25/10/2023

AZMI BISHARA
Briser la cage de Gaza : pourquoi l’attaque du 7 octobre n’est pas le 11 septembre d’Israël et sa victoire n’est pas garantie

Azmi Bishara, The New Arab, 12/10/2023

Alors qu’Israël affiche ouvertement son intention d’intensifier ses bombardements brutaux sur Gaza et d’affamer la population pour se venger de l’opération militaire du Hamas, le Dr Azmi Bishara insiste sur la nécessité de faire tout ce qui est en notre pouvoir pour l’empêcher de se livrer à un véritable génocide.


Gaza est assiégée depuis près de vingt ans. Dessin d’Emad Hajjaj

La diffusion par le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou, relayé par le président usaméricain Joe Biden, d’affabulations et de désinformations sur les événements du 7 octobre à Gaza n’est pas une bavure mais un acte délibéré de propagande. Elle vise à justifier une guerre israélienne barbare et totale, sans retenue, pour faire payer un prix insupportable à la population palestinienne de Gaza, l’objectif principal de cette guerre.

En d’autres termes, justifier l’usage illégal de la violence et de l’intimidation contre les civils palestiniens dans la poursuite d’objectifs politiques. N’est-ce pas là la définition même du terrorisme ?

Le contre-objectif devrait donc être de limiter leur capacité à bombarder Gaza sans retenue, en dénonçant et en protestant contre les crimes de la guerre israélienne et en soutenant la solidarité avec les Palestiniens de Gaza. Pendant deux décennies, les Gazaouis n’ont pas connu de quartier, vivant sous un siège paralysant et de fréquents assauts israéliens ; et aujourd’hui, ils sont soumis à une cruauté qu’aucun humain n’est capable de tolérer.

La stupeur et l’émotion combinées depuis les événements chocs du 7 octobre, qui ont remis en question l’arrogance israélienne et les frustrations arabes, font qu’il est difficile d’écrire sans passion sur l’opération “Déluge d’Al-Aqsa” et l’assaut qui s’en est suivi contre Gaza. Il ne fait aucun doute que la jeune génération se souviendra de cette journée et qu’elle modifiera sa perception de la suprématie de l’occupant et de la dignité des victimes de l’occupation, ainsi que des possibilités de résistance à l’occupation.

Quelques jours plus tard, alors même que l’occupation peine à se remettre de cette attaque choc, les responsables israéliens se sont empressés d’annoncer les crimes de guerre qu’ils ont perpétrés à Gaza, déclarant ouvertement leur intention d’en commettre d’autres. L’administration israélienne a ignoré de manière flagrante la déclaration du secrétaire général des Nations unies selon laquelle l’imposition d’un siège total, y compris la coupure de l’eau et de l’électricité, constituerait une violation du droit humanitaire international. Empêcher l’accès à l’eau, aux médicaments et à la nourriture est reconnu comme une arme de guerre inacceptable depuis le Moyen-Âge, mais Israël a pris l’habitude et le droit d’agir au-dessus de la loi.

L’attaque menée par les Brigades Al-Qassam le 7 octobre contre les bases militaires et les villes situées dans ce que l’on appelle “l’enveloppe de Gaza” représente un tournant dans les relations entre la résistance palestinienne et Israël. La planification, la mise en œuvre et la puissance (réelle et projetée) qui la sous-tendent occuperont les analystes pendant des années. Ce matin-là, non seulement les fortifications en béton le long de la frontière ont été détruites, mais aussi les forteresses mentales construites sur des idées fausses et des stéréotypes.

Les Israéliens se sont laissé aller à la complaisance, malgré les souffrances qu’ils ont infligées à un peuple indigène qui étouffe sous deux décennies d’un blocus inhumain et illégal et malgré la complicité croissante du gouvernement d’extrême droite dans les attaques contre la mosquée Al-Aqsa, au point que des plans ont été élaborés pour diviser le site d’Al-Aqsa et attribuer des heures de prière distinctes aux musulmans et aux juifs. Ils se sont reposés sur leurs lauriers alors même qu’ils permettaient l’escalade des attaques de colons contre les Palestiniens et leurs biens et que le gouvernement annonçait son intention d’annexer de vastes pans de la Cisjordanie.

