qu’ils n’étaient pas prêts à répéter les erreurs de l’accord Shalit, où de nombreux prisonniers palestiniens libérés, comme Sinwar, sont redevenus de dangereuses menaces pour la sécurité d’Israël.

En plus de diriger le Bureau politique, il a renforcé les liens avec l’aile militaire du Hamas, dont son frère Mohammed est une figure de proue. Sinwar a déclaré, après l’offensive israélienne de mai 2021, que seuls cinq pour cent du réseau de tunnels du Hamas avaient été endommagés. Dans un autre discours, il a appelé les Palestiniens à utiliser des fusils, des couteaux ou des haches pour tuer des Israéliens.

En lançant une attaque aussi ambitieuse contre Israël, il a sans aucun doute voulu humilier ce pays, en révélant qu’il est, comme le Hamas l’appelle souvent, une « maison d’araignée », c’est-à-dire une maison faible et fragile, qui peut être facilement vaincue.

Cela dit, certains civils palestiniens qui paient le prix de cette guerre brutale critiquent Sinwar et le Hamas en silence, mais il n’est pas sûr de le faire publiquement à Gaza même. Ceux qui le font vivent à l’étranger.

Sinwar représente le Hamas dans les négociations sur les otages. Tout accord doit passer par lui, tant qu’il est encore en vie et qu’il est l’homme le plus fort de Gaza.

Si, à la fin de cette guerre, un accord conduit à la libération de tous les prisonniers palestiniens des prisons israéliennes, il s’agira de l’accord d’échange de prisonniers le plus important de l’histoire du conflit israélo-palestinien qui, comme d’autres l’ont dit, serait l’ultime de toutes les images de victoire palestinienne à ce jour.

S’il survit à cette guerre, il écrira probablement un autre chapitre de sa vie en manœuvrant contre ses ennemis internes et externes. Dans le cas contraire, il mourra convaincu d’avoir gagné une bonne place au paradis et que l’histoire se souviendra de lui comme de l’homme qui a choqué non seulement Israël, mais le monde entier.

Le Hamas, lui, lui survivra.


Yahya Sinwar devant les ruines de sa maison à Khan Younès, détruite par des bombes israéliennes le 17 mai 2021, et dont Netanyahou a annoncé triomphalement qu’elle était "encerclée"... en décembre 2024

 

01/11/2023

CONTRIBUTEUR ANONYME
Une lettre au philosophe le plus dangereux d’Occident
Un Palestinien répond à Slavoj Žižek

 Contributeur anonyme, Mondoweiss, 31/10/2023
Traduit par Fausto GiudiceTlaxcala

Cette lettre ouverte a été rédigée par un critique culturel, écrivain et artiste palestinien qui a choisi de publier sous le couvert de l’anonymat par crainte de représailles de la part du régime israélien, qui soumet les voix palestiniennes à une campagne brutale de répression et d’arrestations depuis le 7 octobre.

Cher Slavoj Žižek,

Il y a environ deux semaines, vous avez publié un article [en anglais, néerlandais et allemand] affirmant que “la véritable ligne de démarcation en Israël-Palestine” se situe entre les “fondamentalistes” des deux côtés et tous ceux qui recherchent réellement la “paix”, ce par quoi vous appelez à une position qui ne choisisse pas entre une “faction dure” et l’autre. Bien que vous mettiez les deux sur un pied d’égalité en principe, vous commencez et terminez votre article par une condamnation sans appel de la conduite du Hamas, sans jamais condamner explicitement l’autre “faction dure” pour la même conduite, qu’elle a menée lentement et quotidiennement au cours des 75 dernières années. Je commence ma réponse par une question fondamentale : en tant que quoi parlez-vous ?