Que l’on soit israélien ou non, personne ne devrait être choqué par la réaction palestinienne. L’autocensure israélienne a commencé et sera un processus continu, mais elle ne conduira pas à des conclusions correctes sur la relation de l’occupant avec la réalité vécue par ceux qui vivent sous l’occupation. Au lieu de cela, il cherchera des réponses internes et incomplètes aux questions relatives au maintien de l’occupation, telles que : « Qui est responsable de l’échec des services de renseignement ? Pourquoi n’y avait-il pas assez de soldats ? Pourquoi ont-ils réagi si tardivement ? »

La véritable surprise pour les Israéliens, les Palestiniens et les Arabes est venue de la capacité de la résistance gazaouie à produire et à faire entrer en contrebande l’équipement militaire nécessaire malgré un siège étouffant dans une bande de terre exposée et plate, sans montagnes ni vallées. Les seules personnes qui n’ont pas été prises au dépourvu sont celles qui sont au courant. La plupart des gens qui ont dépassé l’image romantique des parapentes survolant les frontières ont commencé à s’interroger sur la manière dont la fabrication et l’entraînement nécessaires ont été réalisés et sur le nombre de tunnels existants.

Indépendamment des différences d’attitudes et d’origines, voire des hostilités entre eux, les Palestiniens, et les Arabes en général, ont le droit de ressentir un certain regain de confiance face à la persévérance, l’assiduité, la détermination et l’imagination dont la résistance a fait preuve dans des conditions impossibles.

Israël a maintenant lancé une guerre contre Gaza, il ne s’agit donc plus d’une opération militaire isolée. Israël a déclaré publiquement qu’il continuerait à commettre des crimes contre l’humanité, dont l’ampleur et la gravité ne feront que croître. Il rase des quartiers entiers de la bande de Gaza, la zone la plus densément peuplée du monde, le plus grand camp de réfugiés et la plus grande prison à ciel ouvert. Il tente d’effacer le souvenir des images vidéo diffusées à grande échelle par la résistance et, en semant la mort et la destruction à Gaza, de restaurer son prestige aux yeux de son peuple et son image intimidante aux yeux des Arabes, à la fois ses ennemis et les régimes qui poursuivent la normalisation.

Mais il y a d’autres éléments à prendre en compte dans ses actions. L’acharnement et la poursuite des bombardements après l’épuisement de toutes les cibles sont l’expression de la confusion et de l’hésitation quant à la marche à suivre, et constituent une tactique qui masque l’absence d’un plan et d’une stratégie. En outre, le feu vert de Washington et des gouvernements européens a encouragé Israël à agir sans calcul sérieux.

Les bombardements intensifs visent à creuser un fossé entre l’idée de résistance et la population en augmentant de manière prohibitive le coût de la résistance et les sacrifices consentis par les habitants de Gaza, dans l’espoir que les souffrances continues qui leur sont imposées les mobiliseront non pas contre l’occupation, mais contre le Hamas.

Les bombardements aveugles, la déshumanisation des Palestiniens en cage et les menaces de les priver d’eau et de nourriture sont des expressions éhontées d’un racisme flagrant. Lorsque le ministre israélien de la Guerre, Yoav Gallant, a décrit les Palestiniens comme des “animaux humains”, il ne parlait pas sous l’effet d’une rage incontrôlable. Au contraire, il exprimait clairement cette croyance et rationalisait les actes fondés sur cette croyance. L’occasion s’est présentée d’exprimer “légitimement” cette conviction sur fond de choc, de colère non réprimée et de solidarité occidentale inconditionnelle avec Israël, qui a fait allusion au fait qu’il avait subi son propre 11 septembre.

Que se passera-t-il ensuite ? Si les bombardements sauvages continuent de décimer la bande de Gaza, densément peuplée, au point qu’Israël déclare sa “mission accomplie”, mais qu’après cela, le commandant d’Al-Qassam surgit pour assurer à la population que le Hamas et la résistance l’emporteront, il pourra également déclarer l’échec de l’assaut israélien et s’appuyer sur les événements du 7 octobre.

N’est-ce pas exactement ce qui s’est passé au Liban en 2006, avec beaucoup moins de victimes du côté israélien ? Une commission d’enquête officielle sera créée pour demander des comptes à Netanyahou et à son gouvernement pour leur négligence et l’échec de leurs services de renseignement.  Des manifestations éclateront, exigeant des conséquences pour un gouvernement de droite dépourvu d’expertise militaire et qui dormait aux aguets. On dira que l’offensive “Épées de fer” d’Israël a échoué parce qu’Israël, après le déluge d’Al-Aqsa et la réponse dévastatrice, sera de retour à la case départ.

Certains prétendent qu’une invasion terrestre pour mettre fin au contrôle du Hamas sur la bande de Gaza pourrait être la solution au “problème” de Gaza.

Mais comment ? Les agences israéliennes n’avaient aucune idée des capacités de la résistance et de ce qu’elle préparait avant le 7 octobre. Pouvaient-elles donc avoir une meilleure idée de ce qui les attendait si elles se lançaient dans une invasion terrestre ou dans des opérations commando à l’intérieur de la bande de Gaza, dans des zones soupçonnées d’abriter des infrastructures du Hamas ou des chefs de la résistance ?

Bien sûr que non. Par conséquent, cette décision représente un risque considérable, susceptible de mettre fin à la carrière de celui qui la prendra, ainsi qu’à la vie de nombreux soldats. À l’heure actuelle, un gouvernement d’urgence a été formé en Israël, de sorte que tout le monde porte la responsabilité des prochaines étapes. En fin de compte, cela pourrait conduire à une opération terrestre, dont la nature n’a pas encore été déterminée.

Les dirigeants israéliens n’ont pas encore trouvé d’issue à leur situation actuelle. En outre, s’ils ne parviennent pas à atteindre leurs objectifs par une opération rapide et secrète, ce qui est peu probable, les crimes qu’ils commettent actuellement à Gaza se poursuivront avec le feu vert des USA et des puissances européennes.  Il est peu probable qu’Israël mette fin à la guerre et revienne à la case départ, et il se comporte actuellement comme une bête dangereuse et blessée. Par conséquent, toutes les mesures possibles doivent être prises pour le contenir et l’empêcher de procéder à un génocide et à un transfert de population à grande échelle.

Remarques finales

(1)

Les politiciens occidentaux et les grands médias agissent comme si les civils palestiniens ou arabes n’existaient pas - au lieu de cela, ils sont simplement des êtres qui ne méritent pas l’humanité, qui ne sont qu’abstraitement humains. Cependant, ils sont certainement considérés comme des civils parce que les seuls “civils innocents” dans cette région sont les Israéliens.

Les scènes diffusées par les grands médias occidentaux ne montrent pas les souffrances des civils palestiniens et les pertes qu’ils ont subies, et les institutions dirigeantes en Europe et aux USA, ainsi qu’en Russie et en Chine (qui ne se soucient guère des droits humains et ne les mettent pas en œuvre), ne mentionnent pas les blessures infligées aux femmes et aux enfants palestiniens lors de ces frappes aériennes, et les traitent encore moins en tant qu’individus. Plus d’un millier de civils palestiniens [plus de 5000 au 23/10, NdT] ont déjà été tués par les bombardements israéliens. Si Israël est autorisé à poursuivre les massacres qu’il perpètre, ce nombre pourrait atteindre plusieurs milliers.

Je tiens ici à souligner la gravité de l’erreur commise par la résistance en tuant ou en enlevant des civils. De plus, la libération des civils (dont on ne sait pas pourquoi ils ont été enlevés*) est urgente, étant donné les rumeurs nuisibles qui circulent à ce sujet, et le fait que la résistance a suffisamment d’officiers et de soldats captifs pour mener des négociations avec l’occupation en vue de libérer des prisonniers palestiniens en échange.

En outre, la présence de civils, dont certains étrangers, n’augmente pas la capacité de négociation, elle la diminue. Elle ne dissuadera pas non plus les frappes aériennes. En effet, à ce stade, Israël ne se préoccupe pas de savoir si les otages sont tués ou s’ils survivent ; si les otages sont tués pendant la guerre, Israël et ses alliés en feront une arme contre le Hamas. Le Hamas ferait donc mieux de libérer les civils - il s’agit d’un fardeau moral et politique qui lui causera des dommages stratégiques. Je me rends compte que ceux qui sortent les enfants des décombres de Gaza ne sont pas dans un état d’esprit qui leur permette de s’engager dans ce débat. Toutefois, les dirigeants politiques comprennent l’essence des charges stratégiques.