Des Palestiniens brandissent des drapeaux du Hamas et du Jihad islamique lors d’une marche à Hébron pour exprimer leur solidarité avec Gaza, le 27 octobre 2023. (Photo : Mamoun Wazwaz/APA Images)

Parlez-vous en tant que philosophe strictement occidental engagé dans un projet occidental, tristement célèbre pour sa tradition séculaire de colonialisme “moralement négligé” qui n’a pas encore pris fin, pour l’histoire usée du civil et du barbare ? Si c’est le cas, j’accepte votre position et je n’ai rien d’autre à vous dire. Vous avez choisi votre camp. Mais si vous vous exprimez en tant que philosophe, je m’attends à un minimum de pensée critique dans votre position - surtout, à l’égard du canon politique sur lequel vous fondez votre évaluation, votre vision et votre appel à l’action. Je n’en attendais pas moins de la star de la “critique de l’idéologie”, qui est indubitablement rompue à la détection de l’autorité brutale et étendue de la manipulation idéologique - en particulier vu que les perspectives géopolitiques occidentales les plus courantes sur le Moyen-Orient ont souvent été altérées par de telles manipulations.

Votre principale réflexion sur l’idéologie était qu’elle fonctionne comme telle ; nous n’y croyons pas, mais nous la pratiquons, comme l’illustre le moment culminant du film They Live [Invasion Los Angeles, John Carpenter, 1986], où, sous tous ces titres audacieux et sensationnalistes, se cache une conception plus profonde et plus dérangeante du sujet. C’est ce que l’on peut voir dans les titres des panneaux d’affichage virtuels et physiques des médias occidentaux après le 7 octobre et ses atrocités présumées - viols, bébés décapités et autres massacres si innommables que toute personne en prenant connaissance sera affectée sur le plan humain.

Ces actions sont présentées comme violentes et apolitiques alors qu’elles sont le fait d’une faction politique qui mène une guerre pour la justice et la libération. Certaines de ces affirmations brutales, comme le mythe des “bébés décapités, ont été réfutées par de nombreuses personnes, y compris les Israéliens et le président usaméricain Biden. Pendant ce temps, d’autres affirmations ont été au moins contestées, et beaucoup ont été réfutées par les témoignages d’otages israéliens libérés. Certains d’entre eux ont audacieusement déclaré que les participants au festival de musique, par exemple, n’avaient pas été exécutés par le Hamas, mais qu’ils avaient été tués au cours d’un échange de tirs, suggérant qu’il s’agissait de tirs amis israéliens, qui ne semblaient pas s’inquiéter de la présence de civils sur leur chemin. Avec de telles contradictions et l’occultation de tous les médias, la vérité sur les événements de cette journée reste inconnue.

Pourtant, on insiste lourdement pour assimiler une faction de la résistance palestinienne née dans le contexte évident de l’occupation militaire à Daech, en dépit de leurs histoires conflictuelles et de leurs objectifs et idéologies différents. Cette tentative, qui remonte à la guerre de 2014 contre Gaza, a été faite par Netanyahou pour la campagne électorale de son parti de droite, et a déjà été rejetée par des universitaires israéliens comme une distorsion de la réalité destinée à éluder les négociations. D’un point de vue critique, la résurgence de cette affirmation dans le climat politique actuel se présente comme un abus de plus d’une atmosphère croissante d’islamophobie en Occident pour s’assurer un soutien inconditionnel à Israël.

Ce postulat soulève des doutes non seulement sur l’intégrité des médias, mais aussi sur l’ensemble de l’appareil politique occidental, car il s’appuie sur un rejet unilatéral des factions de résistance comme étant du pur terrorisme au nom de l’Islam, tout en insistant sur un récit rival de “légitime défense” politiquement justifiée. Si ces doutes doivent être pris en considération - et ils devraient l’être - les positions politiques, les histoires et les contextes ont une grande importance. Si vous rejetez le Hamas (et d’autres mouvements de résistance) comme étant du terrorisme, ne risquez-vous pas de rejeter toute l’histoire de la lutte armée palestinienne contre une occupation armée ?