(2)

L’alignement immédiat et officiel de l’Occident sur Israël ne s’est pas soucié de détails prétendument mineurs tels que l’occupation, le siège, les colonies et les agressions contre les lieux saints. En fait, la solidarité semblait presque instinctive, s’inscrivant dans un cadre de “nous” contre “eux” (Arabes, Musulmans, Orientaux...), comme si “nous” représentait une alliance Europe-USA-Israël qui a subi une attaque collective soudaine le 7 octobre. Cette logique a également engendré une comparaison avec le 11 septembre, alors qu’il n’y a aucune raison de le faire : Le Hamas n’a jamais mené, depuis sa création, une seule opération armée en dehors de la Palestine, sur un sol étranger.

En outre, les Palestiniens qui ont survolé la frontière en parapente et ceux qui l’ont franchie ont pénétré dans des régions que leurs parents et grands-parents ont fui pour trouver refuge dans la bande de Gaza, et ils connaissent ces villages sous leur nom arabe d’origine. En outre, ils sont soumis à un blocus inhumain et à des frappes aériennes israéliennes régulières depuis des décennies.

La comparaison avec le 11 septembre est extrêmement provocatrice, tout comme le fait que nous soyons constamment obligés d’évoquer le contexte de l’occupation et de sa violence prolongée, et il semble qu’en l’évoquant, nous essayons de nous justifier et de nous défendre et que nous devions à chaque fois recommencer l’argumentation à zéro. Nous avons l’impression de vivre dans deux mondes différents.

On apprend à l’Israélien ordinaire à ignorer l’occupation pour maintenir une vie “normale”. Il doit supprimer toute conscience de la réalité de l’expulsion massive de 1948, du colonialisme et de l’occupation depuis 1967. Ceux qui n’y parviennent pas doivent dire adieu à tout semblant de normalité dans leur vie quotidienne. La réalité de la colonisation et de l’occupation est que l’état d’exception devient la règle, et que l’exceptionnel devient l’ordinaire.

Par conséquent, la prise de conscience de la réalité rendra la vie d’un Israélien misérable et l’amènera soit à se retourner contre l’occupation, soit à émigrer, soit à vivre un conflit interne. Sinon, ils deviendront plus extrêmes et fanatiques pour tenter de justifier la réalité à leurs propres yeux, dans un type particulier de dissonance cognitive. Mais les journalistes usaméricains ou européens n’ont aucune excuse pour ignorer la réalité de l’occupation lorsqu’ils demandent, avec une ignorance feinte, aux Arabes de condamner le “terrorisme palestinien”, comme si le problème commençait par là. Nous sommes de plus en plus las de nous plonger constamment dans un dialogue trompeur avec ceux qui prétendent ne pas savoir, ne veulent pas savoir et n’écoutent pas.

NdT

*Peut-être parce qu’ils étaient des “civils” armés, chargés de surveiller la frontière, donc des supplétifs paramilitaires.

Azmi Bishara : Malgré le soutien aveugle de l’Occident, le succès d’Israël à Gaza est loin d’être garanti

Rédaction de The New Arab, 23/10/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Dans une interview accordée à Alaraby TV, Azmi Bishara fait part de ses réflexions sur les derniers événements et la couverture de l’escalade à Gaza et sur l’implication des pays arabes vis-à-vis d’Israël.

Israël n’a pas encore lancé l’invasion terrestre de Gaza qu’il a promise [Araby TV].

La réticence d’Israël à entamer une invasion terrestre de la bande de Gaza s’explique par plusieurs facteurs liés à la force de la résistance qu’il rencontrera ainsi qu’au front nord d’Israël et à la possibilité que le Hezbollah se joigne à la guerre, selon le penseur arabe Azmi Bishara.

Dans une longue interview accordée dimanche à Alaraby TV, Bishara a présenté les scénarios qui se dérouleront dans les semaines à venir, alors qu’Israël bombarde Gaza sans relâche.

Il a déclaré qu’Israël n’avait aucune garantie d’atteindre son “objectif final”, qui est d’éliminer le Hamas et de trouver un autre parti palestinien prêt à diriger la bande de Gaza.

Si la position égyptienne et arabe rejetant l’expulsion forcée de la population de Gaza est en soi positive, le problème de cette position est qu’elle se contente d’affirmer que « l’expulsion est une ligne rouge », alors que cette ligne rouge devrait également inclure les massacres et le ciblage des civils. Dans le cas contraire, le rejet par les Arabes de la seule expulsion pourrait être perçu comme une autorisation « de maintenir la population de Gaza dans cette cage et de l’y tuer», a-t-il fait valoir.

Azmi Bishara, qui est directeur général du Centre arabe pour la recherche et les études politiques, a souligné l’immense pression exercée par l’armée israélienne sur les responsables politiques pour qu’ils procèdent à l’invasion ; le soutien absolu des USA à Israël, qui donne à ce dernier les coudées franches pour atteindre “l’objectif final”, à savoir l’élimination du Hamas ; le consensus militaire israélien, qui est sans précédent depuis la veille de la guerre de 1967 et la période dite « d’attente pour entrer en guerre », et même le consensus qui est peut-être sans précédent depuis 1948. Cela s’explique, selon lui, par l’ampleur du choc qui a entraîné une perte d’équilibre social, politique et intellectuel en Israël, « qu’ils tentent de gérer par le biais de ce consensus ».

D’autre part, le penseur arabe estime que la recherche par Israël d’un autre parti pour diriger Gaza « n’est pas assurée de réussir, car Israël n’est pas le seul acteur sur le terrain, étant donné l’existence des factions de la résistance, de l’opinion publique arabe, du mouvement de protestation arabe et du monde en général, en particulier à la suite du massacre de l’hôpital baptiste (Al Ahli) ».

Dans ce contexte, Bishara a demandé : « Que feront-ils après l’invasion ? À supposer qu’ils créent un parti pour diriger Gaza, quelles sont les garanties de réussite ? La Cisjordanie, par exemple, n’est pas dirigée par le Hamas. Pourtant, un état de résistance y règne ».  Il a également évoqué le sort des prisonniers civils et militaires israéliens détenus à Gaza et souligne que leur vie « est devenue secondaire par rapport à l’objectif politico-militaire » en ce qui concerne les dirigeants israéliens, puisqu’ils ne leur accordent plus la priorité par rapport à l’objectif final du plan militaire.

Bishara a résumé sa description de la situation en évoquant « un état d’auto-illusion israélienne concernant la situation du “lendemain d’une invasion” ». Il a noté que « des retards dans l’invasion pourraient réduire la possibilité qu’elle se produise, et plus l’escalade augmente sur le front nord, plus les choses pourraient devenir incontrôlables ». Il n’exclut pas un tel scénario, notamment parce que « le renforcement de la perception par les dirigeants iraniens de la perte de Gaza - Gaza étant son seul allié sunnite à utiliser le discours sectaire dominant - pourrait conduire à la pleine participation du Hezbollah à la guerre ».

Israël, a-t-il dit, ne souhaite pas que cela se produise, ce qui pourrait l’inciter à reconsidérer ses options, comme en témoigne le fait que les forces israéliennes se sont récemment retirées de plusieurs kilomètres de leurs lignes de contact avec le Hezbollah pour tenter d’éviter une aggravation de la confrontation. Bishara a déclaré que cela « augmente le coût pour Israël et l’inquiète, mais cela n’atténue pas la pression à laquelle les Palestiniens sont confrontés ».

Bishara s’est dit convaincu qu’en ce qui concerne Netanyahou, « sa vie politique est terminée et il y aura des commissions d’enquête après la guerre ».

En ce qui concerne les événements en Cisjordanie et à Jérusalem, en particulier les meurtres de civils et les craintes d’Israël de voir la situation exploser, Bishara a déclaré que le nombre de victimes est scandaleusement élevé, de l’avis général, et qu’il y a là une sorte d’Intifada héroïque qui est occultée par la guerre à Gaza, cette dernière accaparant toute l’attention des médias. Il a également souligné que le ciblage des civils par Israël « est un phénomène qui a accompagné la création d’Israël et qui vise à forcer les Palestiniens à quitter leurs terres et à émigrer, en particulier en Cisjordanie ».

Il a conclu que les bombardements et le pilonnage actuels de sites civils à Gaza ne sont pas le résultat de “dommages collatéraux”, mais « d’un ciblage méthodique visant à imposer un prix à la société, ce qui équivaut à une pratique colonialiste raciste exprimée par une mentalité israélienne visant à donner une leçon aux Palestiniens ».