Vous commencez par revendiquer une voie à suivre au moyen d’un contexte historique, mais votre réflexion historique semble exclure la part dans laquelle la résistance palestinienne est formée et façonnée à l’échelon national. Rejeter la résistance en tant que terrorisme revient à la décontextualiser politiquement et à priver les Palestiniens du droit fondamental à l’organisation et à l’aspiration politiques. Cela rend le sujet palestinien nihiliste et conduit à des interprétations erronées telles que votre description de l’Intifada de Jérusalem de 2015, appelée “Intifada des couteaux”, comme une expression violente du désespoir. Une telle approche sociologique de la politique doit être sérieusement révisée.

“Intensifier toutes les formes de résistance et de lutte”
Déclaration commune de la résistance palestinienne sur le déroulement de la bataille Déluge d’Al Aqsa


Déclaration commune du Front démocratique pour la libération de la Palestine, du Hamas (Mouvement de résistance islamique), du Jihad islamique palestinien, du Front populaire pour la libération de la Palestine et du Front populaire pour la libération de la Palestine - Commandement général, 28 octobre 2023

Traduit par Tlaxcala

Les cinq forces palestiniennes ont tenu une réunion de dirigeants à Beyrouth le 28 octobre 2023 pour discuter du déroulement de la bataille Déluge d’Al Aqsa contre l’ennemi sioniste et son agression brutale contre la bande de Gaza.
Dans leur déclaration, les cinq forces ont salué les martyrs de notre peuple palestinien et notre peuple inébranlable et fier de la bande de Gaza qui fait face à une campagne organisée d’extermination, soulignant qu’ils sont le peuple de la fierté, de la dignité et de la fermeté et qu’ils sont le peuple de la victoire qui est loyal à sa cause et à sa patrie, et [les forces palestiniennes] se sont engagées à continuer sur la voie de la résistance jusqu’à ce que la victoire soit obtenue sur l’ennemi sioniste.
Les participants ont affirmé ce qui suit :
  • Cette épopée héroïque est la bataille du peuple palestinien tout entier, qu’il mène pour défendre sa terre, ses valeurs sacrées, son existence et son droit à la liberté contre un ennemi barbare qui n’épargne aucun de nos concitoyens dans ses crimes. Il prend pour cible les hôpitaux, les mosquées, les églises, les universités et les ambulances, et coupe l’électricité, l’eau, le carburant, l’Internet et les communications cellulaires de notre peuple assiégé.
  •  L’adhésion à l’unité nationale est un pilier essentiel pour faire face à la guerre sioniste de génocide contre notre peuple, ainsi que pour rejeter les tentatives de l’ennemi de diviser notre peuple ou d’en accaparer une partie. Nous insistons sur l’unification des efforts et le resserrement des rangs dans cette bataille fatidique.
  •  Nous appelons les masses de notre nation arabe et islamique et les peuples libres du monde à poursuivre leurs mouvements pour arrêter l’agression usaméricano-sioniste, ouvrir les passages frontaliers, acheminer l’aide humanitaire et le carburant, et évacuer les blessés de la bande de Gaza.
  •  Nous saluons les forces de résistance de notre nation, en particulier au Liban, en Syrie, en Irak, au Yémen et en Iran, et nous affirmons que notre peuple palestinien n’est pas seul dans cette bataille.
  •  Nous tenons les États-Unis d’Amérique pour pleinement responsables de la guerre de génocide contre notre peuple, car ils ont choisi de la soutenir, de l’intensifier et d’y participer, ce qui exige une réponse forte des pays arabes et islamiques, ainsi que des pays amis de notre peuple, pour mettre fin au massacre en cours de notre peuple palestinien.
  •  Nous exigeons l’ouverture du point de passage de Rafah et l’entrée de l’aide, des besoins humanitaires, du carburant et des équipes médicales et de secours à notre peuple sans délai, permettant aux blessés d’être transportés en Égypte et dans les pays arabes et islamiques, sans interférence de l’occupation ou de l’un des pays agresseurs.
  •  Nous appelons les masses de notre peuple dans toute la Palestine occupée à intensifier toutes les formes de résistance et de lutte contre l’ennemi sioniste, en ciblant ses soldats et ses colons, et en renforçant les initiatives populaires de lutte face aux attaques des colons et à l’empiétement des forces ennemies.
  •  En coupant tout accès à Gaza, en l’assiégeant et en coupant complètement les communications et l’Internet, l’ennemi couvre un crime majeur de génocide dont il ne veut pas de témoins, et nous insistons sur la nécessité de briser ce siège par une position arabe “officielle et populaire”.
  •  Nous adhérons au droit de notre peuple à résister et à sa confiance dans notre victoire dans cette bataille, que nous menons pour défendre notre terre, notre peuple et nos valeurs sacrées, et dans l’intérêt de la libération, du retour, de l’autodétermination et de l’établissement de l’État palestinien avec Jérusalem comme capitale.