En ce qui concerne les positions arabes et régionales sur la guerre à Gaza, Bishara a souligné que la plupart des gouvernements arabes n’ont pas exigé de cessez-le-feu dans les premiers jours de la guerre, et que les déclarations de leurs représentants se sont concentrées sur la nécessité d’empêcher la guerre de s’étendre, c’est-à-dire d’empêcher le Hezbollah de s’y joindre, ce qui est au cœur de la position usaméricaine. Il a souligné que l’action des gouvernements arabes et la convocation de conférences s’inscrivaient dans le sillage des manifestations populaires arabes, en particulier après le bombardement de l’hôpital baptiste, et que l’action officielle arabe visait à « contenir la colère publique, car on craint que les gens ne descendent à nouveau dans la rue, et la Palestine est un point de ralliement naturel pour les peuples arabes ».

Bishara a affirmé que les pays arabes peuvent influencer la position usaméricaine, qui favorise Israël dans une mesure sans précédent, s’ils adoptent des positions pratiques, authentiques et unifiées. « Supposons que les principaux pays arabes qui seraient touchés par l’expulsion forcée des Palestiniens de Gaza ou de Cisjordanie prennent des décisions et des mesures concrètes, à commencer par la fermeture de leurs ambassades en Israël, que se passerait-il, étant donné que les USA n’ont pas d’alternative pour les Arabes ? » Il conclut que les USA pourraient être contraints de modifier leur position et de prendre en compte la position arabe si un tel scénario devait se produire.

Bishara a déclaré que l’état d’esprit sioniste de Joe Biden renvoie à la mentalité des présidents usaméricains des années 1980, qui s’identifiaient à Israël et le considéraient comme un État démocratique doté d’une doctrine politique similaire à celle des USA et comme un pays impérialiste où le rôle de la religion est similaire à ce qu’il est aux USA. L’attitude de Biden est choquante et implique une sorte de cécité politique qui est projetée sur Israël et son récit, comme on peut le voir dans son adoption de la thèse israélienne selon laquelle Israël n’a pas bombardé l’hôpital baptiste.

Bishara a proposé une explication à multiples facettes de la position européenne, qui a apporté un soutien sans précédent aux dirigeants israéliens depuis l’opération militaire du Hamas du 7 octobre, notamment le fait que les Européens considèrent leurs relations avec les Arabes et les Musulmans à travers le prisme de leur propre problème de réfugiés, ce qui explique en partie leur position pro-israélienne et anti-palestinienne. Il a également évoqué le chantage israélien qui perdure depuis Menahem Begin sur la culpabilité spécifiquement européenne liée à l’Holocauste, la montée de l’extrême droite en Europe et la convergence des attitudes sur l’immigration et la cause palestinienne. Il a averti que « les événements actuels pourraient conduire à une rupture entre l’opinion publique arabe et les gouvernements occidentaux », ce qui serait grave car il n’y a pas de conflit avec l’Occident.

Bishara fait référence au comportement partial et non professionnel des médias occidentaux, à leur promotion du récit israélien, à leur imposition d’une censure stricte sur les journalistes et leur vocabulaire, à leur exclusion du contexte palestinien des reportages, à leur attribution de tous les massacres israéliens à l’opération du 7 octobre et à leur traitement des Palestiniens comme des chiffres plutôt que comme des êtres humains avec des histoires individuelles, des vies, des parents et des biographies. Bishara a déclaré qu’en conséquence, ceux qui soutiennent les Palestiniens en Occident sont confrontés au “néo-mcarthysme”.

Se référant aux arguments sur la question de “condamner ou ne pas condamner” auxquels chaque invité ou pro-palestinien est confronté lorsqu’il est reçu par les médias occidentaux, Bishara a déclaré que des transgressions avaient été commises lors de l’opération du 7 octobre concernant l’enlèvement et le meurtre de civils « et que cela constituait un fardeau pour les mouvements armés palestiniens », mais il a souligné que « ce n’était pas le point de départ de la discussion, qui devrait être l’occupation et ses crimes. Si nous condamnons ces derniers, nous complétons alors l’argument et arrivons à une évaluation d’un comportement particulier, que nous pouvons condamner, parce que les Palestiniens ne sont pas le peuple élu de Dieu, et comme tous les autres peuples, ils font parfois les choses bien et parfois mal ».

 

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