Gloire aux martyrs.

Guérison pour les blessés.

Liberté pour les prisonniers.

Victoire de notre peuple et de sa vaillante résistance.

 

25/10/2023

AZMI BISHARA
Briser la cage de Gaza : pourquoi l’attaque du 7 octobre n’est pas le 11 septembre d’Israël et sa victoire n’est pas garantie

Azmi Bishara, The New Arab, 12/10/2023

Alors qu’Israël affiche ouvertement son intention d’intensifier ses bombardements brutaux sur Gaza et d’affamer la population pour se venger de l’opération militaire du Hamas, le Dr Azmi Bishara insiste sur la nécessité de faire tout ce qui est en notre pouvoir pour l’empêcher de se livrer à un véritable génocide.


Gaza est assiégée depuis près de vingt ans. Dessin d’Emad Hajjaj

La diffusion par le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou, relayé par le président usaméricain Joe Biden, d’affabulations et de désinformations sur les événements du 7 octobre à Gaza n’est pas une bavure mais un acte délibéré de propagande. Elle vise à justifier une guerre israélienne barbare et totale, sans retenue, pour faire payer un prix insupportable à la population palestinienne de Gaza, l’objectif principal de cette guerre.

En d’autres termes, justifier l’usage illégal de la violence et de l’intimidation contre les civils palestiniens dans la poursuite d’objectifs politiques. N’est-ce pas là la définition même du terrorisme ?

Le contre-objectif devrait donc être de limiter leur capacité à bombarder Gaza sans retenue, en dénonçant et en protestant contre les crimes de la guerre israélienne et en soutenant la solidarité avec les Palestiniens de Gaza. Pendant deux décennies, les Gazaouis n’ont pas connu de quartier, vivant sous un siège paralysant et de fréquents assauts israéliens ; et aujourd’hui, ils sont soumis à une cruauté qu’aucun humain n’est capable de tolérer.

La stupeur et l’émotion combinées depuis les événements chocs du 7 octobre, qui ont remis en question l’arrogance israélienne et les frustrations arabes, font qu’il est difficile d’écrire sans passion sur l’opération “Déluge d’Al-Aqsa” et l’assaut qui s’en est suivi contre Gaza. Il ne fait aucun doute que la jeune génération se souviendra de cette journée et qu’elle modifiera sa perception de la suprématie de l’occupant et de la dignité des victimes de l’occupation, ainsi que des possibilités de résistance à l’occupation.

Quelques jours plus tard, alors même que l’occupation peine à se remettre de cette attaque choc, les responsables israéliens se sont empressés d’annoncer les crimes de guerre qu’ils ont perpétrés à Gaza, déclarant ouvertement leur intention d’en commettre d’autres. L’administration israélienne a ignoré de manière flagrante la déclaration du secrétaire général des Nations unies selon laquelle l’imposition d’un siège total, y compris la coupure de l’eau et de l’électricité, constituerait une violation du droit humanitaire international. Empêcher l’accès à l’eau, aux médicaments et à la nourriture est reconnu comme une arme de guerre inacceptable depuis le Moyen-Âge, mais Israël a pris l’habitude et le droit d’agir au-dessus de la loi.

L’attaque menée par les Brigades Al-Qassam le 7 octobre contre les bases militaires et les villes situées dans ce que l’on appelle “l’enveloppe de Gaza” représente un tournant dans les relations entre la résistance palestinienne et Israël. La planification, la mise en œuvre et la puissance (réelle et projetée) qui la sous-tendent occuperont les analystes pendant des années. Ce matin-là, non seulement les fortifications en béton le long de la frontière ont été détruites, mais aussi les forteresses mentales construites sur des idées fausses et des stéréotypes.

Les Israéliens se sont laissé aller à la complaisance, malgré les souffrances qu’ils ont infligées à un peuple indigène qui étouffe sous deux décennies d’un blocus inhumain et illégal et malgré la complicité croissante du gouvernement d’extrême droite dans les attaques contre la mosquée Al-Aqsa, au point que des plans ont été élaborés pour diviser le site d’Al-Aqsa et attribuer des heures de prière distinctes aux musulmans et aux juifs. Ils se sont reposés sur leurs lauriers alors même qu’ils permettaient l’escalade des attaques de colons contre les Palestiniens et leurs biens et que le gouvernement annonçait son intention d’annexer de vastes pans de la Cisjordanie.

Que l’on soit israélien ou non, personne ne devrait être choqué par la réaction palestinienne. L’autocensure israélienne a commencé et sera un processus continu, mais elle ne conduira pas à des conclusions correctes sur la relation de l’occupant avec la réalité vécue par ceux qui vivent sous l’occupation. Au lieu de cela, il cherchera des réponses internes et incomplètes aux questions relatives au maintien de l’occupation, telles que : « Qui est responsable de l’échec des services de renseignement ? Pourquoi n’y avait-il pas assez de soldats ? Pourquoi ont-ils réagi si tardivement ? »

La véritable surprise pour les Israéliens, les Palestiniens et les Arabes est venue de la capacité de la résistance gazaouie à produire et à faire entrer en contrebande l’équipement militaire nécessaire malgré un siège étouffant dans une bande de terre exposée et plate, sans montagnes ni vallées. Les seules personnes qui n’ont pas été prises au dépourvu sont celles qui sont au courant. La plupart des gens qui ont dépassé l’image romantique des parapentes survolant les frontières ont commencé à s’interroger sur la manière dont la fabrication et l’entraînement nécessaires ont été réalisés et sur le nombre de tunnels existants.

Indépendamment des différences d’attitudes et d’origines, voire des hostilités entre eux, les Palestiniens, et les Arabes en général, ont le droit de ressentir un certain regain de confiance face à la persévérance, l’assiduité, la détermination et l’imagination dont la résistance a fait preuve dans des conditions impossibles.

Israël a maintenant lancé une guerre contre Gaza, il ne s’agit donc plus d’une opération militaire isolée. Israël a déclaré publiquement qu’il continuerait à commettre des crimes contre l’humanité, dont l’ampleur et la gravité ne feront que croître. Il rase des quartiers entiers de la bande de Gaza, la zone la plus densément peuplée du monde, le plus grand camp de réfugiés et la plus grande prison à ciel ouvert. Il tente d’effacer le souvenir des images vidéo diffusées à grande échelle par la résistance et, en semant la mort et la destruction à Gaza, de restaurer son prestige aux yeux de son peuple et son image intimidante aux yeux des Arabes, à la fois ses ennemis et les régimes qui poursuivent la normalisation.

Mais il y a d’autres éléments à prendre en compte dans ses actions. L’acharnement et la poursuite des bombardements après l’épuisement de toutes les cibles sont l’expression de la confusion et de l’hésitation quant à la marche à suivre, et constituent une tactique qui masque l’absence d’un plan et d’une stratégie. En outre, le feu vert de Washington et des gouvernements européens a encouragé Israël à agir sans calcul sérieux.

Les bombardements intensifs visent à creuser un fossé entre l’idée de résistance et la population en augmentant de manière prohibitive le coût de la résistance et les sacrifices consentis par les habitants de Gaza, dans l’espoir que les souffrances continues qui leur sont imposées les mobiliseront non pas contre l’occupation, mais contre le Hamas.

12/10/2023

MARK LEVINE
La conception de la violence de Fanon ne s’applique pas en Palestine

Mark LeVine, Aljazeera, 10/10/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Le colonialisme israélien est bien plus que de la “violence à l’état de nature” et il faudra donc bien plus qu’une “plus grande violence” pour le vaincre.

Mark LeVine est professeur d’histoire et directeur du programme d’études mondiales sur le Moyen-Orient à l’université de Californie à Irvine. Son dernier ouvrage s’intitule We’ll Play till We Die : Journeys Across a Decade of Revolutionary Music in the Muslim World (University of California Press). Il est aussi guitariste de rock.

Au lendemain de l’attaque sans précédent du Hamas contre Israël depuis Gaza, mon fil d’actualité Facebook a été envahi par des amis partageant des variantes d’une célèbre citation du philosophe et psychiatre anticolonialiste d’origine martiniquaise Frantz Fanon, selon laquelle la violence du colonialisme ne peut qu’être, et sera naturellement, contrée par la violence du colonisé. La citation est tirée de l’ouvrage Les Damnés de la terre et ne peut être comprise que dans le contexte de l’argumentation plus complète de Fanon : "Le colonialisme n’est pas une machine à penser, n’est pas un corps doué de raison. Il est la violence à l’état de nature, et ne peut s’incliner que devant une plus grande violence. » [p. 61]

Emad Hajjaj

Personne ne peut nier le caractère brillant de Fanon ni sa compréhension pionnière et profonde des effets psychologiques de la violence coloniale sur le colonisé et le colonisateur (en tant que psychiatre, il a traité des officiers coloniaux français et des Algériens et a constaté qu’ils souffraient de troubles psychiatriques similaires). Mais la seconde partie de l’argumentation de Fanon, la plus célèbre, n’est pas compréhensible sans la première partie, et la première partie - en particulier dans le contexte israélien - est de fait profondément erronée.

Le colonialisme, en particulier le colonialisme de peuplement - et encore plus particulièrement le colonialisme de peuplement sioniste - est en grande partie une “machine à penser” dotée d’une logique et d’une rationalité très puissantes et anciennes qui sont la clé de son succès. C’est pourquoi il est essentiel, pour ceux qui analysent et combattent la violence coloniale, de se demander à quoi ressemblerait une “plus grande violence” et comment elle peut être mesurée, sans parler de sa réalisation.

Je n’ai encore vu aucun scénario plausible dans lequel les Palestiniens acquièrent les moyens de déployer une “violence bien plus grande” à l’égard d’Israël/de l’entité sioniste pendant un certain temps, quel que soit le rapport de force géostratégique concevable. Même si l’Iran (la seule puissance qui soutient la Palestine de manière significative), par exemple, voulait livrer des armes plus lourdes aux Palestiniens, le contrôle d’Israël sur les points d’accès, ainsi que celui de l’Égypte et de la Jordanie, l’en empêcherait. La Palestine n’est pas l’Ukraine, soutenue par de grandes puissances et capable d’utiliser des corridors terrestres, maritimes et aériens pour obtenir un flux ininterrompu de livraisons d’armes afin de lutter contre un adversaire beaucoup plus grand et mieux armé. C’est même tout le contraire.

Plus largement, la Palestine d’aujourd’hui n’est pas l’Algérie de 1956, qui était la référence la plus importante de Fanon. Israël n’est pas non plus la France, avec une métropole où les colons peuvent revenir (à moins que nous ne considérions Tel Aviv comme la métropole). Il n’y aura pas de guerre d’indépendance de longue haleine aboutissant à ce que la grande majorité des Juifs quittent à la française une Palestine reconquise. Mais il existe plusieurs scénarios qui pourraient conduire à un retour de la Nakba, comme le réclament aujourd’hui de nombreux politiciens israéliens.

De plus, lorsque Fanon parle de l’effet “cathartique” et “purificateur” de la violence par/pour le colonisé dans Peau Noire, Masques Blancs, un autre argument souvent cité, il est important de rappeler qu’il fait d’abord référence au colonisé qui « adopte subjectivement une attitude de Blanc » et non à l’utilisation de la violence pour se purifier de la maladie psychologique du colonialisme en préparation de la longue lutte pour l’indépendance. Lorsque le moment de la violence révolutionnaire survient, explique-t-il dans Les Damnés de la terre, c’est encore au début de la lutte, lorsque le sujet colonisé, dégradé depuis longtemps, « découvre que sa vie, sa respiration, les battements de son cœur sont les mêmes que ceux du colon. Il découvre qu’une peau de colon ne vaut pas plus qu’une peau d’indigène. C’est dire  que cette découverte introduit une secousse essentielle dans le monde ». À ce moment-là, « toute l’assurance nouvelle et révolutionnaire du colonisé en découle. Si, en effet, ma vie a le même poids que celle du colon, son regard ne me foudroie plus, ne m’immobilise plus, sa voix ne me pétrifie plus. Je ne me trouble plus en sa présence. Pratiquement, je l’emmerde. Non seulement sa présence ne me gêne plus, mais déjà je suis en train de lui préparer de telles embuscades qu’il n’aura bientôt d’autre issue que la fuite ».

Dans le cas de la Palestine, ce type de violence s’est produit en 1921, 1929 et surtout en 1936, et non en 1987 ou 2000. Elle s’est appuyée sur l’autoreconnaissance des Palestiniens en tant que nation indépendante qui a vu le jour au début du 20e siècle, en même temps que le sionisme.

Je crains qu’en se concentrant sur la composante psychologique et le pouvoir de la violence, ainsi que sur le sentiment de liberté et de respect de soi produit par une violence telle que celle de la dernière attaque de masse, les gens placent les Palestiniens à un stade de développement national bien plus précoce qu’ils ne le sont aujourd’hui, ce qui conduit à des stratégies de résistance qui ne correspondent pas à l’état actuel du développement national ou au moment stratégique et politique. Cela permet également aux dirigeants israéliens, tels que le ministre de la défense Yoav Gallant, de déclarer, comme on pouvait s’y attendre, que « nous combattons des animaux humains et nous agissons en conséquence », alors qu’Israël entame ce qu’il faut bien appeler un siège mortel de la bande de Gaza, tandis qu’une grande partie du monde hoche la tête en semblant le comprendre.

En effet, pendant plus de 50 ans d’occupation et 30 ans d’ “autonomie” palestinienne post-Oslo, plutôt que “ le colonisé [qui]se guérit de la névrose coloniale en chassant le colon par les armes”, ce qui s’est produit (comme je l’ai appris lors d’entretiens avec des thérapeutes dans les rares centres de santé mentale de Gaza depuis la fin des années 1990 jusqu’aux années 2000), c’est la transmission des traumatismes, les anciens prisonniers du Fatah torturés par Israël torturant à leur tour les membres du Hamas en utilisant les mêmes techniques que celles utilisées par les Israéliens sur eux - souvent en criant sur leurs victimes en hébreu tout en les torturant dans les mêmes pièces où ils ont été torturés. Le Hamas a poursuivi ce cycle pendant les deux décennies où il a exercé un contrôle effectif sur Gaza. Et aujourd’hui, nous le voyons avec des foules qui acclament les Israéliens kidnappés, battus et assassinés.

Quelle que soit la catharsis que cela constitue, ce n’est pas celle qui mènera à la victoire sur une société israélienne qui utilise la violence contre les Palestiniens comme sa propre catharsis traumatique depuis 75 ans, dans un monde qui a une très grande tolérance pour les victimes civiles palestiniennes, la plupart des Occidentaux continuant à soutenir Israël chaque fois qu’il y a un grand nombre de victimes juives israéliennes.

Enfin, il convient de noter que Fanon a considéré la présence de la France en Algérie sous l’angle du colonialisme/impérialisme européen de manière plus générale, en expliquant : « Très concrètement l’Europe s’est enflée de façon démesurée de l’or et des matières premières des pays coloniaux : Amérique latine, Chine, Afrique. De tous ces continents, en face desquels l’Europe aujourd’hui dresse sa tour opulente, partent depuis des siècles en direction de cette même Europe les diamants et le pétrole, la soie et le coton, les bois et les produits exotiques. L’Europe est littéralement la création du tiers monde. Les richesses qui l’étouffent sont celles qui ont été volées aux peuples sous-développés ». [Les Damnés de la Terre, p. 99]

Quoi que l’on puisse dire du colonialisme sioniste/israélien et de l’immense vol des ressources palestiniennes qu’il a impliqué, son objectif premier a été le vol et la colonisation de terres afin d’établir sa propre souveraineté sur ce territoire pour que ses citoyens puissent y vivre. Il est beaucoup plus proche du colonialisme nord-américain et australien - où les maladies, le nettoyage ethnique à grande échelle et finalement le génocide ont décimé la population indigène - que du colonialisme français en Algérie ou même en Afrique du Sud, où les Africains indigènes constituaient la grande majorité de la population totale. En effet, à l’instar de ces autres colonies européennes, les Juifs sionistes se sont dès le départ imaginés comme la population indigène et, dès le début des années 1970, ils ont tenté de s’identifier directement aux sujets coloniaux de Fanon ayant besoin d’une violence cathartique pour créer leur (re)nouvelle(s) nation(s).

Tragiquement, Fanon est mort en 1961, un an avant l’indépendance de l’Algérie. Il n’a pas vécu assez longtemps pour voir les réalités de la politique postcoloniale en Algérie, ou dans toute l’Afrique d’ailleurs, où, comme le romancier kenyan et penseur décolonial Ngugi wa Thiong’o l’a si bien montré, les dirigeants des États nouvellement indépendants ont presque immédiatement commencé à traiter leurs peuples de la même manière que leurs anciens colonisateurs (un phénomène également vécu par l’[In]Autorité palestinienne et le Hamas depuis Oslo).

Il y a quarante ans, lorsqu’il décrivait cette dynamique de gouvernance postcoloniale dans ses mémoires de prison révolutionnaires, Wrestling with the Devil : A Prison Memoir, Thiong’o a utilisé le terme “néocolonial”, non pas pour indiquer la poursuite du contrôle européen par d’autres moyens, mais plutôt pour décrire la manière dont les dirigeants anticoloniaux ont adopté (et adapté) les mêmes techniques brutales et autoritaires que leurs colonisateurs pour asseoir et maintenir leur pouvoir ; une critique de la “colonialité du pouvoir” qui est aujourd’hui au cœur de la pensée décoloniale, de plus en plus populaire.

Cette colonialité du pouvoir ne permettra jamais aux Palestiniens d’accéder à une indépendance réelle, ni par l’intermédiaire de l’[I]AP néocoloniale, ni avec le Hamas à la tête du pays. Si les Palestiniens veulent vaincre le colonialisme sioniste, il faudra probablement une analyse de sa violence et de son pouvoir bien différente de celle proposée par Fanon il y a trois quarts de siècle, et il faudra probablement un changement de paradigme dans les concepts fondamentaux de ce que sont une nation, la liberté et l’indépendance à un moment où le monde entier, et pas seulement la Palestine/Israël, se dirige vers la conflagration.